En France la recomposition politique s'est accélérée depuis 2017. Même si elle a commencé en 2005, puis en 2012.
Les partis dit "de gouvernement", gauche et droite bourgeoises, sortent très affaiblis d'une longue période historique. Nous allons nous intéresser plus particulièrement à la gauche qui, depuis les années 1970, a connu de profonds bouleversements.
Depuis l'avant-guerre et plus encore après celle-ci la gauche était composée essentiellement de deux grands partis, la SFIO et le PCF.
A partir de 1971 le PS prenait la suite de la vieille SFIO discréditée par sa participation aux guerres coloniales, aux gouvernements de "3e force" sous la IVe République et son atlantisme durant la guerre froide.
Le PCF était alors le parti de gauche le plus important avec une influence importante dans la classe ouvrière, les catégories populaires et les intellectuels. Sa "galaxie" et ses liens étroits avec la CGT en faisait un parti puissant doté d'une grande force militante.
Le PS choisit une ligne "d'union de la gauche" avec les communistes. Son nouveau chef, François Mitterrand proclame en juin 1971 lors du congrès fondateur d'Epinay " La révolution, c'est d'abord une rupture avec l'ordre établi. Celui-qui n'accepte pas cette rupture avec l'ordre établi, avec la société capitaliste, celui-là ne peut pas être adhérent du Parti socialiste."
Le PCF prônait une stratégie d'union de la gauche depuis les années 1960 (surtout à partir de 1962, 1965 et surtout 1966). C'est le modèle du Front populaire qui en est le fond culturel. L'union de la gauche autour d'un programme commun est présentée comme une stratégie révolutionnaire.
Mais rapidement la question du rapport des forces entre le PC et le PS va déstabiliser cette vision stratégique. Mitterrand explique devant l'Internationale socialiste qu'il veut plumer volaille communiste et la direction communiste répliquera que "l'union est un combat". Le PS devient très vite la force dynamique puis hégémonique à gauche, le PC demande une "actualisation du programme commun" qui reçoit une réponse négative du PS. Cette rupture de l'union aboutit à la défaite de la gauche en 1978 et provoque une crise profonde au PCF. Les communistes critiques mettent en cause la direction, le manque de démocratie interne verrouillée par le centralisme bureaucratique, les relations avec l'Union Soviétique et souhaitent une réflexion stratégique. Les voix des "intellectuels assis derrière leurs bureaux", selon la délicate expression de Marchais, seront étouffées. Et la crise ne fera que s'approfondir.
C'est dans ce contexte qu'en mai 1981 Mitterrand est élu président de la République. Le PC participe au gouvernement en position subalterne. Malgré les déclarations triomphalistes de Marchais, auxquelles personne ne croit, le parti communiste quittera l'exécutif en 1984 avec un rapport des forces dégradé et sans stratégie alternative autre que la navigation à vue.
Le ralliement du PS au néolibéralisme et le déclin inexorable du parti communiste aboutissent, chacun à son rythme et à sa façon, au résultat des élections présidentielles du 10 avril 2022 : le PS obtient 1,7% des voix et le PC 2,3%.
La crise du communisme détectable dès le milieu des années 1960, les divisions du MCI (Tricontinentale à La Havane, conflit sino-soviétique qui vit le maoïsme s'allier aux impérialistes étasuniens contre l'Union Soviétique, micro schismes yougoslave et albanais, eurocommunisme ), la disparition de l'URSS en 1991 suivie de la mutation capitaliste de la Chine, changent le rapport des forces mondiales. Soulagé de la peur de la révolution avec l'échec du soviétisme, le capitalisme, qui déjà dans le courant les années 1970 lançait son offensive néolibérale (Chili 1973, puis Thatcher 1979 et Reagan en 1981), triomphe et instaure son hégémonie mondiale.
La social-démocratie qui était l'expression politique du compromis entre le capital et le travail, imposé par le rapport des forces issus de la IIe Guerre Mondiale, le mouvement de libération nationale et le mouvement des non-alignés, entre également en crise n'ayant plus d'espace politique face à un capitalisme triomphant et agressif qui ne voulait plus entendre parler de compromis. Pour assurer sa survie il ne lui restait qu'à rallier le néolibéralisme en tentant de l'infléchir dans les marges mais cautionnant, voire initiant les pires reculs du mouvement populaire.
Bien entendu ces transformations politiques étaient aussi la traduction des changements du capitalisme, de sa globalisation et des transformations que ces bouleversements apportaient au tissu social et en particulier les mutations sociales qui touchent le monde ouvrier et les couches populaires: atomisation, individualisation, précarisation, uberisation mais aussi mode de consommation, mode de vie, références culturelles. C'est ainsi que l'on constate que le déclin inexorable du PC - quels que soient ses choix tactiques - vient du fait que ce qui faisait sa force dans la société française était devenu obsolète. Cela ne dédouane pas les directions de leur responsabilité puisqu'elles furent incapables d'analyser et d'accepter les conséquences politiques des changements, la basique "analyse concrète de la situation concrète" fut oubliée.
Enfin il ne faut pas négliger que le syndicalisme subit, comme le communisme ou la social-démocratie, les conséquences de ces changements structurels, mondialisation, désindustrialisation, éclatement des statuts et dispersion géographique. Là encore, comme dans le domaine politique, la réponse n'est pas dans le retour au passé tout simplement parce que les bases concrètes de son existence n'ont plus cours. Il n'est pas non plus dans l’intégration dans le système. Cette question centrale du syndicalisme et de sa relation avec la vie politique devra faire l'objet d'une réflexion chez les militants syndicaux et politiques.
Face à cette situation très schématiquement survolée plus haut et aux derniers développements que pouvons-nous discerner comme perspective ?
L'existence d'un courant démocratique plébéien, qui est une originalité française héritée de la Révolution, est confirmée. L'anéantissement du parti communiste et l'agonie du parti socialiste n'ont pas provoqué la disparition de la gauche en France. La menace était réelle. Par deux fois JL Mélenchon et son mouvement ont su préserver et même élargir cet espace politique. Le processus engagé se poursuit et si les résultats remarquables du 1er tour de la présidentielle de 2022 confirment la dynamique, la conquête de certaines catégories populaires reste à faire contre l'abstention et le vote RN. Si l'on doit signaler les marges de progression, il faut aussi insister sur des résultats plus qu'encourageants. Dans les grandes villes, dans les quartiers populaires, dans les départements populaires francilien, la ceinture rouge, dans la jeunesse étudiante et populaire, dans les communes de tradition communiste, dans les DOM-TOM...Augmenter de 2 points son résultat de 2017 n'était pas acquis. L'Union populaire a progressé chez les ouvriers et les employés même si, nous l'avons dit, un immense travail pour gagner l'ensemble des catégories populaires, en particulier dans les villes de 3500 habitants et moins, reste à faire.
Mais un fait incontournable reste la centralité de l'Union populaire au sein de la gauche de gauche qui s'affirme.
Le Parti de Gauche, puis la France insoumise et, à l'occasion de la présidentielle de 2022, l'Union populaire confirme le pôle populaire comme la troisième force politique du pays à quasi égalité avec la Macronie, synthèse entre l'aile droite du PS et l'aile centriste de la droite, et l'extrême-droite.
La recomposition politique implique tendanciellement que se construise, se structure et s'organise un grand parti de la gauche de transformation, qui concilie l'objectif du rassemblement le plus large et la radicalité par l'exigence d'une rupture avec le système capitaliste dominant.
Cette recomposition doit intégrer non seulement la gauche politique mais aussi le syndicalisme et le monde associatif, culturel. Il est possible de se référer à des expériences nationales et internationales d'autres époques et d'autres lieux. Evidemment pas comme modèles mais comme héritages à analyser de manière critique et en les adaptant à notre temps. On peut penser au Parti communiste français, sa galaxie, ses communes rouges et sa symbiose avec la CGT. Au Parti communiste italien dont le rayonnement, le respect du pluralisme démocratique, l'ouverture intellectuelle inspirée par la pensée de Gramsci, en a fait le plus grand parti communiste d'Europe occidentale et le penseur de l'eurocommunisme, la dernière tentative de résoudre la crise du mouvement communiste dans les pays capitalistes avancés. A la Social-Démocratie allemande par l’étendue du mouvement, la qualité du personnel politique, l’importance des sacrifices consentis par ses militants et dont Jaurès disait "Vous êtes un grand parti, vous êtes l’avenir de l’Allemagne, un des partis les plus nobles et les plus glorieux de l’Europe civilisée". On pourrait citer certains aspects de la social-démocratie scandinave, du Parti des travailleurs brésiliens ou du PSUV bolivarien. Sans oublier le travaillisme anglais fit du syndicat le pivot du mouvement global.
Et comment ne pas inscrire le grand Jaurès dans notre réflexion. Jaurès et son "réformisme révolutionnaire", Jaurès qui inscrit le socialisme comme accomplissement de la Révolution française, exemple d'héritage et de dépassement.
La gauche a un long et exaltant travail à accomplir. Les jeunes générations ont su imposer des thématiques et des approches nouvelles que JL Mélenchon a su assumer avec détermination et courage, quand d'autres légitimaient le discours de l'extrême-droite par démagogie électoraliste mais heureusement vaine. Des thèmes aussi variés que l'environnement, l'écologie, les questions de genre, le féminisme, les discriminations, les violences policières, le racisme, la pensée post-coloniale etc. font désormais partie de l'identité de la gauche de transformation. Sans que cela n'atténue en aucune façon la centralité de la question sociale qui d'ailleurs les englobe. Opposer le "sociétal" au "social" est un piège linguistique et politique qui est utilisé par l'extrême-droite et la droite et qui a contaminé jusqu'à certaines fractions de la gauche qui fétichisent certains concepts comme l'universalisme ou la laïcité au lieu d'en saisir la dimension dialectique.
Ce vaste mouvement de construction de la gauche d'aujourd'hui et de demain, qui aura à n'en pas douter des répercussions ailleurs qu'en France, connaitra, si les citoyennes et les citoyens le décident, un moment d'encouragement et d'élan si les législatives de juin confirment la dynamique de la présidentielle.
Auteur : Antoine Manessis.
Source : http://nbh-pour-un-nouveau-bloc-historique.over-blog.com