Le mouvement initié par Jean-Luc Mélenchon en appui à sa candidature a présenté son programme et arrêté dix mesures emblématiques lors d'une convention qui a innové dans les codes et les pratiques, le week-end dernier.

Le directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard, avait prévenu que la première convention de La France insoumise serait « un événement inédit d'un genre nouveau », autant dans la composition des participants que dans son déroulé : « Ni un congrès, ni un grand show à l'américaine. » Samedi midi, à l'ouverture des portes des Halls de la filature, une ancienne usine en brique de Saint-André-lez-Lille transformée en parc d'exposition, les participants qui viennent retirer badge et dossier sont de tous âges, et ne semblent pas se connaître. Il y a parmi eux beaucoup de novices. Et pour cause.

650 des 1.000 conventionnels attendus ont été tirés au sort, à parité, parmi les 130 000 personnes qui, sur le site internet jlm2017.fr, ont déclaré, depuis le 10 février, appuyer la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Moyenne d'âge annoncée : 43 ans. Les 350 autres sont des « représentants de toutes les insoumissions » : syndicalistes, lanceurs d'alerte, responsables associatifs, militants de causes écologistes, ainsi que des représentants des partis (Parti de gauche, Nouvelle gauche socialiste) ou regroupements politiques (communistes insoumis, Ensemble insoumis) membre de « l'espace politique » de la France insoumise.

L'abandon des verticalités passées

Pour cette convention qui, pour la première fois, réunit physiquement des gens, membres ou non des 1.400 « groupes d'appui » formés dans le pays, qui n'étaient jusqu'ici rassemblés que virtuellement sur la plate-forme internet de la France insoumise et les réseaux sociaux, les organisateurs ont délibérément cassé les codes traditionnels de ce type de réunion afin que les conventionnels ne se regroupent ni par affinité, ni par origine géographique, mais se mélangent et échangent.

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Ces derniers s'installent par tables de six, décorées aux couleurs du mouvement, dans une grande salle aux murs blancs ornée d'écrans avec en son centre une estrade circulaire. Ils ont préalablement tiré dans deux grandes vasques leur numéro de table, de sorte que chacune d'elle comporte trois femmes et trois hommes. La Convention est retransmise en streaming sur internet, et les internautes invités à réagir ou à formuler eux aussi des propositions via les réseaux sociaux et, pour ceux qui y sont inscrits, à voter sur la plate-forme jlm2017.fr dans les mêmes conditions que les participants à la convention.

« Les réseaux sociaux permettent d'abandonner les verticalités des formes d'action militante qui existaient par le passé », explique Alexis Corbière, premier intervenant d'un long après-midi. Il justifie l'entrée en campagne précoce de Jean-Luc Mélenchon, dont il est le porte-parole pour la campagne présidentielle : si cela n'avait pas été cas, s'interroge-t-il en substance, qui aujourd’hui pourrait répondre aux discours de la droite omniprésente dans les médias en cet automne ? Défend ensuite une nouvelle fois le refus irrémédiable de son candidat de se soumettre à une primaire. Et affiche l'ambition du mouvement « en cours de construction, et donc en perpétuelle évolution » : être au second tour de l'élection présidentielle et l'emporter. En bon chauffeur de salle, il ne manque pas de vanter l'atout du mouvement :

Dans le désordre actuel créé par le Président actuel et l'ancien Président, lorsqu'on observe cette vieille scène politique qui est en train de s'effondrer, le seul candidat stable, le seul candidat cohérent, le seul candidat constant dans ses propositions, le seul candidat honnête, c'est Jean-Luc Mélenchon.

Succès assuré à l'applaudimètre.

Un programme élaboré collectivement

Si le candidat est connu, la convention avait également pour but d'arrêter son programme qui est indissociablement celui du mouvement. Celui-ci, intitulé « L'Avenir en commun », est le fruit d'une démarche collective inédite, initiée dès février, que retrace brièvement à la tribune Charlotte Girard qui l'a coordonné avec Jacques Généreux. « Le programme avait pris pour point de départ L'Humain d'abord, notre programme de 2012 qui avait quand même recueilli 4 millions de voix et nous nous n'avons pas retourné notre veste entre temps », rappelle-t-elle. Durant sept mois, les « insoumis » ont posté sur leur plate-forme internet près de 3 000 contributions, enregistrées et triées par une équipe de jeunes rapporteurs qui ont établi une première synthèse. Avant de procéder à 18 auditions de personnalités issues d'horizons divers, filmées pour la plupart et diffusées sur internet. La petite équipe a ensuite reçu les contributions des partis et regroupements politiques associés au mouvement.

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Au final, le texte reprend bien des points de L'Humain d'abord, qu'il actualise, mais en diffère par l'importance donnée aux problématiques écologiques, la relation à l'Europe, et la place centrale donnée à la 6e République. En une quarantaine de pages, il liste 357 mesures, formulées à l'infinitif, et regroupées sous sept chapitres:

  • Face à la crise démocratique, convoquer l'assemblée constituante de la 6e République

  • Face au chômage et à l'urgence sociale, partager les richesses, mettre au pas la finance

  • Face à la crise climatique, la planification écologique

  • Face à la crise européenne, sortir des traités

  • Face à la guerre, instaurer l'indépendance de la France au service de la paix

  • Face à la grande régression, choisir l'objectif du progrès humain

  • Face au déclinisme, porter la France aux frontières de l'humanité.

Soumis séparément au vote des « insoumis » sur internet, ils ont été approuvés par 90,4 % à 96,1 % des 77 038 votants. Ce programme, dans une version plus écrite, doit être publié en décembre au Seuil avec un prix modique. Il devrait parallèlement être complété par des livrets programmatiques, élaborés par des groupes de travail thématiques, exposant les enjeux d'un sujet, les grandes orientations préconisées et les mesures d'urgences à mettre en œuvre. Le premier porte sur l'agriculture et l'alimentation ; une quinze d'autres sont annoncés correspondant à autant de groupes thématiques.

Le programme adopté, un nouveau vote était proposé aux conventionnels et aux internautes « insoumis ». Il s'agissait de choisir parmi 60 mesures de « L'Avenir en commun » préselectionnées dix mesures emblématiques qui « serviront de support à la campagne », à partir desquelles « on va fabriquer du matériel électoral », a détaillé Charlotte Girard, et qui contribueront à « donner une idée de l'orientation générale du mouvement ». Les 11.300 participants à ce vote, ouvert jusqu'à dimanche 9h, ont plébiscité le refus des traités de libre-échange : le traité transatlantique Tafta, le Ceta et le Tisa (48 %). Viennent ensuite, dans l'ordre:

  • abrogation de la loi travail (43,5 %)

  • instauration de la « règle verte » consistant à ne pas prélever sur la nature davantage que ce qu'elle peut reconstituer (38,5 %)

  • plan A : proposer une refondation démocratique, sociale et écologique des traités européens par la négociation / Appliquer un « plan B » en cas d'échec des négociations (38%)

  • plan de transition énergétique vers les énergies renouvelables par la sortie du nucléaire (36 %)

  • droit de révoquer un(e) élu(e) » (35,5 %)

  • référendum pour engager un processus constituant (35 %)

  • protection des biens communs (air, eau, alimentation...) (33,5 %)

  • séparation des banques d'affaires et de détail, et création d'un pôle public bancaire (31,5 %)

  • Smic mensuel à 1.300 euros nets et la revalorisation des salaires des fonctionnaires (28 %)

Une quarantaine de « témoins »

La suite de l'après-midi, organisée en trois temps (Faire face à l'urgence démocratique, à l'urgence sociale, à l'urgence écologique), enchaîne les « témoignages d'insoumis et d'acteurs présents » dans la salle et d'autres en vidéos pré-enregistrés ou retenus parmi les quelques soixante quinze messages que les conventionnels enregistreront tout au long du week-end dans un des deux « vidéomatons » installés (A voir ici) dans une salle attenante où se dresse le « village militant » avec son bar, ses stands et des « murs citoyens ».

À l'issue de chacun de ces temps sont proposés des moments de discussion de 20 minutes, appelées « cogitations insoumises », au cours desquels les conventionnels discutent avec leur tablée des moyens de convaincre le plus grand nombre, de permettre à toutes et tous de s'impliquer dans le mouvement, et d'avoir 577 candidats insoumis aux législatives. Leurs propositions sont recueillies sur des feuilles.

Un tantinet désorientés certains militants aguerris, passés par plusieurs organisations, s'avouent dubitatifs. Quelques uns regrettent d'avoir fait des centaines de kilomètres pour ne pas pouvoir débattre de certains points du programme avec lesquels ils ne sont « pas d'accord » même si, nous confie rageusement une « pégiste » de l'Hérault, « dans le paysage actuel c'est encore ce qu'il y a de mieux ».

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De fait, cette première assemblée ne met pas en débat des propositions ou des orientations concurrentes. Les prises de parole, distribuées par deux animateurs qui s'en tiennent à un conducteur serré, sont des plus variées. Ils sont une bonne quarantaine à s'exprimer : de Leïla Chaibi, intervenant comme militante associative et membre de Nuit debout, à Jean-Marie Brom, spécialiste de physique nucléaire et corpusculaire au CNRS, porte-parole du réseau « Sortir du nucléaire », en passant par Rémy Garnier, l'inspecteur des finances publique qui a révélé l'affaire Cahuzac, Issa Coulibay, président de l'association Pazapas Belleville, membre du collectif « Stop au contrôle au faciès », Mehdi Kemoune, secrétaire général adjoint de la CGT à Air France, Antoine Deltour, le lanceur d'alerte du Luxleaks, Pascal Lafargue, président d'Emmaüs Gironde, Vincent Dreuzet, de Solidaires Finances publiques et d'Attac, Lionel Buriello, secrétaire général de la CGT Arcelor Mittal à Florange, Christian Vélot, maître de conférence en génétique moléculaire et opposant aux OGM, Daniel Pilc, porte-parole de Decicamp, une association d'opposants à la ferme des 3.000 porcs, ou Françoise Verchère, ex-maire de Bouguenais et figure historique de l'opposition à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes...

Leurs témoignages visent autant à donner à voir la diversité des points de vue qui s'inscrivent dans la France insoumise, qu'à illustrer les différentes questions auxquelles « L'Avenir en commun » propose de répondre. Certains d'entre eux figurent parmi les vingt « insoumis au quotidien qui ont accepté de porter aux élections législatives les propositions de la France insoumise », dont la liste est dévoilée en toute fin d'après-midi. Comme pour bien montrer que le mouvement n'entend pas se limiter à la présidentielle.

« Il faut être inclusif »

Dans son discours de clôture, prononcé le dimanche midi, après avoir reçu le soutien de plusieurs personnalités internationales, dont l'ancienne ministre de la Culture du Mali, Aminata Traoré, et l'ex-présidente du Parlement grec, Zoé Konstantopoulou, très applaudies, Jean-Luc Mélenchon justifie ces changements :

N'ayons pas de regret du passé, j'en viens, a-t-il lancé_. Je vous garanti qu'il n'avait rien de si fantastique qu'on ait à regretter les anciennes méthodes. Elles ont eu leur dignité, elles ont eu leur importance. Mais maintenant nous sommes libérés du poids d'une foule de tâches que les plate-formes internet nous permettent d'accomplir._

Le candidat à la présidentielle insiste ensuite sur le « travail collectif » mené durant la convention, en associant tous les internautes « insoumis » qui le souhaitaient, comme pour l'élaboration du programme qui « vaut largement ce qui avait été fait, un peu rapidement parce que c'était les circonstances, en un mois et demi en 2011 pour écrire le programme L Humain d'abord ». Non sans décocher une petite flèche à ses anciens partenaires du Front de gauche, au PCF et à Ensemble !, qui lui reprochent toujours d'être « parti en solo » et de poursuivre une « démarche personnelle » :

On a l'impression que certains travaux ne sont réputés collectifs que quand certains y ont été, et qu'ils sont réputés solitaires quand bien même y aurait-il 135 000 personnes qui les accomplissent, 1 400 groupes d'appui qui les mènent tout simplement parce qu'ils n'ont pas eu le bonheur d'être reconnus comme tel par les autres. Eh bien, on s'en fiche.

Contre les sceptiques, il défend le choix du tirage au sort pour désigner les conventionnels plutôt que de procéder à une classique élection de délégués :

Vous aviez envie de commencer ce mouvement en vous comptant par des élections ? Elles ont leur utilité mais c'eût été absurde : on aurait commencé par se diviser. Donc mieux valait tirer au sort et la diversité de nos points de vue s'est trouvée représentée sans qu'il y ait de déchirements, sans qu'il y ait d'affrontements. C'est ça qui est important pour nous à cette étape.

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Au terme d'un discours d'un peu plus d'une heure trente, au cours duquel il a surtout ciblé les sept candidats de la droite leur reprochant notamment d'avoir « passé une soirée entière [sur TF1] sans dire un mot sur l'écologie » quand lui y consacre de longs développements, Jean-Luc Mélenchon est revenu sur une information de RTL qui lui prêtait l'intention de ne plus faire chanter l'Internationale à la fin de ses réunions publiques. Une information commentée négativement sur les réseaux sociaux par nombre de militants de feu le Front de gauche :

Mes amis, du diable si je vais vous empêcher de chanter ce que vous avez envie de chanter ! Ce que je voulais vous dire, à tous, que vous comprenez comme moi, il faut être inclusif. Si par vos rites et vos manières de faire vous donnez l'impression qu'il faut d'abord avoir subi un bizutage pour pouvoir venir ici, on a perdu notre temps. Vous le savez bien. Et après, chacun fait comme il le veut. Ici c'est la liberté. Ce n'est pas moi qui donne des ordres.

Soucieux de voir le mouvement continuer de s'élargir et d'« ouvrir les bras [aux] milliers de personnes [qui] ne savent plus où elles en sont », l'équipe de campagne du candidat avait ainsi demandé aux partis et groupes présents de ranger les drapeaux. Et c'est par une Marseillaise, entonnée a cappella au pied de l'estrade, et reprise par toute la salle, que Jean-Luc Mélenchon a clos cette « réunion fondatrice ». Un hymne national suivi d'une Internationale, lancée... par les deux coordinateurs du Parti de gauche accompagnés du communiste Christian Audoin et de Danièle Obono d'Ensemble !, et finalement bien reprise par la quasi totalité des participants.