• Brest. Le fer, le feu, la mort (LT.fr-Publié le 12 juin 2018 à 18h29 Modifié le 17 juin 2018 à 14h53)

    Gildas Priol (au premier plan) a aidé Olivier Polard à la rédaction du livre « Les Brestois pendant la guerre ». L’ouvrage est publié aux éditions Dialogues au prix de 29,90 €.Gildas Priol (au premier plan) a aidé Olivier Polard à la rédaction du livre « Les Brestois pendant la guerre ». L’ouvrage est publié aux éditions Dialogues au prix de 29,90 €

    Les heures sombres. Maintes fois utilisé, parfois galvaudé, souvent exagéré, ce simple groupe de mots est en l’occurrence celui qui résume le mieux la formidable somme que vient d’écrire Olivier Polard, avec l’aide de Gildas Priol, sur la vie des Brestois et des Brestoises sous l’Occupation. « Les Brestois dans la guerre » donc, avec en insert le carnet intime de Stéphane Massé, un résistant qui a vécu la bataille de Brest d’août 44 en direct de la rue Branda. Comme une sorte de document miraculeux, retrouvé par hasard.     

    Comment est née l’idée de collecter des documents pour faire un livre sur la vie locale durant l’Occupation ?

    Olivier Polard : « Il s’agit d’une idée que j’avais depuis longtemps, parce qu’une partie de ma famille pouvait encore me la raconter et notamment celle de mon père qui a été FTP - franc-tireur et partisan, NDLR. Il y avait aussi toutes les photos d’Henri Chalois qui avaient été mises en ligne et je me demandais comment faire pour qu’elles soient publiées. J’ai fait un peu le tour pour rencontrer des gens et récolter des témoignages, mais je tournais un peu en rond, je n’en avais qu’une dizaine. Un jour, je me suis rendu chez Mme Le Goualch dont le défunt mari était un formidable collectionneur. Par hasard, je suis tombé sur un dossier Brest 44, où était consigné le carnet complet de Stéphane Massé. Il détaillait la bataille de Brest vue de l’intérieur. Un vrai coup de chance, mais j’avais ma porte d’entrée ».

    Existait-il d’autres livres sur ce sujet ?

    OP : « Oui, mais ce sont des livres que je qualifie de générationnels ou scientifiques et, surtout, il leur manque l’iconographie. Ici, avec Gildas, nous avons voulu faire un livre qui peut s’adresser à tous. Pour le constituer, j’ai épluché « La Dépêche de Brest », jour après jour, et continué ma récolte de témoignages ».

    Glidas Priol : « Il existe notamment un livre appelé « L’enfer de Brest » mais qui n’a jamais été réédité. On le trouve à des prix exorbitants sur le net, en occasion. Pour notre cas, le béotien, mais aussi l’amateur de détails ou l’érudit, pourra trouver ce qu’il cherche ».

    Comment s’est passée l’Occupation à Brest ?

    GP : « Le point de départ, c’est de comprendre que nous avons été occupés immédiatement. Dès juin 1940, les Allemands entrent en ville sans résistance ou presque. Il y a bien des combats sporadiques vers Gouesnou, mais rien qui ne puisse vraiment freiner l’armée du Reich. Les Allemands entrent en musique et en force, alors que les Brestois sont calfeutrés chez eux. Ça leur tombe dessus trop vite, c’est de l’inédit ».

    OP : « Pourtant, la population a été préparée depuis 1935, au moins. Des masques à gaz sont distribués en 1939 et dès 35, donc, des groupes de défense passive sont déployés comme dans toutes les grandes villes de France. J’ai du mal à croire qu’Hitler n’était pas perçu comme une menace depuis tout ce temps… ».

    Il faut bien que la vie s’organise, néanmoins…

    GP : « Oui. Si, au début, des efforts sont faits par l’occupant, rapidement, la vie va devenir infernale et va aller de pire en pire. Il n’y a presque plus rien, plus d’essence, plus d’engrais, plus de machines agricoles et puis plus rien. Il faut bien se mettre en tête que nous évoquons une période affreuse, la plus dure de l’histoire de Brest ».

    OP : « D’autant qu’il paraît nécessaire de rappeler qu’à peu de chose près, Brest est la ville la mieux défendue de Bretagne. Fin 40 début 41, deux énormes navires allemands entrent en rade pour couper le ravitaillement. Churchill a compris que la guerre pouvait se jouer là et qu’il fallait faire couler ces bateaux. Les bombardements nocturnes de la RAF - Royal Air Force, NDLR - vont commencer dès cette époque jusqu’au départ des bateaux bien défendus et qui iront porter assistance sur le front de l’Est en 42. Il faut juste imaginer 6 000 marins plus 6 000 soldats et 1 200 ouvriers de la brigade Todt qui construisent la base sous-marine… ».

    La population réagit comment ?

    GP : « C’est très brestois, déjà ! Les premiers raids anglais sont publiquement applaudis et, au cinéma, les actualités sont sifflées. Une fois, 500 travailleurs sont déportés pour aller sur les chantiers de Hambourg. À leur départ, une grande manifestation est organisée tout à fait illégalement et on chante « La Marseillaise » et « L’Internationale ». L’autorité occupante ne réagit pas, par chance, et laisse cette journée se passer sans répression. Des femmes manifestent, réclament des pâtes. L’ambiance va devenir de plus en plus hostile. Des bureaux de collaboration vont éclore, mais ne rencontreront pas de succès d’audience. C’est assez britannique, finalement. Il y a un flegme brestois ».

    Une idée commune veut que la ville ait été détruite par les raids alliés. Vrai ou faux ?

    GP : « C’est faux. Bien sûr, il y a des impacts et des dégâts. Des grands bâtiments comme l’hospice public ou le théâtre brûlent mais la ville est debout. Des témoignages attestent encore qu’avant la bataille de Brest, la ville est debout à l’été 44. C’est la conjugaison de l’assaut américain et des sabotages allemands qui va la faire tomber ».

     
     
    en complément
     
    Stéphane Massé. Héros pas si discret
     
    Lorsqu’au 7 août 1944, les Américains sont à Lesneven, Stéphane Massé est à Brest. C’est un homme d’une quarantaine d’années et il est marié à Marie-Thérèse, avec qui il n’a pas eu d’enfant. Un homme issu de la bourgeoisie locale, farouche partisan du général de Gaulle. Il loge dans un appartement de la rue Branda. Depuis un bon moment, Stéphane Massé a rejoint la Résistance, sous les ordres de Matthieu Donnart. Représentant pour une célèbre marque de vin cuit, il circule dans tout le département par nécessité professionnelle et fait naturellement partie du deuxième bureau des FFI, celui du renseignement. Alors qu’il sait que la bataille va s’engager, alors qu’il voit l’émissaire américain repartir de Brest les yeux bandés et dire faire partie de ceux qui ne se font « aucune illusion » sur une prompte reddition allemande, il sort un carnet et consigne chaque fait. À la libération de la ville, il les détaillera plus intensément. Ses notes pour plus tard dormiront plus de 70 ans.

    La faute de l’occupant

    Double coup de chance pour Olivier Polard, lors de sa visite chez Mme Le Goualch. D’une part, il trouve ce carnet d’une soixantaine de pages et de l’autre, alors « que je les retapais sur ordinateur dans un bar », un ami lui dit connaître une Massé. Sa nièce, sa seule nièce vivant dans le coin. La famille autorise la publication presque exhaustive - « j’ai juste enlevé quelques redites » - du document qui décrit, presque heure par heure, l’épouvantable siège de Brest. Stéphane Massé a pu rester parmi les rares qui ont eu cette opportunité la plus souvent funeste. Il était ami avec le maire de l’époque, Victor Eusen, et a pu obtenir le brassard garni d’un colibri et d’une croix gammée autorisant les civils à rester intra muros. Sa femme, toujours par entre-gens, a aussi eu cette opportunité. « L’extraordinaire est qu’il devait continuer à fournir du renseignement à la Résistance mais il n’a pas pu le faire. Le couple a passé le plus clair de son temps sous le déluge de fer dans une cave », continue Olivier Polard. Le déluge de feu s’installe. Stéphane Massé taille les Allemands, qu’il accuse de vouloir raser la ville avant leur inéluctable retrait. Il se souvient d’une phrase entendue au début de l’Occupation, dans une bouche ennemie. Elle disait : « Nous ne vous rendrons pas Brest dans l’état où nous l’avons trouvée ». L’étonnant de l’affaire est que l’immeuble de Stéphane Massé est resté debout. Il est aujourd’hui face à ce grand hôtel loin de la guerre, mais a hébergé dans ses entrailles deux des rares Brestois ayant vécu le siège. Dont un, qui écrivait tout.
     
     
     
    Chez vous

    Accédez à toute l’actualité
    de votre commune

     
    « Quimper. Rassemblement contre l'ouverture du dimanche (OF.fr-17/06/2018-10h52)[video]Entretien avec Djordje Kuzmanovic, porte parole de la France Insoumise pour les questions internationales et de Défense (IC.fr 11/06/18) »
    Partager via Gmail Yahoo! Pin It

    Tags Tags :
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :