Rennes (Ille-et-Vilaine), correspondance
Mardi était une nouvelle journée de mobilisation à Rennes contre la loi sur le travail et contre les violences policières. Mais cette fois, au lieu de rentrer chez eux après la mobilisation, les militants se sont installés sur l’esplanade Charles-de-Gaulle. La maire de la ville et le préfet avaient clairement refusé que le rassemblement Nuit debout se fasse dans le centre-ville historique, place du Parlement, sans s’opposer pour autant à un rassemblement citoyen.
- Communiqué de la mairie de Rennes.
Sur cette grande esplanade de béton lisse, entre un cinéma, un centre commercial et une bibliothèque, il aura fallu attendre une heure que les citoyens forment une assemblée suffisamment importante et que les prises de parole commencent. Plus de 300 personnes se sont installées, debout ou assises, pour s’écouter.
La loi sur le travail a été abordée, mais ce sujet était finalement à la marge : les orateurs ont parlé de leurs conditions de travail, de leurs idéaux, du chômage, de la précarité, d’un désir d’une société moins inégalitaire, plus respectueuse de l’environnement, plus démocratique.
Une forme de mobilisation plus pacifique
Cette forme de mobilisation a semblé apaisante aux militants présents, qui ont aussi participé aux manifestations des dernières semaines. Rennes est habituée aux manifestations, parfois tendues, ce qui lui a valu le surnom de « Rennes la rouge » lors de la mobilisation contre le CPE, en 2006. Durant ce mois de mars, elle n’a rien perdu de ses habitudes, comme ce fut le cas hier après-midi, en amont du rassemblement Nuit debout. Dans la journée, la manifestation a débordé sur les rails de la gare pendant une heure et demie, un blocage auquel les gaz lacrymogènes ont répondu. Comme jeudi 31 mars, de nombreux tirs de gaz ont rythmé la mobilisation d’hier, qui a réuni plus de 10.000 personnes dans les rues de Rennes.
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- Élise, Claire et Alice.
La jeune génération qui arpente les rues de la ville depuis le mois de mars voit aussi les limites des cortèges et des slogans et apprécie le rassemblement Nuit debout pour son pacifisme et son dialogue, comme l’a expliqué Claire, 22 ans. « Les gens ont besoin de s’exprimer, et ici c’est possible. Il y a beaucoup de fatigue avec les manifestations, les gens sont en colère, il y a de la casse et des violences policières. Ici, on peut se parler et avancer. L’important, c’est de montrer qu’on a tous une voix et qu’il faut la faire entendre. » Son amie Élise a enchéri : « Je pense que ça fait longtemps que tout le monde attend que ça bouge, et là, ça y est. »
Mais les forces de l’ordre étaient bien là, une voix au micro l’a rappelé : « Attention, il y a des policiers en civil près du camion là-bas, soyez vigilants. »
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- A l'Arrière-plan, les f orces de l’ordre veillent.
Sur l’esplanade, les prises de parole se sont enchaînées sans que la dénonciation d’un système qui déraille ait été au cœur des débats. La proposition, tout du moins l’impulsion vers quelque chose d’autre, a semblé plus présente dans les discours : « Il faut qu’on s’organise » ; « Qui veut faire partie d’une équipe pour aller chercher des palettes ? » ; « Je propose de parler des systèmes alternatifs, si ça intéresse quelqu’un, on va échanger là-dessus dans ce coin de la place ». Au bout d’un moment, le micro est resté muet et quelqu’un a sorti une guitare, le temps d’un entracte, avant que le micro ait été à nouveau pris en main.
« La Nuit debout marche vraiment bien à Paris et aujourd’hui, c’est à Rennes, a raconté Simon. Ça montre une véritable cohérence, que le mouvement a pris de l’ampleur. Pour moi, c’est un symbole fort tout en restant une mobilisation pacifique et reposante. » Certains veulent construire un autre monde, explorer « ce champ des possibles » que devient l’esplanade Charles-de-Gaulle, comme l’a dit Flora, étudiante à l’université Rennes 2. Mais pour d’autres, comme Simon, il s’agit de tendre la main au gouvernement : « En étant ici, on montre au gouvernement qu’on est nombreux et prêts à parler, qu’on est capables d’utiliser d’autres moyens pour montrer notre désaccord, sans passer par la violence. »
- Romane, M artin et Simon.
Vers 22 h 30, l’assemblée générale a voté de rester sur la place. Pour combien de temps ? Pour Élise, « ça va durer, on ne sait pas combien de temps, mais ça va durer. » Même chose pour Flora : « Comme le disent les médias, la loi travail est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, maintenant, les gens ont compris, ils en ont marre, et ce mouvement ne s’arrêtera pas avec la fin de loi travail. »
Julie Lallouët-Geffroy
source: reporterre.net