• Catalogne, Padanie et autres lieux Réflexions sur la "balkanisation" des nations d'Europe- par Denis COLLIN

    La décision du Parlement Catalan de proclamer l’indépendance de la Catalogne ouvre une période de dangereuse instabilité, non seulement en Espagne mais aussi dans toute l’Europe. S’il ne fait guère de doute que la brutalité du gouvernement corrompu de Mariano Rajoy a donné aux extrémistes de l’indépendantisme catalan les prétextes dont ils avaient besoin, condamner la répression brutale ne veut pas dire accorder un blanc-seing à Puigdemont et ses amis. Il vaut mieux garder la tête froide quand il s’agit d’analyser la situation présente sachant que l’évolution de la situation en Espagne pourrait bien se combiner avec une crise en Italie ou en Belgique, voire au Royaume-Uni.

    Certains de nos amis abordent la question catalane avec en tête les souvenirs plus ou moins précis de la guerre d’Espagne. On leur rappellera que la Catalogne n’était pas indépendante en 1936 et que c’est l’Espagne entière qui était une République. Les militants venus du monde entier au secours des républicains espagnols n’étaient pas venus se mettre au service de l’indépendantisme catalan. Donc, il vaut mieux laisser les morts enterrer leurs morts et regarder la situation présente exactement en la replaçant dans son contexte global.

    Premier élément d’appréciation. Le mouvement de « balkanisation » de l’Europe n’est pas récent. On peut le faire remonter à l’explosion de l’ex-Yougoslavie et c’est pourquoi le terme de balkanisation est parfaitement adapté. Les USA et leurs alliés ont dans un premier temps accordé leur soutien à Milosevic grand agitateur du nationalisme serbe quand celui attaquait la fédération yougoslave dirigée alors par Tito. Après la mort de Tito, les USA et les dirigeants allemands ont choisi d’appuyer les Croates contre Milosevic et toutes les puissances occidentales ont accordé leur soutien aux musulmans de Bosnie-Herzégovine. Certes la fédération yougoslave était une construction fragile minée par la bureaucratie titiste et la corruption inhérente à ce genre de régime politique. Certes, les manœuvres des « grandes puissances » n’expliquent pas tout. Mais la Yougoslavie a été un banc d’essai qu’on aurait grand tort d’oublier aujourd’hui. Comme on aurait tort d’oublier les tristement célèbres « bombardements humanitaires » sur Belgrade (mars 1999) organisé par l’OTAN qui ont débouché sur l’indépendance du Kosovo, terre d’élection des mafias albanaises. En même temps que la Yougoslavie, ce fut au tour de la Tchécoslovaquie de disparaître – pacifiquement cette fois (fin 1992). Pendant que la réunification et l’euro assuraient la domination allemande en Europe, son « Hinterland » éclaté lui fournissait la main-d’œuvre nécessaire pour faire pression sur la classe ouvrière allemande qui va subir Schroeder et Hartz. L’Union Européenne, de son côté, n’a cessé de promouvoir « l’Europe des régions » contre les vieux États-nations, finançant tous les gadgets des régionalistes les plus obtus.

    Deuxième élément d’appréciation : la politique américaine. Les USA puissance hégémonique déclinante ont besoin d’alliés incapables de faire autre chose que dire « Oui chef » ! L’Allemagne est un bon allié sur ce plan, un allié puissant économiquement mais incapable d’assurer sa sécurité militaire seul, un allié assez riche pour imposer l’ordre « libéral », le fameux « ordolibéralisme » en Europe. Qu’un pôle simplement non aligné puisse naître en Europe, les USA ne veulent pas l’admettre. Le projet qu’Henri Guaino avait tenté de faire porter par Sarkozy, le projet d’une alliance méditerranéenne n’a jamais vu le jour, notamment en raison des interventions dilatoires de l’Allemagne. Après la mise sous tutelle de la Grèce, l’affaiblissement de l’Espagne avec, en ligne de mire, la crise de la troisième puissance économique de l’UE, l’Italie, voilà qui convient parfaitement aux stratèges de la Maison Blanche.

    Troisième élément d’appréciation : les forces centrifuges en Italie. L’unité italienne est récente (un siècle et demi), l’État italien est un État relativement faible et depuis que l’opération « mani pulite » (un véritable coup d’État mené sous couvert de lutte contre la corruption) a permis que soit mis en cause l’État social de la première république, des forces centrifuges se sont manifestées, au Nord principalement. L’alliance entre la bourgeoisie rangée derrière la monarchie de Piémont-Sardaigne et les républicains et patriotes révolutionnaires, mazzinistes et garibaldien, a difficilement et très imparfaitement réalisé l’unité de la nation, unité renouvelée avec la proclamation de la république à la Libération. La nouvelle république a permis qu’existent des régions à statut d’autonomie particulier : la Sicile, la Sardaigne, le Val d’Aoste, le Trentin-Haut Adige et le Frioul-Vénétie julienne. L’insularité pour les deux premières et les particularismes linguistiques des trois autres justifient ces statuts particuliers. Dans les années 1990 est né le mouvement de la « Ligue du Nord » (Lega Nord) qui s’est organisé sur la base de la revendication d’indépendance du Nord de l’Italie, c’est-à-dire de toutes les régions bordant le Pô, inventant de toutes pièces une prétendue « Padanie » aux origines Celtes et non latines. La Ligue du Nord s’est positionnée comme un groupe raciste, hostile à l’Italie du Sud et à Rome. Ces Italiens qui se prennent pour des Allemands méprisent profondément les « terroni » originaire de l’Italie méridionale. Tout cela est sans doute une vieille affaire : Gramsci s’était déjà attaqué à la question du Mezzogiorno, de la fracture Nord-Sud de l’Italie et le racisme contre les méridionaux est l’un des thèmes du grand film de Luchino Visconti, Rocco et ses frères. Au lieu de se résorber avec l’industrialisation du Sud et l’activité du mouvement syndical, la fracture est restée ouverte. Le Sud est partiellement devenu un lieu de délocalisation de l’industrie du Nord – ainsi FIAT s’est installé en Basilicate – et la crise économique et le chômage endémique ont fait que la concurrence entre ouvriers du Nord et ouvriers du Sud s’est exacerbée, avec l’aide des démagogues fascisants de la Lega-Nord. Les riches travailleurs habitants du Nord ne veulent plus payer pour les paresseux du Sud : tel est le leitmotiv des campagnes du Carroccio (le carrosse est le symbole de la Lega Nord). En Vénétie, le gouverneur « leghista » Zaia avait un slogan simple : « nous ne voulons plus faire cadeau de 15 milliards à l’Italie ». Ajoutons à cela la disparition du parti communiste et de la culture politique qui y était liée et plus généralement l’effondrement de la gauche et on comprend la nouvelle poussée autonomiste enregistrée le dimanche 22 octobre en Vénétie et en Lombardie, poussée différenciée toutefois : si les Vénètes se prononcent pour une nouveau statut d’autonomie, le leader de la Lega Maroni échoue en Lombardie, notamment à Milan, en dépit de résultats plutôt bons dans de vieilles régions industrielles comme à Brescia.

    Quiconque réfléchit un peu voit bien ce qui se combine en Italie. Exactement comme le FN en France, les partisans de la « Padanie » s’appuient sur la crise du mouvement ouvrier pour tourner contre l’État social et contre le mouvement ouvrier la colère des victimes de la crise capitaliste. On voit un peu moins que l’Allemagne est visiblement à la manœuvre exactement comme elle l’a été en Croatie il y a vingt ans. Faire retomber l’Italie du Nord dans sa zone d’influence, comme du temps du Saint Empire romain germanique et punir les Italiens du Sud comme les Grecs, c’est la ligne Schaüble que poursuivra le nouveau ministre FDP de finances, avec le soutien désormais des « Grünen », devenus des verts de gris…

    Question : ce qui se passe en Catalogne n’est-il pas, mutatis mutandis, quelque chose du même ordre ? C’est d’abord la bourgeoisie catalane qui mène le bal. Le seul parti sérieux qui défend le peuple d’Espagne, Podemos, dont la maire de Barcelone est très proche, n’est pas pour l’indépendance, mais pour un processus constituant permettant une sortie de crise par le haut en posant la question de la constitution républicaine de toute l’Espagne, une constitution qui pourrait être fédérale. Mais ni Rajoy ni les indépendantistes catalans n’ont voulu écouter la voie de la raison. On nous dira qu’il y a en Catalogne un mouvement de masse. Mais qu’il y ait un mouvement de msse ne suffit pas pour caractériser la nature de ce mouvement de masse. Et la question est de savoir qui a intérêt à dresser les Catalans contre les Castillans ou les Andalous. Les Espagnols qui ne veulent pas voir leur pays disparaître vont avoir tendance à faire bloc avec Rajoy. Le PSOE, qui a refusé toute alliance avec PODEMOS et permet à Rajoy de gouverner est à la manœuvre. Les pyromanes ont pris le pays et son peuple en otage et, consciemment, ont décidé de foncer dans le mur. Il faudrait pouvoir en sortir par le haut. Et seul un processus électoral le permettrait. Des élections honnêtes, sans pression de qui que soit, pour permettre aux Espagnols de décider de leur avenir, n’est-ce pas la meilleure des solutions ? Des élections permettraient également de vérifier si les indépendantistes sont vraiment majoritaires en Catalogne car le référendum n’est absolument pas probant et la majorité de députés l’assemblée catalane n’est majoritaire qu’en vertu du mode de scrutin et non parce que la majorité absolue des électeurs aurait voté pour les indépendantistes.

    Une fois de plus sévit l’anti-étatisme stupide des diverses variétés de la gauche radicale, particulièrement en France ; les révolutionnaires d’opérettes appellent à soutenir les indépendantistes catalans et se sentent devenus en imagination des combattants des brigades internationales. Ils affirment même que la déclaration d’indépendance du parlement catalan montre que l’État n’est pas immuable. Quelle découverte extraordinaire ! Les néolibéraux aussi veulent en finir avec l’État modèle 1945… Pourquoi ces gens ne soutiennent-ils pas la Lega Nord et la « Padanie révolutionnaire » ? Profond mystère. Ils travestissent Puigdemont en Lénine, alors pourquoi pas Maroni en Che Guevara ? Incapables de comprendre ce qu’est une situation concrète, ces gens se gargarisent de mots et aiment le chaos – surtout chez les autres. Bref il serait temps de comprendre la profonde unité qui relie toutes les tendances centrifuges en Europe et en quoi elles participent toutes de la dislocation des États-nations, corollaire inéluctable de la phase actuelle du capitalisme.

    Un dernier mot : l’essayiste américain Christopher Lasch publiait en 1994 La révolte des élites, un excellent ouvrage qui explique pour quelles raisons les classes dominantes organisent leur propre sécession d’avec les peuples qu’elles oppriment. A lire, relire et méditer.

    Denis COLLIN

    source:http://la-sociale.viabloga.com/   (29/10/2017)

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