• le 10 mai dernier sur sa page Facebook, la Compagnie  raffraichissait les mémoires

    La mémoire qui flanche ? (À propos de soldats inconnus…)
    Pour les 75 ans de la victoire contre le nazisme.

     

    source: https://www.initiative-communiste.fr/

    Partager via Gmail Yahoo!

    votre commentaire
  • Il y a 100 ans, le 2nd Congrès de l'Internationale Communiste décidait ses 21 conditions d'adhésion

    Le 2ème congrès de l'internationale communiste s'ouvre à Pétrograd (RSFSR) le 17 juillet 1920 et se conclut le 7 Août 1920. Il s'agit d'un congrès hautement important puisque ce dernier se dote d'outils pour construire l'internationalisme prolétarien et la révolution.
    C'est aussi lors de ce congrès que les 21 conditions d'adhésion à l'Internationale communiste sont adoptées.

    A l'issue de ses travaux le Congrès de l'Internationale Communiste va adopter un certain nombre de mesures essentielles pour le jeune mouvement communiste international.

    Les résolutions adoptées vont porter sur la question de la dictature du prolétariat et de pouvoir des Soviets, sur la question nationale et coloniale, question agraire... Des résolutions sur le rôle du parti dans la révolution prolétarienne, les moyens de renforcer le mouvement communiste, la constitution du rôle d'avant-garde des Partis communistes...

    De grands débats eurent lieu sur la question du rôle du parti, sur l'activité des communistes dans les syndicats et la participation aux élections.

    Ainsi l'internationale communiste se dotera de statuts et de 21 conditions d'adhésion pour pouvoir la rejoindre.

    Un appel du congrès est lancé aux socialistes de France.

    Nicolas MAURY


     

     
    Conditions d'admission des Partis dans l'Internationale Communiste

     
     
    Le premier Congrès constituant de l'Internationale Communiste n'a pas élaboré les conditions précises de l'admission des Partis dans la III° Internationale. Au moment où eut lieu son premier Congrès, il n'y avait dans la plupart des pays que des tendances et des groupes communistes.

    Le deuxième Congrès de l'Internationale Communiste se réunit dans de tout autres conditions. Dans la plupart des pays il y a désormais, au lieu des tendances et des groupes, des Partis et des organisations communistes.

    De plus en plus souvent, des Partis et des groupes qui, récemment encore, appartenaient à la II° Internationale et qui voudraient maintenant adhérer à l'Internationale Communiste s'adressent à elle, sans pour cela être devenus véritablement communistes. La II° Internationale est irrémédiablement défaite. Les Partis intermédiaires et les groupes du « centre » voyant leur situation désespérée, s'efforcent de s'appuyer sur l'Internationale Communiste, tous les jours plus forte, en espérant conserver cependant une « autonomie » qui leur permettrait de poursuivre leur ancienne politique opportuniste ou « centriste ». L'Internationale Communiste est, d'une certaine façon, à la mode.

    Le désir de certains groupes dirigeants du « centre » d'adhérer à la III° Internationale nous confirme indirectement que l'Internationale Communiste a conquis les sympathies de la grande majorité des travailleurs conscients du monde entier et constitue une puissance qui croît de jour en jour.

    L'Internationale Communiste est menacée de l'envahissement de groupes indécis et hésitants qui n'ont pas encore pu rompre avec l'idéologie de la II° Internationale.

    En outre, certains Partis importants (italien, suédois), dont la majorité se place au point de vue communiste, conservent encore en leur sein de nombreux éléments réformistes et social-pacifistes qui n'attendent que l'occasion pour relever la tête, saboter activement la révolution prolétarienne, en venant ainsi en aide à la bourgeoisie et à la II° Internationale.

    Aucun communiste ne doit oublier les leçons de la République des soviets hongroise. L'union des communistes hongrois avec les réformistes a coûté cher au prolétariat hongrois.

    C'est pourquoi le 2° Congrès international croit devoir fixer de façon tout à fait précise les conditions d'admission des nouveaux Partis et indiquer par la même occasion aux Partis déjà affiliés les obligations qui leur incombent.

    Le 2° Congrès de l'Internationale Communiste décide que les conditions d'admission dans l'Internationale sont les suivantes :

    1. La propagande et l'agitation quotidiennes doivent avoir un caractère effectivement communiste et se conformer au programme et aux décisions de la III° Internationale. Tous les organes de la presse du Parti doivent être rédigés par des communistes sûrs, ayant prouvé leur dévouement à la cause du prolétariat. Il ne convient pas de parler de dictature prolétarienne comme d'une formule apprise et courante ; la propagande doit être faite de manière à ce que la nécessité en ressorte pour tout travailleur, pour toute ouvrière, pour tout soldat, pour tout paysan, des faits mêmes de la vie quotidienne, systématiquement notés par notre presse. La presse périodique ou autre et tous les services d'éditions doivent être entièrement soumis au Comité Central du Parti, que ce dernier soit légal ou illégal. Il est inadmissible que les organes de publicité mésusent de l'autonomie pour mener une politique non conforme à celle du Parti. Dans les colonnes de la presse, dans les réunions publiques, dans les syndicats, dans les coopératives, partout où les partisans de la III° Internationale auront accès, ils auront à flétrir systématiquement et impitoyablement non seulement la bourgeoisie, mais aussi ses complices, réformistes de toutes nuances.

    2. Toute organisation désireuse d'adhérer à l'Internationale Communiste doit régulièrement et systématiquement écarter des postes impliquant tant soit peu de responsabilité dans le mouvement ouvrier (organisations de Parti, rédactions, syndicats, fractions parlementaires, coopératives, municipalités) les réformistes et les « centristes » et les remplacer par des communistes éprouvés, - sans craindre d'avoir à remplacer, surtout au début, des militants expérimentés, par des travailleurs sortis du rang.

    3. Dans presque tous les pays de l'Europe et de l'Amérique la lutte de classes entre dans la période de guerre civile. Les communistes ne peuvent, dans ces conditions, se fier à la légalité bourgeoise. Il est de leur devoir de créer partout, parallèlement à l'organisation légale, un organisme clandestin, capable de remplir au moment décisif, son devoir envers la révolution. Dans tous les pays où, par suite de l'état de siège ou de lois d'exception, les communistes n'ont pas la possibilité de développer légalement toute leur action, la concomitance de l'action légale et de l'action illégale est indubitablement nécessaire.

    4. Le devoir de propager les idées communistes implique la nécessité absolue de mener une propagande et une agitation systématique et persévérante parmi les troupes. Là, où la propagande ouverte est difficile par suite de lois d'exception, elle doit être menée illégalement ; s'y refuser serait une trahison à l'égard du devoir révolutionnaire et par conséquent incompatible avec l'affiliation à la III° internationale.

    5. Une agitation rationnelle et systématique dans les campagnes est nécessaire. La classe ouvrière ne peut vaincre si elle n'est pas soutenue tout au moins par une partie des travailleurs des campagnes (journaliers agricoles et paysans les plus pauvres) et si elle n'a pas neutralisé par sa politique tout au moins une partie de la campagne arriérée. L'action communiste dans les campagnes acquiert en ce moment une importance capitale. Elle doit être principalement le fait des ouvriers communistes en contact avec la campagne. Se refuser à l'accomplir ou la confier à des demi-réformistes douteux c'est renoncer à la révolution prolétarienne.

    6. Tout Parti désireux d'appartenir à la III° Internationale, a pour devoir de dénoncer autant que le social-patriotisme avoué le social-pacifisme hypocrite et faux ; il s'agit de démontrer systématiquement aux travailleurs que, sans le renversement révolutionnaire du capitalisme, nul tribunal arbitral international, nul débat sur la réduction des armements, nulle réorganisation « démocratique » de la Ligue des Nations ne peuvent préserver l'humanité des guerres impérialistes.

    7. Les Partis désireux d'appartenir à l'Internationale Communiste ont pour devoir de reconnaître la nécessité d'une rupture complète et définitive avec le réformisme et la politique du centre et de préconiser cette rupture parmi les membres des organisations. L'action communiste conséquente n'est possible qu'à ce prix.

    L'Internationale Communiste exige impérativement et sans discussion cette rupture qui doit être consommée dans le plus bref délai. L'Internationale Communiste ne peut admettre que des réformistes avérés, tels que Turati, Kautsky, Hilferding, Longuet, Mac Donald, Modigliani et autres, aient le droit de se considérer comme des membres de la III° Internationale, et qu'ils y soient représentés. Un pareil état de choses ferait ressembler par trop la III° Internationale à la II°.

    8. Dans la question des colonies et des nationalités opprimées, les Partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies ou opprime des nations, doivent avoir une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout Parti appartenant à la III° Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de « ses » impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d'émancipation dans les colonies, d'exiger l'expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimés et d'entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux.

    9. Tout Parti désireux d'appartenir à l'Internationale Communiste doit poursuivre une propagande persévérante et systématique au sein des syndicats, coopératives et autres organisations des masses ouvrières. Des noyaux communistes doivent être formés, dont le travail opiniâtre et constant conquerra les syndicats au communisme. Leur devoir sera de révéler à tout instant la trahison des social-patriotes et les hésitations du « centre ». Ces noyaux communistes doivent être complètement subordonnés à l'ensemble du Parti.

    10. Tout Parti appartenant à l'Internationale Communiste a pour devoir de combattre avec énergie et ténacité l'« Internationale » des syndicats jaunes fondée à Amsterdam. Il doit répandre avec ténacité au sein des syndicats ouvriers l'idée de la nécessité de la rupture avec l'Internationale Jaune d'Amsterdam. Il doit par contre concourir de tout son pouvoir à l'union internationale des syndicats rouges adhérant à l'Internationale Communiste.

    11. Les Partis désireux d'appartenir à l'Internationale Communiste ont pour devoir de réviser la composition de leurs fractions parlementaires, d'en écarter les éléments douteux, de les soumettre, non en paroles mais en fait, au Comité Central du Parti, d'exiger de tout député communiste la subordination de toute son activité aux intérêts véritables de la propagande révolutionnaire et de l'agitation.

    12. Les Partis appartenant à l'Internationale Communiste doivent être édifiés sur le principe de la centralisation démocratique. A l'époque actuelle de guerre civile acharnée, le Parti Communiste ne pourra remplir son rôle que s'il est organisé de la façon la plus centralisée, si une discipline de fer confinant à la discipline militaire y est admise et si son organisme central est muni de larges pouvoirs, exerce une autorité incontestée, bénéficie de la confiance unanime des militants.

    13. Les Partis Communistes des pays où les communistes militent légalement doivent procéder à des épurations périodiques de leurs organisations, afin d'en écarter les éléments intéressés et petit-bourgeois.

    14. Les Partis désireux d'appartenir à l'Internationale Communiste doivent soutenir sans réserves toutes les républiques soviétiques dans leurs luttes avec la contre-révolution. Ils doivent préconiser inlassablement le refus des travailleurs de transporter les munitions et les équipements destinés aux ennemis des républiques soviétiques, et poursuivre, soit légalement soit illégalement, la propagande parmi les troupes envoyées contre les républiques soviétiques.

    15. Les Partis qui conservent jusqu'à ce jour les anciens programmes social-démocrates ont pour devoir de les réviser sans retard et d'élaborer un nouveau programme communiste adapté aux conditions spéciales de leur pays et conçu dans l'esprit de l'Internationale Communiste. Il est de règle que les programmes des Partis affiliés à l'Internationale Communiste soient confirmés par le Congrès International ou par le Comité Exécutif. Au cas où ce dernier refuserait sa sanction à un Parti, celui-ci aurait le droit d'en appeler au Congrès de l'Internationale Communiste.

    16. Toute les décisions des Congrès de l'Internationale Communiste, de même que celles du Comité Exécutif, sont obligatoires pour tous les Partis affiliés à l'Internationale Communiste. Agissant en période de guerre civile acharnée, l'Internationale Communiste et son Comité Exécutif doivent tenir compte des conditions de lutte si variées dans les différents pays et n'adopter de résolutions générales et obligatoires que dans les questions où elles sont possibles.

    17. Conformément à tout ce qui précède, tous les Partis adhérant à l'Internationale Communiste doivent modifier leur appellation. Tout Parti désireux d'adhérer à l'Internationale Communiste doit s'intituler Parti Communiste de... (section de la III° Internationale Communiste). Cette question d'appellation n'est pas une simple formalité ; elle a aussi une importance politique considérable. L'Internationale Communiste a déclaré une guerre sans merci au vieux monde bourgeois tout entier et à tous les vieux Partis social-démocrates jaunes. Il importe que la différence entre les Partis Communistes et les vieux Partis « social-démocrates » ou « socialistes » officiels qui ont vendu le drapeau de la classe ouvrière soit plus nette aux yeux de tout travailleur.

    18. Tous les organes dirigeants de la presse des Partis de tous les pays sont obligés d'imprimer tous les documents officiels importants du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste.

    19. Tous les Partis appartenant à l'Internationale Communiste ou sollicitant leur adhésion sont obligés de convoquer (aussi vite que possible), dans un délai de 4 mois après le 2° Congrès de l'Internationale Communiste, au plus tard, un Congrès extraordinaire afin de se prononcer sur ces conditions. Les Comités Centraux doivent veiller à ce que les décisions du 2° Congrès de l'Internationale Communiste soient connues de toutes les organisations locales.

    20. Les Partis qui voudraient maintenant adhérer à la III° Internationale, mais qui n'ont pas encore modifié radicalement leur ancienne tactique, doivent préalablement veiller à ce que les 2/3 des membres de leur Comité Central et des Institutions centrales les plus importantes soient composés de camarades, qui déjà avant le 2° Congrès s'étaient ouvertement prononcés pour l'adhésion du Parti à la III° Internationale. Des exceptions peuvent être faites avec l'approbation du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste. Le Comité Exécutif se réserve le droit de faire des exceptions pour les représentants de la tendance centriste mentionnés dans le paragraphe 7.

    21. Les adhérents au Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l'Internationale Communiste doivent être exclus du Parti. Il en est de même des délégués au Congrès extraordinaire.
     

     
     
    Les tâches principales de l'Internationale Communiste

     
     
    1. Le moment actuel du développement du mouvement communiste international est caractérisé par le fait que, dans tous les pays capitalistes, les meilleurs représentants du mouvement prolétarien ont parfaitement compris les principes fondamentaux de l'Internationale Communiste, c'est-à-dire : la dictature du prolétariat et le gouvernement des Soviets, et se sont rangés à ses côtés avec un dévouement enthousiaste. Plus important encore est le fait que les plus larges masses du prolétariat des villes et des travailleurs avancés des campagnes manifestent leur sympathie sans réserve pour ces principes essentiels. C'est là un grand pas en avant.

    D'autre part, deux fautes ou deux faiblesses du mouvement communiste international, qui croît avec une rapidité extraordinaire, se sont fait remarquer. L'une, très grave et qui présente un grand danger immédiat pour la cause de la libération du prolétariat, consiste en ce que certains anciens leaders, certains vieux partis de la II° Internationale, en partie inconsciemment sous la pression des masses, en partie consciemment - et alors les trompant pour conserver leur ancienne situation d'agents et d'auxiliaires de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier - annoncent leur adhésion conditionnelle ou sans réserve à la III° Internationale, tout en restant, en fait, dans tout leur travail pratique quotidien, au niveau de la II° Internationale. Cet état de choses est absolument inadmissible. Il introduit parmi les masses un élément de corruption, il empêche la formation ou le développement d'un Parti Communiste fort, il met en cause le respect dû à la III° Internationale en la menaçant du recommencement de trahisons semblables à celle des social-démocrates hongrois hâtivement travestis en Communistes. Une autre faute, beaucoup moins importante et qui est bien plutôt une maladie de croissance du mouvement, est la tendance « à gauche » qui conduit à une appréciation erronée du rôle et de la mission du Parti par rapport à la classe ouvrière et à la masse, et de l'obligation pour les révolutionnaires communistes de militer dans les parlements bourgeois et dans les syndicats réactionnaires.

    Le devoir des Communistes n'est pas de taire les faiblesses de leur mouvement, mais d'en faire ouvertement la critique afin de s'en débarrasser promptement et radicalement. A cette fin, il importe tout d'abord de définir, selon notre expérience pratique, le contenu des notions de dictature du prolétariat et de pouvoir des Soviets ; en second lieu, en quoi peut et doit consister dans tous les pays le travail préparatoire, immédiat et systématique, en vue de la réalisation de ces mots d'ordre ; et en troisième lieu, quels voies et moyens nous permettent de guérir notre mouvement de ses faiblesses.

    I. L'ESSENCE DE LA DICTATURE DU PROLÉTARIAT ET DU POUVOIR DES SOVIETS.

    2. La victoire du socialisme (première étape du Communisme) sur le capitalisme exige l'accomplissement par le prolétariat, seule classe réellement révolutionnaire, des trois tâches suivantes :

    La première consiste à renverser les exploiteurs et, en premier lieu, la bourgeoisie, leur représentant économique et politique principal ; il s'agit de leur infliger une défaite totale, de briser leur résistance, de rendre impossible de leur part toute tentative de restauration du capital et de l'esclavage salarié.

    La deuxième consiste à entraîner à la suite de l'avant-garde du prolétariat révolutionnaire, de son Parti Communiste, non seulement tout le prolétariat, mais aussi toute la masse des travailleurs exploités par le capital, à les éclairer, à les organiser, à les éduquer, à les discipliner au cours même de la lutte impitoyable et téméraire contre les exploiteurs, - à arracher dans tous les pays capitalistes cette écrasante majorité de la population à la bourgeoisie, à lui inspirer pratiquement confiance dans le rôle de directeur du prolétariat de son avant-garde révolutionnaire.

    La troisième, de neutraliser ou de réduire à l'impuissance les inévitables hésitants entre le prolétariat et la bourgeoisie, entre la démocratie bourgeoise et le pouvoir des Soviets, de la classe de petits propriétaires ruraux, industriels et négociants, encore assez nombreux bien que ne formant qu'une minorité de la population et des catégories d'intellectuels, d'employés, etc., gravitant autour de cette classe.

    La première et la deuxième tâches exigent chacune des méthodes d'action particulières à l'égard des exploités et des exploiteurs. La troisième découle des deux premières ; elle n'exige qu'une application habile, souple et opportune des méthodes appliquées aux premières et qu'il s'agit d'adapter aux circonstances concrètes.

    3. Dans la conjoncture actuelle, créée dans le monde entier, et surtout dans les pays capitalistes les plus avancés, les plus puissants, les plus éclairés, les plus libres, par le militarisme, l'impérialisme, l'oppression des colonies et des pays faibles, la tuerie impérialiste mondiale et la « paix » de Versailles, la pensée d'une paisible soumission de la majorité des exploités aux capitalistes et d'une évolution pacifique vers le socialisme, n'est pas seulement un signe de médiocrité petite-bourgeoise : c'est aussi une duperie, la dissimulation de l'esclavage du salariat, la déformation de la vérité aux yeux des travailleurs. La vérité est que la bourgeoisie la plus éclairée, la plus démocratique, ne recule pas devant le massacre de millions d'ouvriers et de paysans à seule fin de sauver la propriété privée des moyens de production. Le renversement de la bourgeoisie par la violence, la confiscation de ses propriétés, la destruction de son mécanisme d'Etat, parlementaire, judiciaire, militaire, bureaucratique, administratif, municipal, etc. jusqu'à l'exil ou l'internement de tous les exploiteurs les plus dangereux et les plus obstinés, sans exception, l'exercice sur leurs milieux d'une stricte surveillance pour la répression des tentatives qu'ils ne manqueront pas de faire dans l'espoir de restaurer l'esclavage capitaliste, telles sont les mesures qui peuvent seules assurer la soumission réelle de la classe entière des exploiteurs.

    D'autre part, l'idée coutumière aux vieux partis et aux vieux leaders de la II° Internationale, que la majorité des travailleurs et des exploités peut, en régime capitaliste, sous le joug esclavagiste de la bourgeoisie - qui revêt des formes infiniment variées, d'autant plus raffinées et à la fois plus cruelles et plus impitoyables que le pays capitaliste est plus cultivé - acquérir une pleine conscience socialiste, la fermeté socialiste, des convictions et du caractère, cette idée, disons-nous, trompe aussi les travailleurs. En fait, ce n'est qu'après que l'avant-garde prolétarienne, soutenue par la seule classe révolutionnaire ou par sa majorité, aura renversé les exploiteurs, les aura brisés, aura libéré les exploités de leurs servitudes et immédiatement amélioré leurs conditions d'existence au détriment des capitalistes expropriés - ce n'est qu'alors, et au prix de la plus âpre guerre civile, que l'éducation, l'instruction, l'organisation des plus grandes masses exploitées pourra se faire autour du prolétariat, sous son influence et sa direction, et qu'il sera possible de vaincre leur égoïsme, leurs vices, leurs faiblesses, leur manque de cohésion, entretenus par le régime de la propriété privée, et de les transformer en une vaste association de libres travailleurs.

    4. Le succès de la lutte contre le capitalisme exige un juste rapport des forces entre le Parti Communiste comme guide, le prolétariat, la classe révolutionnaire et la masse, c'est-à-dire l'ensemble des travailleurs et des exploités. Le Parti Communiste, s'il est véritablement l'avant-garde de la classe révolutionnaire, s'il s'assimile tous ses meilleurs représentants, s'il est composé de Communistes conscients et dévoués, éclairés et éprouvés par l'expérience d'une longue lutte révolutionnaire, s'il a su se lier indissolublement à toute l'existence de la classe ouvrière et par son intermédiaire à celle de toute la masse exploitée et leur inspirer une pleine confiance, ce Parti seul est capable de diriger le prolétariat dans la lutte finale, la plus acharnée, contre toutes les forces du capitalisme. Et ce n'est que sous la direction d'un Parti semblable que le prolétariat peut annihiler l'apathie et la résistance de la petite aristocratie ouvrière, composée des leaders du mouvement syndical et corporatif corrompus par le capitalisme, et développer toutes ses énergies, infiniment plus grandes que sa force numérique parmi la population, par suite de la structure économique du capitalisme lui-même. Enfin, ce n'est que libérée effectivement du joug du capital et de l'appareil gouvernemental de l'Etat, ce n'est qu'après avoir obtenu la possibilité d'agir librement que la masse, c'est-à-dire la totalité des travailleurs et des exploités organisés dans les Soviets, pourra développer, pour la première fois dans l'histoire, l'initiative et l'énergie de dizaines de millions d'hommes étouffés par le capitalisme. Ce n'est que lorsque les Soviets seront devenus l'unique mécanisme de l'Etat, que pourra être assurée la participation effective des masses autrefois exploitées à toute l'administration du pays, participation qui, dans les démocraties bourgeoises les plus éclairées et les plus libres, était impossible quatre-vingt quinze fois sur cent. Dans les Soviets, la masse des exploités commence à apprendre, non des livres, mais de son expérience pratique, ce qu'est l'édification socialiste, la création d'une nouvelle discipline sociale et la libre association des travailleurs libres.

    II. EN QUOI DOIT CONSISTER LA PRÉPARATION IMMÉDIATE DE LA DICTATURE PROLÉTARIENNE

    5. Le développement actuel du mouvement communiste international est caractérisé par ce fait que dans nombre de pays capitalistes, le travail de préparation du prolétariat à l'exercice de la dictature n'est pas achevé et très souvent n'a pas encore été commencé de façon systématique. Il ne s'ensuit pas que la révolution prolétarienne soit impossible dans un avenir très prochain ; elle est, au contraire, tout ce qu'il y a de plus possible, la situation politique et économique étant extraordinairement riche en matières inflammables et en causes susceptibles de provoquer leur embrasement inopiné ; un autre facteur de la révolution, en dehors de l'état de préparation du prolétariat, est notamment la crise générale en présence de laquelle se trouvent tous les partis gouvernants et tous les partis bourgeois. Mais il résulte de ce qui a été dit que la tâche actuelle des Partis Communistes consiste à hâter la révolution, sans toutefois la provoquer artificiellement avant une préparation suffisante ; la préparation du prolétariat à la révolution doit être intensifiée par l'action. D'autre part, les cas signalés plus haut dans l'histoire de beaucoup de partis socialistes, obligent de bien veiller à ce que la reconnaissance de la dictature du prolétariat ne puisse pas rester purement verbale.

    Pour ces raisons, la tâche principale du Parti Communiste, du point de vue du mouvement international prolétarien, est à l'heure présente le groupement de toutes les forces communistes éparses, la formation dans chaque pays d'un Parti Communiste unique (ou le renforcement et le renouvellement des partis déjà existants) afin de décupler le travail de préparation du prolétariat à la conquête du pouvoir sous forme de dictature du prolétariat. L'action socialiste habituelle des groupes et des partis qui reconnaissent la dictature du prolétariat, est loin d'avoir subi cette modification fondamentale, ce renouvellement radical, qui est nécessaire, pour qu'on en reconnaisse l'action comme étant bien communiste et comme correspondant aux tâches de la veille de la dictature prolétarienne.

    6. La conquête du pouvoir politique par le prolétariat n'interrompt pas la lutte de classe de celui-ci contre la bourgeoisie, mais au contraire, ne fait que la rendre plus large, plus acerbe, plus impitoyable. Tous les groupes, partis, militants du mouvement ouvrier qui adoptent en totalité ou en partie le point de vue du réformisme, du « centre », etc., se placeront inévitablement, par suite de l'extrême exacerbation de la lutte, soit du côté de la bourgeoisie, soit du côté des hésitants ou (ce qui est plus dangereux) tomberont dans le nombre des amis indésirables du prolétariat victorieux. C'est pourquoi la préparation de la dictature du prolétariat exige non seulement le renforcement de la lutte contre la tendance des réformistes et des « centristes », mais aussi la modification du caractère de cette lutte. Celle-ci ne peut pas se limiter à la démonstration du caractère erroné de ces tendances, mais elle doit aussi démasquer inlassablement et impitoyablement tout militant du mouvement ouvrier qui manifestera ces tendances, le prolétariat ne pouvant pas savoir sans cela avec qui il marche à la lutte finale contre la bourgeoisie. Cette lutte est telle, qu'elle peut changer à tout instant et transformer, comme l'a déjà démontré l'expérience, l'arme de la critique en critique par les armes. Tout manque d'esprit de suite, ou toute faiblesse dans la lutte contre ceux qui se conduisent comme des réformistes ou des « centristes », a pour conséquence un accroissement direct du danger de renversement du pouvoir du prolétariat par la bourgeoisie, qui utilisera demain pour la contre-révolution ce qui ne paraît aux bornés qu'un « désaccord théorique » d'aujourd'hui.

    7. Il est impossible de se limiter à la négation habituelle de principe de toute collaboration avec la bourgeoisie, de tout « coalitionnisme ». Une simple défense de la « liberté » et de « l'égalité » avec le maintien de la propriété privée des moyens de production, se transforme dans les conditions de la dictature du prolétariat, qui ne sera jamais en état d'abolir d'un coup la propriété privée en entier, en « collaboration » avec la bourgeoisie qui sapera directement le pouvoir de la classe ouvrière. Car la dictature du prolétariat signifie l'affermissement gouvernemental et la défense, par tout le système d'Etat, non pas de « la liberté » pour les exploiteurs de continuer leur œuvre d'oppression et d'exploitation, non pas de « l'égalité » du propriétaire (c'est-à-dire de celui qui conserve pour sa jouissance personnelle certains moyens de production créés par le travail de la collectivité) et du pauvre. Ce qui nous paraît jusqu'à la victoire du prolétariat n'être qu'un désaccord sur la question de la « démocratie » deviendra inévitablement demain, après la victoire, une question qu'il faudra trancher par les armes. Sans transformation radicale de tout le caractère de la lutte contre les « centristes » et les « défenseurs de la démocratie » la préparation même préalable des masses à la réalisation de la dictature du prolétariat est donc impossible.

    8. La dictature du prolétariat est la forme la plus décisive et la plus révolutionnaire de la lutte de classes du prolétariat et de la bourgeoisie. Pareille lutte ne peut être victorieuse que lorsque l'avant-garde la plus révolutionnaire du prolétariat entraîne derrière elle l'écrasante majorité ouvrière. La préparation de la dictature du prolétariat exige pour ces raisons, non seulement la divulgation du caractère bourgeois du réformisme et de toute défense de la démocratie impliquant le maintien de la propriété privée sur les moyens de production ; non seulement la divulgation des manifestations de tendances, qui signifient en fait la défense de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier ; mais elle exige aussi le remplacement des anciens leaders par des Communistes dans toutes les formes d'organisation prolétarienne, politiques, syndicales, coopératives, d'éducation, etc.

    Plus la domination de la démocratie bourgeoise a été longue et ferme, dans un pays donné, plus la bourgeoisie a réussi a amener aux postes importants du mouvement ouvrier des hommes éduqués par elle, par ses conceptions, par ses préjugés, très souvent directement ou indirectement achetés par elle. Il est indispensable, et il faut le faire avec cent fois plus de hardiesse qu'on ne l'a fait jusqu'ici, de remplacer ces représentants de l'aristocratie ouvrière par des travailleurs même inexpérimentés, proches de la masse exploitée et jouissant de sa confiance dans la lutte contre les exploiteurs. La dictature du prolétariat exigera la désignation de tels travailleurs inexpérimentés aux postes les plus importants du gouvernement, sans quoi le pouvoir de la classe ouvrière restera impuissant et ne sera pas soutenu par la masse.

    9. La dictature du prolétariat est la réalisation la plus complète de la domination de tous les travailleurs et de tous les exploités, opprimés, abrutis, terrorisés, éparpillés, trompés par la classe capitaliste, mais conduits par la seule classe sociale préparée à cette mission dirigeante par toute l'histoire du capitalisme. C'est pourquoi la préparation de la dictature prolétarienne doit être partout et immédiatement commencée, entre autres par les moyens que voici :

    Dans toutes les organisations sans exception, - syndicats, unions, etc. - prolétariennes d'abord et ensuite non-prolétariennes, des masses laborieuses exploitées (qu'elles soient politiques, syndicales, militaires, coopératives, postscolaires, sportives, etc.), des groupes ou des noyaux communistes doivent être formés, de préférence ouvertement, mais, s'il le faut, clandestinement - ce qui devient obligatoire toutes les fois que leur mise hors la loi et l'arrestation de leurs membres sont à craindre ; ces groupes, rattachés les uns aux autres et rattachés au centre du Parti, échangeant le résultat de leur expérience, s'occupant d'agitation, de propagande et d'organisation. s'adaptent à tous les domaines de la vie sociale, à tous les aspects et à toutes les catégories de la masse laborieuse, doivent procéder par leur travail multiple à leur propre éducation, à celle du Parti, de la classe ouvrière et de la masse.

    Il est, cependant, de la plus haute importance d'élaborer pratiquement, - dans leur développement nécessaire - des méthodes d'action, d'une part, à l'égard des leaders ou des représentants autorisés des organisations, complètement corrompus par les préjugés impérialistes et petits-bourgeois (ces leaders, il faut impitoyablement les démasquer et les exclure du mouvement ouvrier) et, d'autre part, à l'égard des masses qui, surtout depuis la tuerie impérialiste, sont disposées à prêter l'oreille à l'enseignement de la nécessité de suivre le prolétariat, seul capable de les tirer de l'esclavage capitaliste. Il convient de savoir aborder les masses avec patience et circonspection, afin de comprendre les particularités psychologiques de chaque profession, de chaque groupe au sein de cette masse.

    10. Il est un groupe ou fraction de Communistes qui mérite tout particulièrement l'attention et la surveillance du Parti : c'est la fraction parlementaire, autrement dit, le groupe des membres du parti élus au Parlement (ou aux municipalités, etc.). D'une part, ces tribunes sont, aux yeux des couches profondes de la classe laborieuse retardataire ou farcie de préjugés petits-bourgeois, d'une importance capitale ; c'est d'ailleurs la raison qui fait que les Communistes doivent, du haut de ces tribunes, mener une action de propagande, d'agitation, d'organisation, et expliquer aux masses pourquoi était nécessaire en Russie (comme il le sera, le cas échéant, dans tous les pays) la dissolution du Parlement bourgeois par le congrès pan-russe de Soviets. D'autre part, toute l'histoire de la démocratie bourgeoise a fait de la tribune parlementaire, notamment dans les pays avancés, la principale ou l'une des principales arènes des duperies financières et politique, de l'arrivisme, de l'hypocrisie, de l'oppression des travailleurs. C'est pourquoi la haine vivace nourrie à l'égard des parlements par les meilleurs représentants du prolétariat est pleinement justifiée. C'est pourquoi les Partis Communistes et tous les partis adhérents à la III° Internationale (dans les cas surtout où ces partis n'ont pas été créés par suite d'une scission des anciens partis après une lutte longue et acharnée, mais se sont formés par l'adoption souvent nominale d'une nouvelle position par les anciens partis) doivent observer une attitude très rigoureuse à l'égard de leurs fractions parlementaires, c'est-à-dire exiger : leur subordination complète au Comité Central du Parti ; l'introduction de préférence dans leur composition d'ouvriers révolutionnaires ; l'analyse la plus attentive dans la presse du Parti et aux réunions de celui-ci, des discours des parlementaires du point de vue de leur attitude communiste ; la désignation des parlementaires pour l'action de propagande parmi les masses, l'exclusion immédiate de tous ceux qui manifesteraient une tendance vers la II° Internationale, etc.

    11. Un des obstacles les plus graves au mouvement ouvrier révolutionnaire dans les pays capitalistes développés dérive du fait que grâce aux possessions coloniales et à la plus-value du capital financier, etc., le capital a réussi à y créer une petite aristocratie ouvrière relativement imposante et stable. Elle bénéficie des meilleures conditions de rétribution ; elle est, par-dessus tout, pénétrée d'un esprit de corporatisme étroit, de petite bourgeoisie et de préjugés capitalistes. Elle constitue le véritable « point d'appui » social de la II° Internationale des réformistes et des « centristes », et elle est bien près, à l'heure actuelle, d'être le point d'appui principal de la bourgeoisie. Aucune préparation, même préalable, du prolétariat au renversement de la bourgeoisie n'est possible sans une lutte directe, systématique, large, déclarée, avec cette petite minorité, qui, sans aucun doute (comme l'a pleinement prouvé l'expérience) donnera nombre des siens à la garde blanche de la bourgeoisie après la victoire du prolétariat. Tous les partis adhérant à la III° Internationale doivent, coûte que coûte, donner corps dans la vie à ce mot d'ordre, « plus profondément dans les masses », en comprenant par masse tout l'ensemble des travailleurs et des exploités par le capital, et surtout les moins organisés et les moins éclairés, les plus opprimés et les moins accessibles à l'organisation.

    Le prolétariat ne devient révolutionnaire qu'autant qu'il ne s'enferme pas dans les cadres d'un étroit corporatisme et pour autant qu'il agit dans toutes les manifestations et tous les domaines de la vie sociale, comme le chef de toute la masse laborieuse et exploitée. La réalisation de sa dictature est impossible sans préparation et sans la résolution de consentir aux pertes les plus grandes au nom de la victoire sur la bourgeoisie. Et sous ce rapport, l'expérience de la Russie a une importance pratique de principe. Le prolétariat russe n'aurait pas pu réaliser sa dictature, n'aurait pas pu conquérir la sympathie et la confiance générales de toute la masse ouvrière, s'il n'avait pas fait preuve de plus d'esprit de sacrifice et s'il n'avait pas plus profondément souffert de la faim que toutes les autres couches de cette masse, aux heures les plus difficiles des attaques, des guerres, du blocus de la bourgeoisie mondiale.

    L'appui le plus complet et le plus dévoué du Parti Communiste et du prolétariat d'avant-garde est tout particulièrement nécessaire à l'égard de tout mouvement gréviste large, violent, considérable, qui est seul en état, sous l'oppression du capital, de réveiller véritablement, d'ébranler et d'organiser les masses, de leur inspirer une confiance pleine et entière en le rôle directeur du prolétariat révolutionnaire. Sans une semblable préparation, aucune dictature du prolétariat n'est possible, et les hommes capables de prendre fait et cause contre les grèves comme le font Kautsky en Allemagne et Turati en Italie, ne doivent pas être tolérés au sein des partis qui se rattachent à la III° Internationale. Ceci concerne certainement plus encore les leaders parlementaires et trade-unionistes qui, à tout moment, trahissent les ouvriers, en leur enseignant par la grève le réformisme et non la révolution (exemples : Jouhaux en France, Gompers en Amérique, G.-H. Thomas en Angleterre).

    12. Pour tous les pays, même pour les plus « libres », les plus « légaux », les plus « pacifiques » au sens de la plus faible exacerbation de la lutte de classe, le moment est venu où il est d'une nécessité absolue pour tout Parti communiste, d'unir l'action légale et illégale, l'organisation légale et l'organisation clandestine. Car dans les pays les plus cultivés et les plus libres, ceux du régime bourgeois-démocratique le plus « stable », les gouvernements, en dépit de leurs déclarations mensongères et cyniques, établissent déjà de secrètes listes noires de communistes, violent à tout instant leur propre constitution en soutenant plus ou moins secrètement les gardes-blancs et l'assassinat des communistes dans tous les pays, préparent dans l'ombre les arrestations des communistes, introduisent parmi eux des provocateurs, etc.

    Il n'est que le plus réactionnaire esprit petit-bourgeois, quelle que soit la beauté des phrases « démocratiques » et pacifiques dont il se pare, qui puisse nier ce fait et la conclusion obligatoire qui en découle : la formation immédiate par tous les partis communistes légaux d'organisations clandestines en vue de l'action illégale, organisations qui seront prête pour le jour où la bourgeoisie se mettra à traquer les communistes. Une action illégale dans l'armée, dans la flotte, dans la police est de la plus haute importance ; depuis la grande guerre impérialiste tous les gouvernements du monde ont pris peur de l'armée populaire et ont eu recours à tous les procédés imaginables pour constituer spécialement des unités militaires avec des éléments spécialement triés parmi la bourgeoisie et armés des engins meurtriers les plus perfectionnés.

    Il est d'autre part également nécessaire dans tous les cas, sans exception, de ne pas se borner à une action illégale, mais aussi de poursuivre l'action légale en surmontant à cet effet toutes les difficultés, en fondant des journaux légaux et des organisations légales sous les désignations les plus différentes, et le cas échéant en changeant fréquemment leurs dénominations. Ainsi agissent les partis communistes illégaux en Finlande, en Hongrie, en Allemagne et dans une certaine mesure, en Pologne, Lituanie, etc. Ainsi doivent agir les Travailleurs Industriels du Monde (I.W.W.) en Amérique, et devront agir tous les autres partis communistes légaux, au cas où il plairait aux procureurs de leur intenter des poursuites pour la seule acceptation des résolutions des Congrès de l'Internationale Communiste, etc.

    L'absolue nécessité d'unir l'action légale et illégale n'est pas déterminée en principe par l'ensemble des conditions de l'époque que nous traversons, période de veille de dictature prolétarienne, mais par le besoin de montrer à la bourgeoisie qu'il n'y a pas et qu'il ne peut pas y avoir de domaines et de champs d'action, que n'aient pas conquis les communistes, et aussi parce qu'il existe encore partout de profondes couches du prolétariat, et dans des proportions plus vastes encore une masse laborieuse et exploitée non prolétarienne, qui font toujours confiance à la légalité bourgeoise démocratique, et qu'il est très important pour nous de dissuader.

    13. L'état de la presse ouvrière dans les pays capitalistes les plus avancés montre de façon éclatante le mensonge de la liberté et de l'égalité en démocratie bourgeoise, de même que la nécessité d'unir systématiquement l'action légale et illégale. Tant dans l'Allemagne vaincue que dans l'Amérique victorieuse, toutes les forces de l'appareil gouvernemental de la bourgeoisie et toute l'astuce des rois de l'or sont mises en mouvement pour dépouiller les ouvriers de leur presse : poursuites judiciaires et arrestations (ou assassinats commis par des spadassins) des rédacteurs, confiscation des envois postaux, confiscation du papier, etc. Et tout ce qui est nécessaire à un journal quotidien en fait d'information se trouve entre les mains des agences télégraphiques bourgeoises, les annonces sans lesquelles un grand journal ne peut pas couvrir ses frais sont à la « libre » disposition des capitalistes. En résumé, la bourgeoisie, par le mensonge, par la pression du capital et de l'Etat bourgeois dépouille le prolétariat révolutionnaire de sa presse.

    Pour lutter contre cet état de choses, les Partis Communistes doivent créer un nouveau type de presse périodique destiné à la diffusion en masse parmi les ouvriers, comportant :

    1° des publications légales qui apprendraient, sans se déclarer communistes et sans parler de leur dépendance du Parti, à tirer parti des moindres possibilités légales, comme les bolcheviks l'ont fait sous le tsarisme après 1905 ;

    2° des tracts illégaux, ne fût ce que d'un format minime, paraissant irrégulièrement, mais imprimés par les ouvriers dans un grand nombre de typographies (clandestinement, ou si le mouvement s'est renforcé, par la mainmise sur les typographes) donnant au prolétariat une information libre, révolutionnaire, et des mots d'ordre révolutionnaires.

    Sans une bataille révolutionnaire, qui entraînera les masses, pour la liberté de la presse communiste, la préparation de la dictature du prolétariat est impossible.

    III. MODIFICATION DE LA LIGNE DE CONDUITE, ET PARTIELLEMENT, DE LA COMPOSITION SOCIALE DES PARTIS ADHÉRANT OU DÉSIREUX D'ADHÉRER À L'INTERNATIONALE COMMUNISTE


    14. Le degré de préparation du prolétariat des pays les plus importants, au point de vue de l'économie et de la politique mondiales, à la réalisation de la dictature ouvrière se caractérise avec le plus d'objectivité et d'exactitude, par le fait que les partis les plus influents de la II° Internationale, tels que le Parti Socialiste Français, le Parti Social-Démocrate Indépendant Allemand, le Parti Ouvrier Indépendant Anglais, le Parti Socialiste Américain sont sortis de cette Internationale Jaune et ont décidé, sous condition, d'adhérer à la III° Internationale. Il est ainsi prouvé que l'avant-garde n'est pas seule, que la majorité du prolétariat révolutionnaire a commencé, persuadée par toute la marche des événements, à passer de notre côté. L'essentiel maintenant est de savoir achever ce passage et solidement affermir par l'organisation ce qui a été obtenu, afin qu'il soit possible d'aller de l'avant sur toute la ligne sans la moindre hésitation.

    15. Toute l'activité des partis précités (auxquels il faut encore ajouter le Parti Socialiste Suisse si le télégramme nous informant de sa décision d'adhésion à la III° Internationale est exact) prouve (et n'importe quelle publication de ces partis le confirme indubitablement), qu'elle n'est pas encore communiste et va fréquemment à l'encontre des principes fondamentaux de la III° Internationale en reconnaissant la démocratie bourgeoise au lieu de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique.

    Pour ces raisons le 2° Congrès de l'Internationale Communiste déclare qu'il ne considère pas comme possible de reconnaître immédiatement ces partis ; qu'il confirme la réponse faite par le Comité Exécutif de l'Internationale Communiste aux indépendants allemands ; qu'il confirme son consentement d'entrer en pourparlers avec tout parti qui sortira de la II° Internationale et qui exprimera le désir de se rapprocher de la III° Internationale ; qu'il accorde voix consultative aux délégués de ces partis à tous ses Congrès et Conférences ; qu'il pose les conditions suivantes pour l'union complète de ces partis (et partis similaires) avec l'Internationale Communiste.

    - Publication de toutes les décisions de tous les Congrès de l'Internationale Communiste et du Comité Exécutif dans toutes les éditions périodiques du Parti ;
    - Examen de ces dernières à des réunions spéciales de toutes les organisations locales du Parti ;
    - Convocation, après cet examen, d'un Congrès spécial du Parti afin d'en exclure les éléments qui continuent à agir dans l'esprit de la II° Internationale. Ce Congrès devra être convoqué aussi vite que possible dans un délai maximum de quatre mois après le 2° Congrès de l'Internationale Communiste ;
    - Expulsion du Parti de tous les éléments qui continuent à agir dans l'esprit de la II° Internationale ;
    - Passage de tous les organes périodiques du Parti aux mains de rédacteurs exclusivement communistes ;

    Les partis qui voudraient adhérer maintenant à la III° Internationale mais qui n'ont pas encore modifié radicalement leur ancienne tactique doivent préalablement veiller à ce que les deux tiers des membres de leur comité central et des institutions centrales les plus importantes soient composés de camarades qui, déjà avant le 2° Congrès, s'étaient ouvertement prononcés pour l'adhésion du Parti à la III° Internationale. Des exceptions peuvent être faites avec l'approbation du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste. Le Comité Exécutif se réserve aussi le droit de faire des exceptions en ce qui concerne les représentants de la tendance centriste mentionnés au paragraphe 7 ;

    Les membres du Parti qui rejettent les conditions et les thèses établies par l'Internationale Communiste doivent être exclus du Parti. Il en est de même des délégués au Congrès extraordinaire.

    16. En ce qui concerne l'attitude des communistes qui forment la minorité actuelle parmi les militants responsables des Partis précités et similaires, le 2° Congrès de l'Internationale Communiste décide que par suite de l'allure rapide du développement actuel de l'esprit révolutionnaire des masses la sortie des communistes de ces Partis n'est pas désirable, aussi longtemps qu'ils auront la possibilité d'y mener une action dans le sens de la reconnaissance de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique, de critiquer les opportunistes et les centristes qui y demeurent encore.

    Toutefois lorsque l'aile gauche d'un parti centriste aura acquis une force suffisante elle pourra, si elle le juge utile au développement du communisme, quitter le Parti en bloc et former un parti communiste.

    En même temps le 2° Congrès de la III° Internationale approuve également l'adhésion des groupes et organisations communistes ou sympathisant au communisme au Labour Party anglais, bien que ce dernier ne soit pas encore sorti de la II° Internationale. Aussi longtemps que ce Parti laissera à ses organisations leur liberté actuelle de critique, d'action, de propagande, d'agitation et d'organisation pour la dictature du prolétariat et pour le pouvoir soviétique, aussi longtemps qu'il conservera son caractère d'union de toutes les organisations syndicales de la classe ouvrière, les communistes doivent faire toutes les tentatives et aller jusqu'à certains compromis afin d'avoir la possibilité d'exercer une influence sur les grandes masses des travailleurs, de dénoncer leurs chefs opportunistes du haut des tribunes en vue des masses, de hâter le passage du pouvoir politique des mains des représentants directs de la bourgeoisie aux mains des lieutenants ouvriers de la classe ouvrière pour délivrer au plus tôt les masses des dernières illusions a ce sujet.

    17. En ce qui concerne le Parti Socialiste Italien, le 2° Congrès de la III° Internationale, reconnaissant que la révision du programme voté l'année dernière par ce Parti dans son Congrès de Bologne marque une étape très importante dans sa transformation vers le communisme, et que les propositions présentées par la Section de Turin au conseil général du Parti publiées dans le journal l'Ordine Nuovo du 8 mai 1920 correspondent à tous les principes fondamentaux de la III° Internationale, prie le Parti Socialiste Italien d'examiner, dans le prochain Congrès qui doit être convoqué en vertu des statuts du Parti et des dispositions générales sur l'admission à la III° Internationale, les susdites propositions et toutes les décisions des deux Congrès de l'Internationale Communiste, particulièrement au sujet de la fraction parlementaire, des Syndicats et des éléments non communistes du Parti.

    18. Le 2° Congrès de la III° Internationale considère comme inadéquates les conceptions sur les rapports du Parti avec la classe ouvrière et avec la masse, sur la participation facultative des Partis Communistes à l'action parlementaire et à l'action des syndicats réactionnaires, qui ont été amplement réfutées dans les résolutions spéciales du présent Congrès, après avoir été surtout défendues par « le Parti Ouvrier Communiste Allemand », et quelque peu par le « Parti Communiste Suisse », par l'organe du bureau viennois de l'Internationale Communiste pour l'Europe Orientale, Kommunismus, par quelques camarades hollandais, par certaines organisations communistes d'Angleterre (dont la « Fédération Ouvrière Socialiste »), etc., ainsi que par les « I.W.W. » d'Amérique et par les « Shop Stewards Committees » d'Angleterre, etc., etc.

    Néanmoins le 2° Congrès de la III° Internationale croit possible et désirable la réunion à la III° Internationale de celles de ces organisations qui n'y ont pas encore officiellement adhéré, car dans le cas présent, et surtout à l'égard des « Shop Stewards Committees » anglais, nous nous trouvons en présence d'un profond mouvement prolétarien, qui se tient en fait sur le terrain des principes fondamentaux de l'Internationale Communiste. Dans de telles organisations, les conceptions erronées sur la participation à l'action des Parlements bourgeois s'expliquent moins par le rôle des éléments issus de la bourgeoisie qui apportent leurs conceptions, d'un esprit au fond petit-bourgeois, telles que le sont souvent celles des anarchistes, que par l'inexpérience politique des prolétaires vraiment révolutionnaires et liés avec la masse.

    Le 2° Congrès de la III° Internationale prie pour ces raisons toutes les organisations et tous les groupes communistes des pays anglo-saxons de poursuivre même au cas où les « I.W.W. » et les « Shop Stewards Committees » ne se rattacheraient pas immédiatement à la III° Internationale, une politique de relations plus amicales avec ces organisations, de rapprochement avec elles et avec les masses qui sympathisent avec elles, en leur faisant comprendre amicalement du point de vue de l'expérience de toutes les révolutions russes du XX° siècle, le caractère erroné de leurs conceptions, et en réitérant les tentatives de fusion avec ces organisations dans un Parti Communiste unique.

    19. Le Congrès attire l'attention de tous les camarades, surtout des pays romans et anglo-saxons, sur ce fait : depuis la guerre une profonde division d'idées se produit parmi les anarchistes du monde entier au sujet de l'attitude à observer vis-à-vis de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique. Dans ces conditions, parmi les éléments prolétariens qui on souvent été poussés à l'anarchisme par la haine pleinement justifiée de l'opportunisme et du réformisme de la II° Internationale, on observe une compréhension particulièrement exacte de ces principes, et qui ne fait que s'étendre davantage au fur et à mesure que l'expérience de la Russie, de la Finlande, de la Hongrie, de la Lituanie, de la Pologne et de l'Allemagne est mieux connue.

    Pour ces raisons le Congrès croit du devoir de tous les camarades de soutenir par tous les moyens le passage de tous les éléments prolétariens de masses de l'anarchisme à la III° Internationale.

    Le Congrès considère que le succès de l'action des Partis vraiment communistes doit être apprécié entre autres, dans la mesure où ils auront réussi à attirer à eux tous les éléments vraiment prolétariens de l'anarchisme.
     
     
     
    Résolution sur le rôle du Parti Communiste dans la révolution prolétarienne

     
     
    Le prolétariat mondial est à la veille d'une lutte décisive. L'époque à laquelle nous vivons est une époque d'action directe contre la bourgeoisie. L'heure décisive approche. Bientôt, dans tous les pays où il y a un mouvement ouvrier conscient, la classe ouvrière aura à livrer une série de combats acharnés, les armes à la main. Plus que jamais, en ce moment, la classe ouvrière a besoin d'une solide organisation. Infatigablement la classe ouvrière doit désormais se préparer à cette lutte, sans perdre une seule heure d'un temps précieux.

    Si la classe ouvrière, pendant la Commune de Paris (en 1871) avait eu un Parti Communiste solidement organisé, bien que peu nombreux, la première insurrection de l'héroïque prolétariat français aurait été beaucoup plus forte et elle aurait évité bien des erreurs et bien des fautes. Les batailles que le prolétariat aura maintenant à livrer, dans des conjonctures historiques toutes différentes, auront des résultats beaucoup plus graves qu'en 1871.

    Le 2° Congrès mondial de l'Internationale Communiste signale donc aux ouvriers révolutionnaires du monde entier l'importance de ce qui suit :

    1. Le Parti Communiste est une fraction de la classe ouvrière et bien entendu il en est la fraction la plus avancée, la plus consciente et, partant, la plus révolutionnaire. Il se crée par la sélection spontanée des travailleurs les plus conscients, les plus dévoués, les plus clairvoyants. Le Parti Communiste n'a pas d'intérêts différents de ceux de la classe ouvrière. Le Parti Communiste ne diffère de la grande masse des travailleurs qu'en ce qu'il envisage la mission historique de l'ensemble de la classe ouvrière et s'efforce, à tous les tournants de la route, de défendre non les intérêts de quelques groupes ou de quelques professions, mais ceux de toute la classe ouvrière. Le Parti Communiste constitue la force organisatrice et politique, à l'aide de laquelle la fraction la plus avancée de la classe ouvrière dirige, dans le bon chemin, les masses du prolétariat et du demi-prolétariat.

    2. Tant que le pouvoir gouvernemental n'est pas conquis par le prolétariat et tant que ce dernier n'a pas affermi, une fois pour toutes, sa domination et prévenu toute tentative de restauration bourgeoise, le Parti Communiste n'englobera dans ses rangs organisés qu'une minorité ouvrière. Jusqu'à la prise du pouvoir et dans l'époque de transition, le Parti Communiste peut, grâce à des circonstances favorables, exercer une influence idéologique et politique incontestable sur toutes les couches prolétariennes et à demi-prolétariennes de la population, mais il ne peut les réunir organisées, dans ses rangs. Ce n'est que lorsque la dictature prolétarienne aura privé la bourgeoisie de moyens d'action aussi puissants que la presse, l'école, le Parlement, l'Eglise, l'administration, etc., ce n'est que lorsque la défaite définitive du régime bourgeois sera devenue évidente aux yeux de tous, que tous les ouvriers, ou du moins la plupart, commenceront à entrer dans les rangs du Parti Communiste.

    3. Les notions de parti et de classe doivent être distinguées avec le plus grand soin. Les membres des syndicats « chrétiens » et libéraux d'Allemagne, d'Angleterre et d'autres pays, appartiennent indubitablement à la classe ouvrière. Les groupements ouvriers plus ou moins considérables qui se rangent encore à la suite de Scheidemann, de Gompers et consorts lui appartiennent aussi. Dans de telles conditions historiques, il est très possible que de nombreuses tendances réactionnaires se fassent jour dans la classe ouvrière. La tâche du communisme n'est pas de s'adapter à ces éléments arriérés de la classe ouvrière mais d'élever toute la classe ouvrière au niveau de l'avant-garde communiste. La confusion entre ces deux notions de parti et de classe peut conduire aux fautes et aux malentendus les plus graves. Il est, par exemple, évident que les Partis ouvriers devaient, en dépit des préjugés et de l'état d'esprit d'une portion de la classe ouvrière pendant la guerre impérialiste, s'insurger à tout prix contre ces préjugés et cet état d'esprit, au nom des intérêts historiques du prolétariat qui mettaient son Parti dans l'obligation de déclarer la guerre à la guerre.

    C'est ainsi, par exemple, qu'au début de la guerre impérialiste de 1914, les Partis socialistes de tous les pays, soutenant « leurs » bourgeoisies respectives, ne manquaient pas de justifier leur conduite en invoquant la volonté de la classe ouvrière. Ils oubliaient, ce faisant, que si même il en avait été ainsi, c'eut été plutôt la tâche du Parti prolétarien de réagir contre la mentalité ouvrière générale et de défendre envers et contre tous les intérêts historiques du prolétariat. C'est ainsi qu'au commencement du XX° siècle les mencheviks russes (qui se nommaient alors économistes) répudiaient la lutte ouverte contre le tsarisme parce que, disaient-ils, la classe ouvrière dans son ensemble, n'était pas encore en état de comprendre la nécessité de la lutte politique.

    C'est ainsi que les indépendants de droite en Allemagne ont justifié toujours leurs demi-mesures en disant qu'il fallait comprendre avant tout les désirs des masses, et ne comprenaient pas eux-mêmes que le Parti est destiné à marcher en avant des masses et à leur montrer le chemin.

    4. L'internationale Communiste est absolument convaincue que la faillite des anciens Partis « social-démocrates » de la II° Internationale ne peut, en aucun cas, être considérée comme la faillite des Partis prolétariens en général. L'époque de la lutte directe en vue de la dictature du prolétariat suscite un nouveau Parti prolétarien mondial - le Parti Communiste.

    5. L'internationale Communiste répudie de la façon la plus catégorique l'opinion suivant laquelle le prolétariat peut accomplir sa révolution sans avoir son Parti politique. Toute lutte de classes est une lutte politique. Le but de cette lutte, qui tend à se transformer inévitablement en guerre civile, est la conquête du pouvoir politique. C'est pourquoi le pouvoir politique ne peut être pris, organisé et dirigé que par tel ou tel Parti politique. Ce n'est que dans le cas où le prolétariat est guidé par un Parti organisé et éprouvé, poursuivant des buts clairement définis, et possédant un programme d'action susceptible d'être appliqué, tant dans la politique intérieure que dans la politique extérieure, ce n'est que dans ce cas que la conquête du pouvoir politique peut être considérée non comme un épisode, mais comme le point de départ d'un travail durable d'édification communiste de la société par le prolétariat.

    La même lutte des classes exige aussi la centralisation et la direction unique des diverses formes du mouvement prolétarien (syndicats, coopératives, comités d'usines, enseignement, élections, etc.). Le centre organisateur et dirigeant ne peut être qu'un Parti politique. Se refuser à le créer et à l'affermir, se refuser à s'y soumettre équivaut à répudier le commandement unique des contingents du prolétariat agissant sur des points différents. La lutte de classe prolétarienne exige une agitation concentrée, éclairant les différentes étapes de la lutte d'un point de vue unique et attirant à chaque moment, toute l'attention du prolétariat sur les tâches qui l'intéressent dans son entier. Cela ne peut être réalisé sans un appareil politique centralisé, c'est-à-dire en dehors d'un Parti politique.

    La propagande de certains syndicalistes révolutionnaires et des adhérents du mouvement industrialiste du monde entier (I.W.W.) contre la nécessité d'un Parti politique se suffisant à lui-même n'a aidé et n'aide, à parler objectivement, que la bourgeoisie et les « social-démocrates » contre-révolutionnaires. Dans leur propagande contre un Parti Communiste qu'ils voudraient remplacer par des syndicats ou par des unions ouvrières de formes peu définies et trop vastes, les syndicalistes et les industrialistes ont des points de contact avec des opportunistes avérés.

    Après la défaite de la révolution de 1905, les mencheviks russes propagèrent pendant quelques années l'idée d'un Congrès ouvrier (ainsi le nommaient-ils) qui devait remplacer le Parti révolutionnaire de la classe ouvrière ; les « travaillistes jaunes» de toutes sortes en Angleterre et en Amérique veulent remplacer le Parti politique par d'informes unions ouvrières, et ils inventent en même temps une tactique politique absolument bourgeoise. Les syndicalistes révolutionnaires et industrialistes veulent combattre la dictature de la bourgeoisie, mais ils ne savent comment s'y prendre. Ils ne remarquent pas qu'une classe ouvrière sans Parti politique est un corps sans tête. Le syndicalisme révolutionnaire et l'industrialisme ne marquent un pas fait en avant que par rapport à l'ancienne idéologie inerte et contre-révolutionnaire de la II° Internationale. Par rapport au marxisme révolutionnaire, c'est-à-dire au communisme, le syndicalisme et l'industrialisme marquent un pas en arrière. La déclaration des communistes « de la gauche allemande K.A.P.D. » (programme élaboré par leur Congrès constituant d'avril dernier) disant qu'ils forment un Parti, mais « non pas un Parti dans le sens courant du mot » (keine Partei im überlieferten Sinne) est une capitulation devant l'opinion syndicaliste et industrialiste, qui est un fait réactionnaire.

    Mais ce n'est pas par la grève générale, par la tactique des bras croisés que la classe ouvrière peut remporter la victoire sur la bourgeoisie. Le prolétariat doit en venir à l'insurrection armée. Celui qui a compris cela doit aussi comprendre qu'un Parti politique organisé est nécessaire et que d'informes unions ouvrières ne peuvent pas en tenir lieu.

    Les syndicalistes révolutionnaires parlent souvent du grand rôle que doit jouer une minorité révolutionnaire résolue. Or, en fait, cette minorité résolue de la classe ouvrière que l'on demande, cette minorité qui est communiste et qui a un programme, qui veut organiser la lutte des masses, c'est bien le Parti Communiste.

    6. La tâche la plus importante d'un Parti réellement communiste est de rester toujours en contact avec les organisations prolétariennes les plus larges. Pour arriver à cela, les communistes peuvent et doivent prendre part à des groupes qui, sans être des groupes du Parti, englobent de grandes masses prolétariennes. Tels sont par exemple ceux que l'on connaît sous le nom d'organisation d'invalides dans divers pays, de sociétés « Ne touchez pas à la Russie » (Hands off Russia) en Angleterre, les unions prolétariennes de locataires, etc. Nous avons ici l'exemple russe des conférences d'ouvriers et de paysans qui se déclarent « étrangers » aux Partis (bezpartinii). Des associations de ce genre seront bientôt organisées dans chaque ville, dans chaque quartier ouvrier et aussi dans les campagnes. A ces associations prennent part les plus larges masses comprenant même des travailleurs arriérés. On mettra à l'ordre du jour les questions les plus intéressantes : approvisionnement, habitation, questions militaires, enseignement, tâche politique du moment présent, etc. Les communistes doivent avoir de l'influence dans ces associations et cela aura les résultats les plus importants pour le Parti.

    Les communistes considèrent comme leur tâche principale un travail systématique d'éducation et d'organisation au sein de ces organisations. Mais précisément pour que ce travail soit fécond, pour que les ennemis du prolétariat révolutionnaire ne puissent s'emparer de ces organisations, les travailleurs avancés, communistes, doivent avoir leur Parti d'action organisée, sachant défendre le communisme dans toutes les conjonctures et en présence de toutes les éventualités.

    7. Les communistes ne s'écartent jamais des organisations ouvrières politiquement neutres, même quand elles revêtent un caractère évidemment réactionnaire (unions jaunes, unions chrétiennes, etc.). Au sein de ces organisations, le Parti Communiste poursuit constamment son œuvre propre, démontrant infatigablement aux ouvriers que la neutralité politique est sciemment cultivée parmi eux par la bourgeoisie et par ses agents afin de détourner le prolétariat de la lutte organisée pour le socialisme.

    8. L'ancienne subdivision classique du mouvement ouvrier en trois formes (Partis, syndicats, coopératives) a fait son temps. La révolution prolétarienne en Russie a suscité la forme essentielle de la dictature prolétarienne, les Soviets. La nouvelle division que nous mettons partout en valeur est celle-ci : 1° le Parti, 2° le Soviet, 3° le Syndicat.

    Mais le travail dans les Soviets de même que dans les syndicats d'industrie devenus révolutionnaires doit être invariablement et systématiquement dirigé par le Parti du prolétariat, c'est-à-dire par le Parti Communiste. Avant-garde organisée de la classe ouvrière, le Parti Communiste répond également aux besoins économiques, politiques et spirituels de la classe ouvrière toute entière. Il doit être l'âme des syndicats et des Soviets ainsi que de toutes les autres formes d'organisation prolétarienne.

    L'apparition des Soviets, forme historique principale de la dictature du prolétariat, ne diminue nullement le rôle dirigeant du Parti Communiste dans la révolution prolétarienne. Quand les communistes allemands de « gauche » (voir leur Manifeste au prolétariat allemand du 14 avril 1920 signé par « le Parti ouvrier communiste allemand ») déclarent que « le Parti doit, lui aussi, s'adapter de plus en plus à l'idée soviétique et se prolétariser » (Kommunistische Arbeiterzeitung, N° 54) nous ne voyons là qu'une expression insinuante de cette idée que le Parti Communiste doit se fondre dans les Soviets et que les Soviets peuvent le remplacer.

    Cette idée est profondément erronée et réactionnaire.

    L'histoire de la révolution russe nous montre à un certain moment, les Soviets allant à l'encontre du Parti prolétarien et soutenant les agents de la bourgeoisie. On a pu observer la même chose en Allemagne. Et cela est aussi possible dans les autres pays.

    Pour que les Soviets puissent remplir leur mission historique, l'existence d'un Parti Communiste assez fort pour ne pas « s'adapter » aux Soviets mais pour exercer sur eux une influence décisive, les contraindre à « ne pas s'adapter » à la bourgeoisie et à la social-démocratie officielle, les conduire par le moyen de cette fraction communiste, est au contraire nécessaire.

    9. Le Parti Communiste n'est pas seulement nécessaire à la classe ouvrière avant et pendant la conquête, du pouvoir, mais encore après celle-ci. L'histoire du Parti Communiste russe, qui détient depuis trois ans le pouvoir, montre que le rôle du Parti Communiste, loin de diminuer depuis la conquête du pouvoir, s'est considérablement accru.

    10. Au jour de la conquête du pouvoir par le prolétariat, le Parti du prolétariat ne constitue pourtant qu'une fraction de la classe des travailleurs. Mais c'est la fraction qui a organisé la victoire. Pendant vingt ans, comme nous l'avons vu en Russie depuis une suite d'années, comme nous l'avons vu en Allemagne, le Parti Communiste lutte non seulement contre la bourgeoisie, mais aussi contre ceux d'entre les socialistes qui ne font en réalité que manifester l'influence des idées bourgeoises sur le prolétariat ; le Parti Communiste s'est assimilé les militants les plus stoïques, les plus clairvoyants, les plus avancés de la classe ouvrière. Et l'existence d'une semblable organisation prolétarienne permet de surmonter toutes les difficultés auxquelles se heurte le Parti Communiste dès le lendemain de sa victoire. L'organisation d'une nouvelle Armée Rouge prolétarienne, l'abolition effective du mécanisme gouvernemental bourgeois et la création des premiers linéaments de l'appareil gouvernemental prolétarien, la lutte contre les tendances corporatistes de certains groupements ouvriers, la lutte contre le patriotisme régional et l'esprit de clocher, les efforts en vue de susciter une nouvelle discipline du travail, - autant de domaines où le Parti Communiste, dont les membres entraînent par leur vivant exemple les masses ouvrières, doit dire le mot décisif.

    11. La nécessité d'un Parti politique du prolétariat ne disparaît qu'avec les classes sociales. Dans la marche du communisme vers la victoire définitive il est possible que le rapport spécifique qui existe entre les trois formes essentielles de l'organisation prolétarienne contemporaine (Partis, Soviets, Syndicats d'industrie) soit modifié et qu'un type unique, synthétique, d'organisation ouvrière se cristallise peu à peu. Mais le Parti Communiste ne se dissoudra complètement au sein de la classe ouvrière que lorsque le communisme cessera d'être l'enjeu de la lutte sociale, lorsque la classe ouvrière sera, toute entière, devenue communiste.

    12. Le 2° Congrès de l'Internationale Communiste doit non seulement confirmer le Parti dans sa mission historique, mais encore indiquer au prolétariat international tout au moins les lignes essentielles du Parti qui nous est nécessaire.

    13. L'Internationale Communiste est d'avis que, surtout à l'époque de la dictature du prolétariat, le Parti Communiste doit être basé sur une inébranlable centralisation prolétarienne. Pour diriger efficacement la classe ouvrière dans la guerre civile longue et opiniâtre, devenue imminente, le Parti Communiste doit établir en son sein une discipline de fer, une discipline militaire. L'expérience du Parti Communiste russe qui a pendant trois ans dirigé avec succès la classe ouvrière à travers les péripéties de la guerre civile, a montré que sans la plus forte discipline, sans une centralisation achevée, sans une confiance absolue des adhérents envers le centre directeur du Parti, la victoire des travailleurs est impossible.

    14. Le Parti Communiste doit être basé sur une centralisation démocratique. La constitution par voie d'élection des comités secondaires, la soumission obligatoire de tous les comités au comité qui leur est supérieur et l'existence d'un centre muni de pleins pouvoirs, dont l'autorité ne peut, dans l'intervalle entre les Congrès du Parti, être contestée par personne, tels sont les principes essentiels de la centralisation démocratique.

    15. Toute une série de Partis Communistes en Europe et en Amérique sont rejetés par l'état de siège en dehors de la légalité. Il convient de se rappeler que le principe électif peut avoir à souffrir, dans ces conditions, quelques atteintes et qu'il peut être nécessaire d'accorder aux organes directeurs du Parti le droit de coopter des membres nouveaux. Il en fut ainsi naguère en Russie. Durant l'état de siège le Parti Communiste ne peut évidemment pas avoir recours au référendum démocratique, toutes les fois qu'une question grave se pose (comme l'aurait voulu un groupe de communistes américains) ; il doit au contraire donner à son centre dirigeant la possibilité et le droit de décider promptement au moment opportun, pour tous les membres du Parti.

    16. La revendication d'une large « autonomie » pour les groupes locaux du Parti ne peut en ce moment qu'affaiblir les rangs du Parti Communiste, diminuer sa capacité d'action et favoriser le développement des tendances anarchistes et petites-bourgeoises contraires à la centralisation.

    17. Dans les pays où le pouvoir est encore détenu par la bourgeoisie ou par la social-démocratie contre-révolutionnaire, les Partis communistes doivent apprendre à juxtaposer systématiquement l'action légale et l'action clandestine. Cette dernière doit toujours contrôler effectivement la première. Les groupes parlementaires communistes de même que les fractions communistes opérant au sein des diverses institutions de l'Etat, tant centrales que locales, doivent être entièrement subordonnées au Parti Communiste - quelle que soit la situation, légale ou non, du Parti. Les mandataires qui d'une façon ou d'une autre ne se soumettent pas au Parti doivent en être exclus. La presse légale (journaux, éditions diverses) doit dépendre en tout et pour tout de l'ensemble du Parti et de son comité central.

    18. Dans toute action organisatrice du Parti et des communistes la pierre angulaire doit être posée par l'organisation d'un noyau communiste partout où l'on trouve quelques prolétaires et quelques demi-prolétaires. Dans tout Soviet, dans tout syndicat, dans toute coopérative, dans tout atelier, dans tout comité de locataires, dans toute institution où trois personnes sympathisent avec le communisme, un noyau communiste doit être immédiatement organisé. L'organisation communiste est la seule porte permettant à l'avant-garde de la classe ouvrière d'entraîner derrière elle toute la classe ouvrière. Tous les noyaux communistes agissant parmi les organisations politiquement neutres sont absolument subordonnés au Parti dans son ensemble, que l'action du Parti soit légale ou clandestine. Les noyaux communistes doivent être classés dans une stricte dépendance réciproque, à établir de la façon la plus précise.

    19. Le Parti Communiste naît presque toujours dans les grands centres, parmi les travailleurs de l'industrie urbaine. Pour assurer à la classe ouvrière la victoire la plus facile et la plus rapide, il est indispensable que le Parti Communiste ne soit pas exclusivement un Parti urbain. Il doit s'étendre aussi dans les campagnes et, à cette fin, se consacrer à la propagande et à l'organisation des journaliers agricoles, des paysans pauvres et moyens. Le Parti communiste doit poursuivre avec un soin particulier l'organisation de noyaux communistes dans les villages.

    L'organisation internationale du prolétariat ne peut être forte que si cette façon d'envisager le rôle du Parti Communiste est admise dans tous les pays où vivent et luttent des communistes. L'Internationale Communiste invite tous les syndicats acceptant les principes de la III° Internationale à rompre avec l'Internationale Jaune. L'Internationale organisera une section internationale des syndicats rouges qui se placent sur le terrain du communisme. L'Internationale Communiste ne refusera pas le concours de toute organisation ouvrière politiquement neutre désireuse de combattre la bourgeoisie. Mais l'Internationale Communiste ne cessera, ce faisant, de prouver aux prolétaires du monde :

    - que le Parti communiste est l'arme principale, essentielle, de l'émancipation du prolétariat ; nous devons avoir maintenant dans tous les pays, non plus des groupes et des tendances, mais un Parti Communiste ;
    - qu'il ne doit y avoir dans chaque pays qu'un seul et unique Parti Communiste ;
    - que le Parti Communiste doit être fondé sur le principe de la plus stricte centralisation et doit instituer en son sein, à l'époque de la guerre civile, une discipline militaire ;
    - que partout où il n'y a ne fut-ce qu'une dizaine de prolétaires ou de demi-prolétaires, le Parti Communiste doit avoir son noyau organisé ;
    - que dans toute organisation apolitique il doit y avoir un noyau communiste strictement subordonné au Parti dans son entier ;
    - que défendant inébranlablement et avec un absolu dévouement le programme et la tactique révolutionnaire du Communisme, le Parti doit rester toujours en relations étroites avec les organisations des grandes masses ouvrières et doit se garder du sectarisme autant que du manque de principes.
     

     

     

    Le mouvement syndical, les comités de fabrique et d'usines

    I

    1. Les syndicats créés par la classe ouvrière pendant la période du développement pacifique du capitalisme représentaient des organisations ouvrières destinées à lutter pour la hausse des salaires ouvriers sur le marché du travail et l'amélioration des conditions du travail salarié. Les marxistes révolutionnaires furent obligés d'entrer en contact avec le Parti politique du prolétariat, le Parti social-démocrate, afin d'engager une lutte commune pour le Socialisme. Les mêmes raisons qui, à de rares exceptions près, avaient fait de la démocratie socialiste non une arme de la lutte révolutionnaire du prolétariat pour le renversement du capitalisme, mais une organisation entraînant l'effort révolutionnaire du prolétariat dans l'intérêt de la bourgeoisie, firent que, pendant la guerre, les syndicats se présentèrent le plus souvent en qualité d'éléments de l'appareil militaire de la bourgeoisie ; ils aidèrent cette dernière à exploiter la classe ouvrière avec la plus grande intensité et à faire mener la guerre de la manière la plus énergique, au nom des intérêts du capitalisme. N'englobant que les ouvriers spécialisés les mieux rétribués par les patrons, n'agissant que dans des limites corporatives très étroites, enchaînés par un appareil bureaucratique, complètement étranger aux masses trompées par leurs leaders opportunistes, les syndicats ont non seulement trahi la cause de la Révolution sociale, mais aussi celle de la lutte pour l'amélioration des conditions de la vie des ouvriers qu'ils avaient organisés. Ils ont abandonné le terrain de la lutte professionnelle contre les patrons et l'ont remplacé, coûte que coûte, par un programme de transactions aimables avec les capitalistes. Cette politique a été non seulement celle des Trade-Unions libérales en Angleterre et en Amérique, des syndicats libres, prétendûment socialistes d'Allemagne et d'Autriche, mais aussi des Unions syndicales de France.

    2. Les conséquences économiques de la guerre, la désorganisation complète du système économique du monde entier, la cherté affolante de la vie, l'exploitation la plus intense du travail des femmes et des enfants, la question de l'habitation, qui vont progressivement de mal en pis, tout cela pousse les masses prolétariennes dans la voie de la lutte contre le capitalisme. Par son caractère et par son envergure se dessinant plus nettement de jour en jour, ce combat devient une grande bataille révolutionnaire détruisant les bases générales du capitalisme. L'augmentation des salaires d'une catégorie quelconque d'ouvriers, arrachée aux patrons au prix d'une lutte économique acharnée, est réduite le lendemain à zéro par la hausse du coût de la vie. Or, la hausse des prix doit continuer, car la classe capitaliste des pays vainqueurs, tout en ruinant par sa politique d'exploitation l'Europe orientale et centrale, n'est pas en état d'organiser le système économique du monde entier ; elle le désorganise au contraire de plus en plus. Pour s'assurer le succès dans la lutte économique, les larges masses ouvrières qui demeuraient jusqu'à présent en dehors des syndicats y affluent maintenant. On constate dans tous les pays capitalistes une croissance prodigieuse des syndicats qui ne représentent plus maintenant l'organisation des seuls éléments avancés du prolétariat, mais celle de toute sa masse. En entrant dans les syndicats, les masses cherchent à en faire leur arme de combat. L'antagonisme des classes devenant toujours de plus en plus aigu force les syndicats à organiser des grèves dont la répercussion se fait sentir dans le monde capitaliste tout entier, en interrompant le processus de la production et de l'échange capitalistes. En augmentant leurs exigences à mesure qu'augmente le prix de la vie et qu'elles-mêmes s'épuisent de plus en plus, les masses ouvrières détruisent par cela même tout calcul capitaliste qui représente le fondement élémentaire d'une économie organisée. Les syndicats, qui étaient devenus pendant la guerre les organes de l'asservissement des masses ouvrières aux intérêts de la bourgeoisie, représentent maintenant les organes de la destruction du capitalisme.

    3. Mais la vieille bureaucratie professionnelle et les anciennes formes de l'organisation syndicale entravent de toute manière cette transformation du caractère des syndicats. La vieille bureaucratie professionnelle cherche partout à faire garder aux syndicats leur caractère d'organisations de l'aristocratie ouvrière ; elle cherche à maintenir en vigueur les règles rendant impossible l'entrée des masses ouvrières mal payées dans les syndicats. La vieille bureaucratie syndicale s'efforce encore de remplacer le mouvement gréviste qui revêt chaque jour de plus en plus le caractère d'un conflit révolutionnaire entre la bourgeoisie et le prolétariat par une politique de contrats à long terme qui ont perdu toute signification en présence des variations fantastiques des prix. Elle cherche à imposer aux ouvriers la politique des communes ouvrières, des Conseils réunis de l'industrie (Joint Industrials Councils) et à entraver par la voie légale, grâce à l'aide de l'Etat capitaliste, l'expansion du mouvement gréviste. Aux moments critiques de la lutte, la bourgeoisie sème la discorde parmi les masses ouvrières militantes et empêche les actions isolées de différentes catégories d'ouvriers de fusionner dans une action de classe générale ; elle est soutenue dans ces tentatives par l'œuvre des anciennes organisations syndicales, morcelant les travailleurs d'une branche d'industrie en groupes professionnels artificiellement isolés, bien qu'ils soient tous rattachés les uns aux autres par le fait même de l'exploitation capitaliste. Elle s'appuie sur le pouvoir de la tradition idéologique de l'ancienne aristocratie ouvrière, bien que cette dernière soit sans cesse affaiblie par l'abolition des privilèges de divers groupes du prolétariat ; cette abolition s'explique par la décomposition générale du capitalisme, le nivellement de la situation de divers éléments de la classe ouvrière, l'égalisation de leurs besoins et leur manque de sécurité.

    C'est de cette manière que la bureaucratie syndicale substitue de faibles ruisseaux au puissant courant du mouvement ouvrier, substitue des revendications partielles réformistes aux buts révolutionnaires généraux du mouvement et entrave d'une manière générale la transformation des efforts isolés du prolétariat en une lutte révolutionnaire unique tendant à la destruction du capitalisme.

    4. Etant donnée la tendance prononcée des larges masses ouvrières à s'incorporer dans les syndicats, et considérant le caractère objectivement révolutionnaire de la lutte que ces masses soutiennent en dépit de la bureaucratie professionnelle, il importe que les communistes de tous les pays fassent partie des syndicats et travaillent à en faire des organes conscients de lutte pour le renversement du régime capitaliste et le triomphe du Communisme. Ils doivent prendre l'initiative de la création des syndicats partout où ces derniers n'existent pas encore.

    Toute désertion volontaire du mouvement professionnel, toute tentative de création artificielle de syndicats qui ne serait pas déterminée par les violences excessives de la bureaucratie professionnelle (dissolution des filiales locales révolutionnaires syndicales par les centres opportunistes) ou par leur étroite politique aristocratique fermant aux grandes masses de travailleurs peu qualifiés l'entrée des organes syndicaux, présente un danger énorme pour le mouvement communiste. Elle écarte de la masse les ouvriers les plus avancés, les plus conscients, et les pousse vers les chefs opportunistes travaillant pour les intérêts de la bourgeoisie... Les hésitations des masses ouvrières, leur indécision politique et l'influence que possèdent sur eux les leaders opportunistes ne pourront être vaincus que par une lutte de plus en plus âpre dans la mesure où les couches profondes du prolétariat apprendront par expérience, par les leçons de leurs victoires et de leurs défaites, que jamais le système économique capitaliste ne leur permettra d'obtenir des conditions de vie humaines et supportables, dans la mesure où les travailleurs communistes avancés apprendront, par l'expérience de leur lutte économique, à être non seulement des propagandistes théoriques de l'idée communiste, mais aussi des meneurs résolus de l'action économique et syndicale. Ce n'est que de cette façon qu'il sera possible d'écarter des syndicats leurs leaders opportunistes, de mettre des communistes à la tête et d'en faire un organe de la lutte révolutionnaire pour le Communisme. Ce n'est que de cette manière qu'il sera possible d'arrêter la désagrégation des syndicats, de les remplacer par des Unions industrielles, d'écarter la bureaucratie étrangère aux masses et de lui substituer un organe formé par les représentants des ouvriers industriels (Betriebsvertreter) en n'abandonnant aux institutions centrales que les fonctions strictement nécessaires.

    5. Comme les communistes attachent plus de prix au but et à la substance des syndicats qu'à leur forme, ils ne doivent pas hésiter devant les scissions qui pourraient se produire au sein des organisations syndicales si, pour les éviter, il était nécessaire d'abandonner le travail révolutionnaire, de se refuser à organiser la partie la plus exploitée du prolétariat. S'il arrive pourtant qu'une scission s'impose comme une nécessité absolue, on ne devra y recourir que possédant la certitude que les communistes réussiront par leur participation économique à convaincre les larges masses ouvrières, que la scission se justifie non par des considérations dictées par un but révolutionnaire encore très éloigné et vague, mais par les intérêts concrets immédiats de la classe ouvrière, correspondant aux nécessités de l'action économique. Dans le cas où une scission deviendrait inévitable, les communistes devraient accorder une grande attention à ce que cette scission ne les isole pas de la masse ouvrière.

    6. Partout où la scission entre les tendances syndicales opportunistes et révolutionnaires s'est déjà produite, où il existe, comme en Amérique, des syndicats aux tendances révolutionnaires, sinon communistes, à côté des syndicats opportunistes, les communistes sont dans l'obligation de prêter leur concours à ces syndicats révolutionnaires, de les soutenir, de les aider à se libérer des préjugés syndicalistes et à se placer sur le terrain du Communisme, car ce dernier est l'unique boussole fidèle et sûre dans toutes les questions compliquées de la lutte économique. Partout où se constituent des organisations industrielles (soit sur la base des syndicats, soit en dehors d'eux), tels les Shop Stewards, les Betriebsraete (Conseils de Production), organisations se donnant pour but de lutter contre les tendances contre-révolutionnaires de la bureaucratie syndicale, il est bien entendu que les communistes sont tenus de les soutenir avec toute l'énergie possible. Mais le concours prêté aux syndicats révolutionnaires ne doit pas signifier la sortie des communistes des syndicats opportunistes en état d'effervescence politique et en évolution vers la lutte de classe. Bien au contraire, c'est en s'efforçant de hâter cette révolution de la masse des syndicats qui se trouvent déjà sur la voie de la lutte révolutionnaire que les communistes pourront jouer le rôle d'un élément unissant moralement et pratiquement les ouvriers organisés pour une lutte commune tendant à la destruction du régime capitaliste.

    7. A l'époque où le capitalisme tombe en ruines, la lutte économique du prolétariat se transforme en lutte politique beaucoup plus rapidement qu'à l'époque de développement pacifique du régime capitaliste. Tout conflit économique important peut soulever devant les ouvriers la question de la Révolution. Il est donc du devoir des communistes de faire ressortir devant les ouvriers, dans toutes les phases de la lutte économique, que cette lutte ne saurait être couronnée de succès que lorsque la classe ouvrière aura vaincu la classe capitaliste dans une bataille rangée et se chargera, sa dictature une fois établie, de l'organisation socialiste du pays. C'est en partant de là que les communistes doivent tendre à réaliser, dans la mesure du possible, une union parfaite entre les syndicats et le Parti Communiste, en les subordonnant à ce dernier, avant-garde de la Révolution. Dans ce but, les communistes doivent organiser dans tous ces syndicats et Conseils de Production (Betriebsraeie) des fractions communistes, qui les aideront à s emparer du mouvement syndical et à le diriger.


    II
     

    1. La lutte économique du prolétariat pour la hausse des salaires et pour l'amélioration générale des conditions de la vie des masses accentue tous les jours son caractère de lutte sans issue. La désorganisation économique qui envahit un pays après l'autre, dans une proportion toujours croissante, démontre, même aux ouvriers les plus arriérés, qu'il ne suffit pas de lutter pour la hausse des salaires et la réduction de la journée de travail, que la classe capitaliste perd de plus en plus la capacité de rétablir la vie économique et de garantir aux ouvriers ne fut ce que les conditions d'existence qu'elle leur assurait avant la guerre. La conscience toujours croissante des masses ouvrières fait naître parmi eux une tendance à créer des organisations capables d'entamer la lutte pour la renaissance économique au moyen du contrôle ouvrier exercé sur l'industrie par les Conseils de Production. Cette tendance à créer des Conseils industriels ouvriers, qui gagne les ouvriers de tous les pays, tire son origine de facteurs différents et multiples (lutte contre la bureaucratie réactionnaire, fatigue causée par les défaites essuyées par les syndicats, tendances à la création d'organisations embrassant tous les travailleurs) et s'inspire en définitive de l'effort fait pour réaliser le contrôle de l'industrie, tâche historique spéciale des Conseils industriels ouvriers. C'est pourquoi on commettrait une erreur en cherchant à ne former ces Conseils que d'ouvriers partisans de la dictature du prolétariat. La tâche du Parti Communiste consiste, au contraire, à profiter de la désorganisation économique pour organiser les ouvriers et à les mettre dans la nécessité de combattre pour la dictature du prolétariat tout en élargissant l'idée de la lutte pour le contrôle ouvrier, idée que tous comprennent maintenant.

    2. Le Parti Communiste ne pourra s'acquitter de cette tâche qu'en consolidant dans la conscience des masses la ferme assurance que la restauration de la vie économique sur la base capitaliste est actuellement impossible ; elle signifierait d'ailleurs un nouvel asservissement à la classe capitaliste. L'organisation économique correspondant aux intérêts des masses ouvrières n'est possible que si l'Etat est gouverné par la classe ouvrière et si la main ferme de la dictature prolétarienne se charge de l'abolition du capitalisme et de la nouvelle organisation socialiste.

    3. La lutte des Comités de fabriques et d'usines contre le capitalisme a pour but immédiat l'introduction du contrôle ouvrier dans toutes les branches de l'industrie. Les ouvriers de chaque entreprise, indépendamment de leurs professions, souffrent du sabotage des capitalistes qui estiment assez souvent que la suspension de l'activité de telle ou telle industrie leur sera avantageuse, la faim devant contraindre les ouvriers à accepter les conditions les plus dures pour éviter à quelque capitaliste un accroissement de frais. La lutte contre cette sorte de sabotage unit la plupart des ouvriers indépendamment de leurs idées politiques, et fait des Comités d'usines et de fabriques, élus par tous les travailleurs d'une entreprise, de véritables organisations de masse du prolétariat. Mais la désorganisation de l'économie capitaliste est non seulement la conséquence de la volonté consciente des capitalistes, mais aussi et beaucoup plus celle de la décadence irrésistible de leur régime. Aussi, les Comités ouvriers seront-ils forcés, dans leur action contre les conséquences de cette décadence, à dépasser les bornes du contrôle des fabriques et des usines isolées et se trouveront-ils bientôt en face de la question du contrôle ouvrier à exercer sur des branches entières de l'industrie et sur son ensemble. Les tentatives d'ouvriers d'exercer leur contrôle non seulement sur l'approvisionnement des fabriques et des usines en matières premières, mais aussi sur les opérations financières des entreprises industrielles, provoqueront cependant, de la part de la bourgeoisie et du gouvernement capitaliste, des mesures de rigueur contre la classe ouvrière, ce qui transformera la lutte ouvrière pour le contrôle de l'industrie en une lutte pour la conquête du pouvoir par la classe ouvrière.

    4. La propagande en faveur des Conseils industriels doit être menée de manière à ancrer dans la conviction des grandes masses ouvrières, même de celles qui n'appartiennent pas directement au prolétariat industriel, que la responsabilité de la désorganisation économique incombe à la bourgeoisie, et que le prolétariat, exigeant le contrôle ouvrier, lutte pour l'organisation de l'industrie, pour la suppression de la spéculation et de la vie chère. La tâche des Partis Communistes est de combattre pour le contrôle de l'industrie, en profitant dans ce but de toutes les circonstances se trouvant à l'ordre du jour, de la pénurie du combustible et de la désorganisation des transports, en fusionnant dans le même but les éléments isolés du prolétariat et en attirant de son côté les milieux les plus larges de la petite bourgeoisie qui se prolétarise davantage de jour en jour et souffre cruellement de la désorganisation économique.

    5. Les Conseils industriels ouvriers ne sauraient remplacer les syndicats. Ils ne peuvent que s'organiser au courant de l'action dans diverses branches de l'industrie et créer peu à peu un appareil général capable de diriger toute la lutte. Déjà, à l'heure qu'il est, les syndicats représentent des organes de combat centralisés, bien qu'ils n'englobent pas des masses ouvrières aussi larges que peuvent embrasser les Conseils industriels ouvriers en leur qualité d'organisations accessibles à toutes les entreprises ouvrières. Le partage de toutes les tâches de la classe ouvrière entre les Comités industriels ouvriers et les syndicats est le résultat du développement historique de la Révolution sociale. Les syndicats ont organisé les masses ouvrières dans le but d'une lutte pour la hausse des salaires et pour la réduction des journées ouvrières et l'ont fait sur une large échelle. Les Conseils ouvriers industriels s'organisent pour le contrôle ouvrier de l'industrie et la lutte contre la désorganisation économique ; ils englobent toutes les entreprises ouvrières, mais la lutte qu'ils soutiennent ne peut revêtir que très lentement un caractère politique général. Ce n'est que dans la mesure où les syndicats arriveront à surmonter les tendances contre-révolutionnaires de leur bureaucratie, ou deviendront des organes conscients de la Révolution, que les communistes auront le devoir de soutenir les Conseils industriels ouvriers dans leurs tendances à devenir des groupes industriels syndicalistes.

    6. La tâche des communistes se réduit aux efforts qu'ils doivent faire pour que les syndicats et les Conseils industriels ouvriers se pénètrent du même esprit de résolution combative, de conscience et de compréhension des meilleurs méthodes de combat, c'est-à-dire de l'esprit communiste. Pour s'en acquitter, les communistes doivent soumettre, en fait, les syndicats et les Comités ouvriers au Parti Communiste et créer ainsi des organes prolétariens des masses qui serviront de base à un puissant Parti prolétarien centralisé, englobant toutes les organisations prolétariennes et les faisant toutes marcher dans la voie que conduit à la victoire de la classe ouvrière et à la dictature du prolétariat - au Communisme.

    7. Pendant que les communistes se font des syndicats et des Conseils industriels une arme puissante pour la Révolution, ces organisations des masses se préparent au grand rôle qui leur incombera avec l'établissement de la dictature du prolétariat. Ce sera en effet leur devoir de devenir la base socialiste de la nouvelle organisation de la vie économique. Les syndicats, organisés en qualité de piliers de l'industrie, s'appuyant sur les Conseils industriels ouvriers qui représenteront les organisations des fabriques et des usines, enseigneront aux masses ouvrières leur devoir industriel, formeront avec les ouvriers les plus avancés des directeurs d'entreprises, organiseront le contrôle technique des spécialistes ; ils étudieront et exécuteront, de concert avec les représentants du pouvoir ouvrier, les plans de la politique économique socialiste.


    III

     
     
    Les syndicats manifestaient en temps de paix des tendances à former une Union internationale. Pendant les grèves, les capitalistes recouraient à la main-d'œuvre des pays voisins et aux services des « renards » étrangers. Mais avant la guerre, l'Internationale syndicale n'avait qu'une importance secondaire. Elle s'occupait de l'organisation de secours financiers réciproques et d'un service de statistique concernant la vie ouvrière, mais elle ne cherchait pas à unifier la vie ouvrière parce que les syndicats dirigés par des opportunistes, faisaient leur possible pour se soustraire à toute lutte révolutionnaire internationale. Les leaders opportunistes des syndicats qui, pendant la guerre, furent les serviteurs fidèles de la bourgeoisie dans leurs pays respectifs, cherchent maintenant à restaurer l'Internationale syndicale en se faisant une arme du capitalisme universel international, dirigée contre le prolétariat. Ils créent avec Jouhaux, Gompers, Legien, etc., un « Bureau de Travail » auprès de la « Ligue des Nations », qui n'est autre chose qu'une organisation de brigandage capitaliste international. Ils tâchent d'étouffer dans tous les pays le mouvement gréviste en faisant décréter l'arbitrage obligatoire des représentants de l'Etat capitaliste. Ils cherchent partout à obtenir, à force de compromis avec les capitalistes, toutes espèces de faveurs pour les ouvriers capitalistes, afin de briser de cette manière l'union chaque jour plus étroite de la classe ouvrière. L'Internationale syndicale d'Amsterdam est donc la remplaçante de la 2° Internationale de Bruxelles en faillite. Les ouvriers communistes qui font partie des syndicats de tous les pays doivent, au contraire, travailler à la création d'un front syndicaliste international. Il ne s'agit plus de secours pécuniaires en cas de grève ; il faut désormais qu'au moment où le danger menacerait la classe ouvrière d'un pays, les syndicats des autres pays, en qualité d'organisations de masses, prennent sa défense et fassent tout pour empêcher la bourgeoisie de leur pays de venir en aide à celle qui est aux prises avec la classe ouvrière. Dans tous les Etats, la lutte économique du prolétariat devient de plus en plus révolutionnaire. Aussi les syndicats doivent-ils employer consciemment toute leur énergie à appuyer toute action révolutionnaire, tant dans leur propre pays que dans les autres. Ils doivent s'orienter dans ce but vers la plus grande centralisation de l'action, non seulement dans chaque pays à part, mais aussi dans l'Internationale ; ils le feront en adhérant à l'Internationale Communiste et en y fusionnant en une seule armée les divers éléments engagés dans le combat, afin qu'ils agissent de concert et se prêtent un concours mutuel.
     

     

    Thèses et additions sur les questions nationales et coloniales

     
    A. Thèses

    1. La position abstraite et formelle de la question de l'égalité - l'égalité des nationalités y étant incluse - est propre à la démocratie bourgeoise sous la forme de l'égalité des personnes, en général ; la démocratie bourgeoise proclame l'égalité formelle ou juridique du prolétaire, de l'exploiteur et de l'exploité, induisant ainsi les classes opprimées dans la plus profonde erreur. L'idée d'égalité, qui n'était que le reflet des rapports créés par la production pour le négoce, devient, entre les mains de la bourgeoisie, une arme contre l'abolition des classes combattue désormais au nom de l'égalité absolue des personnalités humaines. Quant à la signification véritable de la revendication égalitaire, elle ne réside que dans la volonté d'abolir les classe.

    2. Conformément à son but essentiel - la lutte contre la démocratie bourgeoise, dont il s'agit de démasquer l'hypocrisie - le Parti communiste, interprète conscient du prolétariat en lutte contre le joug de la bourgeoisie, doit considérer comme formant la clef de voûte de la question nationale, non des principes abstraits et formels, mais :

    - une notion claire des circonstances historiques et économiques ;
    - la dissociation précise des intérêts des classes opprimées, des travailleurs, des exploités, par rapport à la conception générale des soi-disant intérêts nationaux, qui signifient en réalité ceux des classes dominantes ;
    - la division tout aussi nette et précise des nations opprimées, dépendantes, protégées - et oppressives et exploiteuses, jouissant de tous les droits, contrairement à l'hypocrisie bourgeoise et démocratique qui dissimule, avec soin, l'asservissement (propre à 1'époque du capital financier de l'impérialisme) par la puissance financière et colonisatrice, de l'immense majorité des populations du globe à une minorité de riches pays capitalistes.

    2. La guerre impérialiste de 1914-1918 a mis en évidence devant toutes les nations et toutes les classes opprimées du monde la duperie des phraséologies démocratiques et bourgeoises - le traité de Versailles, dicté par les fameuses démocraties occidentales, ne faisant que sanctionner, à l'égard des nations faibles, des violences plus lâches et plus cyniques encore que celles des junkers et du kaiser à Brest-Litovsk. La Ligue des Nations et la politique de l'Entente dans leur ensemble ne font que confirmer ce fait et développer l'action révolutionnaire du prolétariat des pays avancés et des masses laborieuses des pays colonisés ou assujettis, hâtant ainsi la banqueroute des illusions nationales de la petite-bourgeoise, quant à la possibilité d'un paisible voisinage et d'une égalité véritable des nations, sous le régime capitaliste.

    4. Il résulte de ce qui précède que la pierre angulaire de la politique de l'Internationale Communiste, dans les questions coloniale et nationale, doit être le rapprochement des prolétaires et des travailleurs de toutes les nations et de tous les pays pour la lutte commune contre les possédants et la bourgeoisie. Car ce rapprochement est la seule garantie de notre victoire sur le capitalisme, sans laquelle ne peuvent être abolies ni les oppressions nationales, ni l'inégalité.

    5. La conjoncture politique mondiale actuelle met à l'ordre du jour la dictature du prolétariat ; et tous les événements de la politique mondiale se concentrent inévitablement autour d'un centre de gravité : la lutte de la bourgeoisie internationale contre la République des Soviets, qui doit grouper autour d'elle d'une part les mouvements soviétiques des travailleurs avancés de tous les pays, de l'autre tous les mouvements émancipateurs nationaux des colonies et des nationalités opprimées qu'une expérience amère a convaincues qu'il n'est pas de salut, pour elles, en dehors d'une alliance avec le prolétariat révolutionnaire et avec le pouvoir soviétique victorieux de l'impérialisme mondial.

    6. On ne peut donc plus se borner à reconnaître ou proclamer le rapprochement des travailleurs de tous les pays. Il est désormais nécessaire de poursuivre la réalisation de l'union la plus étroite de tous les mouvements émancipateurs nationaux et coloniaux avec la Russie des Soviets, en donnant à cette union des formes correspondantes au degré d'évolution du mouvement prolétarien parmi le prolétariat de chaque pays, ou du mouvement émancipateur démocrate bourgeois parmi les ouvriers et les paysans des pays arriérés ou de nationalités arriérées.

    7. Le principe fédératif nous apparaît comme une forme transitoire vers l'unité complète des travailleurs de tous les pays. Le principe fédératif a déjà montré pratiquement sa conformité au but poursuivi, tant au cours des relations entre la République Socialiste Fédérative des Soviets russes et les autres républiques des Soviets (hongroise, finlandaise, lettone, par le passé ; azerbaïdjane et ukrainienne, présentement), qu'au sein même de la République russe, à l'égard de nationalités qui n'avaient auparavant ni Etat, ni existence autonome (exemple les républiques autonomes des Bashkirs et des Tartares, créées en Russie soviétique en 1919 et 1920).

    8. La tâche de l'Internationale Communiste est d'étudier et de vérifier l'expérience (et le développement ultérieur) de ces nouvelles fédérations basées sur la forme soviétique et sur le mouvement soviétique. Considérant la fédération comme une forme transitoire vers l'unité complète, il nous est nécessaire de tendre à une union fédérative de plus en plus étroite, en tenant compte :

    - de l'impossibilité de défendre, sans la plus étroite union entre elles, les républiques soviétiques entourées d'ennemis impérialistes infiniment supérieurs par leur puissance militaire ;
    - de la nécessité d'une étroite union économique des républiques soviétiques, sans laquelle la réédification des forces productrices détruites par l'impérialisme, la sécurité et le bien-être des travailleurs ne peuvent être assurés ;
    - de la tendance à la réalisation d'un plan économique universel dont l'application régulière serait contrôlée par le prolétariat de tous les pays, tendance qui s'est manifestée avec évidence sous le régime capitaliste et doit certainement continuer son développement et arriver à la perfection par le régime socialiste.

    9. Dans le domaine des rapports sociaux à l'intérieur des Etats constitués, l'Internationale Communiste ne peut se borner à la reconnaissance formelle, purement officielle et sans conséquences pratiques, de l'égalité des nations, dont se contentent les démocrates bourgeois qui s'intitulent socialistes.

    Il ne suffit pas de dénoncer inlassablement dans toute la propagande et l'agitation des Partis communistes - et du haut de la tribune parlementaire comme en dehors d'elle - les violations constantes du principe de l'égalité des nationalités et des droits des minorités nationales, dans tous les Etats capitalistes (et en dépit de leurs « constitutions » démocratiques) ; il faut aussi démontrer sans cesse que le gouvernement des Soviets seul peut réaliser l'égalité des nationalités en unissant les prolétaires d'abord, l'ensemble des travailleurs ensuite, dans la lutte contre la bourgeoisie ; il faut aussi démontrer que le régime des Soviets assure un concours direct, par l'intermédiaire du Parti communiste, à tous les mouvements révolutionnaires des pays dépendants ou lésés dans leurs droits (par exemple, l'Irlande, les noirs d'Amérique, etc.) et des colonies.

    Sans cette condition particulièrement importante de la lutte contre l'oppression des pays asservis ou colonisés, la reconnaissance officielle de leur droit à l'autonomie, n'est qu'une enseigne mensongère, comme nous le voyons par la II° Internationale.

    10. C'est la pratique habituelle non seulement des partis du centre de la II° Internationale, mais aussi de ceux qui ont abandonné cette Internationale pour reconnaître l'internationalisme en paroles et pour lui substituer en réalité, dans la propagande, l'agitation et la pratique, le nationalisme et le pacifisme des petits-bourgeois. Cela se voit aussi parmi les partis qui s'intitulent maintenant communistes. La lutte contre ce mal et contre les préjugés petits-bourgeois les plus profondément ancrés (se manifestant sous des formes variées, telles que la haine des races, l'antagonisme national et l'antisémitisme) acquiert une importance d'autant plus grande que le problème de la transformation de la dictature prolétarienne nationale (qui n'existe que dans un pays et qui, par conséquent, est incapable d'exercer une influence sur la politique mondiale) en dictature prolétarienne internationale (celle que réaliseraient au moins plusieurs pays avancés et qui seraient capables d'exercer une influence décisive sur la politique mondiale) devient plus actuel. Le nationalisme petit-bourgeois restreint l'internationalisme à la reconnaissance du principe d'égalité des nations et (sans insister davantage sur son caractère purement verbal) conserve intact l'égoïsme national tandis que l'internationalisme prolétarien exige :

    La subordination des intérêts de la lutte prolétarienne dans un pays à l'intérêt de cette lutte dans le monde entier ;
    De la part des nations qui ont vaincu la bourgeoisie, le consentement aux plus grands sacrifices nationaux en vue du renversement du capital international. Dans le pays où le capitalisme atteint déjà son développement complet, où existent les partis ouvriers formant l'avant-garde du prolétariat, la lutte contre les déformations opportunistes et pacifistes de l'internationalisme, par la petite-bourgeoise, est donc un devoir immédiat des plus importants.

    11. A l'égard des Etats et des pays les plus arriérés, où prédominent des institutions féodales ou patriarcales rurales, il convient d'avoir en vue :

    La nécessité du concours de tous les partis communistes aux mouvements révolutionnaires d'émancipation dans ces pays, concours qui doit être véritablement actif et dont la forme doit être déterminée par le Parti communiste du pays, s'il en existe un. L'obligation de soutenir activement ce mouvement incombe naturellement en premier lieu aux travailleurs de la métropole ou du pays, dans la dépendance financière duquel se trouve le peuple en question ;
    La nécessité de combattre l'influence réactionnaire et moyenâgeuse du clergé, des missions chrétiennes et autres éléments ;

    Il est aussi nécessaire de combattre le panislamisme, le panasiatisme et autres mouvements similaires qui tâchent d'utiliser la lutte émancipatrice contre l'impérialisme européen et américain pour rendre plus fort le pouvoir des impérialistes turcs et japonais, de la noblesse, des grands propriétaires fonciers, du clergé, etc. ;

    Il est d'une importance toute spéciale de soutenir le mouvement paysan des pays arriérés contre les propriétaires fonciers, contre les survivances ou les manifestations de l'esprit féodal ; on doit avant tout s'efforcer de donner au mouvement paysan un caractère révolutionnaire, d'organiser partout où il est possible. les paysans et tous les opprimés en Soviets et ainsi de créer une liaison très étroite du prolétariat communiste européen et du mouvement révolutionnaire paysan de l'Orient, des colonies, et des pays arriérés en général ;

    Il est nécessaire de combattre énergiquement les tentatives faites par des mouvements émancipateurs qui ne sont en réalité ni communistes, ni révolutionnaires, pour arborer les couleurs communistes ; l'Internationale Communiste ne doit soutenir les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, qu'à la condition que les éléments des plus purs partis communistes - et communistes en fait - soient groupés et instruits de leurs tâches particulières, c'est-à-dire de leur mission de combattre le mouvement bourgeois et démocratique. L'Internationale Communiste doit entrer en relations temporaires et former aussi des unions avec les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, sans toutefois jamais fusionner avec eux, et en conservant toujours le caractère indépendant de mouvement prolétarien même dans sa forme embryonnaire ;

    Il est nécessaire de dévoiler inlassablement aux masses laborieuses de tous les pays, et surtout des pays et des nations arriérées. la duperie organisée par les puissances impérialistes, avec l'aide des classes privilégiées dans les pays opprimés, lesquelles font semblant d'appeler à l'existence des Etats politiquement indépendants qui, en réalité, sont des vassaux - aux points de vue économique, financier et militaire. Comme exemple frappant des duperies pratiquées à l'égard de la classe des travailleurs dans les pays assujettis par les efforts combinés de l'impérialisme des Alliés et de la bourgeoisie de telle ou telle nation, nous pouvons citer l'affaire des sionistes en Palestine, où, sous prétexte de créer un Etat juif, en ce pays où les juifs sont en nombre insignifiant, le sionisme a livré la population indignée des travailleurs arabes à l'exploitation de l'Angleterre. Dans la conjoncture internationale actuelle, il n'y a pas de salut pour les peuples faibles et asservis hors de la fédération des républiques soviétiques.

    12. L'opposition séculaire des petites nations et des colonies par les puissances impérialistes a fait naître, chez les masses laborieuses des pays opprimés, non seulement un sentiment de rancune envers les nations qui oppriment en général, mais encore un sentiment de défiance à l'égard du prolétariat des pays oppresseurs. L'infâme trahison des chefs officiels de la majorité socialiste en 1914-1919, alors que le socialisme chauvin qualifiait du nom de « défense nationale » la défense des « droits » de « sa bourgeoisie » à l'asservissement des colonies et à la mise en coupe réglée des pays financièrement dépendants, n'a pu qu'accroître cette défiance bien légitime. Ces préjugés ne pouvant disparaître qu'après la disparition du capitalisme et de l'impérialisme, dans les pays avancés, et après la transformation radicale de la vie économique des pays arriérés, leur extinction ne peut être que très lente, d'où le devoir, pour le prolétariat conscient de tous les pays, de se montrer particulièrement circonspect envers les survivances du sentiment national des pays opprimés depuis un temps très long, et de voir aussi à consentir à certaines concessions utiles en vue de hâter la disparition de ces préjugés et de cette défiance. La victoire sur le capitalisme est conditionnée par la bonne volonté d'entente du prolétariat d'abord et, ensuite, des masses laborieuses de tous les pays du monde et de toutes les nations.

    B. Thèses supplémentaires

    1. La fixation exacte des relations de l'Internationale communiste et du mouvement révolutionnaire dans les pays qui sont dominés par l'impérialisme capitaliste, en particulier de la Chine, est une des questions les plus importantes pour le 2° Congrès de l'Internationale Communiste. La révolution mondiale entre dans une période pour laquelle une connaissance exacte de ces relations est nécessaire. La grande guerre européenne et ses résultats ont montré très clairement que les masses des pays assujettis en dehors de l'Europe sont liées d'une façon absolue au mouvement prolétarien d'Europe, et que c'est là une conséquence inévitable du capitalisme mondial centralisé.

    2. Les colonies constituent une des principales sources des forces du capitalisme européen.

    Sans la possession des grands marchés et des grands territoires d'exploitation dans les colonies, les puissances capitalistes d'Europe ne pourraient pas se maintenir longtemps.

    L'Angleterre, forteresse de l'impérialisme, souffre de surproduction depuis plus d'un siècle. Ce n'est qu'en conquérant des territoires coloniaux, marchés supplémentaires pour la vente des produits de surproduction et sources de matières premières pour son industrie croissante, que l'Angleterre a réussi à maintenir, malgré ses charges, son régime capitaliste.

    C'est par l'esclavage des centaines de millions d'habitants de l'Asie et de l'Afrique que l'impérialisme anglais est arrivé à maintenir jusqu'à présent le prolétariat britannique sous la domination bourgeoise.

    3. La plus-value obtenue par l'exploitation des colonies, est un des appuis du capitalisme moderne. Aussi longtemps que cette source de bénéfices ne sera pas supprimée, il sera difficile à la classe ouvrière de vaincre le capitalisme.

    Grâce à la possibilité d'exploiter intensément la main-d'œuvre et les sources naturelles de matières premières des colonies, les nations capitalistes d'Europe ont cherché, non sans succès, à éviter par ces moyens leur banqueroute imminente.

    L'impérialisme européen a réussi dans ses propres pays à faire des concessions toujours plus grandes à l'aristocratie ouvrière. Tout en cherchant d'un côté à maintenir les conditions de vie des ouvriers dans les pays asservis à un niveau très bas, il ne recule devant aucun sacrifice et consent à sacrifier la plus-value dans ses propres pays, celle des colonies lui demeurant.

    4. La suppression par la révolution prolétarienne de la puissance coloniale de l'Europe renversera le capitalisme européen. La révolution prolétarienne et la révolution des colonies doivent concourir, dans une certaine mesure, à l'issue victorieuse de la lutte. L'Internationale Communiste doit donc étendre le cercle de son activité. Elle doit nouer des relations avec les forces révolutionnaires qui sont à l'œuvre pour la destruction de l'impérialisme dans les pays économiquement et politiquement dominés.

    5. L'Internationale Communiste concentre la volonté du prolétariat révolutionnaire mondial. Sa tâche est d'organiser la classe ouvrière du monde entier pour le renversement de l'ordre capitaliste et l'établissement du communisme.

    L'Internationale Communiste est un instrument de lutte qui a pour tâche de grouper toutes les forces révolutionnaires du monde.

    La II° Internationale, dirigée par un groupe de politiciens et pénétrée de conceptions bourgeoises, n'a donné aucune importance à la question coloniale. Le monde n'existait pour elle que dans les limites de l'Europe. Elle n'a pas vu la nécessité de rattacher le mouvement révolutionnaire des autres continents. Au lieu de prêter une aide matérielle et morale au mouvement révolutionnaire des colonies, les membres de la II° Internationale sont eux-mêmes devenus impérialistes.

    6. L'impérialisme étranger qui pèse sur les peuples orientaux, les a empêchés de se développer socialement et économiquement, simultanément avec les classes de l'Europe et de l'Amérique.

    Grâce à la politique impérialiste qui a entravé le développement industriel des colonies, une classe prolétarienne dans le sens propre de ce mot n'a pas pu y surgir, bien que, dans ces derniers temps, les métiers indigènes aient été détruits par la concurrence des produits des industries centralisées des pays impérialistes.

    La conséquence en a été que la grosse majorité du peuple s'est trouvée rejetée dans la campagne et obligée de s'y consacrer au travail agricole et à la production de matières premières pour l'exportation.

    La conséquence en a été une rapide concentration de la propriété agraire dans les mains soit des gros propriétaires fonciers, soit du capital financier, soit de l'Etat. De cette manière s'est créée une masse puissante de paysans sans terre. Et la grande masse de la population a été maintenue dans l'ignorance.

    Le résultat de cette politique est que, dans ceux d'entre ces pays où l'esprit révolutionnaire se manifeste, il ne trouve son expression que dans la classe moyenne cultivée.

    La domination étrangère entrave le libre développement des forces économiques. C'est pourquoi sa destruction est le premier pas de la révolution dans les colonies et c'est pourquoi l'aide apportée à la destruction de la domination étrangère dans les colonies n'est pas, en réalité, une aide apportée au mouvement nationaliste de la bourgeoisie indigène, mais l'ouverture du chemin pour le prolétariat opprimé lui-même.

    7. Il existe dans les pays opprimés deux mouvements qui, chaque jour, se séparent de plus en plus : le premier est le mouvement bourgeois démocratique nationaliste qui a un programme d'indépendance politique et d'ordre bourgeois ; l'autre est celui des paysans et des ouvriers ignorants et pauvres pour leur émancipation de toute espèce d'exploitation.

    Le premier tente de diriger le second et y a souvent réussi dans une certaine mesure. Mais l'Internationale Communiste et les partis adhérents doivent combattre cette tendance et chercher à développer les sentiments de classe indépendante dans les masses ouvrières des colonies.

    L'une des plus grandes tâches à cette fin est la formation de partis communistes qui organisent les ouvriers et les paysans et les conduisent à la révolution et à l'établissement de la République soviétique.

    8. Les forces du mouvement d'émancipation dans les colonies ne sont pas limitées au petit cercle du nationalisme bourgeois démocratique. Dans la plupart des colonies il y a déjà un mouvement social-révolutionnaire ou des partis communistes en relation étroite avec les masses ouvrières. Les relations de l'Internationale Communiste avec le mouvement révolutionnaire des colonies doivent servir ces partis ou ces groupes, car ils sont l'avant-garde de la classe ouvrière. S'ils sont faibles aujourd'hui, ils représentent cependant la volonté des masses et les masses les suivront dans la voie révolutionnaire. Les partis communistes des différents pays impérialistes doivent travailler en contact avec ces partis prolétariens dans les colonies et leur prêter une aide matérielle et morale.

    9. La révolution dans les colonies, dans son premier stade, ne peut pas être une révolution communiste, mais si dès son début, la direction est aux mains d'une avant-garde communiste, les masses ne seront pas égarées et dans les différentes périodes du mouvement leur expérience révolutionnaire ne fera que grandir.

    Ce serait certainement une grosse erreur que de vouloir appliquer immédiatement dans les pays orientaux à la question agraire, les principes communistes. Dans son premier stade, la révolution dans les colonies doit avoir un programme comportant des réformes petites-bourgeoises, telles que la répartition des terres. Mais il n'en découle pas nécessairement que la direction de la révolution doive être abandonnée à la démocratie bourgeoise. Le parti prolétarien doit au contraire développer une propagande puissante et systématique en faveur des Soviets, et organiser des Soviets de paysans et d'ouvriers. Ces Soviets devront travailler en étroite collaboration avec les républiques soviétiques des pays capitalistes avancés pour atteindre à la victoire finale sur le capitalisme dans le monde entier.

    Ainsi les masses des pays arriérés, conduites par le prolétariat conscient des pays capitalistes développés, arriveront au communisme sans passer par les différents stades du développement capitaliste.
     

     

     

    Thèses sur la question agraire
     


    1. Le prolétariat industriel des villes, dirigé par le Parti communiste, peut seul libérer les masses laborieuses des campagnes du joug des capitalistes et des propriétaires fonciers, de la désorganisation économique et des guerres impérialistes, qui recommenceront inévitablement si le régime capitaliste subsiste. Les masses laborieuses des campagnes ne pourront être libérées qu'à condition de prendre fait et cause pour le prolétariat communiste et de l'aider sans réserve dans sa lutte révolutionnaire pour le renversement du régime d'oppression des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie.

    D'un autre côté, le prolétariat industriel ne pourra s acquitter de sa mission historique mondiale, qui est l'émancipation de l'humanité du joug du capitalisme et des guerres, s'il se renferme dans les limites de ses intérêts particuliers et corporatifs et se borne placidement aux démarches et aux efforts tendant à l'amélioration de sa situation bourgeoise parfois très satisfaisante. C'est ainsi que se passent les choses dans nombre des pays avancés où existe une « aristocratie ouvrière », fondement des partis soi-disant socialistes de la II° Internationale, mais en réalité ennemis mortels du socialisme, traîtres envers sa doctrine, bourgeois chauvins et agents des capitalistes parmi les travailleurs. Le prolétariat ne pourra jamais être une force révolutionnaire active, une classe agissant dans l'intérêt du socialisme, s'il ne se conduit pas comme une avant-garde du peuple laborieux que l'on exploite, s'il ne se comporte pas comme le chef de guerre à qui incombe la mission de le conduire à l'assaut des exploiteurs ; mais jamais cet assaut ne réussira si les campagnes ne participent à la lutte des classes, si la masse des paysans laborieux ne se joint pas au parti communiste prolétarien des villes et si, enfin, ce dernier ne l'instruit pas.

    2. La masse des paysans laborieux que l'on exploite et que le prolétariat des villes doit conduire au combat, ou, tout au moins, gagner à sa cause, est représentée, dans tous les pays capitalistes, par :

    1°) Le prolétariat agricole composé de journaliers ou valets de ferme, embauchés à l'année, à terme ou à la journée, et qui gagnent leur vie par leur travail salarié dans les diverses entreprises capitalistes d'économie rurale et industrielle. L'organisation de ce prolétariat en une catégorie distincte et indépendante des autres groupes de la population des campagnes (au point de vue politique, militaire, professionnel, coopératif, etc.), une propagande intense dans ce milieu, destinée à l'amener au pouvoir soviétique et à la dictature du prolétariat, telle est la tâche fondamentale des partis communistes dans tous les pays ;

    2°) Les demi-prolétaires ou les paysans, travaillant en qualité d'ouvriers embauchés, dans diverses entreprises agricoles, industrielles ou capitalistes, ou cultivant le lopin de terre qu'ils possèdent ou louent et qui ne leur rapporte que le minimum nécessaire pour assurer l'existence de leur famille. Cette catégorie de travailleurs ruraux est très nombreuse dans les pays capitalistes ; les représentants de la bourgeoisie et les « socialistes » jaunes de la II° Internationale, cherchent à dissimuler ses conditions d'existence véritables, particulièrement la situation économique ; tantôt en trompant sciemment les ouvriers, tantôt par suite de leur propre aveuglement, qui provient des idées routinières de la bourgeoisie ; ils confondent volontiers ce groupe avec la grande masse des « paysans ». Cette manœuvre, foncièrement bourgeoise, en vue de duper les ouvriers, est surtout pratiquée en Allemagne, en France, en Amérique, et dans quelques autres pays. En organisant bien le travail du Parti communiste, ce groupe social pourra devenir un fidèle soutien du communisme, car la situation de ces demi-prolétaires est très précaire et l'adhésion leur vaudra des avantages énormes et immédiats.

    Dans certains pays, il n'existe pas de distinction claire entre ces deux premiers groupes ; il serait donc loisible, suivant les circonstances, de leur donner une organisation commune ;

    3°) Les petits propriétaires, les petits fermiers qui possèdent ou louent de petits lopins de terre et peuvent satisfaire aux besoins de leur ménage et de leur famille sans embaucher des travailleurs salariés. Cette catégorie de ruraux a beaucoup à gagner à la victoire du prolétariat ; le triomphe de la classe ouvrière donne aussitôt à chaque représentant de ce groupe les biens et les avantages qui suivent :

    a) Non-paiement du prix du bail et abolition du métayage (il en serait ainsi en France, en Italie, etc.) payés jusqu'à présent aux grands propriétaires fonciers ;

    b) Abolition des dettes hypothécaires ;

    c) Emancipation de l'oppression économique exercée par les grands propriétaires fonciers, laquelle se présente sous les aspects les plus divers (droit d'usage des bois et forets, de friches, etc.) ;

    d) Secours agricole spécial et financier immédiat du pouvoir prolétarien, notamment secours en outillage agricole ; octroi de constructions se trouvant sur le territoire de vastes domaines capitalistes expropriés par le prolétariat, transformation immédiate par le gouvernement prolétarien de toutes les coopératives rurales et des compagnies agricoles, qui n'étaient avantageuses sous le régime capitaliste qu'aux paysans riches et aisés, en organisations économiques ayant pour but de secourir, en premier lieu, la population pauvre, c'est-à-dire les prolétaires, les demi-prolétaires et les paysans pauvres.

    Le Parti communiste doit aussi comprendre que pendant la période de transition du capitalisme au communisme, c'est-à-dire pendant la dictature du prolétariat, cette catégorie de la population rurale manifestera des hésitations plus ou moins sensibles et un certain penchant à la liberté du commerce et à la propriété privée ; car, nombre de ceux qui la composent faisant, au moins dans une petite mesure, le commerce des articles de première nécessité, sont déjà démoralisés par la spéculation et par leurs habitudes de propriété. Si, cependant, le gouvernement prolétarien réalise, dans cette question, une politique ferme et inexorable, et si le prolétariat vainqueur écrase sans merci les gros propriétaires fonciers et les paysans aisés, ces hésitations ne sauront être de longue durée et ne pourront modifier ce fait indubitable qu'en fin de compte le groupe dont il s'agit sympathise avec la révolution prolétarienne.

    3. Ces trois catégories de la population rurale, prises ensemble, forment, dans tous les pays capitalistes, la majorité de la population. Le succès d'un coup d'Etat prolétarien, tant dans les villes que dans les villages, peut donc être considéré comme indiscutable et certain. L'opinion opposée est cependant très en faveur dans la société actuelle. En voici les raisons : elle ne se maintient qu'à force d'agissements trompeurs de la science :
    de la statistique bourgeoise qui cherche à voiler par tous les moyens en son pouvoir l'insondable abîme qui sépare ces classes rurales de leurs exploiteurs, les propriétaires fonciers et les capitalistes, ainsi que les demi-prolétaires et les paysans pauvres des paysans aisés ;

    cette opinion persiste grâce à la maladresse des héros de la II° Internationale Jaune et de « l'aristocratie ouvrière » dépravée par les privilèges impérialistes, et à la mauvaise volonté qu'ils mettent à faire, parmi les paysans pauvres, une propagande prolétarienne et révolutionnaire vigoureuse et un bon travail d'organisation ; les opportunistes employaient et emploient toujours leurs efforts à imaginer diverses variétés d'accord pratiques et théoriques avec la bourgeoisie, y compris les paysans riches et aisés, et ne pensent nullement au renversement révolutionnaire du gouvernement bourgeois et de la bourgeoisie elle-même ;

    enfin, l'opinion dont il s'agit se maintient jusqu'ici grâce à un préjuge opiniâtre et, pour ainsi dire, inébranlable, parce qu'il se trouve étroitement uni à tous les autres préjugés du parlementarisme et de la bourgeoisie démocratique ; ce préjugé consiste dans la non-compréhension d'une vérité parfaitement démontrée par le marxisme théorique et suffisamment prouvée par l'expérience de la révolution prolétarienne russe ; cette vérité est que les trois catégories de la population rurale dont nous avons parlé, abruties, désunies, opprimées et vouées, dans les pays même les plus civilisés, à une existence demi-barbare, ont, par conséquent, un intérêt économique, social et intellectuel à la victoire du socialisme, mais ne peuvent néanmoins appuyer vigoureusement le prolétariat révolutionnaire qu'après la conquête du pouvoir politique, lorsqu'il aura fait justice des gros propriétaires fonciers et capitalistes mettant ainsi les masses rurales dans l'obligation de constater qu'elles ont, en lui, un chef et un défenseur organisé, assez puissant pour les diriger et leur montrer la bonne voie.

    4. Les « paysans moyens » sont au point de vue économique de petits propriétaires ruraux qui possèdent ou prennent à terme, eux aussi, des lopins de terre peu considérables sans doute, mais leur permettant quand même, sous le régime capitaliste, non seulement de nourrir leur famille et d'entretenir en bon état leur petite propriété rurale, mais de réaliser encore un excédent de bénéfices, pouvant, tout au moins dans les années de bonne récolte, être transformé en économies relativement importantes ; ces paysans embauchent assez souvent des ouvriers (par exemple, deux ou trois ouvriers par entreprises) dont ils ont besoin pour toutes sortes de travaux. On pourrait citer ici l'exemple concret de « paysans moyens » d'un pays capitaliste avancé : ceux de l'Allemagne. Il y avait, en Allemagne, d'après le recensement de 1907, une catégorie de propriétaires ruraux possédant chacun de cinq à dix hectares, dans les propriétés desquels le nombre des ouvriers embauchés s'élevait presque au tiers du chiffre total des travailleurs des champs. En France, où les cultures spéciales, comme la viticulture, sont plus développées, et où la terre demande beaucoup plus d'effort et de soins, les propriétés rurales de cette catégorie emploient probablement un nombre plus important de travailleurs salariés.

    Pour son avenir le plus rapproché et pour toute la première période de sa dictature, le prolétariat révolutionnaire ne peut pas se donner comme tâche la conquête politique de cette catégorie rurale et doit se borner à sa neutralisation, dans la lutte qui se livre entre le prolétariat et la bourgeoisie. Le penchant de cette couche de la population tantôt vers un parti politique, tantôt vers un autre, est inévitable et, probablement, sera-t-il au commencement de la nouvelle époque et dans les pays foncièrement capitalistes, favorable à la bourgeoisie. Tendance d'ailleurs fort naturelle, l'esprit de propriété privée jouant chez elle un rôle prépondérant. Le prolétariat vainqueur améliorera immédiatement la situation économique de cette couche de la population en supprimant le système du bail, les dettes hypothécaires et en introduisant dans l'agriculture l'usage des machines et l'emploi de l'électricité. Cependant, dans la plupart des pays capitalistes, le pouvoir prolétarien ne devra pas abolir sur le champ et complètement le droit de propriété privée, mais il devra affranchir cette classe de toutes les obligations et impositions auxquelles elle est sujette de la part des propriétaires fonciers ; le pouvoir soviétique assurera aux paysans pauvres et d'aisance moyenne la possession de leurs terres, dont il cherchera même à augmenter la superficie, en mettant les paysans en possession de terres qu'ils affermaient autrefois (abolition du fermage).

    Toutes ces mesures, suivies d'une lutte sans merci contre la bourgeoisie, assureront le succès complet de la politique de neutralisation. C'est avec la plus grande circonspection que le pouvoir prolétarien doit passer à l'agriculture collectiviste, progressivement, à force d'exemples, et sans la moindre mesure de coercition à l'égard des paysans « moyens ».

    5. Les paysans riches et aisés sont les entrepreneurs capitalistes de l'agriculture ; ils cultivent habituellement leurs terres avec le concours des travailleurs salariés et ne sont rattachés à la classe paysanne que par leur développement intellectuel très restreint, par leur vie rustique et par le travail personnel qu'ils font en commun avec les ouvriers qu'ils embauchent. Cette couche de la population rurale est très nombreuse et représente en même temps l'adversaire le plus invétéré du prolétariat révolutionnaire. Aussi, tout le travail politique des partis communistes dans les campagnes doit-il se concentrer dans la lutte contre cet élément, pour émanciper la majorité de la population rurale laborieuse et exploitée, de l'influence morale et politique, si pernicieuse, de ces exploiteurs ruraux.

    Il est bien possible que, dès la victoire du prolétariat dans les villes, ces éléments aient recours à des actes de sabotage et même à des prises d'armes, manifestement contre-révolutionnaires. Aussi, le prolétariat révolutionnaire devra-t-il commencer sur-le-champ la préparation intellectuelle et organisatrice de toutes les forces dont il aura besoin pour les désarmer et pour leur porter, tandis qu'il renversera le régime capitaliste et industriel, le coup de grâce. A cet effet, le prolétariat révolutionnaire des villes devra armer ses alliés ruraux et organiser, dans tous les villages des soviets où nul exploiteur ne sera admis et où les prolétaires et les demi-prolétaires seront appelés à jouer le rôle prépondérant. Même dans ce cas cependant, la tâche immédiate du prolétariat vainqueur ne devra pas comporter l'expropriation des grandes propriétés paysannes, parce que à ce moment même les conditions matérielles et, en partie, techniques et sociales, nécessaires à la socialisation des grandes propriétés, ne seront pas encore réalisées. Tout porte à croire que, dans certains cas isolés, des terres affermées ou strictement nécessaires aux paysans pauvres du voisinage seront confisquées ; on accordera également à ces derniers, l'usage gratuit, à certaines conditions toutefois, d'une partie de l'outillage agricole des propriétaires ruraux riches ou aisés. Mais, en règle générale, le pouvoir prolétarien devra laisser leurs terres aux paysans riches et aisés et ne s'en emparer que dans le cas d'une opposition manifeste à la politique et aux prescriptions du pouvoir des travailleurs. Cette ligne de conduite est nécessaire, l'expérience de la révolution prolétarienne russe, où la lutte contre les paysans riches et aisés traîne en longueur dans des conditions très complexes, ayant démontré que ces éléments de la population rurale, douloureusement frappés pour toutes leurs tentatives de résistance, même les moindres, sont pourtant capables de s'acquitter loyalement des travaux que leur confie l'Etat prolétarien et commencent même, quoique très lentement, à se pénétrer de respect envers le pouvoir qui défend tout travailleur et écrase impitoyablement le riche oisif.

    Les conditions spéciales qui ont compliqué et retardé la lutte du prolétariat russe, vainqueur de la bourgeoisie, contre les paysans riches, dérivaient uniquement du fait qu'après l'événement du 25 octobre 1917, la révolution russe avait traversé une phase « démocratique »- c'est-à-dire, au fond, bourgeoise démocratique - de lutte des paysans contre les propriétaires fonciers ; on doit encore ces conditions spéciales à la faiblesse numérique et à l'état arriéré du prolétariat des villes et, enfin, à l'immensité du pays et au délabrement de ses voies de communication. Mais les pays avancés de l'Europe et de l'Amérique ignorent toutes ces causes de retard, et c'est pourquoi leur prolétariat révolutionnaire doit briser plus énergiquement, plus rapidement, avec plus de décision et beaucoup plus de succès, la résistance des paysans riches et aisés et leur ôter, à l'avenir, toute possibilité d'opposition. Cette victoire de la masse des prolétaires, des demi-prolétaires et des paysans, est absolument indispensable, et tant qu'elle n'aura pas été remportée, le pouvoir prolétarien ne pourra se considérer comme une autorité stable et ferme.

    6. Le prolétariat révolutionnaire doit confisquer immédiatement et sans réserve toutes les terres appartenant aux grands propriétaires fonciers, c'est-à-dire à toutes les personnes exploitant systématiquement, dans les pays capitalistes, que ce soit de façon directe ou par l'entremise de leurs fermiers, les travailleurs salariés, les paysans pauvres et même, assez souvent, les paysans moyens de la région, à tous les propriétaires qui ne participent aucunement au travail physique dans la plupart des cas, descendants des barons féodaux (nobles de Russie, d'Allemagne et de Hongrie, seigneurs restaurés de France, lords anglais, anciens possesseurs d'esclaves en Amérique), magnats de la haute finance ou, enfin, ceux qui sont issus de ces deux catégories d'exploiteurs et de fainéants.

    Les partis communistes doivent s'opposer énergiquement à l'idée d'accorder une indemnité aux grands propriétaires fonciers expropriés et lutter contre toute propagande en ce sens ; les partis communistes ne doivent pas oublier que le versement d'une semblable. indemnité serait une trahison envers le socialisme et une contribution nouvelle imposée aux masses exploitées, accablées par le fardeau de la guerre qui a multiplié le nombre des millionnaires et a accru leurs fortunes.

    Dans les pays capitalistes avancés, l'Internationale Communiste estime qu'il serait bon et pratique de maintenir intactes les grandes propriétés agricoles et de les exploiter de la même façon que les « propriétés soviétiques » russes.

    Quant à la culture des terres enlevées par le prolétariat vainqueur aux grands propriétaires fonciers, en Russie, elles étaient jusqu'à présent partagées entre les paysans ; c'est que le pays est très arriéré au point de vue économique. Dans des cas très rares le gouvernement prolétarien russe a maintenu en son pouvoir des propriétés rurales dites « soviétiques » et que l'Etat prolétarien exploite lui-même, en transformant les anciens ouvriers salariés en « délégués de travail » ou en membres de soviets.

    La conservation des grands domaines sert mieux les intérêts des éléments révolutionnaires de la population, surtout des agriculteurs qui ne possèdent point de terres, des demi-prolétaires et des petits propriétaires qui vivent souvent de leur travail dans les grandes entreprises. En outre, la nationalisation des grands domaines rend la population urbaine moins dépendante à l'égard des campagnes au point de vue du ravitaillement.

    Là où subsistent encore des vestiges du système féodal, où les privilèges des propriétaires fonciers engendrent des formes spéciales d'exploitation, où l'on voit encore le « servage » et le « métayage », il est nécessaire de remettre aux paysans une partie du sol des grands domaines.

    Dans les pays où les grands domaines sont en nombre insignifiant, où un grand nombre de petits tenanciers demandent des terres, la distribution des grands domaines en lots peut être un moyen sûr pour gagner les paysans à la révolution, alors que la conservation de ces quelques grands domaines ne serait d'aucun intérêt pour les villes, au point de vue du ravitaillement.

    La première et la plus importante tâche du prolétariat est de s'assurer une victoire durable. Le prolétariat ne doit pas redouter une baisse de la production, si cela est nécessaire, pour le succès de la révolution. Ce n'est qu'en maintenant la classe moyenne des paysans dans la neutralité et en s'assurant l'appui de la majorité, si ce n'est de la totalité, des prolétaires des campagnes, que l'on pourra assurer au pouvoir prolétarien une existence durable.

    Toutes les fois que les terres des grands propriétaires fonciers seront distribuées, les intérêts du prolétariat agricole devront passer avant tout.

    Tout l'outillage agricole et technique des grandes propriétés foncières et rurales doit être confisqué et remis à l'Etat, à condition toutefois, qu'après la distribution de cet outillage, en quantité suffisante, aux grandes propriétés rurales de l'Etat, les petits paysans puissent en profiter gratuitement, en se conformant aux règlements élaborés à ce sujet par le pouvoir prolétarien.

    Si, tout au commencement de la révolution prolétarienne, la confiscation immédiate des grandes propriétés foncières, ainsi que l'expulsion ou l'internement de leurs propriétaires, leaders de la contre-révolution et oppresseurs impitoyables de toute la population rurale, sont absolument nécessaires, le pouvoir prolétarien doit tendre systématiquement, au fur et à mesure de la consolidation de sa position dans les villes et les campagnes, à l'utilisation des forces de cette classe, qui possède une expérience précieuse des connaissances et des capacités organisatrices, pour créer avec son concours, et sous le contrôle de communistes éprouvés, une vaste agriculture soviétique.

    7. Le socialisme ne vaincra définitivement le capitalisme et ne sera à jamais affermi qu'au moment où le pouvoir gouvernemental prolétarien, ayant réprimé toute résistance des exploiteurs et assuré son autorité, aura réorganisé toute l'industrie sur la base d'une nouvelle production collectiviste et sur un nouveau fondement technique (application générale de l'énergie électrique dans toutes les branches de l'agriculture et de l'économie rurale). Cette réorganisation seule peut donner aux villes la possibilité d'offrir aux campagnes arriérées une aide technique et sociale susceptible de déterminer un accroissement extraordinaire de la productivité du travail agricole et rural et d'engager, par l'exemple, les petits laboureurs à passer, dans leur propre intérêt, progressivement, à une culture collectiviste mécanique.

    C'est précisément dans les campagnes que la possibilité d'une lutte victorieuse pour la cause socialiste exige de la part de tous les partis communistes un effort pour susciter, parmi le prolétariat industriel, le sentiment de la nécessité des sacrifices à consentir pour le renversement de la bourgeoisie et pour la consolidation du pouvoir prolétarien ; chose absolument nécessaire parce que la dictature du prolétariat signifie qu'il sait organiser et conduire les travailleurs exploités et que son avant-garde est toujours prête, pour atteindre ce but, au maximum d'efforts héroïques et de sacrifices ; en outre, pour remporter la victoire définitive, le socialisme exige que les masses laborieuses les plus exploitées des campagnes puissent voir, dès la victoire des ouvriers, leur situation presque immédiatement améliorée aux dépens des exploiteurs ; s'il n'en était pas ainsi, le prolétariat industriel ne pourrait pas compter sur l'appui des campagnes et ne pourrait pas, de ce fait, assurer le ravitaillement des villes.

    8. Les difficultés énormes que présentent l'organisation et la préparation à la lutte révolutionnaire de la masse des travailleurs ruraux que le régime capitaliste avait abrutis, éparpillés et asservis, à peu près autant qu'au moyen-âge, exige de la part des partis communistes, la plus grande attention envers le mouvement gréviste rural, l'appui vigoureux et le développement intense des grèves de masses de prolétaires et des demi-prolétaires ruraux. L'expérience des révolutions russes de 1905 et 1917, confirmée et complétée actuellement par celle de la révolution allemande et d'autres pays avancés, prouve que seul le mouvement gréviste, progressant sans cesse (avec la participation, dans certaines conditions, des « petits paysans ») peut tirer les villages de leur léthargie, réveiller chez les paysans la conscience de classe et le sentiment de la nécessité d'une organisation de classe des masses rurales exploitées et montrer clairement aux habitants de la campagne l'importance pratique de leur union avec les travailleurs des villes. A ce point de vue, la création de syndicats ouvriers agricoles et la collaboration des communistes dans les organisations d'ouvriers agricoles et forestiers sont de la plus haute importance. Les communistes doivent particulièrement soutenir les organisations formées par la population agricole étroitement liée au mouvement ouvrier révolutionnaire. Une propagande énergique doit être faite parmi les paysans prolétaires.

    Le Congrès de l'Internationale Communiste flétrit et condamne sévèrement les socialistes félons et traîtres que l'on trouve malheureusement, non seulement au sein de la l'Internationale Jaune, mais aussi parmi les trois partis européens les plus importants, sortis de cette Internationale ; le congrès voue à la honte les socialistes capables non seulement de considérer d'un œil indifférent le mouvement gréviste rural, mais encore de lui résister (comme K. Kautsky), de peur qu'il n'en résulte une réduction du ravitaillement. Tous les programmes et toutes les déclarations les plus solennels n'ont aucune valeur, s'il n'est pas possible de prouver pratiquement que les communistes et les leaders ouvriers savent mettre au-dessus de toutes choses le développement de la révolution prolétarienne et sa victoire, qu'ils savent consentir pour elle aux sacrifices les plus pénibles, parce qu'il n'est pas d'autres issues, pas d'autres moyens pour vaincre la famine et la désorganisation économique et pour conjurer de nouvelles guerres impérialistes.

    9. Les partis communistes doivent faire tout ce qui dépend d'eux pour commencer au plus tôt l'organisation des soviets dans les campagnes et en premier lieu, des soviets qui représenteraient des travailleurs salariés et les demi-prolétaires. Ce n'est qu'en coopération étroite avec le mouvement gréviste des masses et avec la classe la plus opprimée que les soviets seront à même de s'acquitter de leur mission et deviendront assez forts pour soumettre à leur influence (et les incorporer par la suite) les « petits paysans ». Si cependant le mouvement gréviste n'est pas encore assez développé et la capacité d'organisation du prolétariat rural est encore trop faible, tant à cause de l'oppression des propriétaires fonciers et des paysans riches, que de l'insuffisance de l'appui fourni par les ouvriers industriels et par leurs syndicats, la création des soviets dans les campagnes demande une longue préparation ; elle doit être faite par la création des foyers communistes, par une propagande active, en termes clairs et nets, des aspirations communistes que l'on expliquera à force d'exemples illustrant les diverses méthodes d'exploitation et d'oppression, et enfin au moyen de tournées de propagande systématiques des les travailleurs industriels dans les campagnes.
     
     

     

    Le Parti Communiste et le parlementarisme
     
     

    I. - LA NOUVELLE ÉPOQUE ET LE NOUVEAU PARLEMENTARISME


    L'attitude des partis socialistes à l'égard du parlementarisme consistait à l'origine, à l'époque de la Première Internationale, à utiliser les Parlements bourgeois pour l'agitation. On envisageait la participation à l'action parlementaire du point de vue du développement de la conscience de classe, c'est-à-dire de l'éveil de l'hostilité des classes prolétariennes contre les classes dirigeantes. Cette attitude se modifia, non sous l'influence d'une théorie, mais sous celle du progrès politique. Par suite de l'augmentation incessante des forces productrices et de l'élargissement du domaine de l'exploitation capitaliste, le capitalisme et, avec lui, les Etats parlementaires acquirent une stabilité durable.

    De là, l'adaptation de la tactique parlementaire des partis socialistes à l'action législative « organique » des Parlements bourgeois et l'importance toujours croissante de la lutte pour l'introduction des réformes dans les cadres du capitalisme, la prédominance du programme minimum des partis socialistes, la transformation du programme maximum en une plate-forme destinée aux discussions sur un « but final » éloigné. Sur cette base se développèrent l'arrivisme parlementaire, la corruption, la trahison ouverte ou camouflée des intérêts primordiaux de la classe ouvrière.

    L'attitude de la III° Internationale envers le parlementarisme n'est pas déterminée par une nouvelle doctrine, mais par la modification du rôle du parlementarisme même. A l'époque précédente, le Parlement, instrument du capitalisme en voie de développement, a, dans un certain sens, travaillé pour le progrès historique. Dans les conditions actuelles, caractérisées par le déchaînement de l'impérialisme, le Parlement est devenu un instrument de mensonge, de fraude, de violences, de destruction, d'actes de brigandage, œuvres de l'impérialisme ; les réformes parlementaires, dépourvues d'esprit de suite et de stabilité et conçues sans plan d'ensemble, ont perdu toute importance pratique pour les masses laborieuses.

    Le parlementarisme a perdu sa stabilité de même que toute la société bourgeoise. La transition de la période organique à la période critique crée une nouvelle base à la tactique du prolétariat dans le domaine parlementaire. C'est ainsi que le parti ouvrier russe (le parti bolchevik) détermina déjà les bases du parlementarisme révolutionnaire à l'époque antérieure, la Russie ayant perdu depuis 1905 son équilibre politique et social et étant entrée dès lors dans une période de tourmentes et de bouleversements.

    Quand des socialistes, aspirant au communisme, soulignent que l'heure de la révolution n'est pas encore venue dans leurs pays et se refusent à se séparer des opportunistes parlementaires, ils procèdent, au fond, d'une représentation, consciente ou inconsciente, de la période qui s'ouvre, considérée comme une période de stabilité relative de la société impérialiste et pensent pour cette raison qu'une collaboration avec les Turati et les Longuet peut donner sur cette base des résultats pratiques dans la lutte pour les réformes.

    Le communisme doit prendre pour point de départ l'étude théorique de notre époque (apogée du capitalisme, tendances de l'impérialisme à sa propre négation et à sa propre destruction, aggravation continue de la guerre civile, etc.). Les formes des relations politiques et des groupements peuvent différer dans les divers pays, mais le fond des choses reste le même partout : il s'agit pour nous de la préparation immédiate, politique et technique, du soulèvement prolétarien qui doit détruire le pouvoir bourgeois et établir le nouveau pouvoir prolétarien.

    Pour les communistes, le Parlement ne peut être en aucun cas, à l'heure actuelle, le théâtre d'une lutte pour des réformes et pour l'amélioration de la situation de la classe ouvrière, comme il arriva à certains moments, à l'époque antérieure. Le centre de gravité de la vie politique actuelle est complètement définitivement sorti du Parlement. D'autre part, la bourgeoisie est obligée, par ses rapports avec les masses laborieuses et aussi par suite des rapports complexes existant au sein des classes bourgeoises, de faire approuver de diverses façons certaines de ses actions par le Parlement, où les coteries se disputent le pouvoir, manifestent leurs forces et leurs faiblesses, se compromettent, etc.

    Aussi le devoir historique immédiat de la classe ouvrière est-il d'arracher ces appareils aux classes dirigeantes, de les briser, de les détruire et de leur substituer les nouveaux organes du pouvoir prolétarien. L'état-major révolutionnaire de la classe ouvrière est d'ailleurs profondément intéressé à avoir dans les institutions parlementaires de la bourgeoisie des éclaireurs qui faciliteront son œuvre de destruction. On voit clairement dès lors la différence essentielle entre la tactique des communistes allant au Parlement à des fins révolutionnaires, et celle du parlementarisme socialiste qui commence par reconnaître la stabilité relative, la durée indéfinie du régime. Le parlementarisme socialiste se donne pour tâche d'obtenir à tout prix des réformes ; il est intéressé à ce que chaque conquête soit mise par les masses au compte du parlementarisme socialiste (Turati, Longuet et Cie).

    Le vieux parlementarisme d'adaptation est remplacé par un parlementarisme nouveau, qui est l'un des moyens de détruire le parlementarisme en général. Mais les traditions écœurantes de l'ancienne tactique parlementaire rapprochent certains éléments révolutionnaire des antiparlementaires par principe (les I.W.W., les syndicalistes révolutionnaires, le Parti ouvrier communiste d'Allemagne).

    Considérant cette situation, le II° Congrès de l'Internationale Communiste arrive aux conclusions suivantes :

    II. - LE COMMUNISME, LA LUTTE POUR LA DICTATURE DU PROLÉTARIAT ET « POUR L'UTILISATION » DU PARLEMENT BOURGEOIS

    1

    1.Le parlementarisme de gouvernement est devenu la forme « démocratique » de la domination de la bourgeoisie, à laquelle il faut, à un moment donné de son développement, une fiction de représentation populaire exprimant en apparence la « volonté du peuple » et non celle des classes, mais constituant en réalité, aux mains du Capital régnant, un instrument de coercition et d'oppression.

    2. Le parlementarisme est une forme déterminée de l'Etat. Aussi ne convient-il en aucune façon à la société communiste, qui ne connaît ni classes, ni lutte de classes, ni pouvoir gouvernemental d'aucune sorte.

    3. Le parlementarisme ne peut pas être non plus la forme du gouvernement « prolétarien » dans la période de transition de la dictature de la bourgeoisie à la dictature du prolétariat. Au moment le plus grave de la lutte de classes, lorsque celle-ci se transforme en guerre civile, le prolétariat doit bâtir inévitablement sa propre organisation gouvernementale, considérée comme une organisation de combat dans laquelle les représentants des anciennes classes dominantes ne seront pas admis ; toute fiction de volonté populaire est, au cours de cette phase, nuisible au prolétariat ; celui-ci n'a nul besoin de la séparation parlementaire des pouvoirs, qui ne pourrait que lui être néfaste ; la République des Soviets est la forme de la dictature du prolétariat.

    4. Les Parlements bourgeois, constituant un des principaux appareils de la machine gouvernementale de la bourgeoisie, ne peuvent pas plus être conquis par le prolétariat que l'Etat bourgeois, en général. La tâche du prolétariat consiste à faire sauter la machine gouvernementale de la bourgeoisie, à la détruire, y compris les institutions parlementaires, que ce soit celles des Républiques ou celles des monarchies constitutionnelles.

    5. Il en est de même des institutions municipales ou communales de la bourgeoisie, qu'il est théoriquement faux d'opposer aux organes gouvernementaux. A la vérité, elles font aussi partie du mécanisme gouvernemental de la bourgeoisie : elles doivent être détruites par le prolétariat révolutionnaire et remplacées par les Soviets de députés ouvriers.

    6. Le communisme se refuse donc à voir dans le parlementarisme une des formes de la société future ; il se refuse à y voir la forme de la dictature de classe du prolétariat ; il nie la possibilité de la conquête durable des Parlements ; il se donne pour but l'abolition du parlementarisme. Il ne peut dès lors être question de l'utilisation des institutions gouvernementales bourgeoises qu'en vue de leur destruction. C'est dans ce sens et uniquement dans ce sens que la question peut être posée.


    II
     

    7. Toute lutte de classes est une lutte politique, car elle est, en fin de compte, une lutte pour le pouvoir. Toute grève, étendue à un pays entier, devient une menace pour l'Etat bourgeois et acquiert par là même un caractère politique. S'efforcer de renverser la bourgeoisie et de détruire l'Etat bourgeois, c'est soutenir une lutte politique. Nous devons créer un appareil de gouvernement et de coercition prolétarien, de classe, contre la bourgeoisie réfractaire ; c'est, quel que soit cet appareil, conquérir le pouvoir politique.

    8. La lutte politique ne se réduit donc nullement à une question d'attitude envers le parlementarisme. Elle embrasse toute la lutte de la classe du prolétariat, pour autant que cette lutte cesse d'être locale et partielle et tend au renversement du régime capitaliste en général.

    9. La méthode fondamentale de la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, c'est-à-dire contre son pouvoir gouvernemental, est avant tout celle des actions en masse. Ces dernières sont organisées et dirigées par les organisations de masse du prolétariat (syndicats, partis, soviets), sous la conduite générale du Parti communiste, solidement uni, discipliné et centralisé. La guerre civile est une guerre. Dans cette guerre, le prolétariat doit avoir de bons cadres politiques et un bon état-major politique dirigeant toutes les opérations dans tous les domaines de l'action.

    10. La lutte des masses constitue tout un système d'actions en voie de développement, qui s'avivent par leur forme même et mènent logiquement à l'insurrection contre l'Etat capitaliste. Dans cette lutte de masse, appelée à se transformer en guerre civile, le parti dirigeant du prolétariat doit, en règle générale, fortifier toutes ses positions légales, en faire des points d'appui secondaires de son action révolutionnaire et les subordonner au plan de la campagne principale, c'est-à-dire à la lutte des masses.

    11. La tribune du Parlement bourgeois est un de ces points d'appui secondaires. On ne peut pas invoquer contre l'action parlementaire, la qualité bourgeoise de l'institution même. Le Parti communiste y entre non pour s'y livrer à une action organique, mais pour saper de l'intérieur la machine gouvernementale et le Parlement (exemples : l'action de Liebknecht en Allemagne, celle des bolcheviks à la Douma du tsar, à la « Conférence démocratique » et au « Préparlement » de Kérenski, à l'Assemblée constituante, dans les municipalités ; enfin, l'action des communistes bulgares).

    12.Cette action parlementaire, qui consiste surtout à user de la tribune parlementaire à des fins d'agitation révolutionnaire, à dénoncer les manœuvres de l'adversaire, à grouper autour de certaines idées les masses qui, surtout dans les pays arriérés, considèrent la tribune parlementaire, avec de grandes illusions démocratiques, doit être totalement subordonnée aux buts et aux tâches de la lutte extraparlementaire des masses.

    La participation aux campagnes électorales et la propagande révolutionnaire du haut de la tribune parlementaire ont une signification particulière pour la conquête politique des milieux de la classe ouvrière qui, comme les masses laborieuses rurales, sont demeurés jusqu'à présent à l'écart du mouvement révolutionnaire et de la politique.

    13. Les communistes, s'ils obtiennent la majorité dans les municipalités, doivent :

    a) former une opposition révolutionnaire à l'égard du pouvoir central de la bourgeoisie ;
    b) s'efforcer par tous les moyens de rendre service à la partie la plus pauvre de la population (mesures économiques, création ou tentative de création d'une milice ouvrière armée, etc.) ;
    c) révéler en toute occasion les obstacles suscités par l'Etat bourgeois contre toute réforme radicale ;
    d) développer sur cette base une propagande révolutionnaire énergique, sans craindre le conflit avec le pouvoir bourgeois ;
    e) remplacer, dans certaines circonstances, les municipalités par des Soviets de députés ouvriers. Toute l'action des communistes dans les municipalités doit donc s'intégrer dans l'œuvre générale de désagrégation du système capitaliste ;

    14. La campagne électorale elle-même doit être menée, non dans le sens de l'obtention du maximum de mandats parlementaires, mais dans celui de la mobilisation des masses sous les mots d'ordre de la révolution prolétarienne. La lutte électorale ne doit pas être le fait des seuls dirigeants du Parti, l'ensemble des membres du Parti doit y prendre part ; tout mouvement des masses doit être utilisé (grèves, manifestations, effervescence dans l'armée et la flotte, etc.) ; on établira avec ce mouvement un contact étroit ; l'activité des organisations prolétariennes de masse sera sans cesse stimulée ;

    15. Ces conditions et celles qui sont indiquées dans une instruction spéciale étant observées, l'action parlementaire se trouve en complète opposition avec l'écœurante petite politique des partis socialistes de tous les pays, dont les députés vont au Parlement pour soutenir cette institution « démocratique », et, dans le meilleur des cas, pour la « conquérir ». Le Parti communiste ne peut admettre que l'utilisation exclusivement révolutionnaire du parlementarisme, à la manière de Karl Liebknecht, de Hoeglund et de bolcheviks.


    AU PARLEMENT

    III
     


    16. « L'antiparlementarisme » de principe, conçu comme le refus absolu et catégorique de participer aux élections et à l'action parlementaire révolutionnaire, n'est donc qu'une doctrine enfantine et naïve ne résistant pas à la critique, résultat parfois d'une saine aversion pour les politiciens parlementaires, mais qui n'aperçoit pas, par ailleurs, la possibilité du parlementarisme révolutionnaire. Il arrive, de plus, que cette opinion se base sur une notion tout à fait erronée du rôle du Parti, considéré non comme l'avant-garde ouvrière centralisée et organisée pour le combat, mais comme un système décentralisé de groupes mal reliés entre eux.

    17. D'un autre côté, la nécessité d'une participation effective à des élections et à des assemblées parlementaires données ne découle nullement de la reconnaissance en principe de l'action révolutionnaire au Parlement. Tout dépend ici d'une série de conditions spécifiques. La sortie des communistes du Parlement peut devenir nécessaire à un moment donné. C'était le cas, lorsque les bolchéviks se retirèrent du Préparlement de Kérenski, afin de le torpiller, de le rendre du coup impuissant et de lui opposer plus nettement le Soviet de Pétrograd à la veille de se mettre à la tête de l'insurrection ; c'était le cas, lorsque les bolchéviks reportèrent le centre de gravité des événements politiques au III° Congrès des Soviets. En d'autres circonstances, le boycottage les élections peut s'imposer, ou l'anéantissement immédiat, par la force, de l'Etat bourgeois et de la coterie bourgeoise ; ou encore la participation aux élections coïncidant avec le boycottage du Parlement même, etc.

    18. Reconnaissant ainsi, en règle générale, la nécessité de participer aux élections parlementaires et municipales et de travailler dans les Parlements et les municipalités, le Parti communiste doit trancher la question selon le cas concret, en s'inspirant des particularités spécifiques de la situation. Le boycottage des élections ou du Parlement, de même que la sortie du Parlement, sont surtout admissibles en présence de conditions permettant le passage immédiat à la lutte armée pour la conquête du pouvoir.

    19. Il est indispensable d'avoir constamment en vue le caractère relativement secondaire de cette question. Le centre de gravité étant dans la lutte extraparlementaire pour le pouvoir politique, il va de soi que la question générale de la dictature du prolétariat et de la lutte des masses pour cette dictature ne peut se comparer à la question particulière de l'utilisation du parlementarisme.

    20. C'est pourquoi l'Internationale communiste affirme de la façon la plus catégorique qu'elle considère comme une faute grave envers le mouvement ouvrier toute scission ou tentative de scission provoquée au sein du Parti communiste par cette question et uniquement par cette question. Le Congrès invite tous les partisans de la lutte de masse pour la dictature du prolétariat, sous la direction d'un parti centralisé sur toutes les organisations de la classe ouvrière, à réaliser l'unité complète des éléments communistes, en dépit des divergences de vues possibles quant à l'utilisation des Parlements bourgeois.

    III. - LA TACTIQUE RÉVOLUTIONNAIRE

    Les mesures suivantes s'imposent afin de garantir l'application effective d'une tactique révolutionnaire au Parlement :

    1.Le Parti communiste dans son ensemble et son Comité central s'assurent, dès la période préparatoire qui précède les élections, de la sincérité et de la valeur communiste des membres du groupe parlementaire communiste ; il a le droit indiscutable de récuser tout candidat désigné par une organisation, s'il n'a pas la conviction que ce candidat fera une politique véritablement communiste.

    Les partis communistes doivent renoncer à la vieille habitude social-démocrate de faire exclusivement élire des parlementaires « expérimentés », et surtout des avocats. De règle, les candidats seront pris parmi les ouvriers : on ne craindra pas de désigner de simples membres du Parti sans grande expérience parlementaire.

    Les partis communistes doivent repousser avec un mépris impitoyable les arrivistes qui viennent à eux, à seule fin d'entrer au Parlement. Les Comités centraux ne doivent approuver que les candidatures d'hommes qui, de longues années durant, ont donné des preuves indiscutables de leur dévouement à la classe ouvrière.

    2. Les élections achevées, il appartient exclusivement au Comité central du Parti communiste d'organiser le groupe parlementaire, que le Parti soit à ce moment légal ou illégal. Le choix du président et des membres du bureau du groupe parlementaire doit être approuvé par le Comité central. Le Comité central du Parti aura au groupe parlementaire un représentant permanent jouissant du droit de veto. Sur toutes les questions politiques importantes, le groupe parlementaire est tenu de demander les directives préalables du Comité central.

    Le Comité central a le droit et le devoir de désigner ou de récuser les orateurs du groupe appelés à intervenir sur des questions importantes et d'exiger que les thèses ou le texte complet de leurs discours, etc., soient soumis à son approbation. Tout candidat porté sur la liste communiste signe l'engagement officiel de résigner son mandat à la première injonction du Comité central, afin que le Parti ait toujours la possibilité de le remplacer.

    3. Dans les pays où des réformistes, des demi-réformistes, voire simplement des arrivistes ont déjà réussi à s'introduire dans le groupe parlementaire communiste (c'est déjà le cas pour plusieurs pays), les Comités centraux des partis communistes sont tenus de procéder à une épuration radicale de ces groupes, en s'inspirant du principe qu'un groupe parlementaire peu nombreux, mais vraiment communiste sert beaucoup mieux les intérêts de la classe ouvrière qu'un groupe nombreux sans ferme politique communiste.

    4. Tout député communiste est tenu, sur décision du Comité central, d'unir le travail illégal au travail légal. Dans les pays où les députés communistes bénéficient encore, en vertu des lois bourgeoises, d'une certaine immunité parlementaire, cette immunité doit servir à l'organisation et à la propagande illégale du Parti.

    5. Les députés communistes sont tenus de subordonner toute leur activité parlementaire à l'action extraparlementaire du Parti. Le dépôt régulier de projets de loi purement démonstratifs conçus, non en vue de leur adoption par la majorité bourgeoise, mais pour la propagande, l'agitation et l'organisation, doit avoir lieu sur les indications du Parti et de son Comité central.

    6. Le député communiste est tenu de se mettre en tête des masses prolétariennes, au premier rang, bien en vue, dans les manifestations et les actions révolutionnaires.

    7. Les députés communistes sont tenus de nouer par tous les moyens (sous le contrôle du Parti) des relations épistolaires et autres avec les ouvriers, les paysans et les travailleurs révolutionnaires de toutes catégories, sans imiter en aucun cas les députés socialistes qui s'efforcent d'entretenir avec leurs électeur des relations d'affaires. Ils sont à tout moment à la disposition des organisations communistes pour le travail de propagande dans le pays.

    8. Tout député communiste au Parlement est tenu de se rappeler qu'il n'est pas un « législateur » cherchant un langage commun avec d'autres législateurs, mais un agitateur du Parti envoyé chez l'ennemi pour appliquer les décisions du Parti. Le député communiste est responsable non devant la masse anonyme des électeurs, mais devant le Parti communiste légal et illégal.

    9. Les députés communistes doivent tenir au Parlement un langage intelligible à l'ouvrier, au paysan, à la blanchisseuse, au pâtre, de façon que le Parti puisse éditer leurs discours en tracts et les répandre dans les coins les plus reculés du pays.

    10. Les ouvriers communistes du rang doivent, même s'ils n'en sont qu'à leurs débuts parlementaires, aborder sans crainte la tribune des Parlements bourgeois et ne point céder la place à des orateurs plus « expérimentés ». En cas de nécessité, les députés ouvriers liront simplement leurs discours, destinés à être reproduits par la presse et en tracts.

    11. Les députés communistes sont tenus d'utiliser la tribune parlementaire pour démasquer non seulement la bourgeoisie et sa valetaille officielle, mais aussi les social-patriotes, les réformistes, les politiciens équivoques du centre et, de façon générale, les adversaires du communisme, et, aussi, en vue de propager largement les idées de la III° Internationale.

    12. Les députés communistes, n'y en aurait-il qu'un ou deux, sont tenus de jeter, par toute leur attitude, le défi au capitalisme et de ne jamais oublier que celui-là seul est digne du nom de communiste qui se révèle, non verbalement, mais par des actes, l'ennemi de la société bourgeoise et de ses serviteurs social-patriotes.

     

     
    A tous les membres du P. S. français
    A tous les prolétaires conscients de France
    (De la part du Comité exécutif de l'Internationale Communiste)

    26 juillet 1920


    A une énorme majorité, le dernier Congrès du Parti Socialiste français a décidé de se retirer de la 2e Internationale, considérée maintenant par tous les travailleurs conscients du monde entier comme une organisation de traîtres. Mais ce même Congrès, par une majorité des deux tiers des voix environ, a repoussé l'adhésion immédiate à l'Internationale Communiste et s'est borné, par une résolution à double sens, à décider d'entrer en relations avec la 3e Internationale en même temps, d'organiser les partis qui se placent entre la 2e internationale et la 3e Internationale.

    Deux délégués de la majorité du Congrès, Marcel Cachin et Frossard, sont venus en Russie pour entamer des pourparlers, conformément à la décision du Congrès précité. Le Comité Executif de l'Internationale Communiste, avec la participation de délégués d'Italie, d'Angteterre, d'Amérique, d'Autriche, de Hongrie, de Bulgarie, d'Allemagne et autres pays, a consacré deux séances à l'examen des questions qui se posaient, par suite de l'arrivée de Cachin et de Frossard. De plus, le Comité Central a eu avec les délégués du Parti Socialiste français un certain nombre d'entretiens. Nous avons reçu les trois rapports écrits, qui sont publiés en toutes langues, dans la presse officielle de l'Internationale Communiste. Nous avons invité les camarades Frossard et Cachin au 2e Congrès mondial de l'Internationale Communiste, en leur octroyant une voix consultative. Nous avons entendu Cachin et Frossard dans la Commission du Congrès. Le Comité Exécutif de l'Internationale Communiste considère naturellement de son devoir de se comporter de la façon la plus bienveillante à l'égard de toute délégation de parti ou de groupe qui désire rompre avec la 2e Internationale et qui a l'intention d'entrer dans les rangs de l'Internationale Communiste.

    Nous sommes reconnaissants au Parti Socialiste français de ce que, par l'envoi de ses délégués, il nous a donné la possibilité de nous expliquer avec vous ouvertement, franchement, comme il convient à des révolutionnaires. Vous apprendrez par la suite quelle est notre opinion sur la situation en France. Notre réponse, nous en sommes convaincus, sera imprimée en France, lue et discutée avec la plus grande attention par tous les ouvriers conscients.

    Deux circonstances constituent pour nous la pierre angulaire de notre appréciation de la situation du Parti Socialiste en France :

    Le rôle que joue actuellement la bourgeoisie française) dans le monde ;

    La situation intérieure du Parti socialiste français.

    La bourgeoisie française rempart de la réaction mondiale


    La bourgeoisie française, par une série de circonstances, joue actuellement, sans contredit, le rôle le plus réactionnaire qui soit dans le monde entier. La bourgeoisie française est devenue le rempart de la réaction mondiale. Le capital impérialiste français, aux yeux de l'univers entier, a assumé le rôle de gendarme international. Plus que toutes les autres, la bourgeoisie française a travaillé à étouffer la République soviétiste prolétarienne en Hongrie. La bourgeoisie française a toujours joué et joue encore le principal rôle dans l'organisation de la guerre de brigandage contre la Russie soviétiste. La bourgeoisie française joue le rôle du plus infâme bourreau dans les Balkans. Enfin, la bourgeoisie française a assumé la principale « tâche » dans l'étouffement de la révolution prolétarienne qui se développe en Allemagne. C'est elle qui a eu le principal rôle dans l'élaboration du traité de Versailles, traité de rapine. Elle envoie les troupes nègres occuper les villes allemandes. En réalité, elle est entrée en alliance avec la bourgeoisie allemande contre la classe ouvrière allemande. Il n'est pas de monstruosité que n'ait commis le gouvernement de la bourgeoisie française. La révolution mondiale, en son développement, n'a pas de plus cruel ennemi que le capitalisme français.

    Cela impose aux ouvriers français et à leur Parti un devoir international très important. L'Histoire a voulu qu'une tâche très noble mais d'une grande responsabilité vous incombe, à vous, prolétaires français, celle de repousser l'assaut de la bourgeoisie la plus furieuse et la plus follement réactionnaire.

    La situation du P. S. en France

    Mais le Comité exécutif de l'Internationale Communiste constate avec regret — et ici nous allons parler du deuxième point des circonstances indiquées plus haut — que la situation intérieure du Parti Socialiste français est dans l'état le moins favorable à l'accomplissement de la mission historique que la marche des événements lui impose.

    L'avant-garde du prolétariat français sera absolument d'accord avec nous si nous disons que, pendant les quatre années de la guerre impérialiste, nulle part le socialisme impérialiste, nulle part, si ce n'est en Allemagne, le socialisme n'a été aussi bassement trahi que dans votre pays par l'ancienne majorité du Parti.

    La conduite des chefs de cette ancienne majorité : Renaudel, Thomas et autres, après le 4 août 1914, n'a pas été meilleure que la conduite ignoble et traîtresse des Scheidemann et des Noske en Allemagne. Ces chefs n'ont pas seulement voté les crédits de guerre, mais encore ils ont mis au service de la bourgeoisie impérialiste toute la presse et tout l'appareil du Parti. Ces chefs du Parti socialiste français ont empoisonné l'âme du soldat et de l'ouvrier. Ils ont aidé la bourgeoisie impérialiste à soulever dans tout le pays une vague boueuse d'abject chauvinisme. Ils ont aidé la bourgeoisie à instituer dans les fabriques et les usines un régime despotique et à annuler les lois les plus modérées pour la défense du travail. Ils ont pris la responsabilité entière de la tuerie impérialiste. Ils ont pris place dans le gouvernement bourgeois. Ils ont exécuté les plus méprisables commissions des meneurs de l'Entente. Quand la révolution éclata en Russie, en février 1917, Albert Thomas, au nom du Parti français, fut envoyé chez nous par les impérialistes français pour persuader les ouvriers et les soldats russes de la nécessité de continuer la tuerie impérialiste. Ainsi, des socialistes français ont aidé à organiser la lutte de la garde blanche russe proclamant la guerre contre la classe ouvrière et paysanne. Quant à l'ancienne minorité de votre Parti, elle n'a jamais mené contre cette majorité abjecte la lutte de principe, la lutte vigoureuse et claire, la lutte révolutionnaire qu'elle avait le devoir de mener. Devenue majorité, elle a persisté jusqu'à ce jour dans une politique équivoque, sans netteté et sans énergie, tristement opportuniste.

    Albert Thomas, Renaudel, Jouhaux et consorts continuent encore comme à l'heure actuelle à jouer le rôle odieux des valets de la bourgeoisie. Dans vos rangs, non seulement les social-patriotes avérés, mais encore beaucoup d'autres représentants du « centre » Longuet et autres, continuent jusqu'à présent à affirmer que la guerre impérialiste et de brigandage de 1914-1918 a été pour la France une guerre de défense nationale. Votre Parti personnifié par sa majorité centriste n'a pas encore dit clairement jusqu'ici aux ouvriers de France que la récente guerre mondiale, tant du côté de la bourgeoisie allemande que de la bourgeoisie française, fut une guerre de pillage, une guerre d'assassins, une guerre de brigandage ? Les discours prononcés par Longuet, Faure, Pressemane et certains autres de vos chefs, au Congrès de Strasbourg sur la défense nationale, ne se différencient guère de ceux des social-patriotes. Nous devons vous le dire sincèrement camarades, la situation intérieure du Parti socialiste français est pire que celle du Parti indépendant allemand. Vous êtes en retard, même relativement au développement allemand. Vous n'avez pas encore fait ce que les indépendants allemands ont fait en 1916. Dans votre Parti restent toujours, comme autrefois, des traîtres tels que Albert Thomas, qui n'a pas honte d'occuper un haut emploi dans cette ligue de brigandage qu'est la Société des Nations. Dans votre Parti se trouvent encore des personnages comme Pierre Renaudel, le serviteur le plus zélé de la bourgeoisie française. Vous vous comportez encore patiemment à l'égard des traîtres à la cause ouvrière, tels que Jouhaux et ses adeptes, qui ont fait renaître maintenant l'internationale jaune des syndicats !

    Dans vos rangs, vous supportez des hommes qui, sur les ordres des capitalistes de l'Entente, jouent la comédie de l'organisation du Bureau International du Travail. Dans votre Parti restent membres, au même titre que les autres, des députés qui ont l'ignominie de s'abstenir de voter lorsque la Chambre des députés s'est prononcée sur le honteux et sanglant traité de Versailles.

    Reconnaissez, camarades, qu'une telle situation à l'intérieur du Parti n'est pas de nature à vous permettre d'accomplir la mission que l'histoire voua a dévolue.

    Il n'est pas étonnant, camarades, que, dans de telles conditions, la majorité officielle actuelle du Parti socialiste français, qui se figure être internationaliste et révolutionnaire, mène, en fait une politique d'hésitations et d'équivoques. Examinons les points les plus importants de votre « activité présente » : 1° Votre travail parlementaire ; 2° Votre presse ; 3° Votre propagande dans l'armée et dans les villages ; 4° Votre attitude à l'égard des syndicats ; 5° Votre manière d'envisager les actes récents de violence qui ont été commis par le gouvernement français ; 6° Vos rapports avec l'aile gauche communiste de votre propre Parti et 7° votre attitude à l'égard de l'Internationale.

    Le Groupe parlementaire

    I. — Le travail parlementaire de votre fraction socialiste à la Chambre des Députés continue à ne pas être révolutionnaire, socialiste prolétarien. Chaque député socialiste agit à sa guise. La fraction parlementaire en entier n'obéit pas au Parti et exécute ses décisions uniquement quand elles lui plaisent. Elle ne sert pas de porte-voix aux masses prolétariennes qui brûlent d'indignation contre la lâche conduite de la bourgeoisie française et elle ne lui rend aucun compte de ses actes. Elle ne dénonce pas les crimes du gouvernement français. Elle ne fait pas de propagande parmi la masse innombrable des anciens combattants. Elle ne se donne pas pour tâche de montrer aux masses laborieuses de France le caractère scélérat de la tuerie impérialiste qui vient de finir. Elle ne se préoccupe pas de l'armement du prolétariat.

    En un mot, non seulement elle ne prépare pas la révolution prolétarienne, mais encore, par tous les moyens, elle la sabote. Un grand nombre de vos députés restent, comme auparavant, non pas des lutteurs politiques de la classe ouvrière, mais des politiciens. Par leur conduite, ils provoquent chez les masses ouvrières de France, de la répulsion pour tout travail parlementaire, amenant ainsi de l'eau au moulin anarchiste. Par son opportunisme, votre fraction parlementaire ne fait que nourrir et fortifier les erreurs et les préjugés de l'anarchisme.

    La conduite de vos députés engendre chez les masses prolétariennes le mépris des parlementaires intrigants, hommes qui se disent socialistes et qui, en fait, sont les amis des pires adversaires de la classe ouvrière.

    La Presse et la propagande


    II. — Vos quotidiens, et en première ligne l'Humanité et le Populaire ne sont pas des feuilles prolétariennes révolutionnaires. Nous n'y voyons pas une propagande suivie, systématique en faveur de l'idée de la révolution prolétarienne. Tout au plus y trouve-t-on quelques mots secs, sur la dictature du prolétariat. Mais ces mots dans votre littérature de propagande journalière restent sans vie et sans âme. Vos organes ressemblent souvent, comme deux gouttes d'eau, à ceux de la bourgeoisie française. Vous y réservez la place principale aux bagatelles parlementaires et aux petits événements de la vie du monde bourgeois. Vos organes ne savent pas et ne veulent pas être les véritables porte-parole de la colère révolutionnaire des masses prolétariennes en effervescence. Vos organes ne décrivent pas les misères nées de la guerre et que supportent seules les masses travailleuses de la France. Vos organes se bornent à des protestations sèches, pédantes, platoniques ; votre organe de propagande parmi les paysans a été abandonné par vous aux mains de Gompère-Morel le social-patriote bien connu. Il est indispensable que vous renonciez à l'inadmissible méthode de représentation proportionnelle qui ouvre les organes de votre presse aux articles empoisonnés des Renaudel et Cie.

    III. — Il faut en dire autant de votre propagande parmi les paysans et les soldats. Ou cette propagande n'existe pas, ou elle n'a qu'un caractère essentiellement réformiste (le journal que vous avez créé pour les paysans — le seul qui existe — vous en avez confié la direction au social-traître Gompère-Morel). Où et quand votre Parti a-t-il expliqué aux soldats français leur devoir révolutionnaire de prolétariat ? Autant que nous le sachions, nulle part et jamais. Les forces de la réaction en France sont telles que les socialistes en France ne peuvent pas le faire légalement, le devoir de tout journal prolétarien conscient consiste à compléter la propagande clandestine et à remplir ainsi son devoir envers la classe ouvrière de son pays et envers les prolétaires du monde entier.

    Le Parti et les Syndicats


    IV. — Votre attitude envers les syndicats est tout à fait équivoque. Non seulement vous ne menez pas une lutte systématique contre les idées social-patriotes des chefs de la Confédération Générale du Travail, mais vous les soutenez. Quand Jouhaux et Cie aident la bourgeoisie à reconstituer, à Amsterdam, l'Internationale jaune des syndicats, quand ce même Jouhaux, avec Albert Thomas, se rendent à la Conférence Internationale du Travail, organisée par les impérialistes, quand les leaders de la Confédération font perfidement échouer la grève du 21 juillet 1919, vous ne déclarez pas la guerre, vous n'arrachez pas le masque à ces infâmes traîtres, vous ne les clouez pas au pilori devant la France entière. Non, vous continuez la « collaboration » avec eux. Tout au plus vous arrive-t-il de les gourmander, mais vous ne luttez pas contre eux. Vous ne vous assignez pas la tâche d'arracher les syndicats à l'influence néfaste des agents du capital. Dans les dernières grandes grèves de mai, quand le gouvernement emprisonnait et que les compagnies révoquaient, un des vôtres, Paul-Boncour, parlant à la Chambre, reprochait seulement au gouvernement d'oublier l'attitude patriotique de Jouhaux du 2 août 1914 et les grands services rendus par lui pendant la guerre et après.

    Le « Complot » et les Communistes français

    V. — La bourgeoisie française vient de commettre des actes de violence inouïe, particulièrement contre l'aile gauche du mouvement ouvrier français. Elle emprisonne Loriot, Monatte, Souvarine et une foule d'autres camarades. Qu'avez-vous fait pour repousser cette attaque des capitalistes français ? Pourquoi ne sonnez-vous pas le tocsin ? Pourquoi vous bornez-vous à une propagande purement philanthropique ?

    VI. — Votre attitude envers l'aile gauche communiste de votre propre Parti laisse beaucoup à désirer. Vous ne cherchez pas à vous rapprocher des communistes français. Au contraire, vous organisez la lutte contre eux. Vous mettez à l'ordre du jour l'entrée à l'Internationale Communiste, mais en même temps vous ne faites rien ou presque rien pour un rapprochement fraternel avec les éléments communistes de votre pays.

    2e et 3e Internationales

    VII. — Voyons enfin votre attitude envers l'Internationale. Vous êtes restés dans les rangs de la 2e Internationale, l'Internationale jaune des traîtres, jusqu'au moment où les indépendants allemands en sont sortis ; vous y êtes restés jusqu'à ce que les ouvriers français aient obligé les chefs des centres socialistes à rompre avec elle. Vous avez envoyé vos délégués à la fameuse conférence de Berne. Certains d'entre eux y ont, il est vrai, défendu la révolution russe, mais ils ont tout fait aussi pour sauver la 2e Internationale agonisante. Vous avez tenté de créer le nouveau courant intermédiaire des reconstructeurs. A l'heure actuelle, vous ne parlez toujours pas de votre entrée dans l'Internationale Communiste. Vous avez décidé de sortir de la 2e Internationale et, en, même temps, vous vous déclarez solidaires avec les partis socialistes belges, c'est-à-dire avec Vandervelde, qui est le chef de la 2e Internationale. Vous dites que vous êtes décidés à entrer dans la 3e Internationale, et vos délégués officiels (Mistral, Caussy) ont signé une déclaration claire lors du coup d'Etat de Kapp, ensemble avec le bureau de la 2e Internationale, appelant les prolétaires allemands à défendre la république avec Noske et Scheidemann. Ou vous taisez son existence, ou vous menez contre elle une sorte d'agitation. Dans le rapport qui nous a été remis à Moscou par votre représentant Frossard, vous continuez encore à expliquer votre non-adhésion à la 3e Internationale par le fait que les partis les plus forts de l'Europe occidentale n'y sont pas encore entrés. Mais, vous ne devez pas oublier que si par « les plus forts partis ». de l'Europe occidentale, vous entendez les partis contaminés par le social-patriotisme, nous vous répondons que nous n'en n'avons pas besoin et que nous ne les accepterons jamais dans les rangs de l'Internationale Communiste. Mais les partis vraiment révolutionnaires d'Europe et d'Amérique sont dans nos rangs. L'Internationale Communiste est une force si grande que, pour certains socialistes, elle est devenue une mode. Quelques partisans du « centre » commencent à se nommer communistes et supposent qu'on peut entrer dans la 3e Internationale continuant de mener en fait la politique mi-réformiste d'autrefois. Ceci, l'Internationale Communiste ne peut l'admettre. Nous ne permettons pas de mettre de l'eau dans notre vin révolutionnaire. L'Internationale Communiste doit rester l'association internationale de combat des ouvriers communistes.

    Les Syndicats français


    Nous allons passer à présent aux questions que votre représentant Frossard nous a posées dans son premier rapport écrit.

    Ce rapport, entre autres choses, nous demande quelle est notre attitude à l'égard des syndicats français. Cette question est très importante et il est nécessaire de s'y arrêter.

    Par nos thèses et par d'autres documents officiels de l'Internationale Communiste, vous savez que nous sommes résolument opposés à quelques communistes de « gauche » qui proposent de sortir sans combat des syndicats réactionnaires et de leur opposer l'organisation de nouvelles unions ouvrières.

    C'est notre pensée, non seulement en ce qui concerne les syndicats social-démocrates jaunes Legien et consorts, mais aussi à l'égard des syndicats français à la tête desquels sont Jouhaux et consorts. Nous sommes contre la sortie des révolutionnaires et des communistes des syndicats, même si ces derniers ont encore le malheur de suivre Legien et Jouhaux.

    Les révolutionnaires et les communistes doivent être la où sont les masses ouvrières. Les Communistes russes ont été pendant longtemps en minorité dans les organisations professionnelles, mais ils ont su lutter pour leurs idées au sein des organisations ouvrières même purement réactionnaires.

    Nous demandons à nos partisans en France de ne pas abandonner les rangs des syndicats en aucun cas. Au contraire, s'ils veulent accomplir leur devoir devant l'Internationale Communiste, ils sont obligés d'intensifier leur travail au sein des syndicats jaunes professionnels. La 2e Internationale, qui était une organisation politique, est tombée comme un château de cartes. La nouvelle Internationale d'Amsterdam, celle des syndicats jaunes, est en ce moment plus dangereuse et plus nuisible pour la révolution mondiale que la Société des Nations. Par l'intermédiaire de Legien, de Gompers et de Jouhaux, la bourgeoisie tente de faire de l'Internationale d'Amsterdam le même instrument de ses buts qu'ont été pendant la guerre les partis socialistes du monde entier.

    Ceci nous impose, à nous Communistes, l'obligation de fixer davantage notre attention sur le mouvement syndicaliste. Nous devons, coûte que coûte, arracher ces syndicats des mains des capitalistes et des social-traîtres. Et pour cela, nous devons être dans ces syndicats ; pour cela nous devons y envoyer nos meilleures forces.

    Nos partisans resteront dans les syndicats, mais ils n'y agiront pas comme des éléments épars.

    L'action communiste intérieure

    Dans chaque syndicat, dans chaque section de syndicat, nous devons organiser un groupe en un petit groupement communiste. Sur le terrain de la lutte quotidienne, nous devons démasquer les Jouhaux grands et petits. Nous devons ouvrir les yeux de tous les membres du syndicat. Nous devons expulser des syndicats les leaders social-patriotes. Nous devons, par une lutte longue et persévérante, arracher syndicat après syndicat à l'influence des social-traîtres et des syndicats jaunes du type Jouhaux. Par une longue action, les bolcheviks russes ont su accomplir cette tâche. A la veille de la révolution d'octobre, ils étaient encore en minorité dans les syndicats. Ayant pris le pouvoir, ayant donné aux travailleurs conscients de nouveaux moyens de propagande, les bolcheviks russes ont pu, bientôt après la révolution, conquérir l'énorme majorité dans les syndicats. C'est cette voie que doivent suivre les Communistes et les Révolutionnaires dans le monde entier.

    Si, dans son rapport de Moscou, Frossard déclare : « La Confédération Générale du Travail ne fera pas la révolution sans nous (le Parti), nous ne la ferons pas sans eux (les syndicats). » Cette phrase est pour le moins insuffisamment claire. Il nous est impossible de faire la révolution avec ceux qui ne veulent pas. Vous ne ferez pas la révolution prolétarienne avec ces messieurs Jouhaux, qui ont donné toutes leurs pensées, tous leurs efforts, pour faire échouer la révolution prolétarienne. Vous la ferez en dépit de Jouhaux et contre lui, de même qu'en dépit et contre Albert Thomas et Pierre Renaudel. Si vous purifiez le Parti de l'opportunisme, si vos députés au Parlement se mettent à faire de la propagande communiste, si vous expulsez les jaunes des rangs de votre Parti, si, en un mot, vous devenez Communistes, les travailleurs non organisés, tout aussi bien que les membres des syndicats, marcheront avec vous contre Jouhaux ; plus vite vous vaincrez les préjugés du syndicalisme plus vite vous vous débarrasserez de l'opportunisme.

    Les syndicats rouges ont commencé à s'organiser dans une série de pays. Sur l'initiative du Comité Exécutif de l'Internationale Communiste, les syndicats, les Confédérations du Travail d'Italie, de Russie et les syndicats de gauche d'Angleterre, ont fondé une Triple-Alliance qui convoquera pour août ou septembre un Congrès international de syndicats rouges, en opposition a l'Internationale d'Amsterdam des syndicats jaunes. Soutenez cette entreprise en France. Obtenez que vos syndicats s'associent à l'Internationale des syndicats rouges et rompent, une fois pour toutes, avec les syndicats jaunes. Telle doit être, en France, la tâche des vrais révolutionnaires.

    La question des exclusions

    Frossard nous demande, dans son rapport, sur un ton de demi-reproche, si nous continuons à demander d'exclure du Parti certaines personnes déterminées.

    Cette question a sans doute une grande importance, mais elle n'est pas l'unique facteur qui décide de notre attitude envers vous. Oui, nous vous le disons ouvertement, vous êtes des retardataires, même par comparaison avec les Indépendants allemands. Tandis que les Indépendants allemands ont enfin posé la question de l'exclusion de Kautsky, et, par suite, des Kautskistes, vous donnez droit de cité dons votre Parti à Albert Thomas, Renaudel, c'est-à-dire aux Noske et aux Scheidemann français. Oui, nous vous le déclarons catégoriquement : malgré la lutte menée pair Longuet en faveur de la Révolution russe et malgré son adhésion en paroles à la dictature du prolétariat, la position doctrinale et l'action générale de Longuet dans la presse et au Parlement ressemble comme deux gouttes d'eau à la propagande de Kautsky en Allemagne. Oui, il faudra rompre avec toute une série de vos chefs de droite, gangrenés jusqu'à la moelle par le réformisme.

    Mais la question principale n'est pas celle de l'exclusion de certaines personnes, c'est la question de la rupture avec la tradition réformiste. L'Internationale Communiste ne vous demande pas de « faire » immédiatement la révolution soviétiste. Ceux qui présentent à vos yeux sous ce jour les exigences de l'Internationale Communiste dénaturent la vérité.

    Nous ne réclamons qu'une chose : c'est que dans votre travail quotidien, dans la presse, dans les syndicats, au Parlement, dans les réunions publiques, vous fassiez systématiquement, continuellement, une propagande honnête et franche en faveur de l'idée de la dictature du prolétariat et du Communisme, c'est que vous déblayiez la voie à la révolution prolétarienne, que vous luttiez honnêtement contre les idées bourgeoises réformistes.

    Les conditions d'adhésion


    Pour conclure, nous allons formuler quelques points précis qui nous semblent essentiels et sur lesquels nous attendrons de vous une réponse claire et précise. Nous confirmons entièrement notre réponse aux Indépendants allemands qui a été imprimée dans la presse Communiste de Paris. Celle réponse s'adresse à vous et à la majorité du Parti Socialiste français.

    Le Parti Socialiste français doit changer radicalement le caractère de sa propagande quotidienne dans la presse, dans le sens que nous avons indiqué plus haut.

    Dans la question des colonies, il est nécessaire que la ligne de conduite des partis de tous les pays où la bourgeoisie domine sur les peuples coloniaux soit bien claire et très nette. Ce parti français doit dévoiler sans pitié les agissements des impérialistes français dans les colonies et y aider non seulement en paroles, mais en fait, tout mouvement libérateur, y reprendre le mot d'ordre : que les impérialistes abandonnent les colonies, développer dans les masses ouvrières de France les sentiments fraternels envers la population laborieuse des colonies, mener dans l'armée française une propagande systématique contre l'oppression des colonies.

    Dévoiler la fausseté et l'hypocrisie du social-pacifisme. Démontrer systématiquement aux ouvriers que sans le renversement révolutionnaire du capitalisme nul arbitrage, nul projet de désarmement n'éviteront à l'humanité de nouvelles guerres impérialistes.

    Le Parti socialiste français doit commencer l'organisation des éléments révolutionnaires communistes au sein de la Confédération Générale du Travail afin de lutter contre les social-traîtres, chefs de cette Confédération.

    Le Parti socialiste doit obtenir, non pas en paroles, mais en fait, la complète subordination de la fraction parlementaire.

    La majorité actuelle du Parti socialiste français doit rompre radicalement avec le réformisme et débarrasser ses rangs de ces éléments qui ne veulent pas suivre la nouvelle voie révolutionnaire.

    Le Parti français doit aussi changer son nom et se présenter devant le monde entier comme le Parti Communiste de France.

    A l'heure où la bourgeoisie décrète l'état de siège pour les ouvriers et leurs chefs, les camarades français doivent reconnaître la nécessité de combiner l'action légale avec l'action illégale.

    Le Parti socialiste français, de même que tous les partis qui désirent adhérer à la IIIe Internationale, doivent considérer comme strictement obligatoires toutes les décisions de l'Internationale communiste. L'Internationale communiste se rend très bien compte des conditions diverses dans lesquelles les travailleurs des différents pays sont contraints de lutter.

    Voici l'essentiel, camarades, de ce que nous voulions vous dire.

    Vos délégués, Cachin et Frossard, à la veille de leur départ, nous ont déclaré officiellement qu'ils acceptent les conditions posées par l'Internationale communiste. Ils ont déclaré que, de retour en France, ils proposeront au Parti socialiste français de rompre radicalement avec la vieille tactique des réformistes et d'en venir aux méthodes communistes.

    Conclusion


    Inutile d'ajouter que nous serons fort heureux si le mouvement ouvrier français s'engage enfin dans la vraie voie révolutionnaire. Nous suivrons avec une extrême attention la marche ultérieure des événements dans le Parti socialiste français. Et le Congrès donnera pleins pouvoirs à son Comité exécutif pour admettre votre Parti dans les rangs de l'Internationale communiste, si les conditions posées par le Congrès sont acceptées par vous et réellement observées.

    Nous vous prions de nous faire connaître la véritable réponse de tous les ouvriers français.

    Camarades, nous vous avons exprimé ouvertement nos opinions sur toute une série de questions à l'ordre du jour. Nous savons que, seuls un petit nombre de vos chefs s'associeront pleinement à tout ce que nous avons dit. Mais nous sommes persuadés que l'immense majorité des ouvriers conscients, des socialistes sincères et des syndicats révolutionnaires de France sera de cœur avec nous. Quelque forme que prennent dans l'avenir prochain nos relations ultérieures, nous avons la ferme conviction que le prolétariat français constituera un puissant Parti Communiste et occupera une des premières places dans la famille internationale du prolétariat luttant pour sa liberté.

    Il n'est pas possible que la classe ouvrière révolutionnaire de France, avec ses splendides traditions révolutionnaires, sa haute culture, son esprit de sacrifice et son magnifique tempérament combatif, ne crée pas un puissant Parti Communiste à l'heure où commence l'agonie de la société bourgeoise.

    Camarades, l'année prochaine le prolétariat international fêtera le cinquantenaire de la Commune de Paris, cette grande insurrection des travailleurs dont la révolution prolétarienne de Russie est la continuatrice. Nous souhaitons de tout cœur au prolétariat français que ce cinquantième anniversaire de la Commune de Paris le trouve organisé en un puissant Parti Prolétarien Communiste, continuateur des meilleures traditions des communards parisiens et prêts à se lancer à l'assaut de la citadelle capitaliste.

    Vive la classe ouvrière de France !

    Vive le Parti Communiste français, puissant et uni !

    Salut fraternel.


    Le Bureau du IIe Congrès Mondial de l'Internationale Communiste G. ZINOVIEV, LENINE, G.-M. SERRATI, Paul LEVI, A. ROSMER.

    Moscou, 26 juillet 1920.

     

    source: https://www.editoweb.eu/nicolas_maury/

     

    Partager via Gmail Yahoo! Pin It

    votre commentaire
  •  

     

    En février 1918, la répudiation des dettes par le gouvernement soviétique a secoué la finance internationale et a suscité une condamnation unanime de la part des gouvernements des grandes puissances.

    Cette décision de répudiation s’inscrivait dans la continuité du premier grand mouvement d’émancipation sociale qui a ébranlé l’empire russe en 1905. Ce vaste soulèvement révolutionnaire avait été provoqué par la conjonction de plusieurs facteurs : la débâcle russe dans sa guerre avec le Japon, la colère des paysans qui exigeaient des terres, le rejet de l’autocratie, les revendications des ouvriers… Le mouvement a débuté par des grèves à Moscou en octobre 1905 et s’est étendu comme une traînée de poudre à tout l’empire en adoptant différentes formes de lutte. Au cours du processus d’auto-organisation des masses populaires naquirent des conseils (soviets en russe) de paysans, des conseils d’ouvriers, des conseils de soldats…

    1. La répudiation des dettes au cœur des révolutions de 1905 et de 1917

    Dans son autobiographie, Léon Trotsky qui a présidé le Soviet de Saint-Pétersbourg (capitale de la Russie jusque mars 1918) explique que l’arrestation de toute sa direction le 3 décembre 1905 a été provoquée par la publication d’un manifeste dans lequel les membres de ce conseil élu appelaient à la répudiation des dettes contractées par le régime du tsar. Il explique également que cet appel de 1905 au non-paiement de la dette a fini par être concrétisé au début de l’année 1918 quand le gouvernement des soviets adopta le décret de répudiation des dettes tsaristes : 

    Nous fûmes appréhendés le lendemain de la publication de ce qu’on a appelé notre « manifeste financier », dans lequel était annoncée l’inévitable faillite du régime tsariste : on donnait catégoriquement à savoir que les dettes des Romanov ne seraient pas reconnues par le peuple, le jour où il remporterait la victoire |1|.

    JPEG - 36.3 ko
      Trotsky (avec le porte document en main) parmi les membres du          soviet   de Petrograd de 1905, lors de leur procès

    Le manifeste du soviet des députés ouvriers déclarait nettement ceci :

    « L’autocratie n’a jamais joui de la confiance du peuple et n’a pas été fondée par lui en pouvoirs. En conséquence, nous décidons que nous n’admettrons pas le paiement des dettes sur tous emprunts que le gouvernement du tsar aura conclus alors qu’il était en guerre ouverte et déclarée avec tout le peuple. »

    La Bourse de Paris devait répliquer, quelques mois plus tard, à notre manifeste en accordant au tsar un nouvel emprunt de sept cent cinquante millions de francs. La presse de la réaction et des libéraux se gaussait des impuissantes menaces du soviet à l’égard des finances tsaristes et des banquiers d’Europe. Ensuite, on tâcha d’oublier le manifeste. Mais il devait rentrer de lui-même dans les mémoires. La banqueroute financière du tsarisme, préparée par tout le passé, éclata en même temps que la débâcle militaire. Et, après la victoire de la révolution, un décret du conseil des commissaires du peuple, en date du 10 février 1918, déclara purement et simplement annulées toutes les dettes du tsar. Ce décret est encore en vigueur |2|. Ils ont tort, ceux qui affirment que la révolution d’Octobre ne reconnaît aucune obligation. La révolution reconnaît fort bien ses obligations à elle. L’engagement qu’elle avait pris le 2 décembre 1905, elle l’a tenu le 10 février 1918. Elle a absolument le droit de dire aux créanciers du tsarisme « Messieurs, vous avez été prévenus en temps opportun ! »

    Sous ce rapport comme sous tous les autres, 1905 avait préparé 1917.

    Dans le livre intitulé 1905, L. Trotsky décrit la succession des évènements qui a amené à l’adoption du Manifeste financier par lequel le Soviet, cet organe de démocratie révolutionnaire, appelait à refuser de payer les dettes contractées par le tsar.

    Un vaste champ d’activité s’ouvrait donc devant le Soviet. Autour de lui s’étendaient d’immenses friches politiques qu’il n’y avait qu’à labourer avec la forte charrue révolutionnaire |3|. Mais le temps manquait. La réaction, fiévreusement, forgeait des chaînes et l’on pouvait s’attendre, d’heure en heure, à un premier coup. Le comité exécutif, malgré la masse de travaux qu’il avait à accomplir chaque jour, se hâtait d’exécuter la décision prise par l’assemblée le 27 novembre 1905. Il lança un appel aux soldats et, dans une conférence avec les représentants des partis révolutionnaires, approuva le texte du Manifeste financier (…).

    Le 2 décembre 1905, le manifeste fut publié dans huit journaux de Saint-Pétersbourg : quatre socialistes et quatre libéraux.

    Voici le texte de ce document historique :

    « Le gouvernement est au bord de la faillite. Il a fait du pays un monceau de ruines, il l’a jonché de cadavres. Épuisés, affamés, les paysans ne sont plus en mesure de payer les impôts. Le gouvernement s’est servi de l’argent du peuple pour ouvrir des crédits aux propriétaires. Maintenant, il ne sait que faire des propriétés qui lui servent de gages. Les fabriques et les usines ne fonctionnent plus. Le travail manque. C’est partout le marasme.

    Le gouvernement a employé le capital des emprunts étrangers à construire des chemins de fer, une flotte, des forteresses, à constituer des réserves d’armes. Les sources étrangères étant taries, les commandes de l’État n’arrivent plus. Le marchand, le gros fournisseur, l’entrepreneur, l’industriel, qui ont pris l’habitude de s’enrichir aux dépens de l’État, sont privés de leurs bénéfices et ferment leurs comptoirs et leurs usines. Les faillites se multiplient. Les banques s’écroulent. Il n’y a pratiquement plus d’opérations commerciales.

    « La lutte du gouvernement contre la révolution suscite des troubles incessants. Personne n’est sûr du lendemain.

    « Le capital étranger repasse la frontière. Le capital « purement russe », lui aussi, va se mettre à couvert dans les banques étrangères. Les riches vendent leurs biens et émigrent. Les rapaces fuient le pays, en emportant les biens du peuple.

    « Depuis longtemps, le gouvernement dépense tous les revenus de l’État à entretenir l’armée et la flotte. Il n’y a pas d’écoles. Les routes sont dans un état épouvantable. Et pourtant, on manque d’argent, au point d’être incapable de nourrir les soldats. La guerre a été perdue en partie parce que nous manquions de munitions. Dans tout le pays, l’armée, réduite à la misère et affamée, se révolte.

    « L’économie des voies ferrées est ruinée par le gaspillage, un grand nombre de lignes ont été dévastées par le gouvernement. Pour réorganiser rentablement les chemins de fer, il faudra des centaines et des centaines de millions.

    […]

    « Le gouvernement a dilapidé les caisses d’épargne et a fait usage des fonds déposés pour renflouer des banques privées et des entreprises industrielles qui, souvent, sont véreuses. Avec le capital des petits porteurs, il joue à la Bourse, exposant les fonds à des risques quotidiens.

    « La réserve d’or de la Banque d’État est insignifiante par rapport aux exigences que créent les emprunts gouvernementaux et aux besoins du mouvement commercial. Cette réserve sera bientôt épuisée si l’on exige dans toutes les opérations que le papier soit échangé contre de la monnaie-or.

    […]

    « Profitant de ce que les finances ne sont pas contrôlées, le gouvernement conclut depuis longtemps des emprunts qui dépassent de beaucoup la solvabilité du pays. Et c’est par de nouveaux emprunts qu’il paye les intérêts des précédents.

    « Le gouvernement, d’année en année, établit un budget factice des recettes et des dépenses, déclarant les unes comme les autres au-dessous de leur montant réel, pillant à son gré, accusant une plus-value au lieu du déficit annuel. Et les fonctionnaires, qui n’ont au-dessus d’eux aucun contrôle, achèvent d’épuiser le Trésor.

    « Seule l’Assemblée constituante peut mettre fin à ce saccage des finances, après avoir renversé l’autocratie. L’Assemblée soumettra à une enquête rigoureuse les finances de l’État et établira un budget détaillé, clair, exact et vérifié des recettes et des dépenses publiques.

    « La crainte d’un contrôle populaire qui révélerait au monde entier son incapacité financière force le gouvernement à remettre sans cesse la convocation des représentants populaires.

    « La faillite financière de l’État vient de l’autocratie, de même que sa faillite militaire. Les représentants du peuple seront sommés et forcés de payer le plus tôt possible les dettes.

    « Cherchant à défendre son régime de malversations, le gouvernement force le peuple à mener contre lui une lutte à mort. Dans cette guerre, des centaines et des milliers de citoyens périssent ou se ruinent ; la production, le commerce et les voies de communication sont détruits de fond en comble.

    « Il n’y a qu’une issue : il faut renverser le gouvernement, il faut lui ôter ses dernières forces. Il faut tarir la dernière source d’où il tire son existence : les recettes financières. C’est nécessaire non seulement pour l’émancipation politique et économique du pays, mais, en particulier, pour la mise en ordre de l’économie financière de l’État.

    « En conséquence, nous décidons que :
    « On refusera d’effectuer tous versements de rachat des terres et tous paiements aux caisses de l’État. On exigera, dans toutes les opérations, en paiement des salaires et des traitements, de la monnaie-or, et lorsqu’il s’agira d’une somme de moins de cinq roubles, on réclamera de la monnaie sonnante.
    « On retirera les dépôts faits dans les caisses d’épargne et à la Banque d’État en exigeant le remboursement intégral.
    « L’autocratie n’a jamais joui de la confiance du peuple et n’y était aucunement fondée.
    « Actuellement, le gouvernement se conduit dans son propre État comme en pays conquis.
    « C’est pourquoi nous décidons de ne pas tolérer le paiement des dettes sur tous les emprunts que le gouvernement du tsar a conclus alors qu’il menait une guerre ouverte contre le peuple. »

    (Fin du texte du manifeste)

    JPEG - 109.4 ko
    22 janvier 1905 : Dimanche rouge à Saint-Pétersbourg

    En bas du Manifeste publié dans la presse le 2 décembre 1905, apparaissait la liste suivante des organisations qui appuyaient cet appel à refuser de payer la dette tsariste et à asphyxier financièrement l’autocratie :

    « Le soviet des députés ouvriers ;
    « Le comité principal de l’Union panrusse des paysans ;
    « Le comité central et la commission d’organisation du parti ouvrier social-démocrate russe ;
    « Le comité central du parti socialiste-révolutionnaire ;
    « Le comité central du parti socialiste polonais. »

    Trotsky ajoute un commentaire final : « Bien entendu, ce manifeste ne pouvait par lui-même renverser le tsarisme, ni ses finances.
    (…) Le Manifeste financier du soviet ne pouvait servir que d’introduction aux soulèvements de décembre. Soutenu par la grève et par les combats qui furent livrés sur les barricades, il trouva un puissant écho dans tout le pays. Tandis que, pour les trois années précédentes, les dépôts faits aux caisses d’épargne en décembre dépassaient les retraits de 4 millions de roubles, en décembre 1905, les retraits dépassèrent les dépôts de 90 millions : le manifeste avait tiré des réservoirs de l’État, en un mois, 94 millions de roubles ! Il fallut que l’insurrection fût écrasée par les hordes tsaristes pour que l’équilibre se rétablisse dans les caisses d’épargne...
     ».

    La dénonciation du caractère illégitime et odieux des dettes tsaristes a joué un rôle fondamental dans les révolutions de 1905 et de 1917. L’appel à ne pas payer la dette a fini par se concrétiser dans le décret de répudiation de la dette adoptée par le gouvernement soviétique en février 1918.

    2. De la Russie tsariste à la révolution de 1917 et à la répudiation des dettes

    La Russie a émergé de la fin des guerres napoléoniennes comme une grande puissance européenne, elle a participé à la formation de la Sainte-Alliance. La Sainte-Alliance a été constituée le 26 septembre 1815 à Paris, à l’instigation du Tsar Alexandre 1er, par trois monarchies européennes victorieuses de l’empire napoléonien, dans le but de raffermir leurs positions et de se prémunir contre des révolutions. Constituée dans un premier temps par l’Empire russe, l’Empire d’Autriche et le Royaume de Prusse, elle a été rejointe par la France (où la monarchie avait été restaurée) en 1818 et a été de fait appuyée par Londres.

    La Russie tsariste : une grande puissance européenne

    L’Empire russe a fait partie de la Troïka qui a mis sur le trône grec un prince bavarois en 1830 et a enchaîné le pays à une dette à la fois odieuse et insoutenable. Pour Moscou, le démantèlement progressif de l’Empire ottoman constituait un enjeu très important car les intérêts russes dans les Balkans étaient en jeu, de même que la circulation entre la mer Noire et la Méditerranée.

    JPEG - 403.3 koL’Europe en 1815, après le congrès de Vienne (cliquer pour agrandir)

    Jusqu’aux années 1870, les banquiers londoniens ont été les principaux financiers du tsar. À partir de la constitution de l’Empire allemand et de sa victoire sur la France en 1871, les banquiers allemands ont pris la place de Londres. Dès ce moment, l’Allemagne est devenue le principal partenaire commercial de la Russie. À la veille de la première guerre mondiale, 53 % des importations de la Russie provenaient d’Allemagne et 32 % de ses exportations lui étaient destinées. Par contre, au niveau financier, dès la fin du 19e siècle, les banquiers français ont supplanté les banquiers allemands. À la veille de la première guerre mondiale, 80 % de la dette externe russe étaient détenus par des « investisseurs » de France et la plupart des emprunts russes en cours avaient été émis sur la place de Paris.

    JPEG - 150.6 ko
    (cliquer pour agrandir)

    En résumé, les capitalistes de France prêtaient à la Russie et y réalisaient des investissements (les capitalistes belges, en particulier les « industriels », investissaient également de manière importante en Russie |4|) tandis que les capitalistes allemands y écoulaient une partie de leur production et s’y approvisionnaient en matières premières.

    Lorsque le soviet de Petrograd a adopté le manifeste financier pour appeler à répudier la dette tsariste, la Russie s’apprêtait à émettre, grâce au concours des banquiers et du gouvernement français, un nouvel emprunt massif. L’avertissement lancé par le soviet n’a pas été écouté par les financiers de Paris, l’emprunt a été réalisé. Douze ans plus tard, il a été répudié.

    JPEG - 217.4 ko
      Un titre russe de 1906

    Première guerre mondiale

    La première guerre mondiale opposait deux camps de puissances capitalistes : d’un côté l’Empire allemand et ses alliés l’Empire austro-hongrois, la Bulgarie, et l’Empire ottoman. Le deuxième était composé de la Grande-Bretagne, la France, l’Empire russe, la Belgique, la Roumanie, l’Italie, le Japon et, à partir de février 1917, les États-Unis.

    Depuis des années, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, la Russie tsariste se préparaient à la guerre. L’Allemagne, en pleine progression économique, cherchait à étendre son territoire tant en Europe que dans le domaine colonial.

    La France cherchait à prendre sa revanche sur l’Allemagne et notamment à obtenir l’Alsace et la Lorraine annexées par l’Allemagne suite à la défaite française de 1871. La Grande-Bretagne, la France et la Russie voulaient aussi étendre leur domaine colonial, notamment sur les ruines de l’Empire ottoman.
    La gauche, dans les différents pays belligérants, avait dénoncé, plusieurs années auparavant, les préparatifs de cette guerre.

    Au Congrès de Stuttgart (1907) de l’Internationale socialiste, la résolution votée à l’unanimité affirmait :
    « Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, (les partis socialistes) ont le devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste ».

    En 1913, au Congrès extraordinaire de Bâle, l’Internationale avait adressé un avertissement solennel aux gouvernements : « Que les gouvernements sachent bien que dans l’état actuel de l’Europe et dans les dispositions d’esprit de la classe ouvrière, ils ne pourraient, sans péril pour eux-mêmes, déclencher la guerre. » |5|

    Jean Jaurès, grande figure du socialisme français, résuma ce message, en termes succincts, dans la phrase finale de son discours au Congrès de Bâle : « En accentuant le danger de guerre, les gouvernements devraient voir que les peuples pourraient facilement faire leurs comptes : leur propre révolution leur coûterait moins de morts que la guerre des autres ».

    Au moment décisif, en août 1914, plusieurs grands partis socialistes (le parti social démocrate d’Allemagne, celui d’Autriche, ceux de Belgique, de France et de Grande-Bretagne) ont voté avec leur bourgeoisie les crédits pour financer la guerre. Le coût en vies humaines a été extrêmement élevé. Le total des décès dus au conflit mondial s’élève à 18,6 millions, 9,7 millions de militaires et 8,9 millions de civils. Entre 1914 et février 1917, le nombre de décès en Russie causés par la participation du Tsar à la première guerre mondiale s’éleva à 3 300 000 dont 1 800 000 parmi les militaires et 1 500 000 parmi les civils |6|.


    De la révolution de février 1917 à celle d’octobre

    Lorsque la révolution éclata en février 1917, avec une importante grève des femmes (elle a démarré le 23 février 1917 |7|, journée internationale pour les droits des femmes |8|), la population russe voulait se débarrasser du régime autocratique tsariste, elle voulait du pain, elle désirait également la fin de la guerre, l’accès à la terre pour des dizaines de millions de paysans qui en étaient privés et qui étaient forcés de risquer leur vie dans une guerre dont les objectifs leur étaient totalement étrangers.

    JPEG - 45.5 ko
    Alexandre Fedorovitch Kerensky (1881-1970)

    Le nouveau régime, dirigé par le socialiste modéré Kerensky |9| qui succéda au tsar se refusa à distribuer la terre aux paysans, voulu poursuivre la guerre et fût incapable de nourrir la population. Il s’engagea également à rembourser les dettes contractées par le régime tsariste auprès des créanciers étrangers et il réalisa de nouveaux emprunts afin de poursuivre la guerre.

    Dan, un des principaux dirigeants mencheviks opposés au parti bolchevik, décrit l’ébullition révolutionnaire dans les mois qui précédèrent octobre 1917 : les masses « commencèrent de plus en plus fréquemment à exprimer leur mécontentement et leur impatience dans des mouvements impétueux, et finirent (…) par se tourner vers le communisme (…). Les grèves se succédèrent. Les ouvriers cherchèrent à répondre à la hausse rapide du coût de la vie par des augmentations de salaires. Mais tous leurs efforts échouèrent par suite de la dévalorisation continue de la monnaie de papier. Les communistes lancèrent dans leurs rangs le mot d’ordre du « contrôle ouvrier », et leur conseillèrent de prendre en mains eux-mêmes la direction des entreprises, afin d’empêcher le « sabotage » des capitalistes. De l’autre côté, les paysans commencèrent à s’emparer des domaines, à chasser les propriétaires fonciers et à mettre le feu à leurs manoirs… » |10|.


    La révolution d’octobre 1917

    L’insatisfaction provoquée par la politique de Kerensky produisit une deuxième révolution en octobre 1917 (le 7 novembre 1917 selon le nouveau calendrier adopté plus tard). Le nouveau gouvernement |11|, soutenu par le congrès des soviets, s’engagea à réaliser la paix, distribuer la terre et, pour trouver les moyens de relancer l’économie du pays, répudier la dette et nationaliser le secteur bancaire |12|.

    La répudiation des dettes

    Début janvier 1918, le gouvernement soviétique suspendit le paiement de la dette étrangère et début février 1918, il décréta la répudiation de toutes les dettes tsaristes ainsi que les dettes contractées par le gouvernement provisoire afin de poursuivre la guerre entre février et novembre 1917. En même temps, il décida d’exproprier tous les avoirs des capitalistes étrangers en Russie afin de les restituer au patrimoine national. La dette publique russe en 1913 s’élevait à 930 millions de £ (soit grosso modo 50 % du PIB). Entre le début de la guerre et le moment où les Bolcheviques arrivent au pouvoir avec leurs alliés les Socialistes Révolutionnaires de gauche, la dette a été multipliée par 3,5 et atteignait 3 385 millions de £.

    En répudiant les dettes, le gouvernement soviétique mettait en pratique la décision prise en 1905 par le soviet de Petrograd et les différents partis qui le soutenaient. Cela provoqua une protestation unanime des capitales des grandes puissances alliées.


    Décret sur la Paix

    Le gouvernement soviétique proposait une paix sans annexion et sans compensation/réparation. Il y ajoutait la mise en pratique du droit à l’autodétermination des peuples. Il s’agissait de l’application de principes totalement novateurs ou révolutionnaires dans les relations entre les États.

    3. La révolution russe, la répudiation des dettes, la guerre et la paix

    Début janvier 1918, le gouvernement soviétique suspendit le paiement de la dette étrangère et début février 1918, il décréta la répudiation de toutes les dettes tsaristes ainsi que les dettes contractées par le gouvernement provisoire afin de poursuivre la guerre entre février et novembre 1917. En même temps, il décida d’exproprier tous les avoirs des capitalistes étrangers en Russie afin de les restituer au patrimoine national. En répudiant les dettes, le gouvernement soviétique mettait en pratique la décision prise en 1905 par le soviet de Petrograd et les différents partis qui le soutenaient. Cela provoqua une protestation unanime des capitales des grandes puissances alliées.

    Décret sur la Paix

    Le gouvernement soviétique proposait une paix sans annexion et sans compensation/réparation. Il y ajoutait la mise en pratique du droit à l’autodétermination des peuples. Il s’agissait de l’application de principes totalement novateurs ou révolutionnaires dans les relations entre les États. Il est avéré que cette politique du gouvernement soviétique a, à la fois, contrarié et influencé celle du président Woodrow Wilson |13| qui avait fait du droit à l’autodétermination des peuples un élément central de la politique extérieure des EU |14|. Les motivations des bolcheviques et celles du gouvernement des EU étaient certes différentes. Les EU, qui n’avaient pas un important domaine colonial, avaient tout intérêt à affaiblir les empires britannique et allemand, les puissances coloniales belges, françaises, hollandaises… afin d’occuper leur place par d’autres méthodes. Le meilleur argument diplomatique et humanitaire était le droit à l’autodétermination des peuples africains, caribéens, asiatiques qui subissaient encore le joug colonial. Pour les bolcheviques, il s’agissait de mettre fin à l’Empire tsariste qu’ils dénonçaient comme une prison des peuples.

    La volonté de faire la paix constituait une des causes fondamentales qui avaient provoqué le soulèvement révolutionnaire de 1917. L’écrasante majorité des soldats russes refusait la poursuite de la guerre. Ils étaient presqu’en totalité des paysans qui souhaitaient retourner vers leurs familles et travailler la terre. De plus, depuis de longues années, bien avant le début effectif de la guerre, les bolcheviques, dans le cadre de l’Internationale socialiste dont ils ont fait partie jusqu’à la trahison d’août 1914, se sont opposés à la politique de préparation de celle-ci, affirmant qu’il fallait un combat commun pour mettre fin au capitalisme et à sa phase impérialiste ainsi qu’à son domaine colonial.

    Pour mettre en pratique cette orientation, le gouvernement soviétique était forcé d’entamer des négociations séparées avec Berlin et ses alliés car, en 1917, Londres, Paris et Washington voulaient poursuivre la guerre. Le gouvernement soviétique a bien essayé d’amener ces capitales alliées à la table de négociation mais sans succès. Après avoir signé un armistice avec l’empire allemand mi-décembre 1917, il a fait traîner les négociations avec Berlin pendant 5 mois. Il avait l’espoir de voir plusieurs peuples d’Europe, en premier lieu le peuple allemand, se soulever contre leur gouvernement pour obtenir la paix. Il a également espéré en vain que le président Wilson apporterait un soutien à la Russie soviétique face à l’Allemagne |15|. Il voulait également démontrer à l’opinion publique internationale qu’il souhaitait une paix générale tant à l’Ouest qu’à l’Est et que ce ne serait qu’en dernier ressort qu’il serait amené à signer une paix séparée avec Berlin.

    Dés décembre 1917, le gouvernement soviétique commença à rendre public de nombreux documents secrets qui montraient comment les grandes puissances européennes se préparaient à se répartir des territoires et des peuples au mépris de leur droit à l’autodétermination. Il s’agissait notamment d’un accord entre Paris, Londres et Moscou datant de 1915 qui prévoyait que lors de la victoire, l’empire tsariste aurait le droit de prendre Constantinople, la France récupèrerait l’Alsace-Lorraine et Londres pourrait prendre le contrôle de la Perse |16|. Début mars 1918, le gouvernement soviétique signait le traité de Brest-Litovsk avec Berlin. Le prix était très élevé, l’Empire allemand s’octroyait une grande partie du territoire occidental de l’Empire russe : une partie des pays baltes, une partie de la Pologne et l’Ukraine. En résumé, ce traité amputait la Russie de 26 % de sa population, de 27 % de la surface cultivée, de 75 % de la production d’acier et de fer.

    L’intervention des puissances alliées contre la Russie soviétique

    L’appel du gouvernement soviétique à réaliser la révolution partout dans le monde, combiné à sa volonté de mettre fin à la guerre, à la répudiation des dettes réclamées par les puissances alliées et aux mesures de nationalisation, décida les dirigeants occidentaux à se lancer dans une action massive d’agression contre la Russie soviétique afin de renverser le gouvernement révolutionnaire et de restaurer l’ordre capitaliste. L’intervention étrangère commença pendant l’été 1918 et se termina fin 1920 quand les capitales occidentales constatèrent leur échec et durent reconnaître que le gouvernement soviétique et l’armée rouge avaient repris le contrôle du territoire. 14 pays participèrent avec des troupes à cette agression. La France envoya 12 000 soldats (en mer Noire et au Nord), Londres en envoya 40 000 (principalement au Nord), le Japon 70 000 (en Sibérie), Washington, 13 000 (au Nord avec les Britanniques et les Français), les Polonais, 12 000 (en Sibérie et à Mourmansk), la Grèce 23 000 (en mer Noire), le Canada 5 300 |17|. À noter que l’intervention japonaise se prolongea jusqu’octobre 1922. Selon Winston Churchill, ministre de la guerre dans le gouvernement britannique, les troupes étrangères alliées atteignirent 180 000 soldats.

    JPEG - 232.2 koParades des toupes alliées à Vladivostok en 1918

    Le gouvernement français était le plus violemment opposé au gouvernement soviétique et ce, dès le début. Plusieurs raisons l’expliquent : 1. il craignait l’extension en France du mouvement révolutionnaire initié par le peuple russe, l’opposition à la poursuite de la guerre était forte dans la population française ; 2. la décision soviétique de répudier la dette affectait la France plus que tout autre pays étant donné que les emprunts russes avaient été émis à Paris et étaient en majorité détenus en France.

    Il est avéré que le gouvernement français en 1917 avait entamé des pourparlers secrets avec Berlin afin d’arriver à un accord de paix qui prévoyait de laisser l’empire allemand s’étendre à l’Est au détriment de la Russie révolutionnaire à condition que soit restituée à la France l’Alsace et la Lorraine. Le refus de Berlin de faire cette concession à Paris mit fin à cette négociation |18|.

    L’armistice du 11 novembre 1918 signé entre les capitales occidentales et Berlin prévoyait que les troupes allemandes pouvaient rester provisoirement dans les territoires « russes » qu’elles occupaient. En vertu de l’article 12 de l’armistice, l’Allemagne devait évacuer tous les anciens territoires russes « dès que les Alliés jugeront le moment convenable, eu égard à la situation interne de ces territoires » |19|. Cela visait à permettre à l’armée impériale d’empêcher le gouvernement soviétique de récupérer rapidement le contrôle du territoire concédé à l’Allemagne par le traité de Brest-Litovsk. L’idée des Alliés était de permettre à des forces antibolcheviques de prendre le contrôle de ces territoires et d’en faire un point d’appui pour renverser le gouvernement.

    L’historien britannique E. H. Carr montre à quel point l’intervention contre la Russie soviétique était impopulaire : « Lorsque les hommes d’État alliés se réunirent à Paris pour la conférence de la Paix, en janvier 1919, ils discutèrent de l’occupation de la Russie par les troupes alliées ; le premier ministre britannique, Lloyd George, déclara à ses collègues que « s’il tentait actuellement d’envoyer un millier de soldats britanniques en occupation en Russie, les troupes se mutineraient » et que « si l’on entreprenait une opération militaire contre les bolcheviks, l’Angleterre deviendrait bolchevique ». Lloyd George, à son ordinaire, cherchait à frapper les esprits, mais, en même temps, son intuition percevait bien les symptômes. Au début 1919, il y eu de graves mutineries dans la flotte française et dans les unités militaires françaises débarquées à Odessa ainsi que dans d’autres ports de la mer Noire ; au début d’avril, elles furent précipitamment évacuées. Quant aux troupes multinationales sous commandement anglais sur le front d’Arkhangelsk, le directeur des opérations militaires au ministère anglais de la guerre fit savoir que leur moral était « si bas qu’elles étaient une proie aisée pour la propagande bolchevique, très active et insidieuse, que l’ennemi répand avec une énergie et une habileté sans cesse accrues ». Beaucoup plus tard, des rapports officiels américains révélèrent le détail de la situation. Le 1er mars 1919, des troupes françaises qui avaient reçu l’ordre de monter en ligne se mutinèrent. Quelques jours plus tôt, une compagnie d’infanterie britannique « refusa d’aller au front ». Peu après, une compagnie américaine « refusa pendant un certain temps de retourner au front ». Devant ces évènements, le gouvernement britannique décida en mars 1919 d’évacuer le nord de la Russie – évacuation qui ne fut complète que six mois plus tard. » |20|

    JPEG - 669.4 ko
    Interventions militaires occidentales dans l’ouest de la Russie en 1919 et 1920 (cliquer pour agrandir)

    Winston Churchill était un des principaux faucons dans le camp occidental. Profitant de l’absence de Lloyd George et du président des EU, lors d’une conférence au sommet tenue à Paris les 19 février 1919, Churchill intervint pour convaincre les autres gouvernements de compléter leur intervention par un soutien direct aux forces des généraux russes blancs, il proposa de leur envoyer « des volontaires, des techniciens des armes, des munitions, des tanks, des aéroplanes, etc. » et à « armer les forces antibolcheviques » |21|.

    Les Alliés tentèrent de convaincre les nouvelles autorités allemandes (pro-occidentales) de participer à l’action contre la Russie bolchevique. Malgré une très forte pression des capitales occidentales, en octobre 1919, le Reichstag, le parlement allemand, au sein duquel les socialistes (SPD) et les libéraux étaient majoritaires, vota à l’unanimité contre l’adhésion de l’Allemagne au blocus décrété par les Alliés contre la Russie soviétique. Pour être complet, il faut ajouter que dans le même temps des généraux allemands comme Ludendorff et, en particulier, Von der Goltz qui dirigeait les derniers débris organisés de l’ancienne armée impériale, soutenaient des actions militaires à l’Est pour venir en aide aux généraux russes blancs antibolcheviques. Ils le faisaient avec le soutien des capitales occidentales |22|.

    Il est évident que tant les gouvernements occidentaux ainsi que ceux des puissances centrales qui avaient été vaincues (Empire allemand et l’Autriche-Hongrie) craignaient l’extension à leur pays de la révolution. Lloyd George écrivait dans un document confidentiel au début de l’année 1919 : « L’Europe toute entière est gagnée par l’esprit révolutionnaire. Il y a chez les ouvriers un sentiment profond, non seulement de mécontentement, mais de colère et de révolte contre les conditions d’avant-guerre. L’ordre établi sous ses aspects politique, social, économique est remis en question par les masses de la population d’un bout à l’autre de l’Europe » |23|. Cette peur de la révolution n’était pas imaginaire et elle explique largement la violence de l’agression contre la Russie bolchevique.

    L’intervention étrangère soutint les attaques des généraux russes blancs et prolongea la guerre civile qui fut très meurtrière (celle-ci provoqua plus de morts que la guerre mondiale en Russie |24|). Le coût de l’intervention étrangère en vie humaines et en dégâts matériels était considérable et le gouvernement soviétique a exigé plus tard que cette question soit prise en considération dans les négociations internationales à propos de la répudiation de la dette (voir plus loin).


    Le blocus économique et financier contre la Russie soviétique, le blocus de l’or russe

    À partir de 1918, la Russie soviétique a fait l’objet d’un blocus de la part des puissances alliées. Le gouvernement soviétique était prêt à payer en or l’importation de biens dont il avait un besoin absolu. Mais aucune des grandes banques et aucun gouvernement du monde ne pouvait alors accepter l’or soviétique sans entrer en conflit direct avec les gouvernements alliés. En effet, Paris, Londres, Washington, Bruxelles… considéraient que l’or russe devait leur revenir afin d’indemniser les capitalistes qui avaient été expropriés en Russie et afin de rembourser les dettes. Ce fut un obstacle très difficile à surmonter pour le commerce soviétique. Aux États-Unis, toute personne ou entreprise voulant réaliser une transaction avec de l’or ou entrer dans le pays avec de l’or devait réaliser la déclaration suivante : « Le soussigné propriétaire d’un lot d’or... déclare et garantit, par la présente, que cet or n’est pas d’origine bolcheviste et n’a jamais été en possession du soi-disant Gouvernement bolcheviste de Russie. Le soussigné, en outre... garantit, pour toujours, aux États-Unis, sans aucune restriction ni aucune réserve quelconque, le droit sur ce dit or. » |25|.

    Il faut ajouter qu’après la capitulation allemande de novembre 1918, la France a réussi à récupérer la forte rançon en or que Berlin avait obtenu de la Russie en application du traité de paix de Brest-Litovsk signé en mars 1918 |26|. La France refusait de rétrocéder cet or à la Russie en considérant qu’il s’agissait d’une partie des réparations que l’Allemagne devait payer à Paris. A noter que le blocus de l’or russe s’est poursuivi partiellement pendant des années. C’est ainsi que la France a encore réussi en 1928 à obtenir des autorités de Washington qu’elles interdisent un paiement en or russe pour un contrat entre la Russie et une société privées des États-Unis.

    4. La révolution russe, le droit des peuples à l’autodétermination et la répudiation des dettes

    Le traité de Versailles est finalement signé le 28 juin 1919 sans que la Russie soviétique y prenne part. Néanmoins, le Traité de Versailles annulait le Traité de Brest-Litovsk. En vertu de l’article 116 du Traité de Versailles, la Russie pouvait demander des réparations à l’Allemagne. Ce qu’elle ne fit pas car elle voulut être cohérente avec sa position en faveur d’une paix sans annexion et sans demande d’indemnité. D’une certaine manière, ce qui lui importait c’est que le Traité de Brest-Litovsk soit aboli et que les territoires annexés par l’Allemagne en mars 1918 soient rendus aux peuples qui en avaient été spoliés (peuples baltes, peuple polonais, peuple ukrainien, peuple russe…), en accord avec le principe du droit à l’autodétermination défendu par le nouveau gouvernement soviétique.

    Les traités avec les républiques baltes, la Pologne, la Perse, la Turquie…

    Ce droit est ainsi invoqué dans les premiers articles de chacun des traités de paix signés entre la Russie soviétique et les nouveaux États baltes en 1920 : l’Estonie le 2 février, la Lituanie le 12 juillet et la Lettonie le 11 août. Ces traités de paix sont similaires et l’indépendance de ces États – qui avaient été intégrés de force dans l’Empire tsariste – y est systématiquement affirmée dans le premier ou le second article. À travers ces traités, la Russie réaffirme son opposition à la domination du capital financier et sa décision de répudier les dettes tsaristes. En effet, le traité signé le 2 février avec l’Estonie énonce : « L’Estonie ne portera aucune part des responsabilités dans les dettes et toutes autres obligations de la Russie (…). Toutes les réclamations des créanciers de la Russie pour la part de dettes concernant l’Estonie doivent être dirigées uniquement contre la Russie. » Des dispositions similaires à l’égard de la Lituanie et de la Lettonie figurent dans les traités signés avec ces États. En plus de réaffirmer que des peuples ne devraient pas avoir à payer des dettes illégitimes contractées en leur nom mais pas dans leur intérêt, la Russie soviétique reconnaît ainsi le rôle d’oppresseur joué par la Russie tsariste à l’égard des nations minoritaires composant l’Empire.

    JPEG - 79.5 ko
    Signature du traité de Tartu entre l’Estonie et la Russie soviétique, représentée par Adolf Joffé, le 2 février 1920.

    Cohérente avec les principes qu’elle proclame, la Russie soviétique va plus loin. Dans ces traités de paix, elle s’engage à restituer aux nations baltes opprimées les biens accaparés par le régime tsariste (et notamment les biens culturels et académiques tels que les écoles, les bibliothèques, les archives, les musées) ainsi que les biens individuels qui ont été évacués des territoires baltes durant la Première Guerre mondiale. À titre de réparations pour les dommages causés durant la Première Guerre mondiale à laquelle la Russie tsariste a participé, la Russie soviétique annonce dans ces traités sa volonté d’accorder 15 millions de roubles-or à l’Estonie, 3 millions de roubles-or à la Lituanie et 4 millions de roubles-or à la Lettonie, ainsi que le droit pour ces trois États d’exploiter le bois des forêts russes à proximité de leurs frontières. Tandis que les créances de l’État russe sur les ressortissants des États baltes sont transférées aux nouvelles autorités indépendantes, les traités de paix signés avec la Lituanie et la Lettonie précisent que les dettes des petits propriétaires paysans envers les anciennes banques foncières russes désormais nationalisées ne sont, quant à elles, pas transférées aux nouveaux gouvernements, mais « sont purement et simplement annulées ». Ces dispositions s’étendent également aux petits propriétaires estoniens en vertu de l’article 13 du traité de paix signé avec l’Estonie, qui prévoit que les « exonérations, droits ou privilèges particuliers » accordés à un nouvel État issu de l’Empire tsariste ou à ses citoyens, s’étend aussitôt à l’Estonie ou à ses citoyens.

    En signant ces traités, la Russie soviétique, tout en mettant en application les principes qu’elle veut défendre, cherche à sortir de l’isolement dans lequel les puissances impérialistes l’ont plongée depuis la Révolution d’Octobre. Les États baltes sont les premiers à rompre le blocus imposé à la Russie, et ces accords de paix ouvrent la voie à des échanges commerciaux entre les différentes parties. En mars 1921, un accord de paix similaire est signé entre la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie d’un côté, et la Pologne de l’autre côté. Ce document décharge la Pologne de toute responsabilité concernant les dettes contractées en son nom par l’Empire tsariste, prévoit la restitution des biens accaparés par la Russie tsariste, et le paiement de réparations à la Pologne par la Russie et l’Ukraine à hauteur de 30 millions de roubles-or. La signature de ce traité est plus significative encore que pour les États baltes : la Pologne est une puissance-clé dans l’isolement de la Russie voulu par les puissances capitalistes alliées.

    Le traité d’amitié signé entre la Russie soviétique et la Perse le 26 février 1921 est encore un signe de la volonté de la Russie soviétique de favoriser l’émancipation des opprimés par leur droit à l’autodétermination. Par ce traité, la Russie déclare rompre avec la « politique tyrannique des gouvernements colonisateurs » de la Russie tsariste, et renonce aux territoires et aux intérêts économiques qu’elle possède en Perse. Dès le premier article de ce document, il est indiqué : « L’ensemble des traités et conventions contractés entre la Perse et la Russie tsariste, qui a écrasé les droits du peuple perse, sont nuls et non avenus. » Puis l’article 8 dénonce clairement les dettes réclamées à la Perse par le régime tsariste : le nouveau gouvernement russe renonce à la politique économique du régime tsariste en Orient, « qui consistait à prêter de l’argent au gouvernement perse, non pas dans l’objectif de participer au développement économique du pays, mais dans des objectifs de soumission politique », et, dès lors, il annule les créances russes sur la Perse.

    Quelques semaines plus tard, le gouvernement soviétique renonce à toutes les obligations, y compris monétaires, de la Turquie envers la Russie en vertu des accords signés par le gouvernement tsariste |27|.

    5. La presse française à la solde du tsar

    Avec le renversement du tsarisme en février 1917 et l’arrivée au pouvoir des bolcheviks alliés aux socialistes-révolutionnaires de gauche en octobre, de nombreux documents qui étaient jusque-là confidentiels sont mis à disposition du public (voir plus loin). Cela permet à Boris Souvarine, militant communiste franco-russe, de consulter les archives impériales de Russie. Il découvre une vaste opération de corruption de la presse française datant d’avant la Première Guerre mondiale et visant à promouvoir auprès des citoyens français l’investissement dans les titres de la dette tsariste. Cette affaire, dans laquelle des personnages influents sont corrompus mais aussi maître-chanteurs, est dénoncée par le quotidien L’Humanité durant plusieurs mois entre 1923 et 1924, à travers un feuilleton quotidien intitulé « L’abominable vénalité de la presse française ».

    Comment le régime tsariste achetait la presse française pour continuer à émettre des titres de la dette

    Depuis la fin du 19e siècle, la place financière de Paris était privilégiée par l’Empire tsariste comme lieu d’émission de ses emprunts. Les titres étaient achetés par de nombreux petits rentiers français. Au début du 20e siècle, ces emprunts sont d’autant plus importants pour le maintien du régime tsariste – grande puissance peu développée économiquement – que celui-ci s’enlise dans une guerre avec le Japon de 1904 à 1905 et qu’il cherche à contenir le mécontentement, réprimant ainsi le mouvement révolutionnaire de 1905. En 1906, sorti défait de la guerre contre le Japon, le régime émet un important emprunt à Paris. Arthur Raffalovitch, diplomate et conseiller secret du Ministère des Finances russes à Paris, est chargé jusqu’à la Première Guerre mondiale de promouvoir les emprunts russes à Paris. Ce sont ses correspondances avec sa hiérarchie dans le gouvernement du tsar qui ont été consultées par Boris Souvarine et qui ont permis de révéler l’affaire de corruption et de chantage impliquant de nombreux grands journaux, notamment parisiens (comme Le Figaro, Le Petit Journal, Le Temps ou encore Le Matin), de grandes banques françaises (notamment le Crédit lyonnais et la Banque de Paris et des Pays-Bas, future BNP Paribas), des sénateurs et ministres français. Parmi ceux-ci, on trouve Raymond Poincaré, mis en cause pour le rôle qu’il a joué alors qu’il était chef du gouvernement et Ministre des Affaires étrangères en 1912 (son Ministre des Finances, Louis-Lucien Klotz, est lui aussi mis en cause). Poincaré a occupé par la suite le poste de Président de la République de 1913 à 1920, et est de nouveau chef du gouvernement et Ministre des Affaires étrangères lorsque le scandale éclate. Notons que l’affaire ne l’a pas gêné : il reste chef du gouvernement jusqu’en juin 1924, et le redevient en 1926 en occupant en prime... le poste de Ministre des Finances ! Le rôle du syndic des agents de change de Paris – qui vendaient les titres de la dette aux investisseurs – a, quant à lui, été central dans le chantage auquel le gouvernement du tsar a été soumis. Entre 1900 et 1914, 6,5 millions de francs auraient été versés à la presse française par le gouvernement russe.

    JPEG - 61.8 ko
    Boris Souvarine

    Lorsque l’affaire éclate, la corruption de la presse n’est pas un événement nouveau en ce qui concerne le monde de la finance, puisqu’un scandale datant de la fin du 19e siècle avait révélé que l’emprunt devant financer la construction du canal de Panama et émis en France avait été promu par les mêmes méthodes. Dans l’affaire des emprunts russes, le gouvernement tsariste et les banques françaises qui émettaient les titres achetaient de la « publicité » aux grands journaux, qui vantaient alors la situation financière russe et la soutenabilité de la dette du tsar. D’après les correspondances de l’agent tsariste Raffalovitch, cette publicité comportait également des actes de censure – des évènements tels que la mauvaise posture de la Russie dans sa guerre contre le Japon ou le mouvement révolutionnaire de 1905 n’auraient pas fait bonne figure auprès de potentiels investisseurs. Ces échanges indiquent même des abonnements factices à certains journaux ! Le syndic des agents de change, les directeurs de journaux et les responsables politiques corrompus ont profité de cette situation pour faire chanter le gouvernement russe, exiger des paiements plus importants et maximiser leurs gains.

    Les révélations de L’Humanité sont basées sur des documents authentiques. Parmi les journaux incriminés par L’Humanité, seul Le Matin porte plainte contre le journal communiste. Dès le premier jour du procès, Vladimir Kokovtsov, Ministre des Finances du tsar quasiment sans interruption de 1904 à 1914 et chef du gouvernement tsariste de 1911 à 1914, est appelé à comparaître. Réactionnaire et exilé en France, il n’a pas d’intérêt à accuser directement la presse, mais il certifie l’honnêteté de son ancien collaborateur Raffalovitch. Il faut noter que si L’Humanité est finalement condamnée, c’est purement pour la forme puisque le tribunal reconnaît l’authenticité des correspondances dévoilées et n’accorde au Matin que 10 000 francs sur les 1 500 000 que celui-ci réclamait à L’Humanité. Précisons enfin qu’en 1924, Maurice Bunau-Varilla, qui possède Le Matin et est directement mis en cause dans l’affaire, ne cache plus ses sympathies pour les nationalismes autoritaires qui se mettent en place en Europe afin de lutter contre le communisme. Il soutient l’Italie fasciste puis, quelques années plus tard, l’Allemagne nazie. Sous l’occupation et le régime de Vichy, Le Matin devient collaborationniste, et est interdit à la Libération.

    JPEG - 972 ko
    L’Humanité du 5 décembre 1923 (cliquer pour agrandir)

    6. Les titres russes ont eu une vie après la répudiation

    Alors qu’en février 1918, les titres russes ont été répudiés par le gouvernement soviétique, ils ont continué à faire l’objet de transactions jusque dans les années 1990.

    La politique du gouvernement français et d’autres gouvernements est directement liée à cette vie après la mort.

    Les emprunts russes ne meurent jamais

    En 1919, le gouvernement français a dressé une liste des détenteurs de titres russes en France : 1 600 000 personnes déclarèrent en détenir. Il semble que les titres russes représentaient 33 % des obligations étrangères détenues par des résidents en France. Cela représentait 4,5 % du patrimoine des Français. 40 à 45 % de la dette russe étaient détenus en France. L’un des principaux titres russes qui s’échangeaient à la bourse de Paris était le fameux emprunt de 1906 qui avait été dénoncé à l’avance par le Soviet de Petrograd en décembre 1905. Cet emprunt massif avait été émis à Paris en juin 1906 pour un montant de 2,25 milliards de francs. Il était destiné à permettre au régime tsariste de continuer à payer les anciennes dettes et à rétablir les finances après la débâcle de la guerre russo-japonaise. Le Crédit lyonnais |28|, la banque française qui s’était spécialisée dans l’émission de la dette russe, tirait de ces emprunts 30 % ses revenus avant 1914.

    Pendant la période qui a précédé et qui a suivi la répudiation des dettes par le gouvernement soviétique, 72 % des titres de l’emprunt de 1906 se trouvaient en France et faisaient l’objet de transactions à la bourse de Paris.

    Un très haut niveau de complicité unissait le régime tsariste, le gouvernement français, les banquiers français qui émettaient les titres russes (Crédit lyonnais en première ligne, mais également la Société générale et la Banque de l’union parisienne |29|), les grands agents de change et la presse française qui était achetée par l’émissaire du tsar.

    Les banquiers faisaient de gros bénéfices grâce aux commissions perçues au moment de l’émission et grâce aux opérations spéculatives de vente et d’achats sur les titres russes. Ils faisaient cela sans prendre de risques importants puisque ce sont les petits porteurs qui les prenaient. Les propriétaires des journaux empochaient les pots-de-vin remis par l’émissaire du tsar. Des membres clés du gouvernement se faisaient également graisser la patte. Sur le plan politique et diplomatique, le tsar était un allié de premier choix pour le gouvernement de la France et les grands groupes capitalistes français qui investissaient en Russie (comme les capitalistes belges).

    Pendant la guerre, c’est le gouvernement français qui payait les intérêts auxquels avait droit chaque porteur de titre. L’intérêt était de 5 %. Le montant des intérêts versés par le gouvernement français à la place de l’empire russe était ensuite ajouté à la dette que la Russie devait à la France. Le renversement du tsar par le peuple russe en février 1917 constitua une mauvaise affaire pour le gouvernement français qui mit ses espoirs sur le gouvernement provisoire puisque celui-ci affirma qu’il honorerait les dettes contractées par le tsar. Les choses se gâtèrent vraiment quand les bolcheviks et leurs alliés les socialistes de gauche furent portés au gouvernement par les soviets en novembre 1917. Lorsque le gouvernement soviétique suspendit le paiement de la dette en janvier 1918, le gouvernement français versa de nouveau les intérêts des titres russes aux porteurs de titres. Lorsque le gouvernement soviétique répudia toutes les dettes du tsar et celles du gouvernement provisoire, la France décida d’utiliser les grands moyens et se prépara à envoyer des troupes en Russie. Dès juillet 1918, quatre mois avant que l’armistice ne soit signé avec l’empire allemand, le gouvernement envoya des troupes françaises se joindre aux troupes britanniques qui avaient pris Mourmansk au Nord de la Russie. Ensuite, d’autres militaires furent envoyés pour occuper Arkhangelsk. Après la signature de l’armistice avec Berlin, la France envoya des troupes en Mer Noire pour bombarder avec les bateaux de guerres des positions de l’armée rouge. Cela provoqua une mutinerie parmi les matelots français. L’agression contre la Russie soviétique n’était bien sûr pas seulement motivée par la répudiation de la dette, les différentes puissances qui y participèrent voulaient mettre fin à un foyer de contagion révolutionnaire. Mais les intérêts financiers de la France et de ses capitalistes ont constitué un puissant moteur. Les autorités françaises soutenaient financièrement les généraux russes blancs dans leur lutte pour renverser les bolcheviks car ils avaient proclamé qu’ils reconnaissaient les dettes du tsar. Paris soutenait également les politiciens et les militaires polonais, ukrainiens et ceux des républiques baltes qui obtenaient leur indépendance ou luttaient dans cette perspective avec l’espoir que les autorités des nouveaux États indépendants prendraient en charge une part des dettes tsaristes. Quand les soviétiques signèrent à partir de 1920 des traités avec les républiques baltes et la Pologne par lesquels ils considéraient que ces pays ne devaient prendre aucune charge des dettes tsaristes, Paris le prit très mal.


    Que se passa-t-il pour les porteurs de titres russes après la répudiation des dettes rendue publique en février 1918 ?

    En France, en septembre 1918, le gouvernement proposa un échange de titres russes contre des titres de la dette française. Les porteurs de titres russes pouvaient acquérir des titres du nouvel emprunt que réalisait le gouvernement français. Ils pouvaient remettre les titres russes qu’ils détenaient pour recevoir en échange des titres français. En juillet 1919, le gouvernement français renouvela l’opération. Les autorités de Rome, de Londres et de Washington firent de même : elles échangèrent des titres russes respectivement contre des titres italiens ou britanniques ou étatsuniens. Le gouvernement japonais quant à lui indemnisa à 100 % les porteurs japonais de titres russes |30|.

    Il est clair qu’en procédant de la sorte, les gouvernements de ces pays sont venus en aide aux banquiers qui auraient dus être rendus responsables du financement du régime tsariste et payer pour les conséquences de la répudiation des dettes odieuses. Dans le cas français, le gouvernement français était activement co-responsable avec les banquiers du soutien au régime du tsar. Le gouvernement français avait systématiquement poussé une partie de sa base sociale, les rentiers de la classe moyenne, à acquérir des titres russes.

    Une précision importante : en France, une grande partie des titres russes ne furent pas échangés contre des titres français. Les titres russes donnaient un rendement supérieur aux titres français. Le taux d’intérêt sur les titres russes de 1906 s’élevait à 5 % tandis que le taux moyen sur les titres de l’État français était de 3 %.

    Entre 1918 et 1922, des rumeurs diffusées par la presse financière et par le gouvernement laissaient entendre que le gouvernement soviétique allait tomber et que son successeur allait assumer la dette tsariste. De plus, lors de la conférence de Gênes et à d’autres moments, la même presse laissait entendre que Moscou allait finalement accepter de reconnaître la dette. On assista à une situation surréaliste : des titres émis par un gouvernement qui n’existait plus, des titres répudiés, continuaient à s’acheter et se vendre à la bourse de Paris. C’est un exemple parfait de capital fictif.

    Entre 1918-1919, le prix de revente des titres russes oscilla entre 56,5 % et 66,25 % de la valeur faciale (ils avaient été vendus au départ à 88 % de la valeur faciale). Le prix des titres souverains français à la même époque oscillait entre 61 et 65 %. La différence entre le prix des titres russes répudiés et des titres français était donc faible. Il est certain que le spéculateur (et les banquiers sont les premiers sur la liste) fait une très bonne affaire s’il achète à 56 quand les petits porteurs s’en débarrassent parce qu’ils sont effrayés par telle ou telle rumeur lancée par la presse (et en sous-main les banquiers) et s’il le revend à 66.

    7. Le grand jeu diplomatique autour de la répudiation des dettes russes

    En avril-mai 1922, durant cinq semaines, se réunit une importante conférence de très haut niveau. Le premier ministre britannique, Lloyd George, y joua un rôle central ; Louis Barthou, ministre du président français, Raymond Poincaré également.

     

    L’objectif central était de convaincre la Russie soviétique |31| à la fois de reconnaître les dettes qu’elle avait répudiées en 1918 et d’abandonner ses appels à la révolution mondiale.

    La négociation de Gênes (1922)

    D’autres points figuraient à l’agenda de cette conférence qui réunit des délégués de 34 pays à l’exception des États-Unis mais ils ne firent pas vraiment l’objet de grands débats. Parmi ces points : adopter des règles en matière monétaire, notamment à propos du système du Gold exchange standard qui a été adopté cette année-là. Vu l’absence des États-Unis, les décisions à ce propos ont été prises ailleurs.

    Les puissances invitantes étaient au nombre de 5 : la Grande-Bretagne (l’ex-principale puissance mondiale qui venait d’être dépassée par les États-Unis), la France (la troisième puissance mondiale suite à la défaite de l’Allemagne), la Belgique (qui avant-guerre était la cinquième puissance mondiale en termes d’exportation), le Japon (dont l’empire était en pleine expansion en Asie de l’Est) et l’Italie.

    Sur les 5 puissances invitantes, l’une, le Japon, avait encore des troupes d’occupation en Sibérie soviétique. Il ne les retira définitivement que six mois après la fin de la conférence, en octobre 1922. Les 12 autres pays qui avaient, en 1918, envoyé des troupes armées afin de renverser le gouvernement soviétique et d’en finir avec l’expérience révolutionnaire, avaient mis fin à l’occupation du territoire soviétique depuis la fin de l’année 1920. Les troupes étrangères, dont le moral guerrier était au plus bas, avaient en effet été retirées après que leur gouvernement ait constaté à regret que les généraux russes blancs étaient définitivement battus par l’armée rouge et que l’intervention étrangère était incapable d’y remédier. Dès lors il s’agissait d’obtenir, par des voies diplomatiques et par le chantage, ce que les armes n’avaient pas pu réaliser.

    Les grandes puissances pensaient qu’à la conférence, le gouvernement soviétique allait finir par reconnaître les dettes qui avaient été répudiées car la situation économique et humanitaire russe était dramatique. La guerre civile avait laissé un pays exsangue et à partir de l’été 1921, des récoltes catastrophiques avaient causé une terrible famine. Les capitales occidentales pensaient que le gouvernement soviétique était à genou et qu’elles arriveraient à leur fin en conditionnant l’octroi des prêts et des investissements dont la Russie avait besoin à la reconnaissance préalable des dettes et à l’octroi de réparation aux entreprises occidentales qui avaient été expropriées.

    La France qui restait la grande puissance la plus agressive à l’égard de la Russie soviétique (il en allait de même à l’égard de l’Allemagne |32|), était appuyée par les autorités belges. De son côté, la Grande-Bretagne qui avait été moins affectée par la répudiation des dettes était plus ouverte au dialogue avec Moscou et avait signé en mars 1921 un accord commercial anglo-russe qui mettait fin au blocus et signifiait une reconnaissance de facto |33| de la Russie soviétique.

    Pour sa part, le gouvernement soviétique était éventuellement disposé à accepter de rembourser une partie des dettes contractées par le tsar si, en échange, les autres puissances reconnaissaient officiellement (= reconnaissance de jure) la Russie soviétique, lui octroyaient des prêts d’État à État, encourageaient les entreprises privées, affectées par l’expropriation de leurs filiales et de leur bien en Russie, à accepter comme indemnisation des concessions pour exploiter les ressources naturelles en particulier dans les zones désertiques de Sibérie. Le gouvernement soviétique voulait de la sorte que les capitalistes étrangers investissent avec leur propre bourse des capitaux frais dans des activités permettant à l’économie soviétique de se consolider. Le gouvernement refusait en outre la mise en place d’organismes multilatéraux pour gérer les prêts, les investissements ou les litiges qui pourraient s’y rapporter. Il voulait que le pouvoir soviétique garde son entière autonomie face aux puissances étrangères. Il n’était pas question de renoncer à l’exercice de la souveraineté.

    Si ces conditions étaient réunies, Moscou était disposé à promettre de reprendre le paiement d’une partie de la dette tsariste dans un délai de trente ans. La délégation soviétique affirma clairement à plusieurs reprises au cours de la conférence qu’il s’agissait d’une concession qu’elle était prête à réaliser afin d’arriver à un accord mais, qu’au fond, elle considérait que la Russie soviétique était parfaitement en droit d’avoir répudié toute la dette tsariste (de même que celle contractée par le gouvernement provisoire entre février et octobre 1917). Finalement la conférence s’est terminée sur un désaccord et la délégation soviétique a maintenu la répudiation.

    Pour comprendre le déroulement de la conférence, il convient également de prendre en compte la relation particulière qui s’est établie entre Berlin et Moscou après le Traité de Versailles de juin 1919.

    JPEG - 76.3 ko
    Signature du traité de Rapallo : le chancelier Joseph Wirth avec lesreprésentants de la délégation soviétique Leonid Krassin, Grigorij Tchitchérine et Adolf Joffe

    Le gouvernement de Berlin était composé d’une coalition entre les socialistes (SPD), les centristes (ancêtre de la CDU d’Angela Merkel) et les libéraux (l’ancêtre du FDP actuel), il était fondamentalement pro-occidental et anti-soviétique. Mais comme il était affecté par le paiement des énormes réparations imposées par le Traité de Versailles et croulait sous la dette qui en découlait, il était enclin à dialoguer et à passer des accords avec Moscou. Cette tendance était renforcée par la volonté des grandes firmes industrielles allemandes (dont AEG et Krupp) d’écouler une partie de leur production vers le marché russe dont il avait été le principal partenaire commercial à partir des années 1870, comme nous l’avons vu. En se rendant de Moscou à Gênes, la délégation soviétique a fait une halte prolongée à Berlin pour y mener des négociations et se concerter avec les autorités allemandes avant de se retrouver face aux puissances invitantes dans la ville italienne. En pleine conférence de Gênes, alors que les puissances invitantes adoptaient une attitude intransigeante à l’égard de Moscou, éclata un coup de théâtre : les délégations allemande et soviétique qui s’étaient réunies dans la ville voisine de Rapallo, ont signé un important accord bilatéral qui est resté dans l’histoire comme le Traité de Rapallo.

    Il est tout à fait intéressant de revenir sur le déroulement de la conférence de Gênes, sur les négociations qui s’y déroulèrent et sur les arguments qui furent utilisés de part et d’autre.

    Les grandes puissances convocantes voulaient mettre un maximum de pression sur la Russie soviétique en indiquant qu’un objectif fondamental de la conférence consistait dans « la reconnaissance par tous les pays de leurs dettes publiques et l’octroi de compensations. » |34|

    Les grandes puissances affirmaient dans leur convocation que le « sentiment de sécurité ne peut être rétabli que si les nations (ou les Gouvernements des Nations) désirant obtenir des crédits étrangers s’engagent librement à reconnaître toutes les dettes et obligations publiques qui ont été ou qui seront contractées ou garanties par l’État, les municipalités et les autres organismes publics, et à reconnaître également l’obligation de restituer, de restaurer ou, à défaut, d’indemniser tous les intérêts étrangers pour les pertes ou les dommages qui leur ont été causés du fait de la confiscation ou de la séquestration de la propriété » |35|.

    D’emblée Georges Tchitcherine, le chef de la délégation soviétique rétorqua : « l’oeuvre de la reconstruction économique de la Russie, et, avec elle, le travail tendant à mettre fin au chaos économique européen, seront dirigés sur une voie fausse et fatale, si les nations économiquement plus puissantes, au lieu de créer les conditions nécessaires à la renaissance économique de la Russie et de lui faciliter sa marche vers l’avenir, l’écrasent sous le poids d’exigences au-dessus de ses forces, survivances d’un passé qui lui est odieux. » |36|

    Dans la discussion, face aux soviétiques qui affirmaient que le peuple et son nouveau gouvernement n’avait pas à assumer les dettes contractées par le régime tyrannique antérieur, Lloyd George répondit : « lorsqu’un pays assume des obligations contractuelles envers un autre pays ou envers les nationaux de celui-ci pour des valeurs reçues, ce contrat ne saurait être dénoncé, chaque fois qu’un pays change de Gouvernement, ou, au moins, faudrait-il que ce pays restituât les valeurs qu’il a reçues » |37|

    8. En 1922, nouvelle tentative de soumission des Soviets aux puissances créancières

    Les gouvernements occidentaux ont présenté un programme complet d’exigences visant à résoudre en leur faveur le contentieux qui concernait la répudiation des dettes et les expropriations décrétées par le gouvernement soviétique. Elles ont été présentées à Gênes le 15 avril 1922, 5 jours après le début de la conférence, dans un document intitulé « Rapport du comité des experts de Londres sur la question russe ».

    Les exigences occidentales à l’égard de Moscou

    L’article 1 disait : « Article 1.
    Le Gouvernement Soviétique russe devra accepter les obligations financières de ses prédécesseurs, c’est-à-dire du Gouvernement Impérial russe et du Gouvernement provisoire russe, vis-à-vis des Puissances étrangères et de leurs ressortissants.
     »

    La forme et le contenu de tout le document indiquent très clairement qu’il s’agissait d’une série d’impositions que les puissances occidentales voulaient dicter au pouvoir soviétique.

    Toujours dans le premier article, on trouvait une disposition qui allait directement à l’encontre des traités que la Russie soviétique avait signés en 1920-1921 avec les républiques baltes et avec la Pologne (qui avaient obtenu leur indépendance après la chute du régime tsariste) qui prévoyaient, comme nous l’avons vu, que ces États ne devraient pas assumer des dettes tsaristes.

    « Il en est de même de la question de savoir si et dans quelle mesure les États nouveaux issus de la Russie et actuellement reconnus, ainsi que les États ayant acquis une partie du territoire russe, devront supporter une part des obligations envisagées dans les présentes dispositions. »

    L’article 3 rendait redevable le gouvernement soviétique des actes posés par le régime tsariste :

    « Article 3.
    Le Gouvernement Soviétique russe devra s’engager à assumer la responsabilité de tous les dommages matériels et directs, nés ou non à l’occasion de contrats et subis par les ressortissants des autres Puissances, s’ils sont dus aux actes ou à la négligence du Gouvernement Soviétique ou de ses prédécesseurs…
     »

    C’était évidemment en contradiction totale avec la position de Moscou.

    L’article 4 donnait presque tous les pouvoir à des organes étrangers aux autorités soviétiques :

    « Les responsabilités prévues par les articles précédents seront fixées par une Commission de la dette russe et par des Tribunaux Arbitraux Mixtes à créer. »

    L’annexe 1 précisait la composition de la Commission de la dette russe et ses compétences. Le gouvernement soviétique serait clairement en minorité dans la Commission :
    « Annexe I.
    Commission de la dette russe.
    1. Il sera constitué une Commission de la dette russe, composée de membres nommés par le Gouvernement russe, de membres nommés par les autres Puissances, et d’un Président indépendant, qui sera choisi d’accord entre les autres membres et en dehors d’eux, ou qui, à défaut d’accord, sera désigné par la Société des Nations, s’exprimant, par exemple, par son Conseil ou par la Cour de Justice Internationale.
     »

    La commission aura le pouvoir d’émettre de la nouvelle dette russe pour payer les anciennes dettes tsaristes et pour indemniser les capitalistes étrangers dans les entreprises ayant été nationalisées :

    « La Commission aura les attributions ci-après : a) régler la constitution et la procédure des Tribunaux Arbitraux Mixtes, qui doivent être institués conformément aux dispositions de l’Annexe II, et donner toutes instructions nécessaires en vue d’assurer l’unité de leur jurisprudence ; (…)
    - délivrer les nouvelles obligations russes, en conformité avec les dispositions de l’Annexe II, aux personnes qui y ont droit en vertu des décisions des Tribunaux Arbitraux Mixtes : aux porteurs de titres d’État anciens ou autres titres ou valeurs, en échange desquels les nouvelles obligations russes doivent être remises ; aux personnes y ayant droit à titre de consolidation d’intérêts et de remboursement de capital.
     »

    La commission dominée par les créanciers devait avoir des pouvoirs exorbitants allant jusqu’à déterminer quelles ressources de la Russie devraient être utilisées pour rembourser la dette :

    « Déterminer, s’il y a lieu, dans l’ensemble des ressources de la Russie celles qui devront être spécialement affectées au service de la dette ; par exemple, un prélèvement sur certains impôts ou sur les redevances ou taxes frappant les entreprises en Russie. Contrôler, le cas échéant, si la Commission le juge nécessaire, la perception de tout ou partie de ces ressources affectées, et en gérer le produit. »

    Pour les puissances invitantes, il s’agissait de faire accepter à la Russie soviétique une institution de tutelle bâtie sur le modèle de ce qui avait été imposé à la Tunisie, à l’Égypte, à l’Empire ottoman et à la Grèce au cours de la seconde moitié du 19e siècle |38|. Cela ressemble également fortement à ce qui a été imposé à la Grèce à partir de 2010.

    L’annexe III donnait les pleins pouvoirs en ce qui concerne l’émission de la dette russe à la Commission de la dette dans laquelle les autorités soviétiques étaient marginalisées :

    « Toutes les indemnités pécuniaires accordées à la suite de réclamations formulées contre le Gouvernement soviétique seront réglées par la remise de nouvelles obligations russes pour le montant fixé par les Tribunaux Arbitraux Mixtes. Les conditions dans lesquelles ces obligations seront remises, ainsi que toutes autres questions naissant de la conversion des anciens titres, et des opérations concernant les nouvelles émissions, seront déterminées par la Commission de la dette russe.
    2. Les obligations produiront un intérêt, dont le taux sera fixé par la Commission de la dette russe.
     »

    Alors que le gouvernement soviétique avait dit très clairement qu’il refusait de payer les dettes contractées après le 1er août 1914 pour mener la guerre, le texte de l’annexe III affirmait « en raison de la situation économique très grave dans laquelle se trouve la Russie, lesdits Gouvernements créanciers sont prêts à abaisser le montant des dettes de guerre que la Russie a contractées envers eux ».

     

    9. La contre attaque soviétique : le traité de Rapallo de 1922

    Ce texte qui constituait un véritable acte de provocation de la part des puissances occidentales amena la délégation soviétique à contacter dans les heures qui suivirent la délégation allemande qui était tenue un peu à l’égard de la conférence par Paris et Londres. Ces capitales espéraient convaincre les Russes soviétiques de faire les conditions mentionnées plus haut ou, en tout cas, une partie d’entre elles pour, ensuite, négocier avec les Allemands dans une situation favorable. La question russe était clairement prioritaire.

    Joffé, un des responsables de la délégation soviétique, téléphona aux Allemands à 1 heure du matin du dimanche de Pâques 16 avril 1922 pour leur proposer de se rencontrer immédiatement afin d’essayer d’arriver à un accord bilatéral. Le biographe de Walther Rathenau, le ministre allemand de l’économie, raconte que les membres de la délégation allemande se réunirent en pyjama dans la chambre d’hôtel de Rathenau pour décider s’ils acceptaient l’invitation soviétique. Ils acceptèrent et quatorze heures plus tard, le dimanche 16 avril 1922 à 17h00, le Traité de Rapallo était signé entre l’Allemagne et la Russie soviétique |39|. Ce traité comportait la renonciation mutuelle à toute exigence d’ordre financier, y compris les réclamations allemandes touchant aux décrets soviétiques de nationalisation « à condition que le Gouvernement de la R. S. F. S. R. ne donne pas satisfaction aux réclamations similaires introduites par d’autres États » |40|. Il faut souligner que la Russie soviétique était en cela cohérente avec la position que le gouvernement soviétique avait adoptée en matière de proposition de paix dès le lendemain de la révolution : une paix sans annexion et sans réparations. Rappelons que l’Empire allemand avait imposé à la Russie en mars 1918 des conditions draconiennes, lors du traité de Brest-Litovsk, en annexant des territoires russes et en exigeant une rançon de guerre très lourde. Ensuite ce traité avait été annulé en juin 1919 par celui de Versailles par lequel les puissances occidentales imposaient à la République d’Allemagne une amputation de son territoire et de lourdes réparations. De son côté, par le traité de Rapallo, la Russie soviétique signait un accord de paix qui contenait un renoncement mutuel à des réparations et ce, alors que l’article 116 du Traité de Versailles donnait le droit à la Russie d’obtenir des indemnités financières de la part de l’Allemagne. Cette démarche de la Russie soviétique était également cohérente avec les traités qu’elles avaient signés en 1920-1921 avec les républiques baltes et avec la Pologne.

    Une autre clause du Traité de Rapallo prévoyait que l’Allemagne financerait la création d’entreprises mixtes destinées à renforcer le commerce entre les deux pays.

    En résumé, le traité de Rapallo signé à l’initiative de la délégation soviétique constitua une riposte ferme à l’attitude très agressive et dominatrice des puissances occidentales.

    Ensuite, la délégation soviétique prit le temps de communiquer sa réponse officielle aux puissances occidentales en réaction aux exigences formulées le 15 avril par celles-ci.

    JPEG - 622.1 ko
    Le Petit Journal du 20 avril 1922

    10. À Gênes (1922), les contre-propositions soviétiques face aux impositions des puissances créancières

    Le 20 avril 1922, Tchitcherine communiqua la réponse soviétique aux propositions occidentales divulguées le 15 avril.

     

    La réponse indiquait que : « La Délégation russe reste d’avis que la situation économique actuelle de la Russie et les circonstances qui l’ont amenée justifient amplement, pour la Russie, sa libération totale de toutes ses obligations citées dans les propositions susmentionnées, par suite de la reconnaissance de ses contre-réclamations. » |41|

    Malgré son désaccord avec les exigences exorbitantes des puissances occidentales, la délégation russe se disait cependant prête à faire des concessions concernant la dette contractée par le tsar avant l’entrée en guerre le 1er août 1914. Elle avançait toute une série de propositions.

    Elle s’engageait, en cas d’accord, à commencer le paiement de la dette trente ans plus tard : « La reprise des versements découlant des engagements financiers acceptés par le Gouvernement de Russie (…), y compris le paiement des intérêts, commencera après une période de 30 ans écoulés à dater du jour de la signature du présent accord. » |42|

    La délégation russe disait qu’elle ne signerait un accord avec les autres gouvernements que si ceux-ci reconnaissaient pleinement le gouvernement soviétique et si des crédits d’État à État étaient accordés par ceux-ci, non pas pour l’aider à rembourser sa dette mais pour lui permettre de reconstruire son économie. Concrètement, cela signifiait que le gouvernement soviétique demandait d’abord à recevoir de l’argent frais de manière à relancer l’économie du pays, ce qui permettrait après un délai de trente ans de commencer le remboursement d’une partie de la dette contractée par le régime tsariste avant le 1er août 1914.


    Les contre propositions occidentales sur la dette russe

    Le 2 mai 1922, les puissances invitantes firent de nouvelles propositions à la délégation russe mais, bien que sur certains points elles faisaient de petites concessions (notamment en proposant un délai de 5 ans avant la reprise du paiement de la dette), elles introduisirent de nouvelles conditions inacceptables notamment sur le plan politique. La Clause 1 précisait que « toutes les Nations devraient s’engager à s’abstenir de toute propagande subversive de l’ordre et du système politique établis dans d’autres pays, le Gouvernement Soviétique russe n’interviendra en aucune manière dans les affaires intérieures et s’abstiendra de tout acte susceptible de troubler le statu quo territorial et politique dans d’autres États. »

    Cela signifiait notamment que le gouvernement soviétique devait renoncer à appeler les peuples coloniaux à faire respecter leur droit à l’autodétermination. Concrètement, il aurait à s’interdire de soutenir l’indépendance des colonies comme l’Inde, les colonies africaines des différents empires, en particulier les empires britannique et français. Il aurait fallu aussi que le gouvernement soviétique n’apporte plus son soutien à des grèves et à d’autres formes de luttes dans les autres pays.

    La Clause 1 ajoutait : « Il supprimera également sur son territoire toute tentative d’aider des mouvements révolutionnaires dans d’autres États. » |43| Pratiquement cela signifiait ne plus apporter son soutien à l’Internationale communiste (connue également comme la Troisième Internationale) qui avait été créée en 1919 et avait son siège à Moscou.

    En matière de dette, la clause 2 réaffirmait la position des puissances occidentales : « le Gouvernement Soviétique russe reconnaît toutes les dettes et obligations publiques, qui ont été contractées ou garanties par le Gouvernement Impérial Russe ou par le Gouvernement provisoire russe ou par lui-même vis-à-vis des Puissances étrangères. »

    Le point 2 de la clause 2 refusait la demande soviétique qui consistait à faire valoir son droit à des indemnités pour les pertes matérielles et humaines causées à la Russie par l’agression à laquelle les puissances étrangères s’étaient livrées pendant et après la révolution. Le texte disait : « Les Alliés ne peuvent pas admettre la responsabilité invoquée contre eux par le Gouvernement Soviétique russe, pour les pertes et dommages subis pendant la révolution en Russie depuis la guerre ».

    La clause 6 exigeait la mise en place d’une commission arbitrale internationale dans laquelle la Russie serait minoritaire « Cette Commission sera composée d’un membre nommé par le Gouvernement Soviétique russe, d’un membre nommé par les porteurs étrangers, de deux membres et d’un Président, lesquels seront nommés par le Président de la Cour Suprême des États-Unis ou, à son défaut, par le Conseil de la Société des Nations ou le Président de la Cour Permanente Internationale de Justice de La Haye. Cette Commission décidera toutes questions concernant une remise d’intérêts ainsi que les modes de paiement du capital et des intérêts, en tenant compte de la situation économique et financière de la Russie. »

    En résumé, les puissances invitantes remplaçaient la commission de la dette russe proposée par eux le 15 avril par une commission arbitrale disposant de pouvoirs très étendus et dans laquelle la Russie serait minoritaire.

    La réponse soviétique réaffirme le droit à la répudiation des dettes

    JPEG - 9.6 ko
    Gueorgui Vassilievitch Tchitcherine en 1925.

    Le 11 mai 1922, la délégation soviétique communiqua une réponse qui allait entériner l’échec des négociations de Gênes et qui réaffirmait avec force le droit à la répudiation des dettes.

    Tchitcherine affirma que « plus d’un parmi les États présents à la Conférence de Gênes a répudié dans le passé des dettes et des obligations contractées par lui, plus d’un État a confisqué et séquestré des biens de ressortissants étrangers ou de ses propres ressortissants sans que pour cela ils aient été l’objet de l’ostracisme appliqué à la Russie des Soviets. » 

    Tchitcherine souligne qu’un changement de régime par la voie d’une révolution entraîne la rupture des obligations prises par le régime antérieur. « Il n’appartient pas à la Délégation Russe de légitimer ce grand acte du peuple russe devant une assemblée de puissances dont beaucoup comptent dans leur histoire plus d’une révolution ; mais la Délégation russe est obligée de rappeler ce principe de droit que les révolutions, qui sont une rupture violente avec le passé apportent avec elles de nouveaux rapports juridiques dans les relations extérieures et intérieures des États.
    Les gouvernements et les régimes sortis de la révolution ne sont pas tenus à respecter les obligations des gouvernements déchus.
     »


    La souveraineté des peuples n’est pas liée par les traités des tyrans

    Tchitcherine poursuit : « La Convention française, dont la France se réclame comme son héritière légitime, a proclamé le 22 septembre 1792 que la « souveraineté des peuples n’est pas liée par les traités des tyrans ». Se conformant à cette déclaration, la France révolutionnaire non seulement a déchiré les traités politiques de l’ancien régime avec l’étranger, mais encore a répudié sa dette d’État. Elle n’a consenti à en payer, et cela pour des motifs d’opportunité politique, qu’un tiers. C’est le « tiers consolidé », dont les intérêts n’ont commencé à être régulièrement versés qu’au début du XIX siècle. Cette pratique, érigée en doctrine par des hommes de loi éminents, a été suivie presque constamment par les gouvernements issus d’une révolution ou d’une guerre de libération. Les États-Unis ont répudié les traités de leurs prédécesseurs, l’Angleterre et l’Espagne. » |44|

    Tchitcherine, sur la base de précédents historiques soutient que la Russie soviétique avait le droit de procéder à des nationalisations de biens étrangers sur son territoire : « D’autre part les gouvernements des États vainqueurs, pendant la guerre et surtout lors de la conclusion des traités de paix, n’ont pas hésité à saisir les biens des ressortissants des États vaincus situés sur leur territoire et même sur les territoires étrangers.
    Conformément aux précédents, la Russie ne peut pas être obligée d’assumer une responsabilité quelconque vis-à-vis des puissances étrangères et de leurs ressortissants pour l’annulation des dettes publiques et pour la nationalisation des biens privés.
     »

    Face à la demande d’indemnités avancées par les puissances occidentales, Tchitcherine rétorque : « Autre question de droit : le Gouvernement russe est-il responsable des dommages causés aux biens, droits et intérêts des ressortissants étrangers du fait de la guerre civile, en dehors de ceux qui leur ont été causés par les actes mêmes de ce Gouvernement, c’est-à-dire de l’annulation des dettes et de la nationalisation des biens ? Ici encore la doctrine juridique est toute en faveur du Gouvernement russe. La révolution, de même que tous les grands mouvements populaires, étant assimilée aux forces majeures, ne confère à ceux qui en ont souffert aucun titre à l’indemnisation. Quand les citoyens étrangers, appuyés par leurs gouvernements, demandèrent au gouvernement du tsar le remboursement des pertes qui leur avaient été causées par les événements révolutionnaires de 1905-1906, ce dernier repoussa leurs demandes en motivant son refus par la considération que, n’ayant pas accordé de dommages-intérêts à ses propres sujets pour des faits analogues, il ne pouvait pas placer les étrangers dans une position privilégiée. »

    Tchitcherine conclut cette partie de son argumentation par : « Ainsi donc au point de vue du droit la Russie n’est nullement tenue à payer les dettes du passé, à restituer les biens ou à indemniser leurs anciens propriétaires, non plus qu’à payer des indemnités pour les autres dommages subis par les ressortissants étrangers soit du fait de la législation que la Russie dans l’exercice de sa souveraineté s’est dotée, soit du fait des événements révolutionnaires. »

    Ensuite le responsable de la délégation soviétique réaffirme la disposition de la Russie soviétique à faire des concessions de manière volontaire afin de tenter d’arriver à un accord.

    « Pourtant, dans un esprit de conciliation et pour arriver à une entente avec toutes les puissances, la Russie a accepté » de reconnaître une partie de la dette.

    Tchitcherine montre sa maîtrise des jurisprudences en affirmant « La pratique et la doctrine sont d’accord pour imposer la responsabilité des dommages causés par l’intervention et le blocus aux gouvernements qui en sont les auteurs.
    Pour ne pas citer d’autres cas, nous nous contenterons de rappeler la décision de la Cour Arbitrale de Genève du 14 septembre 1872 condamnant la Grande-Bretagne à payer aux États-Unis 15 millions de dollars pour les dommages causés à ces derniers par le corsaire Alabama City qui, dans la guerre civile entre les États du Nord et les États du Sud, avait aidé ces derniers.
    L’intervention et le blocus des alliés et des neutres contre la Russie constituaient de la part de ces derniers des actes de guerre officiels. Les documents publiés à l’annexe II du premier Mémorandum russe prouvent avec évidence que les chefs des armées contre-révolutionnaires n’étaient tels qu’en apparence et que leurs véritables commandants étaient les généraux étrangers envoyés spécialement à cet effet par certaines puissances.
    Ces puissances ont pris non seulement une part directe à la guerre civile, mais en sont les auteurs.
     »

    Dans un document annexe fournit par la délégation soviétique, celle-ci développe le raisonnement suivant : « Les dettes d’avant-guerre faites par la Russie à l’étranger sont plus que compensées par les dommages énormes et durables causés à notre richesse nationale par l’intervention, le blocus et la guerre civile, organisés par les Alliés. (…) Mais ce qui a été fait d’une main (emprunts d’avant-guerre) a été détruit de l’autre (interventions, blocus, guerre civile). C’est pourquoi la seule mesure équitable serait de considérer les dettes d’avant-guerre comme amorties par les dommages causés et d’ouvrir une ère nouvelle de relations financières. » |45|

    Tchitcherine réaffirme que la Russie est prête à faire des concessions si on lui accorde des crédits réels : « dans son désir d’obtenir un accord pratique, la Délégation russe, (…), est entrée dans la voie de plus amples concessions et s’est déclarée disposée à renoncer conditionnellement à ses contre-prétentions et à accepter les engagements des gouvernements déchus en échange d’une série de concessions de la part des puissances, dont la plus importante est la mise à la disposition du Gouvernement russe de crédits réels se montant à une somme préalablement déterminée. Malheureusement cet engagement des puissances n’a pas été tenu. »

    Le responsable de la délégation soviétique rejette la prétention des puissances invitantes à réclamer de la Russie qu’elle rembourse les crédits octroyés au tsar et au gouvernement provisoire pour poursuivre une guerre que le peuple rejetait : « De même le Mémorandum repose tout entière la question des dettes de guerre, dont l’annulation était une des conditions de la renonciation de la Russie à ses contre–prétentions ».

    Concernant la volonté des puissances invitantes d’imposer à la Russie une commission internationale d’arbitrage, Tchitcherine répond que si cette commission est instituée : « La souveraineté de l’État russe devient le jeu du hasard. Elle peut être mise en échec par les décisions d’un tribunal arbitral mixte composé de quatre étrangers et un Russe qui décident en dernier lieu si les intérêts des étrangers doivent être restaurés, restitués ou indemnisés. »

    Enfin Tchitcherine dénonce le fait que des puissances comme la France exigent bec et ongles que la Russie soviétique indemnise quelques capitalistes sans prendre en considération la masse de petits porteurs de titres russes que la Russie serait prête à indemniser : « la Délégation russe constate que les États intéressés, en réservant toute leur sollicitude pour un groupe restreint de capitalistes étrangers et en faisant preuve d’une intransigeance doctrinaire inexplicable, ont sacrifié les intérêts (…) de la foule des petits porteurs d’emprunts russes et des petits propriétaires étrangers dont les biens ont été nationalisés ou séquestrés, et que le Gouvernement russe avait l’intention de comprendre parmi les réclamants dont il reconnaissait la justice et le bien-fondé. La Délégation russe ne peut s’empêcher d’exprimer sa surprise que des puissances comme la France, qui possède la majorité des petits porteurs d’emprunts russes, aient montré le plus d’insistance pour la restitution des biens, en subordonnant les intérêts des petits porteurs d’emprunts russes à ceux de quelques groupes exigeant la restitution des biens ».

    Tchitcherine conclut sur la responsabilité des puissances invitantes dans l’échec de la négociation : il affirme que pour qu’un accord soit atteint il aurait fallu que « les puissances étrangères ayant organisé l’intervention armée en Russie renoncent à parler à la Russie le langage d’un vainqueur avec un vaincu, la Russie n’ayant pas été vaincue. Le seul langage qui aurait pu aboutir à un accord commun était celui que tiennent l’un vis-à-vis de l’autre des États contractants sur un pied d’égalité. (…)

     

    Les masses populaires de Russie ne sauraient accepter un accord dans lequel les concessions n’auraient pas leur contre-partie dans des avantages réels. »

    11. Dette : Lloyd George versus les soviets

    En séance plénière, Lloyd George fit une réponse qui en dit long :
    « La Russie peut d’une manière abondante obtenir des secours, mais si elle veut les obtenir, il ne faut pas qu’elle s’y prenne de cette façon, et qu’elle ait en quelque sorte l’air de faire exprès de provoquer et d’outrager les sentiments, appelez les préjugés, les sentiments de la vaste majorité des gens (…)

    J’ai parlé de préjugés. Je vais vous en citer deux ou trois, puisqu’ils ont été foulés aux pieds dans votre mémorandum du 11 mai. En Europe occidentale, lorsqu’un homme vend des marchandises à un autre, il a un préjugé curieux : il aime à être payé. Un autre préjugé est celui-ci : si un homme prête de l’argent à son voisin, sur sa demande, contre promesse de remboursement, il s’attend à ce qu’on le rembourse. Voilà encore un autre préjugé : si ce voisin vient le trouver et lui demande encore des secours, naturellement le premier lui demande : « Est-ce bien dans votre intention de me rembourser ? Remboursez d’abord ce que je vous ai prêté ». Si à cela l’emprunteur répond : « Mes principes ne me permettent pas de payer », si étrange que cela puisse paraître à la Délégation russe, cet occidental est tellement plein de préjugés que, très probablement, il ne voudra pas prêter de nouvelles sommes d’argent. Ce n’est pas une question de principe - je sais ce que sont les principes révolutionnaires - mais en dehors de la Russie, qu’est-ce vous voulez, il y a de drôles de gens, avec de drôles d’idées ! Et si vous voulez avoir affaire à nous, il faut nous prendre comme nous sommes. Ce sont là des idées que nous avons en quelque sorte sucées avec le lait, que nous avons héritées de générations d’ancêtres honnêtes et laborieux, et ici je désire avertir la délégation russe qu’il ne faut pas qu’elle s’attende, dans cette route que nous allons prendre ensemble vers la paix finale, à ce que nous laissions tomber froidement nos préjugés sur le bord de la route. Ces préjugés, ces idées, elles plongent leurs racines profondément dans le sol de l’Europe occidentale. Il y a des milliers d’années qu’elles y sont enracinées. (…) Quand vous écrivez à quelqu’un pour obtenir de nouvelles sommes d’argent, ce n’est pas véritablement le moyen de réussir que de consacrer la plus grande partie de votre lettre à une savante dissertation pour justifier la doctrine de la répudiation des dettes. Ce n’est pas cela qui vous aidera à obtenir des crédits. C’est peut-être une doctrine très sûre, mais cela n’est pas diplomatique. (…) En terminant, je voudrais vous implorer, parlant comme un homme qui a toujours été en faveur de cette idée d’aller au secours de cette noble nation, de lui demander, quand elle viendra à La Haye, de ne plus chercher à fouler aux pieds nos idées d’Occident. » |46|

    La réponse de Tchitcherine :
    Après avoir déploré d’avoir « été empêchés de poser devant la Conférence la question du désarmement », il répond à Lloyd George : « M. le Premier Ministre de la Grande Bretagne me dit que si mon voisin m’a prêté de l’argent, je dois le lui payer, eh bien j’y consens en l’espèce, cherchant la conciliation, mais alors j’ajoute que si ce voisin a fait irruption chez moi et, ayant tué mes fils, a brisé mon mobilier, a brûlé ma maison, il doit commencer au moins par me rétablir ce qu’il a détruit. » |47|

    Il faut préciser également qu’au cours de la négociation sur le reste de l’agenda de la conférence de Gênes, la délégation soviétique est intervenue à plusieurs reprises pour que des décisions soient prises afin d’organiser un désarmement général. La France avait réagi de manière violente en refusant purement et simplement que ce point soit mis en discussion. Pour le gouvernement de la France, il était hors de question de réduire les dépenses d’armement. Bien sûr, cette orientation était à cent lieues de celle du peuple français, mais on avait affaire à un gouvernement de droite belliciste qui dirigeait son agressivité à la fois contre l’Allemagne et contre la Russie (sans parler des peuples colonisés). En 1921, la France avait encore essayé de mettre sur pied une alliance avec la Roumanie (qui avait annexé la Bessarabie, une partie du territoire de l’ancien empire russe) et la Pologne dirigée contre la Russie soviétique. La France envisageait de déclarer conjointement avec ces deux pays la guerre à la Russie soviétique |48|.

    Par ailleurs la délégation soviétique proposait que toutes les nations soient invitées à la conférence de Gênes, il fallait notamment que les peuples colonisés puissent être représentés directement. Les organisations ouvrières auraient dû également être invitées. La délégation soviétique critiquait les propositions générales en matière économique.

    Tchitcherine déclara que « Le chapitre VI du Rapport de la Commission économique, qui a trait au travail, s’ouvre par la constatation générale de l’importance du concours des travailleurs pour la restauration économique de l’Europe. Cependant, nous ne trouvons point ce qui serait le plus nécessaire aux travailleurs, nous n’y trouvons aucune mention de la législation de protection ouvrière, en dehors de la question du chômage ; nous n’y trouvons non plus aucune proposition concernant les coopératives, quoique ces dernières soient un instrument de premier ordre pour l’amélioration des conditions du travailleur. Il est regrettable au plus haut degré, qu’au cours des travaux de la première Sous-commission les propositions relatives aux coopératives aient été écartées. Mais il y a plus encore : l’article 21, qui mentionne les conventions de la Conférence du travail de Washington, prive ces conventions d’une grande partie de leur importance pratique en consacrant le droit des participants à ne pas les ratifier. Ce fait que la Délégation russe s’est efforcée d’écarter, s’explique par le désir de certains Gouvernements, comme la Suisse, de ne pas adopter la journée de huit heures. La Délégation russe considère la journée de huit heures comme le principe fondamental du bien-être du travailleur, et elle élève une objection formelle contre la latitude explicitement donnée aux Gouvernements de ne pas l’appliquer. » |49|

    Devant l’échec des négociations à Gênes, les puissances invitantes et la Russie se mirent d’accord pour se revoir un mois plus tard, à La Haye, afin d’essayer de réaliser un accord de la dernière chance. Le rendez-vous eut lieu mais aboutit également à un échec le 20 juillet 1922. La France et la Belgique, soutenues cette fois dans les coulisses par Washington qui était absent, avaient durci encore un peu plus leur position |50|.

    12. La réaffirmation de la répudiation des dettes débouche sur un succès

    Avant que ne se tienne la conférence de Gênes, la Russie soviétique avait réussi à signer des traités bilatéraux avec la Pologne, les républiques baltes, la Turquie, la Perse… Surtout, elle réussit à signer un accord commercial avec la Grande-Bretagne. Cet accord, signé en 1921, avait validé les lois soviétiques de nationalisation aux yeux des tribunaux britanniques et les entreprises qui commerçaient avec la Russie ne risquaient plus d’être inquiétées |51|.

    Pendant la conférence de Gênes, la Russie obtint également un succès avec la signature d’un traité avec l’Allemagne par lequel chaque partie renonçait à demander des réparations.

    On aurait pu croire que l’échec de la conférence de Gênes et de celle de La Haye allait amener les puissances capitalistes à durcir leur position à l’égard de Moscou. C’est le contraire qui se passa. Le gouvernement soviétique a manifestement bien calculé. Les différents pays capitalistes ont considéré séparément qu’il fallait passer des accords avec Moscou car le marché russe offrait un important potentiel de même que les ressources naturelles du pays. Chaque capitale, sous la pression des entreprises privées locales, voulut passer un accord avec Moscou afin de ne pas laisser les autres puissances profiter des possibilités du marché russe.

    En 1923-24, malgré l’échec de la conférence de Gênes, le Gouvernement des Soviets fut reconnu de jure par l’Angleterre, l’Italie, les pays scandinaves, la France, la Grèce, la Chine et quelques autres pays. En 1925, s’ajouta le Japon.

    Paris réduisit fortement ses exigences. En France, un décret du 29 juin 1920 avait créé une commission spéciale pour la liquidation des affaires russes, qui avait pour mission de « liquider et de recouvrer tous les fonds de l’ancien État russe, quelle que soit leur origine ». Six jours avant la reconnaissance du Gouvernement des Soviets le 24 octobre 1924, le Gouvernement français supprimait cette commission. Une véritable victoire pour Moscou.

    Quelques mois auparavant, le gouvernement travailliste britannique avait passé un accord avec l’URSS par lequel les Britanniques acceptaient les réclamations soviétiques pour les dommages causés par l’intervention britannique dans la guerre civile entre 1918 et 1920 |52|. Lloyd George avait pourtant déclaré à Gênes qu’il n’en était pas question. Le gouvernement promettait d’octroyer, sous certaines conditions, sa garantie pour l’émission d’un emprunt soviétique sur le marché financier de Londres.

    Deux ans à peine après l’échec de Gênes, alors que l’URSS maintenait la répudiation des dettes, le gouvernement britannique s’apprêtait à donner sa garantie pour un emprunt soviétique ! Le dirigeant soviétique Kamenev pouvait écrire dans la Pravda le 24 septembre 1924 : « Le traité avec l’Angleterre est une base effective pour la reconnaissance expresse de notre nationalisation de la terre et d’entreprises, de la répudiation des dettes et de toutes les autres conséquences de notre révolution. » |53|

    Finalement, quand les Conservateurs revinrent au pouvoir quelques mois plus tard, ils refusèrent de ratifier ce traité mais néanmoins une entreprise britannique importante s’engagea à investir dans des mines d’or en renonçant officiellement à toute demande d’indemnité pour la nationalisation qu’elle avait subie en 1918.


    À partir de 1926, malgré la répudiation des dettes, des banques privées européennes et des gouvernements commencent à accorder des prêts à l’URSS

    Le 26 juin 1926, l’URSS signait un accord de crédit avec des banques allemandes. En mars 1927, c’est la banque Midland de Londres qui octroya un crédit de 10 millions de £.

    En octobre 1927, la municipalité de Vienne accordait un crédit de 100 millions de shillings. En 1929, la Norvège consentait un crédit de 20 millions de couronnes.

    Les dirigeants républicains des États-Unis fulminaient. Le secrétaire d’État Kellogg a dénoncé l’attitude conciliante des Européens, dans son discours du 14 avril 1928, devant le Comité national Républicain : « Aucun État n’a été capable d’obtenir le paiement de dettes contractées par la Russie sous des Gouvernements précédents, ou le dédommagement de ses citoyens pour la propriété confisquée. Il y a donc tout lieu de croire que la reconnaissance des Soviets et l’ouverture des négociations n’ont d’autre effet que d’encourager les maîtres actuels de la Russie dans leur politique de répudiation et de confiscation... » |54|.

    Finalement les États-Unis, en novembre 1933, sous la présidence de F. Roosevelt reconnurent de jure l’URSS. Le 13 février 1934, le Gouvernement des États-Unis créait l’Export and Import Bank dans le but de financer le commerce avec l’Union soviétique. Quelques mois plus tard, la France, afin de ne pas être exclue du marché soviétique, proposa elle-même des crédits à l’URSS afin que celle-ci achète des produits français.

    Alexander Sack, qui était opposé à la répudiation des dettes et farouchement antisoviétique, concluait son étude sur les réclamations diplomatiques contre les Soviets par ces quelques phrases qui indiquent clairement qu’il est tout à fait possible de répudier des dettes sans pour autant être voué à l’isolement et à la faillite, bien au contraire :

    « Au moment du vingtième anniversaire du régime soviétique, les réclamations étrangères à son égard présentent le tableau mélancolique d’une pétrification, sinon d’un abandon. L’Union soviétique se vante d’être actuellement un des pays les plus industrialisés ; elle a une balance commerciale favorable ; elle occupe le deuxième rang dans la production de l’or dans le monde. Son Gouvernement est, à présent, universellement reconnu et des crédits commerciaux lui sont accordés, pratiquement, autant qu’il en désire. Malgré cela, l’Union n’a pas reconnu, ni payé, aucune des dettes résultant de ses décrets de répudiation, de confiscation et de nationalisation. » |55|


    Conclusion

    Cette étude s’est concentrée sur la répudiation des dettes par le gouvernement soviétique. Elle a montré que cette décision remontait à un engagement pris lors de la révolution de 1905. Le contexte international a été analysé : les traités de paix, la guerre civile, le blocus, la conférence de Gênes et les nombreux accords de prêts qui ont suivi malgré la poursuite de la répudiation des dettes passées.

    Par manque d’espace, je n’ai pas abordé l’évolution du régime soviétique : l’étouffement progressif de la critique, la dégénérescence bureaucratique et autoritaire du régime |56|, les politiques catastrophiques en matière agricole (notamment la collectivisation forcée sous Staline) et en matière industrielle, l’imposition sous Staline dans les années 1930 d’un régime de terreur.

    Le sort des membres de la délégation qui a représenté le gouvernement soviétique à Gênes illustre l’évolution dramatique du régime et les effets de la politique représentée par Staline. La délégation était composée de : Georges Tchitcherine, Adolph Joffé, Maxime Litvinov, Christian Rakovski, Leonid Krassine. A part ce dernier qui décède de maladie en 1926 à Londres, le sort des autres est significatif. Georges Tchitcherine est entré en disgrâce en 1927-1928.

    Adolph Joffé se suicide le 16 novembre 1927, laissant une lettre d’adieu à Trotsky, véritable testament politique. Son enterrement est l’une des dernières grandes manifestations publiques « autorisée » de l’opposition antistalinienne. Maxime Litvinov, le 3 mai 1939, est démis de ses fonctions dans des circonstances violentes : la Guépéou encercle son ministère, ses assistants sont battus et interrogés. Litvinov étant juif et ardent partisan de la sécurité collective, son remplacement par Molotov accroît la marge de manœuvre de Staline et facilite les négociations avec les Nazis. Celles-ci débouchent sur le pacte germano-soviétique en août 1939 qui a eu des conséquences funestes. Après l’attaque nazie de 1941 contre l’URSS, Litvinov reprendra du service. Christian Rakovski, camarade de Trotsky dès avant la première guerre mondiale, qui s’était opposé à la bureaucratie dès le début des années 1920 a été exécuté en 1941 par la Guépéou sur ordre de Staline.

    Cette évolution tragique montre une fois encore qu’il ne suffit pas de répudier des dettes odieuses pour apporter une solution aux problèmes multiples de la société. Il n’y a aucun doute là-dessus. Pour que la répudiation des dettes soit réellement utile, il faut qu’elle fasse partie d’un ensemble cohérent de mesures politiques, économiques, culturelles et sociales qui permettent de faire la transition vers une société libérée des différentes formes d’oppression dont elle souffre depuis des millénaires.

    Réciproquement, pour de nombreux pays, il est très difficile d’envisager de commencer une telle transition tout en prétendant continuer à payer des dettes odieuses léguées du passé. Les exemples ne manquent pas dans l’histoire. Le dernier en date : la soumission de la Grèce aux diktats des créanciers depuis 2010 et les effets terribles de la capitulation en juillet 2015 d’un gouvernement qui prétendait poursuivre le remboursement de la dette afin d’obtenir une réduction de celle-ci.


    Épilogue

    En 1997, 6 ans après la dissolution de l’URSS, Boris Eltsine passait un accord avec Paris pour mettre définitivement fin au contentieux sur les titres russes. Les 400 millions de dollars obtenus de la Fédération de Russie en 1997-2000 par la France ne représentent qu’environ 1 % des sommes réclamées à la Russie soviétique par les porte-paroles des créanciers français représenté par l’État |57|. Il faut également souligner que l’accord entre la Russie et le Royaume-Uni du 15 juillet 1986 a permis l’indemnisation des porteurs britanniques pour 1,6 % de la valeur actualisée des titres.

    Ce taux d’indemnisation est dérisoire et indique une fois de plus qu’un pays peut répudier sa dette.

    En août 1998, affectée par la crise asiatique et les effets de la restauration capitaliste, la Russie a suspendu unilatéralement le paiement de la dette pendant six semaines. La dette publique externe s’élevait à 95 milliards de dollars, dont 72 milliards de dollars à l’égard des banques privées étrangères (30 milliards de dollars dus aux banques allemandes et 7 milliards dus aux banques françaises, parmi lesquelles le Crédit lyonnais) et le reste était dû principalement au Club de Paris ainsi qu’au FMI. La suspension totale de paiement suivie d’une suspension partielle au cours des années suivantes a amené les différents créanciers à accepter une réduction qui a oscillé entre 30 et 70 % selon les cas. La Russie, qui était en récession avant de décréter la suspension de paiement a connu ensuite un taux de croissance annuel de l’ordre de 6 % (période 1999-2005). Joseph Stiglitz, qui a été, entre 1997 et 2000, l’économiste en chef de la Banque mondiale, souligne : « Empiriquement, il y a très peu de preuves accréditant l’idée qu’un défaut de paiement entraîne une longue période d’exclusion d’accès aux marchés financiers. La Russie a pu emprunter à nouveau sur les marchés financiers deux ans après son défaut de paiement (de 1998) qui avait été décrété unilatéralement, sans consultation préalable avec les créanciers. […] Dès lors, en pratique, la menace de voir le robinet du crédit fermé n’est pas réelle. » |58|.

    En résumé de deux phrases : Il est possible de répudier ou de suspendre unilatéralement le paiement de la dette et de relancer l’économie. Ce n’est pas une condition suffisante pour régler tous les problèmes mais cela s’avère à la fois indispensable et utile dans certaines circonstances.


    Remerciements : L’auteur remercie pour leur aide, leur relecture et leurs suggestions : Pierre Gottiniaux, Nathan Legrand, Brigitte Ponet et Claude Quémar. L’auteur est entièrement responsable des éventuelles erreurs contenues dans ce travail.


    Notes

    |1| Cet extrait du livre Ma vie est disponible en ligne : https://www.marxists.org/francais/t...

    |2| Trotsky a rédigé ce texte en 1930.

    |3| Cet extrait du livre 1905 est disponible en ligne : https://www.marxists.org/francais/t...

    |4| En 1914, on trouvait des tramways exploités par des entreprises belges dans 26 villes russes. Selon le ministre belge, Henri Jaspar, qui évoquait au parlement belge les intérêts de la Belgique en Russie avant-guerre : « la fonte que nous fabriquions en Russie représentait 1/3 de la production totale de fonte russe ; les poutrelles, les laminés, les traverses représentaient 42 % de la production totale russe ; les produits chimiques fabriqués par les Belges en Russie représentaient 75 % des produits chimiques fabriqués dans la Russie entière ; les glaces représentaient 50 % de la production russe, les verres à vitre 30 % ». Selon ce ministre, 161 entreprises belges étaient présentes en Russie avant la guerre. Sources : Annales parlementaires, Chambre, 1921-1922, p. 883-884 ; séance du 23 mai 1922. Voir aussi Documents parlementaires, Sénat, 1928-1929, n° 88, Rapport de la Commission des Affaires étrangères, p. 37-38. Ces documents sont cités par Jean Stengers, Belgique et Russie, 1917-1924 : gouvernement et opinion publique, Revue belge de philologie et d’histoire, Année 1988, Volume 66, Numéro 2 pp. 296-328 http://www.persee.fr/doc/rbph_0035-...

    |5| J. Longuet, Le mouvement socialiste international, Paris, 1931, p. 58.

    |6| Les pays les plus touchés, outre la Russie, ont été l’Empire allemand avec 2 millions de morts parmi les militaires et 420 000 civils, la France (colonies incluses) avec 1,4 million de militaires et 300 000 civils, l’Autriche-Hongrie avec 1,1 million de militaires et 470 000 civils, le Royaume-Uni (colonies incluses), 885 000 militaires et 110 000 civils, l’Empire ottoman, 800 000 militaires et 4,2 millions de civils et le Royaume de Serbie 1 250 000 victimes, dont 800 000 civils, soit un tiers de sa population. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Perte...

    |7| En 1917, la Russie utilisait encore le calendrier julien, qui « retarde » d’environ 13 jours par rapport au calendrier grégorien qui a été adopté en 1918 et qui correspond au calendrier occidental. Ainsi la révolution de février 1917 a eu lieu lors de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, le 8 mars dans le calendrier actuel. De même la révolution d’octobre a eu lieu le 7 novembre. Dans le reste du texte, les dates correspondent au calendrier actuel (c.-à-d. grégorien).

    |8| Voir Léon Trotsky. 1930. Histoire de la révolution russe, 1. Février. Le Seuil, 1967, Paris, chapitre 7.

    |9| Alexandre Fedorovitch Kerensky (1881-1970), avocat, travailliste (son parti : troudovik) a été le chef du gouvernement provisoire en 1917.

    |10| Dan, dans Martov-Dan : Geschichte der russischen Sozialdemokratie, Berlin 1926, pp. 300-301. Cité par Ernest Mandel, Octobre 1917 : Coup d’État ou révolution sociale, IIRF, Cahiers d’étude et de recherche numéro 17/18, Amsterdam, 1992, p. 9. http://www.ernestmandel.org/fr/ecri...

    |11| Le gouvernement était composé d’une alliance entre le parti bolchevique et les socialistes révolutionnaires de gauche.

    |12| EDWARD H. CARR. 1952. La révolution bolchevique, Tome 2. L’ordre économique, Édition de Minuit, Paris, 1974, chapitre 16.

    |13| Thomas Woodrow Wilson, né à Staunton le 28 décembre 1856 et mort à Washington, D.C. le 3 février 1924, est le vingt-huitième président des États-Unis. Il est élu pour deux mandats consécutifs de 1913 à 1921.

    |14| Voir la déclaration de W. Wilson de février 1918 « every territorial settlement in this war must be made in the interest and for the benefit of the population concerned, and not as part of any mere adjustment compromise of claims amongst rival states ». Voir également cette déclaration de 1919 lors de la signature du pacte de création de la Société des Nations « The fundamental principle of this treaty is a principle never aknowledged before… that the countries of the world belong to the people who live in them ». Ces deux citations proviennent de Odette Lienau, Rethinking Sovereign Debt : Politics, Reputation, and Legitimacy in Modern Finance, Harvard University, 2014, p. 62-63. http://www.hup.harvard.edu/catalog....

    |15| En janvier-février 1918, le président Wilson a adopté une attitude publique apparemment bienveillante à l’égard de la Russie soviétique. Voir notamment le point 6 de sa déclaration en 14 points au Congrès des EU le 8 janvier 1918 https://fr.wikipedia.org/wiki/Quato...
    Mais en pratique finalement Wilson n’a pas voulu apporter d’aide aux soviétiques.

    |16| Voir EDWARD H. CARR. 1952. La révolution bolchevique, Tome 3. La Russie soviétique et le monde, Edition de Minuit, Paris, 1974, chapitre 22. P. 24 de l’édition française de 1974.

    |17| Voir notamment https://fr.wikipedia.org/wiki/Inter...

    |18| C’est Lloyd George qui a rendu compte de ces pourparlers dans ses mémoires : Lloyd George, War Memoirs, IV, 1934, 2081-2107. Voir EDWARD H. CARR. 1952. La révolution bolchevique, Tome 3. La Russie soviétique et le monde, Edition de Minuit, Paris, 1974, chapitre 22. P. 36 de l’édition française de 1974.

    |19| Voir EDWARD H. CARR. 1952. La révolution bolchevique, Tome 3. La Russie soviétique et le monde, Edition de Minuit, Paris, 1974, chapitre 28. P. 317 de l’édition française de 1974.

    |20| EDWARD H. CARR. 1952. La révolution bolchevique, Tome 3. La Russie soviétique et le monde, Edition de Minuit, Paris, 1974, chapitre 13. P. 136-137 de l’édition française de 1974.

    |21| Cité par E. H. Carr, tome 3, p. 122 de l’édition française de 1974.

    |22| E. H. Carr, tome 3, p. 316 de l’édition française de 1974.

    |23| Cité par E. H. Carr, tome 3, p. 139 de l’édition française de 1974.

    |24| Sur la guerre civile russe, lire Jean-Jacques Marie, La guerre civile russe (1917-1922), 2005.

    |25| The New York Times, 2 avril 1921 cité par Alexander N. SACK, Les réclamations diplomatiques contre les soviets (1918-1938), Revue de droit international et de législation comparée, p. 301. Pour la version en anglais voir : http://heinonline.org/HOL/LandingPa...

    |26| Voir : Alexander N. SACK, Les réclamations diplomatiques contre les soviets (1918-1938), Revue de droit international et de législation comparée

    |27| Carr, t. 3, p. 311-312.

    |28| Créée en 1863. Le Crédit lyonnais est surtout connu pour le scandale qui a entouré son sauvetage par l’État français fin du siècle passé. En quasi faillite dans les années 1990, suite à la crise de l’immobilier, la banque est nationalisée et recapitalisée avant de passer sous le contrôle du Crédit agricole en 2003. Le sauvetage aura coûté au total 14,7 milliards d’euros à la collectivité.

    |29| Banque d’affaire créée en 1904, qui a fusionné en 1973 avec le Crédit du Nord.

    |30| Landon-Lane J., Oosterlinck K., (2006), « Hope springs eternal : French bondholders and the Soviet Repudiation (1915-1919) », Review of Finance, 10, 4, pp. 507-535.

    |31| Lorsque la conférence de Gênes s’est réunie l’Union des républiques socialistes soviétiques n’était pas encore née. Elle a été créée en décembre 1922 et a été dissoute en décembre 1991. A la conférence de Gênes la délégation soviétique représentait officiellement la République Socialiste Fédérale des Soviets de Russie, pour simplifier nous utilisons le terme de Russie soviétique.

    |32| Des troupes françaises ont occupé Düsseldorf, une des principales villes de la Rhénanie, en mars 1921 (voir Carr, T. 3. Page 345). De janvier 1923 à juillet-août 1925, des troupes françaises et belges ont occupé la vallée de la Ruhr et ses sites de production industrielle afin de s’approprier les matières premières (charbon, minerais) et les produits industriels en guise de paiement des réparations que l’Allemagne tardait à verser. Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Occup...

    |33| La reconnaissance d’un nouvel État nouveau est soit définitive, - on parle d’une reconnaissance de jure (de plein droit) - soit encore provisoire ou limitée - on parlera alors d’une reconnaissance de facto (de fait).
    La Grande-Bretagne a reconnu de facto la Russie soviétique en 1921, et de jure en 1924.

    |34| Les Documents de la Conférence de Gênes, Rome, 1922, 336 pages, p. IX

    |35| Op. Cit.

    |36| Op. Cit.

    |37| Op. Cit., p. 13.

    |38| Pour rappel, une Commission internationale de mise sous tutelle financière pour le paiement de la dette a été imposée en 1869 à la Tunisie, en 1876 à l’Égypte, en 1881 dans l’Empire ottoman et en 1898 à Grèce.

    |39| Voir Carr, T. 3, p. 385.

    |40| Traité de Rapallo, 16 avril 1922, article 2, cité par Alexander N. SACK, Les réclamations diplomatiques contre les soviets (1918-1938), Revue de droit international et de législation comparée, p. 288. Pour la version en anglais voir : http://heinonline.org/HOL/LandingPa...

    |41| Op. Cit., p. 195.

    |42| Op. Cit., p. 198.

    |43| Op. Cit., p. 206.

    |44| Op. Cit., p. 221-222

    |45| Cité par Alexander N. SACK, Les réclamations diplomatiques contre les soviets (1918-1938), Revue de droit international et de législation comparée, note 152, p. 291. Pour la version en anglais, voir ici.

    |46| Op. Cit., p. 118.

    |47| Op. Cit., p. 140

    |48| Voir Carr, T. 3, p. 355.

    |49| Gênes, Op. Cit., p. 92.

    |50| Carr, t. 3, p. 436-440.

    |51| L’article 9 de l’accord anglo-russe disait : « Le Gouvernement britannique déclare qu’il n’intentera aucune action aux fins de saisir ou de prendre possession de n’importe quel or, fonds, titres ou marchandises et de tout autre article qui ne peut être identifié comme étant la propriété du Gouvernement britannique, qui pourraient être exportés de la Russie en payement des importations ou comme garanties pour de tels payements, ou n’importe quelle propriété mobilière ou immobilière qui pourrait être acquise par le Gouvernement soviétique russe sur le territoire du Royaume-Uni. » Cité par Sack, p. 301. Voir aussi à ce propos Carr, T. 3, p. 360.

    |52| Sack, p. 306-307

    |53| Sack, note 209, p. 307

    |54| Sack, p. 315.

    |55| Sack, p. 321-322.

    |56| J’ai analysé cela dans l’étude : Éric Toussaint, “Lénine et Trotsky face à la bureaucratie – Révolution russe et société de transition”, publié le 21 janvier 2017, http://www.europe-solidaire.org/spi...

    |57| Voir sur le site du sénat français, les ACCORDS RELATIFS AU RÈGLEMENT DÉFINITIF DES CRÉANCES ENTRE LA FRANCE ET LA RUSSIE ANTÉRIEURES AU 9 MAI 1945 http://www.senat.fr/seances/s199712...

    |58| Stiglitz in Barry Herman, José Antonio Ocampo, Shari Spiegel, Overcoming Developing Country Debt Crises, OUP Oxford, 2010, p. 49.

    Auteur: Eric Toussaint


    docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France. Il est l’auteur des livres Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège. Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015. Suite à sa dissolution annoncée le 12 novembre 2015 par le nouveau président du parlement grec, l’ex-Commission poursuit ses travaux et s’est dotée d’un statut légal d’association sans but lucratif.

    Partager via Gmail Yahoo! Pin It

    votre commentaire
  • Lorsque la russe a triomphé en octobre 1917, la majeure partie du monde était colonisée par le Royaume-Uni, la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Espagne et les États-Unis.

    Mais sous la direction de Vladimir Lénine, la révolution est devenue la source d’inspiration d’innombrables peuples, non seulement parce qu’elle montrait qu’un État ouvrier était possible, mais aussi parce qu’elle leur a fourni une aide concrète d’abord matérielle et plus tard aussi militaire. Le premier exemple a été la libération des colonies détenues par la Russie tsariste qui était connue comme la « prison des nations ».

    En 1919, les peuples d’Egypte et d’Irak se sont soulevés contre la domination britannique, les Coréens ont combattu l’occupation japonaise et une révolution en Hongrie a abouti à l’éphémère république soviétique hongroise.

    En 1920, les bolcheviks de Lénine ont organisé le Congrès du Peuple de l’Est, ou Congrès de Bakou, pour construire un mouvement révolutionnaire marxiste des peuples exploités et opprimés du monde colonial, tout en appelant en même temps les pays avancés, surtout l’Europe, à soutenir ces mouvements.

    Quelque 1 891 délégués de plus de 25 pays dont la Turquie, la Perse, l’Egypte, l’Inde, l’Afghanistan, la Chine, le Japon, la Corée, la Syrie et la Palestine ont participé au congrès.

    Dans le manifeste final on pouvait lire : « Ici à Bakou, aux frontières de l’Europe et de l’Asie, nous représentons des dizaines de millions de paysans et d’ouvriers d’Asie et d’Afrique en révolte, qui montrons au monde nos blessures, montrons au monde les marques du fouet sur nos dos, les traces laissées par les chaînes sur nos pieds et nos mains. Et nous levons nos dagues, nos revolvers et nos épées et nous jurons, devant le monde entier, que nous allons utiliser ces armes non pas pour nous battre entre nous mais pour combattre les capitalistes. Nous croyons sincèrement que vous, les travailleurs d’Europe et d’Asie, vous nous rejoindrez sous la bannière de l’ pour la lutte commune, pour la victoire commune. »

    L’Internationale communiste, ou Komintern, a été fondée en 1919 par Lénine en réponse à la Deuxième Internationale qui avait poussé les travailleurs à se battre dans la Première Guerre mondiale chacun pour son propre pays impérialiste et contre l’unité de la classe ouvrière. Lors de son deuxième congrès en juillet 1920, le Komintern a donné une large place à la lutte anticoloniale et cette orientation contribuera à façonner le mouvement communiste international pour les décennies à venir.

    Le Komintern devait jouer un rôle majeur dans la construction de partis communistes dans le monde, tant dans les pays avancés que dans les Etats colonisés. Le soutien intransigeant de Lénine du droit des nations à l’autodétermination, y compris à la sécession, a eu un impact énorme sur les pays opprimés. C’est lui qui a ajouté le mot « opprimés » dans le slogan de Karl Marx et Friedrich Engels, « Travailleurs et opprimés de tous les pays unissez-vous ! »

    Son pamphlet révolutionnaire, « L’impérialisme : le plus haut stade du capitalisme », publié en 1918, a étudié la transformation du système capitaliste en capitalisme financier, avec ses tentacules qui s’étendent dans le monde entier. Il a expliqué que cela allait devenir la base de la réunion de la libération nationale et de la lutte des classes.

    « Le capitalisme est devenu un système mondial d’oppression coloniale et d’asphyxie financière de l’écrasante majorité de la population mondiale par une poignée de pays “avancés “. Et ce “butin” est partagé entre deux ou trois puissants prédateurs internationaux armés jusqu’aux dents. »

    Des Soviets ont été créés à Cuba à cette époque et des partis communistes ont vu le jour dans de nombreux pays opprimés, dont l’Afrique du Sud, l’Inde, l’Indochine, l’Indonésie, le Soudan, l’Irak, le Vietnam et ailleurs.

    La première conférence des partis communistes d’Amérique latine a eu lieu à Buenos Aires (Argentine) en 1929. Quelque 38 délégués d’Argentine, du Brésil, de Bolivie, du Salvador, du Guatemala, de Cuba, de Colombie, d’Équateur, du Mexique, du Panama, du Paraguay, du Pérou de l’Uruguay et du Venezuela, ont pris part à la réunion. Les membres présents à la conférence se sont mis d’accord sur le fait que la révolution en Amérique latine devait être de nature anti-impérialiste et solidaire avec l’Union soviétique.

    Après la Seconde Guerre mondiale et la défaite de l’Allemagne nazie par les Soviétiques, presque toute l’Europe de l’Est s’est libérée de la domination impérialiste.

    Au Vietnam après la capitulation du Japon, des Soviets ont été créés dans tout le pays et les paysans ont saisi la terre et ont commencé la longue route vers l’indépendance qu’ils ont obtenue 30 ans plus tard.

    En 1949, la révolution chinoise a secoué le monde et a apporté 700 millions de personnes à ce qui est rapidement devenu le camp socialiste. En 1959, il y avait 14 pays socialistes regroupant un milliard de personnes.

    Les luttes de libération nationale de cette période ont changé le monde. Encouragés par les luttes armées en Asie, l’Algérie, le Zimbabwe, le Mozambique et d’autres pays ont mené des mouvements de résistance farouchement combattus par les colonisateurs.

    Dans un mémo concernant les relations avec le camp socialiste rédigé à la suite d’une rencontre avec Nikita Khrouchtchev en 1961, le gouvernement provisoire de la République algérienne a écrit : « L’aide promise est arrivée : d’importantes livraisons d’armes sur les fronts oriental et occidental … et ensuite l’accord pour former des pilotes (en Union soviétique) ». En 1962, l’Algérie a obtenu son indépendance, non sans avoir perdu un million de personnes dans la guerre que lui a faite la France.

    Lorsque les premiers pays post-coloniaux ont commencé à émerger en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique latine, l’Union soviétique leur a apporté un formidable soutien militaire et matériel. Gamal Abdel Nasser d’Egypte, Sukarno d’Indonésie et Jawaharlal Nehru d’Inde ont tous bénéficié de cette politique.

    En 1965, l’aide soviétique aux pays émergents a dépassé les 9 milliards de dollars d’assistance économique et militaire, selon les registres de l’Etat.

    Cela a permis à ces états de mener des politiques de développement quelque peu indépendantes, ce qui autrement n’aurait pas été possible dans le marché capitaliste mondial. Ils pouvaient négocier à des conditions plus équitables avec l’Union Soviétique qui n’était pas soumise aux cycles d’expansion et de récession du système capitaliste.

    Cela était également vrai dans le camp socialiste où des pays comme la République populaire démocratique de Corée, le Vietnam, Cuba et l’Europe de l’Est ont bénéficié de l’aide économique et militaire soviétique. L’invasion de la Corée par les États-Unis a été repoussée avec l’aide directe de l’Union soviétique. La défaite des Etats-Unis au Vietnam a été en grande partie due au soutien militaire de l’Union Soviétique.

    Et même si L’Inde n’a jamais fait partie du camp socialiste, sa première aciérie a été construite par l’Union soviétique.

    Lorsque le Royaume-Uni, la France et Israël ont envahi l’Egypte en 1956, l’Union soviétique a aidé le pays, qui a finalement réussi à chasser les colonisateurs.

    La révolution cubaine de 1959 a été considérée comme une énorme menace par les Etats-Unis. Quand Fidel Castro a instauré le socialisme sur l’île, les États-Unis lui ont imposé un étroit blocus économique et politique, et, en 1961, ils ont débarqué dans la baie des Cochons pour envahir l’île, mais ils ont été repoussés par les forces cubaines.

    L’Union Soviétique a aidé la nation insulaire à consolider sa révolution en lui faisant des conditions commerciales préférentielles et en lui fournissant du matériel militaire pour décourager les invasions américaines.

    Le camp socialiste mené par l’Union Soviétique a aussi fait des erreurs et commis des abus. Après la mort de Lénine en 1924, sous la direction de Joseph Staline, l’échec de la révolution à gagner les mouvements de libération nationale bourgeois a conduit à la trahison de beaucoup de combattants parmi les plus militants, et notamment dans les années 1920 à la trahison de la révolution chinoise avec le massacre de milliers de communistes par les nationalistes bourgeois.

    L’illusion d’un possible rapprochement avec les impérialistes, qui a perduré après Staline, a entraîné la rupture avec des alliés naturels comme la République populaire de Chine, et des difficultés avec d’autres pays qui accusaient l’Union Soviétique de ne pas prendre en considération leur situation particulière.

    Néanmoins, la puissance de l’Union Soviétique et du camp socialiste en tant que pôle progressiste pendant plus de 70 ans, a tenu en respect l’impérialisme et a protégé l’indépendance et le développement de nombreux pays.

    En Afrique du sud, l’Union soviétique a construit une relation avec le Parti communiste et plus tard avec le Congrès national africain dirigé par Oliver Tambo qui a déclaré à une conférence à Cuba : « L’Union Soviétique, Cuba, de nombreux pays socialistes ont permis à de nombreux chefs d’Etat qui sont ici aujourd’hui de survivre, de vaincre et de devenir les leaders de pays indépendants. C’était un crime contre l’impérialisme. Nous en avons conscience. »

    Dès le début des années 1960, l’Union soviétique a fourni une aide militaire à l’Umkhonto we Sizwe de l’ANC et au Mouvement populaire pour la libération de l’Angola.

    En 1961, Kwame Nkrumah, le premier Premier ministre du Ghana, a fait une tournée en Europe de l’Est et s’est déclaré solidaire de l’Union soviétique et de la Chine. En 1962, l’Union Soviétique lui a décerné le Prix de la Paix de Lénine pour ses efforts pour unir le continent africain dans la lutte contre le pillage continuel.

    Comme beaucoup d’autres dirigeants anticoloniaux, Patrice Lumumba du Congo s’est retrouvé au milieu de la guerre froide ou de la lutte des classes mondiale. De nombreux dirigeants avaient peur d’encourir l’hostilité des États-Unis en se tournant vers l’Union soviétique pour obtenir de l’aide. C’est pourquoi le Mouvement des pays non alignés s’est créé au milieu des années 1950. Mais Lumumba a demandé de l’aide à l’Union soviétique et peu après, en 1960, un coup d’État a eu lieu et le leader panafricain a été assassiné.

    En 1962, l’Université Patrice Lumumba a été fondée à Moscou pour les étudiants des pays en développement. Elle avait pour mission de donner aux jeunes d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, venant notamment de familles pauvres, la possibilité d’étudier et de se qualifier.

    Des millions d’étudiants ont reçu une éducation gratuite en ingénierie, agriculture et autres disciplines pendant le règne soviétique. Même la CIA l’a reconnu : « Les Soviétiques forment aussi de nombreux étudiants latino-américains et caribéens en URSS, en cultivant l’organisation du travail, et en profitant du développement des sentiments pro-marxistes parmi les activistes religieux. »

    Lorsque l’Union Soviétique s’est effondrée en 1991, cela a eu un impact économique dévastateur sur les pays qu’elle soutenait. A Cuba, cela a engendré une « période spéciale » d’austérité. Le Vietnam a été forcé de recourir à des capitaux occidentaux. L’Inde s’est retrouvée sous la coupe du FMI et a dû privatiser ses industries publiques. En Amérique centrale, le Front de Libération Nationale Farabundo Marti a été forcé de faire des compromis, tout comme l’ANC en Afrique du Sud.

    La fin de l’Union Soviétique et de la Révolution Russe ont vu une augmentation des agressions impérialistes dans le monde. L’Irak, la Somalie, la Yougoslavie, l’Afghanistan, la Libye et la Syrie ont tous été envahis par les États-Unis depuis que le camp socialiste n’est plus là pour faire contrepoids. C’est le signe indéniable de son importance, non seulement pour empêcher les guerres impérialistes, mais aussi comme inspiration et comme base du socialisme et de l’émancipation des peuples.

    Rebeca TOLEDO

    Traduction : Dominique Muselet

    sources:http://https://www.telesurtv.net/english/analysis/How-the-Russian-Revo

    https://www.legrandsoir.info/la-revolution-russe-a-inspire-et-soutenu-les-luttes-de-liberation-nationale.html

    https://www.initiative-communiste.fr/articles/international/revolution-russe-a-inspire-soutenu-luttes-de-liberation-nationale-favorise-paix/

     

    Partager via Gmail Yahoo! Pin It

    votre commentaire
  • Lénine et Marcel

    Un documentaire programmé dans le cadre du centenaire de la révolution russe

    Documentaire Inédit-Lundi 23 octobre 2017, après le Grand Soir 3-Sur France 3 Nouvelle-Aquitaine

     

    "Lénine et Marcel"-Un témoignage extraordinaire sur la naissance de la Russie soviétique.(lundi 23 octobre après le Grand Soir 3  Sur France 3 Nouvelle-Aquitaine)En 1917, Marcel Body a 22 ans, il quitte sa ville de Limoges pour rejoindre le petit contingent de soldats français qui se trouvent à Moscou en raison de l'alliance franco-russe. Emporté par le vent de la révolution, il prend fait et cause pour les bolchéviques et côtoie les personnalités les plus importantes du nouveau régime. Il sera l'interprète de Lénine.

    Ses mémoires sont un témoignage extraordinaire sur la naissance de la Russie soviétique.

    Illustré de nombreuses archives filmées, peu connues ou inédites, "Lénine & Marcel" nous plonge dans les impressions d’un jeune militaire, loin de sa fiancée et de son métier de typographe, envoyé à Moscou parce qu’il parle russe, et qui va adhérer aux idéaux de la Révolution d’octobre.

    Marcel Body en uniforme

    Marcel Body en uniforme

     

    Réalisation : Marie-Dominique Montel & Christopher Jones
    Coproduction : France 3 Nouvelle-Aquitaine / Zoulou Compagnie avec le soutien du CNC et la participation d'Histoire


    Qui sommes nous ? - Limousin : Lénine et Marcel

    source:  http://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/emissions/qui-sommes-nous-limousin

    A voir également: Ecoutez Marcel Body (film de Bernard BAISSAT et Alexander SKIRDA, 1984)

    Enregistrer

    Enregistrer

    Enregistrer

    Enregistrer

    Enregistrer

    Enregistrer

    Enregistrer

    Enregistrer

    Enregistrer

    Enregistrer

    Enregistrer

    Enregistrer

    Enregistrer

    Partager via Gmail Yahoo! Pin It

    votre commentaire
  • Les ennemis du bolchevisme ne s’y sont pas trompé. Le publiciste américain Lothrop Stoddard l’accuse de « stimuler la marée montante des peuples de couleur » en s’alliant avec eux contre l’Occident. Pour lui, le bolchevique est « le renégat, le traître à l’intérieur de notre camp, prêt à vendre la citadelle », il est « l’ennemi mortel de la civilisation et de la race ». L’essayiste allemand Oswald Spengler dénonce à son tour « la haine enflammée contre l’Europe et l’humanité blanche » qui animerait le bolchevisme, accusation recyclée, plus tard, dans les diatribes nazies contre la « barbarie asiatique » des Slaves, ces « races inférieures » qui seraient vouées à céder la place à la « race aryenne ».

    Ces idéologues racistes et réactionnaires ont vu juste : le bolchevisme veut régler son compte à la domination coloniale. Après le coup d’envoi de 1917, l’offensive principale du prolétariat devait se dérouler à l’Ouest. L’agonie de la révolution allemande ayant dissipé cette illusion, Lénine en déplace l’axe géographique et prophétise son irruption au Sud. « On continue à considérer le mouvement dans les pays coloniaux, comme un mouvement national insignifiant et parfaitement pacifique. Il n’en est rien. Dès le début du XXème siècle, de profonds changements se sont produits, des centaines de millions d’hommes, en fait l’immense majorité de la population du globe, agissent à présent comme des facteurs révolutionnaires actifs et indépendants »

    A peine créée, l’Internationale communiste appelle à la révolte les peuples colonisés. En 1919, elle réunit à Bakou le « congrès des peuples de l’Orient ». Turcs, Iraniens, Géorgiens, Arméniens, Indiens, Chinois, Kurdes et Arabes s’y retrouvent. Le cataclysme de la guerre a sorti les peuples de leur torpeur séculaire, il a mis à nu les sordides rivalités entre puissances occidentales. Bakou inaugure un processus de libération qui connaîtra bien des péripéties mais sera irrésistible. A défaut d’un embrasement européen dont la perspective s’est évanouie, le communisme privilégie, dans la propagation de l’incendie révolutionnaire, la combustion lente des immensités asiatiques.

    Revanche d’une révolution assiégée, l’onde de choc planétaire d’Octobre 17 a balayé bien des citadelles qui se croyaient imprenables. Prise en étau par quatorze puissances étrangères jusqu’en 1921, la Russie soviétique a triomphé des armées blanches. L’URSS a vaincu le nazisme au prix de 25 millions de morts, l’Armée rouge causant 90% des pertes allemandes de la Seconde Guerre mondiale. Les communistes chinois de Mao Ze Dong rétablirent l’unité et l’indépendance du pays le plus peuplé de la planète. Les communistes vietnamiens infligèrent à la puissance coloniale française et à l’envahisseur impérialiste une humiliation sans précédent. En les aidant, l’URSS joua un rôle décisif dans la décolonisation de l’Asie.

    Condamnant la diplomatie secrète et les tractations menées dans le dos des peuples, la jeune république des soviets dénonça en 1917 les accords Sykes-Picot et révéla le scandale de la « Déclaration Balfour ». On le souligne rarement, mais c’est grâce à Lénine que les Arabes découvrirent que l’Empire britannique livra la Palestine aux sionistes. Bien qu’elle reconnût l’Etat d’Israël en 1948, l’URSS appuya les nationalistes arabes face à l’agresseur en 1956, 1967 et 1973. Elle soutint la lutte pour les indépendances africaines, apporta son aide à Cuba face à l’agression US et donna le coup de grâce au régime d’apartheid en fournissant un appui décisif à l’ANC.

    A l’intérieur de ses frontières, l’URSS était tout sauf un « empire colonial ». C’est Lénine qui choisit le nom d’« URSS » pour désigner le nouvel Etat multi-ethnique fondé en 1922. Se méfiant du « chauvinisme grand-russien », il fit appel à des géographes et à des linguistes pour établir la liste des peuples concernés. On recensa 172 nationalités sur une base linguistique, et certaines furent dotées d’une écriture. Aucune discrimination légale ne frappa les populations des anciennes colonies, favorisées au contraire par la promotion d’élites nationales. Exaltant l’unité du « peuple soviétique », l’idéologie officielle fournissait à la fois un antidote au chauvinisme russe et un stimulant aux identités nationales.

    Loin d’être « impérialiste », le système soviétique organisa un transfert de richesses du centre vers la périphérie. Cette politique eut un résultat paradoxal : malgré l’extrême dureté de la période stalinienne, et en dépit du bureaucratisme qui gangrenait le système, l’URSS a joué le rôle d’un incubateur d’Etats-nations. Le soviétisme a favorisé l’émergence – ou la réémergence – de nations oubliées, il a créé les conditions d’une renaissance culturelle impossible sous le régime tsariste. Les circonstances de la dissolution de l’URSS en témoignent. Sonnant le glas d’un système à bout de souffle – et exténué par la course aux armements -, cette dissolution eut lieu sans effusion de sang. Chaque peuple a repris sa liberté, conformément à un droit à l’autodétermination proclamé par Lénine en 1916.

    source:

    Partager via Gmail Yahoo!

    votre commentaire
  • source: https://www.youtube.com

    Partager via Gmail Yahoo!

    votre commentaire
  •    

    Yvonne Sadoul, la madone du bolchévisme (France Culture-Mémoires du siècle-22/07/2017-1ère diffusion : 13/08/1990)Yvonne SADOUL assure le secrétariat du Congrès de Tours du PS (décembre 1920). Le président Jules Blanc est représenté debout

    Yvonne Sadoul, la madone du bolchévisme (France Culture-Mémoires du siècle-22/07/2017-1ère diffusion : 13/08/1990)Le 1er Congrès du Komintern (1919) . Dans la voiture, Grigory Zinoviev et Anatoly Lunacharsky , avec des délégués étrangers - Hugo Eberlein , Otto Grimlund , Fritz Platten et Karl Steinhardt . Sadoul est à gauche de la voiture, de profil, s'adressant à Zinoviev)

     

    Par Antoine Perraud - Avec Yvonne Sadoul - Réalisation Marie-Ange Garrandeau

    Partager via Gmail Yahoo! Pin It

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique