La première Nuit debout, c'était hier, près de l'office de tourisme. La première, car les 25 personnes présentes comptent bien pérenniser le mouvement aujourd'hui et dans les jours à venir, avec affiches, tables, chaises, mégaphone, boîte à idées pour discuter et agir.
Ils l'avaient annoncé sur les réseaux, en créant une page dédiée, quelques heures à peine après s'être réunis au Run ar Puns, vendredi soir. Et de se retrouver, hier, dès 18 h, devant l'office de tourisme. Ils n'étaient qu'une poignée, sur les coups de 18 h 05. Tous parlant pour eux, tous donnant leur point de vue, tous sous le nom de Camille. « Il n'y a pas d'organisateur, pas de porte-parole, juste Camille », prévient-on d'entrée. Le temps passe, les gens arrivent, discutent. La plupart se connaissent, ils étaient là la veille. Vient le temps des préparatifs. Les bombes sont secouées, un tableau d'expression est mis sur pieds, les mots « Nuits debout » sont peints sur les pancartes, posées sur l'étal « qui fait brocante ». Le pluriel veut bien dire quelque chose, non ? « On espère qu'il y en aura plusieurs ! »
Venus pour diverses raisons
À la question pourquoi sont-ils là, les Camille répondent, unanimes : « Pour discuter, trouver des solutions et agir ». Tous n'évoquent pas les mêmes problématiques, certains parlent travail, d'autres études, ou encore tout simplement politique. Un électricien dans le bâtiment, présent avec sa compagne, vient « aussi pour montrer à ses enfants que, quand on n'est pas contents, il faut aussi le montrer ». Plus loin, on trouve une Camille, aux cheveux blanchis. Elle, elle est « venue parce que l'époque lui rappelle Mai 68 » qu'elle a fait. « Ça a commencé comme ça, tout le monde était dans la rue, jeunes, comme vieux ». Il est 18 h 30, ils sont 16. Les voitures ralentissent, les passagers regardent, les conducteurs klaxonnent, parfois. Les Camille, eux, discutent des autres mouvements. « De Morlaix, dont c'est aussi la première. De Brest et Quimper, où il y a eu du monde ». Quinze minutes plus tard, ils sont dix de plus.
C'est l'heure, d'ailleurs, de discuter, tous ensemble. Assis par terre, ils se passent le « rameau de parole ». Chacun leur tour, ceux qui veulent s'exprimer le font. Une quadra explique que, pour elle, les Nuits debout, « c'est oser dire que ce l'on pense profondément ». Elle est saluée. « Je ne sais pas sur quoi va déboucher ce mouvement mais j'ai envie d'y participer », continue un homme. Autour du cercle, deux anciens élus, deux étiquettes, sont présents. 19 h, une jeune femme galère à changer son pneu crevé, deux Camille partent à sa rescousse. « C'est le premier acte de la Nuit debout ». Et d'autres suivront. Comme le rendez-vous pris aujourd'hui, même place. Même heure ? « On ne sait pas encore », sourit malicieusement un Camille. Se posent les problèmes de logistique. « La nourriture, c'est réglé, mais est-ce que quelqu'un pourrait amener des tables, une tonnelle et un mégaphone ? »
Des thèmes à redéfinir
Trois Camille prennent les choses en main. L'un demande à ce que tout le monde active ses réseaux, que tous invitent leurs contacts à suivre la page Facebook. « On peut peut-être discuter des thèmes que l'on souhaiterait aborder ? » lance une jeune femme. La liste commence. En premier lieu, la création d'une nouvelle constitution. Viennent la justice, la santé, l'éducation, l'économie. « Ce ne sont pas des thèmes, ce sont des ministères ! » plaisante l'un des trois. Se rajoutent « les médias/la désintox ». Les regards se tournent. « Il va falloir retravailler, regrouper les idées, soutient le scribe. Pourquoi pas mettre en place une boîte à idées ? » C'est voté. 19 h 30, le mégaphone arrive. Et la gendarmerie aussi, pour discuter. Sans heurt.
À noter Nuit debout, aujourd'hui. Renseignements via la page Facebook Nuit debout Châteaulin.
Quimper. Environ 150 citoyens entament une Nuit Debout
Environ 150 personnes (à 19 h) s’ingéniaient, ce samedi soir, place Saint-Corentin, à poser les bases d’une Nuit Debout quimpéroise.
Femmes et hommes de bien des âges, militants associatifs, politiques, syndicaux, lycéens ou étudiants, simples citoyens, ils ont commencé par échanger librement, en fin d’après-midi, avant de former quatre commissions (communication, logistique, animation, convergence des luttes).
Des représentants de chacune de ces instances ont évoqué, en début de soirée, des pistes d’organisation avant que l’assemblée générale constitutive ne débute véritablement vers 19 h 15. Les premières intentions (à confirmer) laissent envisager un rassemblement hebdomadaire place Saint-Corentin ou alternativement dans les quartiers afin de "porter les messages de lutte pour une autre société".
Les premiers acteurs de cette Nuit debout quimpéroise semblent également vouloir, en dehors de tout système, "définir et proposer des alternatives écologiques, sociales et économiques" aux modèles en place.
Nuit debout à Quimper. Plus d'une centaine de personnes samedi
Le mouvement Nuit Debout est arrivé à Quimper (Finistère), place Saint-Corentin. Ce mouvement de contestation a mobilisé plus d'une centaine de personne ce samedi 16 avril.
Une centaine de personnes, mobilisées sur la place Saint-Corentin à Quimper (Finistère), depuis 16 h ce samedi 16 avril. Et ce avec la volonté d'installer le mouvement Nuit Debout.
L'objectif de cette première rencontre ? "Développer l'organisation", précise un jeune homme. En un peu plus d'une heure a été décidée la création de commissions, toutes chargées d'un domaine spécifique : logistique, communication, animation ou encore une autre, plus obscure, intitulée "convergences des luttes".
Nous étions 80 hier soir, et nous voilà plus de 120 sur la page Facebook Nuit Debout de Quimper.
Voici le compte rendu de la réunion. Nous avons échangé pendant de deux heures dans la salle du Poitin Still, et certains ont continué à discuter sur le trottoir une fois la réunion terminée. Un besoin certain d'échanger et de communiquer autour des problèmes et des enjeux de notre société s'est fait sentir. Durant la réunion, nous avons décidé qu'une Première Nuit Debout aura lieu à Quimper, place Saint-Corentin (face à la mairie) le samedi 16 avril de 16h à minuit. Cet après-midi, quatre délégués ont déposé une déclaration de rassemblement en Préfecture. L'assemblée générale de la Nuit Debout Quimperoise débutera à 18h. Nous en profiterons pour organiser la suite des événements.
Pour cette première Nuit Debout :
- Il y aura un mégaphone, si quelqu'un a un micro et une sono avec alimentation autonome (batterie), ce serait le bienvenu ; - Si quelqu'un a du matériel vidéo, n'hésitez pas. Filmer certains des moments forts peut être super ; - Pensez à emporter : goûter, pique-nique, chaises,parapluies, … - Nous avons contacté la Croix Rouge qui ne pourra pas être présente car elle doit être prévenue un mois à l'avance, nous aurons besoin de trousses de secours et de secouristes ; - Un atelier « fil d'histoires » est prévu : vous pourrez partager vos expériences sur papier libre et former ainsi une grande guirlande ; - Une caisse communautaire est prévue pour financer le mouvement et tournera parmi nous durant la soirée ; - Si vous avez d'autres propositions n'hésitez pas à nous en faire part sur la page Facebook ou via mail ; - Des questions ont été posées aujourd'hui concernant les diverses commissions. Si vous voulez en mettre sur pied avant samedi, libre à vous de vous organiser et vous regrouper, comme cela a été dit en fin de réunion hier. Nous les évoquerons de toute façon lors de l'AG de samedi et formeront les manquantes ; - Ce mouvement est pacifiste, aussi, s'il y a des provocations n'y répondez pas ; - Nous tenons absolument à ce que la place Saint-Corentin reste propre après notre départ. Pensez à jeter vos déchets dans les poubelles prévues à cet effet ; - Après 22h il faudra respecter les riverains de la place et éviter le tapage nocturne.Nous étions 80 hier soir, et nous voilà plus de 120 sur la page Facebook Nuit Debout de Quimper.
Voici le compte rendu de la réunion. Nous avons échangé pendant de deux heures dans la salle du Poitin Still, et certains ont continué à discuter sur le trottoir une fois la réunion terminée. Un besoin certain d'échanger et de communiquer autour des problèmes et des enjeux de notre société s'est fait sentir. Durant la réunion, nous avons décidé qu'une Première Nuit Debout aura lieu à Quimper, place Saint-Corentin (face à la mairie) le samedi 16 avril de 16h à minuit. Cet après-midi, quatre délégués ont déposé une déclaration de rassemblement en Préfecture. L'assemblée générale de la Nuit Debout Quimperoise débutera à 18h. Nous en profiterons pour organiser la suite des événements.
Pour cette première Nuit Debout :
- Il y aura un mégaphone, si quelqu'un a un micro et une sono avec alimentation autonome (batterie), ce serait le bienvenu ; - Si quelqu'un a du matériel vidéo, n'hésitez pas. Filmer certains des moments forts peut être super ; - Pensez à emporter : goûter, pique-nique, chaises,parapluies, … - Nous avons contacté la Croix Rouge qui ne pourra pas être présente car elle doit être prévenue un mois à l'avance, nous aurons besoin de trousses de secours et de secouristes ; - Un atelier « fil d'histoires » est prévu : vous pourrez partager vos expériences sur papier libre et former ainsi une grande guirlande ; - Une caisse communautaire est prévue pour financer le mouvement et tournera parmi nous durant la soirée ; - Si vous avez d'autres propositions n'hésitez pas à nous en faire part sur la page Facebook ou via mail ; - Des questions ont été posées aujourd'hui concernant les diverses commissions. Si vous voulez en mettre sur pied avant samedi, libre à vous de vous organiser et vous regrouper, comme cela a été dit en fin de réunion hier. Nous les évoquerons de toute façon lors de l'AG de samedi et formeront les manquantes ; - Ce mouvement est pacifiste, aussi, s'il y a des provocations n'y répondez pas ; - Nous tenons absolument à ce que la place Saint-Corentin reste propre après notre départ. Pensez à jeter vos déchets dans les poubelles prévues à cet effet ; - Après 22h il faudra respecter les riverains de la place et éviter le tapage nocturne.
Nuit debout continue à grandir et à s’imposer dans l’espace public. Il s’interroge sur les chemins qui s’ouvrent. Et la relation entre démocratie directe et nécessité de s’organiser est vitale : c’est ce qu’a exploré un débat public, mardi 12 avril, entre David Graeber et Frédéric Lordon.
Paris, reportage
Où va, et comment, Nuit debout ? C’est la question que se posent, de plus en plus nombreux, les participants de ce mouvement inattendu. Elle a été bien formulée mardi soir 12 avril, dans la grande salle de la Bourse du travail, à deux pas de la place de la République. Le débat, organisé par Attac, réunissait David Graeber, anthropologue anarchiste et un des participants d’Occupy Wall Street, à New-York en 2011, et Frédéric Lordon, économiste qui a pris une place visible dans Nuit debout.
David Graeber a commencé par souligner la dimension mondiale des mouvements dans laquelle s’inscrit Nuit debout : « Depuis quinze ans, il y a un mouvement de ré-invention de la démocratie, dans toutes les parties du monde. Les procédures de discussion avec les mains sont nées au Chiapas et au Brésil, avec le Mouvement des sans-terres. Et Occupy Wall Street s’est retrouvé à Honk-Kong et en Turquie. On pourrait parler de la révolution mondiale de 2011 : comme en 1848 et en 1968, personne n’a pris le pouvoir, mais ça a changé le monde ».
Selon l’auteur de Pour une anthropologie anarchiste, il y a là des « espaces qui se structurent en-dehors du système. On crée des alliances avec ceux qui travaillent dans le système, sans compromettre l’intégrité de ces espaces ».
Frédéric Lordon estimait qu’« on est au point où le mouvement doit se poser la question stratégique : que voulons-nous faire ? ». Ce qui pose aussi une question de méthode : « Il ne faut pas que Nuit debout soit totalement absorbé par l’AG(assemblée générale). C’est un poumon essentiel, mais il faut des lieux pour des débats stratégiques, un organe distinct. C’est l’enjeu du moment ».
Frédéric Lordon : « On ne peut se contenter de l’AG »
David Graeber répondait : « On nous disait, ’si vous voulez être efficace, il faut un conseil d’organisation’. Un groupe a ainsi essayé d’occuper un parc, six mois avant nous, ils étaient huit. Nous l’avons fait à notre façon, du bas vers le haut, et des milliers de personnes sont arrivées ».
Sauf que, rebondissait Lordon, il y a déjà une organisation implicite : « Même l’AG est déjà verticalisée : il y a des règles de temps de parole, un ou une modérateur-trice, des listes de prises de parole. En fait, un porte-parole ne pose pas problème s’il est mandaté, contrôlé, et révocable ».
En anglais, un intervenant observait : « C’est une impasse, le débat entre deux formes de lutte, horizontal et vertical. Il y a une illusion politique : croire qu’on peut changer le monde en votant. Et une illusion sociale : occuper la place, pratiquer la démocratie, et croire que tout le monde dira que c’est fantastique et occupera toutes les places. Il est nécessaire d’occuper la sphère politique, comme l’ont fait Syriza, Podemos, Jeremy Corbyn (leader du Parti travailliste anglais) et Bernie Sanders (candidat Démocrate aux Etats-Unis). Il faut trouver un équilibre entre la démocratie directe et les formes institutionnelles . »
Une intervenante, se présentant comme lectrice de Pierre Rabhi, prenait la parole : « Je n’ai pas l’habitude des révolutions, des luttes, il ne faut pas effrayer les gens comme moi ».
David Graeber reprenait, sur l’organisation, à nouveau : « La question est de savoir si d’autres personnes génèrent un mouvement spontané. Pas de savoir si des gens organisent, mais vers où et comment ils organisent le mouvement ».
Pour Frédéric Lordon, « Il faut sortir de la contradiction entre organisation et spontané, en refaisant les institutions dans lesquelles on se retrouvera après. C’est pourquoi ré-écrire la Constitution me parait un sujet neuf ». Et de suggérer une méthode : « Je vois un plan téléscopique : la loi El Khomri à un bout, la Constituante à l’autre bout. Entre les deux, on peut choisir les actions, le mouvement téléscopique étant indexé sur la quantité de puissance que nous pouvons rassembler ».
Thomas Coutrot, porte-parole d’Attac, concluait la soirée en appelant à la désobéissance civile, et à la poursuite des mouvements d’occupation de banques que, dans la foulée des Faucheurs de chaise, Attac a commencé.
Sur la place de la République, en sortant, la foule était encore plus nombreuse que la veille. La police avait disparu (s’étant garée sur les boulevards Magenta et Voltaire) et dans la douceur printanière de la soirée, chorale, comédiens, revendications (par exemple, lutte du lycée Ionesco à Issy-les-Moulineaux), discussions et AG continuaient dans la bonne humeur et l’énergie.
Tanguy, Renaud et Antoine ont lancé un collectif citoyen.
L'élan « Nuit debout », par nature informel et ouvert, a inspiré des Quimpérois. Ils font partie de la génération des petits boulots et de la précarité, ne se retrouvent pas dans les syndicats ou les partis et veulent reprendre la parole dans l'espace public. Ils manifestent aussi contre la loi Travail. Antoine, Renaud et Tanguy témoignent.
Tanguy, Renaud et Antoine : trois jeunes Quimpérois à l'avenir incertain. Représentatifs de leur génération ? Peut-être. Tanguy Jézéquel, 29 ans, a multiplié les contrats, jusqu'à aujourd'hui. « J'ai fini à la chaîne de nuit chez Doux à Châteaulin. Je ne pouvais plus continuer, j'ai un problème aux mains ». Tanguy a travaillé aussi dans la sécurité. Toujours des petits contrats. « Parfois trois heures pour surveiller un match de foot ». Tanguy touchera bientôt le RSA, soit 524 € par mois. L'avenir est en pointillé vers une reconversion obligatoire car le travail à l'usine, c'est fini dans l'immédiat. « Je tourne en rond, il me faut pourtant travailler » dit-il. Renaud Fouquet a 20 ans et il vit toujours chez ses parents. « Je suis en recherche d'emploi dans n'importe quel domaine. Jusqu'à présent je n'ai eu que des CDD, une semaine pas plus. Tout cela ne mène à rien ». Antoine Salesse a aussi 29 ans. Belge d'origine, installé en Bretagne depuis plus de cinq ans, il est surveillant dans l'Éducation nationale, une fonction qui sera obligatoirement limitée dans le temps. « Pôle Emploi n'arrive plus à remplir sa mission faute de moyens, dit Antoine. Il y a deux ans, je voulais me reconvertir. On m'a dit de trouver le financement et que l'on m'accompagnerait ».
« Une insulte »
Une certaine précarité est leur horizon commun. Et aussi le Ludik, le bar à jeux de société de la rue Le-Déan. C'est là qu'ils se retrouvent avec d'autres. C'est là qu'est montée l'envie de faire quelque chose contre la loi El Khomri sur le code du travail.
« Ça nous a fait mal d'entendre des hommes politiques traiter d'illettrés les opposants à la réforme du Code du Travail en disant qu'ils n'avaient rien compris, dit Antoine. J'ai pris aussi comme une insulte le qualificatif de sexiste qui a été ajouté parce que nous attaquions une loi portée par une ministre. Ensuite, il nous restait à entendre que nous étions manipulés et donc incapables de penser par nous-mêmes ». « J'ai lu le texte de loi, continue-t-il. Quand on lit que les droits fondamentaux de la personne dans toute relation de travail peuvent être limités par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise, on constate que le salarié n'est plus protégé ». Les trois Quimpérois ont participé aux premières manifestations début mars. « Nous étions frustrés, car après le défilé, les syndicats repliaient les banderoles et c'était fini ». Aucun n'a été syndiqué, ni encarté dans un parti.
Réunion ce soir à 18 h 15
Il y a quinze jours, le trio a donc lancé un site Facebook pour faire entendre une autre voix, dans le prolongement des premières Nuits debout de Paris. « Nous voulons offrir un espace de parole à tous ceux qui ne l'ont plus, disent-ils. Nous avons créé un collectif citoyen où chacun peut venir parler de la société idéale ». « Nous ne sommes pas contre les syndicats, dit Antoine. D'ailleurs samedi, ils nous ont offert le micro. Nous sommes complémentaires ». Plusieurs dizaines de personnes se sont agrégées sur la page Facebook. Une première réunion aura lieu aujourd'hui, à 18 h 15, au bar le Poitin Still. « C'est ouvert à tous, dit Tanguy. Nous allons discuter de l'avenir, d'actions. Cela peut être une occupation de place, une nuit debout ».
Site Facebook Quimper : Collectif Citoyen contre la Loi Travail.
Frédéric LORDON à Paris, place de la République, le samedi 09 avril 2016 (40 mars 2016).
TEXTE :
Où en sommes-nous ? On ne compte plus les villes de province où il y a une nuit debout, et la plaine européenne est en train de s’embraser également : Barcelone, Madrid, Saragosse, Nurcie, Bruxelles, Liège, Berlin. La place de la République elle-même s’est donnée une antenne à Stalingrad [métro Stalingrad, NDLR]. À tout moment, des actions surprise naissent spontanément. Il y a une Radio Debout, une Télé Debout, des Dessins Debout. Tout est en train de se remettre debout.
Il y a dix jours, le conditionnel était de rigueur et nous pouvions seulement dire, « il se pourrait que nous soyons en train de faire quelque chose ». Je crois qu’on peut maintenant abandonner les prudences grammaticales : nous sommes en train de faire quelque chose.
Enfin, quelque chose se passe. Quelque chose, mais quoi ? Comment un mouvement sans direction se donne-t-il une direction ? Je veux dire, comment un mouvement sans instance dirigeante se détermine-t-il à prendre une voie ou une autre ?
Il est certain en tout cas qu’il doit en trouver une. Un mouvement qui ne se donne pas d’objectif politique s’éteindra rapidement. Soit parce qu’il aura épuisé la joie d’être ensemble, soit parce qu’il sera recouvert à nouveau par le jeu électoral.
Comment échapper à cette fatalité ? Si tout commence avec les places, rien n’y finit. Or nous nous souvenons de ce qui nous a jetés dans la rue en première instance, c’est la loi El Khomri. Viser très au-delà de la loi El Khomri ne signifie pas que nous l’avons oublié. Elle est toujours là. Un mouvement a besoin d’objectifs et de victoires intermédiaires.
Faire la peau à la loi El Khomri en est certainement un, il reste d’une inaltérable actualité, et nous n’arrêterons pas de lutter à son service. Mais de même que les zadistes n’ont pas seulement en vue un aéroport, mais le monde qui engendre cet aéroport, de même la loi El Khomri est le rejeton de tout un monde.
Dans le monde El Khomri, les salariés vivent dans la peur et ils sont tenus dans la peur. Il y a de très bonnes raisons à ça. Ils vivent sous l’arbitraire souverain d’un patron, qui a tout pouvoir sur eux parce qu’il tient dans ses mains les conditions fondamentales de leur survie matérielle même.
Alors il faut partir de cette expérience commune et en déduire tout ce que nous pouvons, et d’abord, en se décidant enfin à nommer les choses : le salariat est un rapport social de chantage, un rapport de chantage qui ne laisse le choix que de plier ou de se mettre en danger. Nommer adéquatement les choses, à l’encontre de tous les recouvrements idéologiques du néo-libéralisme, c’est peut-être la première étape pour trouver la force de s’en libérer.
Car tout le monde s’aperçoit alors que si pour mettre fin à la peur, il faut mettre fin au chantage et à l’arbitraire patronal, alors il faut mettre fin à l’ordre social qui arme le chantage et l’arbitraire patronal, et je veux dire mettre fin, et constitutionnellement, à l’empire des propriétaires.
Cependant, à un moment, il faut bien vouloir les conditions de ce qu’on veut. Si vraiment notre mouvement à des ambitions de cette ampleur, il va lui falloir se donner des moyens adéquats. Pour ma part, je n’en vois qu’un : la grève générale.
Qu’on ne se méprenne pas. Je ne suis pas ici en train de lancer un appel à la grève générale, je n’en ai aucun pouvoir ni aucune légitimité. Je ne lance pas un appel, donc. Mais j’énonce une condition : la condition du renversement non seulement de la loi, mais du monde El Khomri. Nous savons bien que les grèves générales ne se décrètent pas d’un claquement de doigt. Mais peut-être pouvons-nous aider à y basculer. Et pour ce faire, en rappeler les immenses vertus.
La grève générale, c’est que le pays tout entier débraye, le pays est bloqué – le pays est bloqué, disent-ils, parce qu’en vérité c’est l’exact contraire : c’est au moment précis où ils disent que tout se bloque qu’en fait, tout se débloque. La politique, la vraie, la parole, l’action, et jusqu’aux relations entre les gens. Et puis surtout le possible, l’avenir. Il faut bloquer pour que tout se débloque.
Il y avait trop longtemps que ça craquait de toutes parts. On ne tient pas éternellement une société avec BFM, de la flicaille et du Lexomil. Vient fatalement un moment où les têtes se redressent et redécouvrent pour leur propre compte l’immémoriale idée de l’insoumission et de l’affranchissement.
Ce moment, c’est le nôtre, ce moment, c’est maintenant.
Rien que des bobos parisiens aux #NuitsDebout ? [Photo et suivantes : Stéphane Burlot]
Ça ne pouvait pas manquer, la caravane #NuitDebout ne s’est pas ébranlée depuis une semaine que les critiques de tous bords sortent leur venin.
Bon, les attaques à la con de la meute TF1/France2/BFMTV ne sont pas surprenantes et finiraient presque par être encourageantes :
D’autres comme celles de Thierry Meyssan et du Cercle Voltaire qui voient dans le mouvement Nuit Debout une manipulation… de la CIA, sont dans l’ordre de leur habituelle confusion.
Plus chiantes (mais finalement pas si étonnantes que ça), les petites remarques perfides des éternels sceptiques en chambre médisant de concert avec les médias mainstream :
Rien que des bobos parisiens, les #NuitsDebout ? Allons donc, l’accusation avait déjà porté sur les initiateurs du mouvement #OnVautMieuxQueCa alors que ceux-ci gagnent pour la plupart infiniment moins que le SMIC et vivent loin de la capitale. Et il suffit de voir les splendides photos de Stéphane Burlot prises place de la République pour se persuader du contraire.
Enfin on rappellera que contrairement aux #JeSuisCharlie, les #NuitsDebout ne bénéficient pas franchement du soutien, que dis-je, de la propagande gouvernementale.
Un mouvement comme celui de la #NuitDebout a besoin d’enthousiasme pour réussir, pas des atermoiements douteux de ceux qui à force de douter passent toujours à côté de l’Histoire.
Hardis, les petits, foncez, bousculez, renversez et laissez sur les bas-côtés les gris pisse-vinaigre. Mieux vaut prendre le risque de se casser la gueule ou de se fourvoyer que de rester assis sur son cul devant des #ONPC[1] pour dire tout le mal qu’on en pense en se prenant pour un révolutionnaire.
Notes:
[1] #ONPC : hashtag de l’émission de Laurent Ruquier, “On n’est pas couché”.
En à petite dizaine de jours, le mouvement #NuitDebout a d’évidence réussi son entrée sur la scène politique. Lui reste désormais à grandir en se dotant d’un projet et surtout en ralliant les différentes couches de la société : les chômeurs, les salariés et bien sûr les banlieues. À ce sujet, voici l’intervention pour le moins vigoureuse que fit un certain Almany Mam Kanouté le samedi “40 mars 2016” (=9 avril 2016 NLHR) place de la République à Paris.
Une trentaine de participants se sont rassemblés face à la mairie, pour prendre la parole tour à tour et s'exprimer sur la vie politique locale ou différents sujets d'actualité.
Ils devraient se rassembler tous les soirs de la semaine "avec un temps fort chaque samedi", selon Yves Abramovicz, l'un des co-organisateur du mouvement à Morlaix.