• Qui construit la doxa du Covid ? -par Laurent MUCCHIELLI (Blog médiapart 21/02/21)La crise de la Covid a été l’occasion d’un processus historiquement inédit de contrôle de l’information à l’échelle mondiale. Quatre types d’acteurs y ont des intérêts convergents : 1) les gouvernements occidentaux libéraux, 2) le tandem que forment l’OMS et son grand financeur Bill Gates, 3) les « géants du numérique » qui contrôlent les réseaux sociaux mais aussi et de plus en plus 4) les médias. 

    Dans les démocraties, la plupart des questions de sociétés font l’objet de débats publics contradictoires plus ou moins intenses et plus ou moins polémiques. Pourtant, si elle monopolise les commentaires dans les médias, la « crise sanitaire » ouverte par l’épidémie de coronavirus au début de l’année 2020 se caractérise par une fermeture inédite du débat public, une absence de véritable débat contradictoire, des phénomènes de censure et d’ostracisation pour le moins inhabituels. En France, tout se passe comme si le discours du gouvernement ne pouvait souffrir aucune contradiction majeure, toute personne se risquant à énoncer de telles contradictions étant renvoyée vers des catégories stigmatisantes dont la principale est le « complotisme » (1). Chose particulièrement étonnante : tandis que les journalistes devraient être les premiers organisateurs de tels débats contradictoires, beaucoup se révèlent au contraire être devenus des sortes de policiers de la pensée traquant les alternatives pour mieux les rejeter hors de l’espace légitime de discussion. Quant à Internet et aux réseaux sociaux, sensés initialement constituer une avancée dans la démocratie d’expression (2), ils accompagnent désormais pleinement ce mouvement de fermeture et illustrent quotidiennement des formes de nouvelles censures. Comment comprendre une telle situation de fait ?

    La fabrique du consentement

    Dans Manufacturing Consent. The Political Economy of the Mass Media, paru en 1988, Noam Chomsky et Edward Herman expliquent comment les principaux médias (radios, télévisions et presse écrite) participent désormais activement à la propagande des élites politiques et économiques dont ils sont devenus très largement dépendants (3). La démonstration des auteurs s’appuie principalement sur l’analyse de la couverture médiatique des mouvements de contestation internes ainsi que des guerres menées par les Etats-Unis durant la seconde moitié du 20ème siècle. Ils montrent la dépendance croissante des journalistes envers des sources gouvernementales qui leur facilitent le travail (communiqués de presse, dépêches, dossiers documentaires, etc.) et leur incapacité à engager de véritables investigations toujours longues et coûteuses. Ils soulignent également que les médias ont perdu peu à peu leur indépendance financière. D’une part, beaucoup appartiennent désormais à des grands groupes industriels et/ou des milliardaires, ou bien ne survivent que grâce aux publicités que ces groupes leur payent. D’autre part, ils reçoivent d’importantes subventions gouvernementales. Dans cette double dépendance, les médias ont perdu toute capacité à représenter un « quatrième pouvoir ». Ils sont, au contraire, structurellement sous influence des puissances économiques et politiques dont ils relayent de fait la vision du monde et les intérêts. Enfin, Herman et Chomsky étudient la manière dont opèrent cette production d’informations et cette diffusion de messages à destination de la population. Ils montrent que si le mécanisme de base est le contrôle de la diffusion des informations à destination des journalistes, une autre dimension majeure consiste à contrôler et utiliser toute une série d’« experts » faussement indépendants, qu’ils soient de simples « consultants », des journalistes spécialisés, des animateurs de think tanks ou même des universitaires dont les recherches sont financées par ailleurs par le gouvernement ou les industriels (4). Ces « experts » se comportent alors comme des « influenceurs » comme l’on dit de nos jours.

    Contrôle des médias et police de la pensée numérique

    La situation française correspond en grande partie à ce modèle de double dépendance des médias. D’un côté, on retrouve des processus de concentration et de rachat qui font que la plupart des journaux, des radios et des télévisions sont aujourd’hui la propriété de quelques milliardaires (Vincent Bolloré, Bernard Arnault, Claude Perdiel, François Pinault, Xavier Niel…) et autres « grandes familles » (Bouygues, Dassault, Baudecroux, Baylet, Bettencourt, Lagardère…) (5). Ce processus de concentration est tel que dix sociétés contrôlent 90% de la presse écrite, 55% des parts d’audience de la télévision et 40% des parts d’audience de la radio (6). De l’autre côté, outre le maintien d’un ensemble de médias audio-visuel publics (Radio France et France Télévision), l’État finance également les entreprises de presse qui, ainsi, en dépendent. En 2017 (dernière donnée disponible), le ministère de la Culture publiait ces montants d’aides directes à la presse : 8,3 millions d’euros pour Aujourd’hui en France, entre 5 et 6 millions pour Libération, Le Figaro et Le Monde, entre 4 et 5 millions pour La Croix, Ouest-France et L’Humanité et entre 1 et 2 millions pour une petite dizaine de titres de la presse quotidienne régionale ainsi que pour Le Parisien et le Journal du Dimanche (7). Par ailleurs, dans son rapport de 2013, la Cour des comptes proposait un inventaire de ces aides et attirait notamment l’attention sur le cas de l’Agence France Presse (AFP), énorme entreprise de fabrication d’informations à destination de la totalité des médias français et étrangers, qui a un statut juridique d’établissement public autonome et dont l’État est à la fois une des instances dirigeantes et le premier client (assurant environ 40% des recettes de l’agence) (8). On remarque enfin que la presse a été largement bénéficiaire des aides exceptionnelles de l’État liées à la crise actuelle, avec près d’un demi-milliard d’euros annoncés dans le plan de relance en août 2020 (9).

    L’ensemble de ces données dessinent les contours d’un tissu de relations et de liens d’intérêts entre le monde économique (les propriétaires des médias), le monde politique (leur subventionneur) et les rédactions en chef des médias. Nombre de journalistes ont d’ailleurs décrit de l’intérieur ces liens (10). Mais à cela s’ajoute désormais l’entrée en jeu des multinationales du numérique que sont en particulier Google et Facebook.

    Sous la menace d’un lourd redressement fiscal en 2012, Google a eu l’idée de créer l’année suivante un « fonds d’aide au développement de la presse écrite » en France, afin de « soutenir un journalisme de qualité grâce aux technologies et à l’innovation ». C’est ainsi que, en 2019, 21 médias français ont reçu des subventions à hauteur de 6,4 millions d’euros. Ont alors fleuri sur les sites Internet des principaux médias quantités d’infographies, d’analyses de type « big data » ainsi que les rubriques de « fact check », traque des « fake news » et sites « complotistes » (11). Une des réalisations les plus connues en France est le « Decodex » du journal Le Monde, qui prétend établir un classement de la fiabilité de tous les sites Internet d’information.

    Google n’est pas la seule multinationale numérique à exercer cette sorte de police de la pensée sur Internet. Facebook le fait aussi depuis 2017, toujours par le biais de la chasse aux « fake news » (12). « Nous, on travaille pour Facebook, comme un certain nombre de médias en France travaillent pour Facebook. On est rémunéré pour faire le ménage dans les contenus qui circulent », déclare ce journaliste de Libération le 30 décembre 2017 (13). De fait, huit médias français ont ainsi signé un partenariat avec Facebook : les quotidiens Libération, Le Monde et 20 Minutes, l’hebdomadaire l’Express, la chaîne de télévision BFMTV ainsi que l’AFP et le service public de l’audiovisuel à savoir le groupe France Télévisions (inclus France Info qui est à la fois une chaîne de télévision, une radio et un important site Internet) et France médias monde (qui regroupe la chaîne de télévision France 24, Radio France Internationale et détient une participation dans TV5 Monde). Pour les financer, Facebook achète au prix fort des espaces publicitaires, de même qu’il diffuse des contenus vidéos de ces médias via des applications pour smartphones dont Facebook garde le contrôle et partage les profits générés par les publicités (14).

    En France comme dans d’autres pays (notamment aux États-Unis après l’élection de Donald Trump en 2016, marquée par des soupçons d’ingérence de la Russie, faisant trop vite oublier le scandale Cambridge Analytica impliquant directement Facebook [15]), ces opérations ont été activement soutenues par l’État. Dans ses vœux à la presse, en janvier 2018, Emmanuel Macron annonçait une loi pour lutter contre la diffusion des fausses informations sur Internet en période électorale. Ce sera la loi du 22 décembre 2018 « relative à la lutte contre la manipulation de l'information », adoptée malgré l’opposition du Sénat et avec des réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel. Cette loi, toutefois, ne concerne pas que l’information en contexte électoral. Elle donne de nouveaux pouvoirs de censure au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) et organise la coopération avec les géants d’Internet (Facebook, Google, YouTube, Twitter) afin de lutter contre toute production d’informations qui serait susceptible de « troubler l’ordre public » (16). Cette nouvelle forme de censure d’Etat, et les dangers potentiels pour la liberté d’expression et d’information qu’elle porte, furent à l’époque critiqués en vain par le Syndicat National des Journalistes (SNJ), Reporters Sans Frontières (RSF), le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL), des associations de défense de la liberté numérique comme la Quadrature du Net et des chercheurs spécialisés (17).

    Remarquons que cette nouvelle avancée dans la société de contrôle de l’information repose sur une justification très fragile car les recherches sociologiques ne confirment pas cette centralité des fake news dans l’évolution d’un débat public, et encore moins d’une élection (18). Le développement majeur de cette façon de faire du journalisme (le fact checking) a donc d’autres raisons. Inventé au départ pour vérifier la véracité des discours politiques (19), ce style de journalisme fait partie d’une tentative de reconquête de crédibilité des médias traditionnels lors même qu’il se situe à l’opposé du journalisme d’investigation puisqu’il permet de s’affranchir de toute démarche d’enquête sur le terrain (les articles pouvant s’écrire entièrement depuis son bureau à l’aide d’un ordinateur et d’un téléphone). Le fake checking est peu coûteux. Subventionné par les géants d’internet, il devient même rentable économiquement.

    Les nouveaux habits de la censure

    La lutte contre la propagande terroriste et les « contenus haineux » d’extrême droite a été au cœur du développement de nombreuses techniques de censure développées par ces géants d’Internet en collaboration avec les Etats. Puis, elle s’est étendue peu à peu à d’autres formes de censure de contenus plus politiques, au point d’exercer une véritable police de la pensée : « les grandes plateformes du web, de par leur position oligopolistique sur le marché de l’information, exercent ce pouvoir à trois niveaux distincts. En mettant à disposition des outils de prise de parole, elles les contraignent en même temps qu’elles les rendent possible, en leur appliquant un format. Leurs algorithmes, ensuite, ordonnent ces prises de parole disparates en distribuant la visibilité dont elles ont besoin pour toucher leur public. Enfin, leurs dispositifs de modération, qui articulent détection automatique et supervision humaine, exercent des fonctions de police en définissant ce qui peut ou non être dit, et en punissant les discours (ou les images) qui contreviennent aux règles » (20).

    Cela étant, la censure n’est que le versant le moins présentable de processus de contrôle de l’information plus globaux. Comme le disait déjà Roland Barthes (Sade, Fourier, Loyola, 1971), « la vraie censure ne consiste pas à interdire (à couper, à retrancher) […] mais à étouffer, engluer dans les stéréotypes […] à ne donner pour toute nourriture que la parole consacrée des autres, la matière répétée de l’opinion courante » (21). Désormais, « la censure ne doit plus être seulement pensée comme le résultat de pressions directes et concrètes exercées sur les différents maillons de la chaîne de sens par les détenteurs identifiés de l’autorité d’État ou d’Église, mais comme le processus toujours et partout à l’œuvre de filtrage des opinions admises. Bien plus, cette ‘nouvelle censure’ […] passerait moins par l’interdit jeté sur la parole dissidente que par la promotion d’une parole conforme aux intérêts des institutions et des groupes qui les dominent » (22). La censure, au sens sociologique large comme au sens juridique réduit, est donc inséparable de la doxa qu’elle sert.

    L’OMS et la Fondation Bill Gates : deux puissances supranationales qui joignent leur influence

    Les géants de l’Internet ne sont pas les seuls à s’immiscer dans le contrôle de l’information par le biais du financement des médias. C’est aussi le cas de la super-puissance que constitue la Fondation Bill & Melinda Gates. Le fondateur de Microsoft et Windows est devenu la personnalité la plus riche du monde au milieu des années 1990 (il a été récemment détrôné par le propriétaire d’Amazon, Jeff Bezos). Avec une fortune personnelle approchant les 100 milliards de dollars, il est plus riche que la plupart des pays du monde et, entre autres investissements, il finance de nombreux médias. En France, il subventionne en particulier Le Monde (2,13 millions de dollars pour l’année 2019) (23). Cette fondation consacre par ailleurs une partie très importante de ses dons (défiscalisés) à la santé, avec un prisme techno-industriel précis : « dans le domaine de la santé, la Fondation mène des actions de grande ampleur contre le sida, la tuberculose et le paludisme, traduisant son obsession pour la technologie par un intérêt tout particulier pour les vaccins, au mépris de solutions moins industrielles et potentiellement tout aussi efficaces » (24). En outre, la fondation de Bill Gates est devenue extrêmement influente au sein de l’OMS dont elle est le premier des contributeurs privés du budget avec 455 millions de dollars en 2019. Dans le classement général des financeurs, la Fondation est encore dépassée de peu par la Grande-Bretagne (464 millions de dollars en 2019) et surtout les États-Unis (853 millions de dollars en 2019) (25). Toutefois, le quatrième financeur dans ce classement (avec 389 millions de dollars en 2019) n’est autre que l’Alliance GAVI (Global Alliance for Vaccines and Immunization), organisation internationale de promotion des vaccins dont la Fondation Gates est également le principal financeur. Enfin, le neuvième et le dixième plus importants financeurs de l’OMS (respectivement 168 et 116 millions de dollars en 2019) sont deux associations caritatives internationales basées aux États-Unis : le Rotary International et le National Philanthropic Trust. Et la Fondation Bill Gates est aussi l’un des premiers financeurs de ces deux associations par le biais des dons défiscalisés. Dès lors, si l’on additionne les principaux quatre financements dans lesquels elle est impliquée (et ce ne sont pas les seuls), il apparait que la Fondation de Bill Gates est devenue en réalité le premier financeur de l’OMS.

    L’OMS a joué un rôle particulièrement actif dans la tentative de maîtriser la communication sur l’épidémie de coronavirus. Depuis le classement de la Covid-19 en « urgence de santé publique internationale » le 30 janvier 2020, son directeur tient des conférences de presse quasi quotidiennes. L’organisation a mis par ailleurs en place tout un système de communication afin de contrer ce qu’elle appelle une « infodémie » qui se caractériserait par la multiplication de « rumeurs et fausses informations ». Son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus estimait même que « Notre plus grand ennemi à ce jour, ce n’est pas le virus lui-même. Ce sont les rumeurs, la peur et la stigmatisation » (26). Pour faire prédominer ses messages, l’OMS a mis sur pieds une stratégie de communication mondiale supervisée par Sylvie Briand, directrice du Département des pandémies et épidémies, et pilotée par Andrew Pattison, responsable des « solutions numériques », en lien avec une équipe de six personnes au siège de Genève. Un accord a d’abord été passé avec un partenaire ancien, Google, « pour faire en sorte que les personnes recherchant des informations sur le coronavirus voient les informations de l'OMS en tête de leurs résultats de recherche ». Ensuite, l’équipe de communication s’est assurée le concours des principaux réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, Pinterest, Tencent, Tik Tok) et mêmes de sociétés comme Uber et Airbnb afin qu’ils diffusent les « bons messages » (27). Enfin, l’OMS et ses partenaires ont recruté des « influenceurs » ou relais d’opinion (28), afin de s’assurer du contrôle des réseaux sociaux et de YouTube, leader mondial de la vidéo en ligne (plus de deux milliards d’utilisateurs mensuels en 2020) et propriété de Google (29).

    Conquérir le monopole de l’information légitime

    La crise sanitaire ouverte par l’épidémie de Sars-CoV-2 aura été l’occasion d’une tentative historiquement inédite de contrôle de l’information à l’échelle mondiale, d’autant plus importante à comprendre que cette épidémie a fait l’objet d’une couverture médiatique sans précédent dans l’histoire (30). Dans cet article, nous avons passé en revue les composantes de ce processus international de normalisation éditoriale visant à assurer ce que Bourdieu appelait « le monopole de l’information légitime » (31). Ce système de contrôle est destiné à assurer la prédominance médiatique, et derrière le consentement des populations, à l’égard du contenu d’un message général qui pourrait être résumé ainsi : 1) une pandémie menace la survie de l’humanité entière, 2) il n’existe aucune thérapeutique pour guérir les malades, 3) il faut confiner les populations, 4) la délivrance viendra uniquement d’un vaccin.

    Par ailleurs, la doxa n’est pas seulement la pensée dominante et présentée comme légitime par les élites de la société à un moment donné. Elle est aussi une vision du monde qui concourt à protéger l’ordre social et politique établi (32). Elle contient en effet une deuxième prémisse qui consiste à penser en substance que « le gouvernement fait ce qu’il peut », « il n’y a pas grand-chose d’autre à faire », voire même à en déduire que « c’est une obligation morale que de soutenir l’action du gouvernement dans ce moment exceptionnellement difficile ». Et autres variantes. La doxa prend alors la dimension de ce que Bourdieu appelait une sociodicée : « Max Weber disait que les dominants ont toujours besoin d’une ‘théodicée de leur privilège’, ou, mieux, d’une sociodicée, c’est-à-dire d’une justification théorique du fait qu’ils sont privilégiés » (33). En l’occurrence, il s’agit de faire accepter « une philosophie de la compétence selon laquelle ce sont les plus compétents qui gouvernent » (34).

    Pour que la sociodicée fonctionne, il est ainsi crucial de contrôler l’information. Dans cet article, nous avons argumenté l’hypothèse selon laquelle quatre ensembles d’acteurs ont, de fait, des intérêts convergents à organiser ce contrôle et s’assurer du succès du message qu’ils ont choisi de faire passer. Le premier est représenté par le tandem désormais indissociable que forment l’OMS et son nouveau grand financeur la Fondation Bill Gates, dont le programme de vaccination mondiale constitue la pierre angulaire de la pensée sanitaire. Le second ensemble est constitué par la plupart des gouvernements occidentaux de type libéraux, qui ont été incapables de penser une autre stratégie que le confinement général, qui redoutent à présent les conséquences électorales et juridiques de leur gestion de la crise sanitaire et veulent donc s’assurer que leur version de l’histoire ne sera pas fondamentalement remise en question. Le troisième ensemble d’acteurs est constitué par les médias traditionnels qui sont confrontés de façon croissante à une crise de confiance majeure dans les populations (35), et pour qui le contrôle et si possible l’exclusivité de la diffusion de l’information légitime sur la crise sanitaire constitue presque une question de survie. Enfin, le quatrième type d’acteurs sont les « géants du numérique » qui contrôlent de nos jours non seulement les réseaux sociaux mais aussi et de plus en plus les médias traditionnels, et qui profitent de la crise sanitaire pour accroître encore leur emprise sur la vie numérique (36), ainsi que leurs profits publicitaires (37).

    Il resterait cependant à investiguer plus en détail les liens entre ces quatre acteurs, les supposés « experts » dont ils s’entourent et les industries pharmaceutiques, premières concernées financièrement par la gestion de la crise du Covid, et dont les stratégies de lobbying et de trafic d’influence sont connues par ailleurs (38).

    Laurent MUCCHIELLI-Sociologue, directeur de recherches au CNRS (Laboratoire Méditerranéen de Sociologie).

     

    Références

    (1) L. Mucchielli, « Le complotisme pour les nuls (à l’occasion d’un récent documentaire) », Mediapart. Le blog, 16 novembre 2020 [en ligne].

    (2) P. Flichy, « Internet et le débat démocratique », Réseaux, 2008, 4, p. 159-185.

    (3) E. Herman, N. Chomsky, La fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, Marseille, Agone, 2008.

    (4) Voir aussi D. Frau-Meigs, « Le journalisme aux États-Unis : une profession sous influences », Parlement[s], Revue d'histoire politique, 2004, 2, p. 64-79.

    (5) « Médias français : qui possède quoi ? », Le Monde Diplomatique, décembre 2020.

    (6) A. Rousseaux, « Le pouvoir d’influence des dix milliardaires qui possèdent la presse française », Basta Mag, 7 avril 2017.

    (7) Ministère de la Culture, « Tableaux des titres et groupes de presse aidés en 2017 » [en ligne].

    (8) Voir le rapport de la Cour des comptes, Les aides de l’Etat à la presse écrite, Paris, 2013, p. 45sqq.

    (9) F. Schmitt, « La presse obtient à son tour un plan de relance », Les Echos, 27 août 2020.

    (10) S. Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Paris, Raisons d’Agir, 1997 ; F. Ruffin, Les petits soldats du journalisme, Paris, Les Arènes, 2003 ; P. Merlant, L. Chatel, Médias. La faillite d’un contre-pouvoir, Paris, Fayard, 2009 ; A. Ancelin, Le Monde libre, Paris, Les liens qui libèrent, 2016 ; L. Mauduit, Main basse sur l’information, Paris, Don Quichotte, 2016.

    (11) D.-J. Rahmil, « Google finance les médias et dessine les nouvelles tendances du journalisme », L’ADN, 2 avril 2019.

    (12) G. Pépin, « ‘Fake news’ : Facebook va rémunérer des éditeurs français et fait sa publicité dans la presse », NextInpact, 26 avril 2017 ; voir aussi Le Canard enchaîné, 3 janvier 2018.

    (13) Lors du Journal de 13h de France Inter.

    (14) L’Observatoire du journalisme, « Tout ce que les éditeurs perdent, Facebook et Google le gagnent », 21 janvier 2018 [en ligne : https://www.ojim.fr]. On sait que le modèle économique de Facebook est tout entier basé sur la publicité : cela a représenté 98% de ses recettes en 2019 (R. Badouard, Les nouvelles lois du web, Op.cit., p. 73).

    (15) I. Bokanovski, Internet. Une plongée dans le web de l’influence, Paris, Balland, 2020, p. 61sqq.

    (16) En ce qui concerne le CSA, un exemple de cette nouvelle forme de censure est survenu au tout début du mois de janvier 2021 lorsque cette agence a sanctionné la radio RMC pour avoir invité en août 2020 le professeur Christian Perronne à s’exprimer lors même que « cet invité était le seul membre du corps médical présent en plateau » et que « ces déclarations n’ont pas fait l’objet d’une contradiction suffisante ». « Dès lors, l’éditeur ne peut être regardé comme ayant fait preuve d’honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information sur la pandémie » (« Le CSA met en demeure RMC pour une émission avec le professeur Perronne », 20 minutes, 6 janvier 2021). On notera toutefois que l’ensemble des médias passent leur temps à inviter des médecins depuis le mois de mars dernier et que le CSA n’a jamais relevé une absence de « contradiction suffisante » lorsque ces médecins expriment des propos qui coïncident avec le discours gouvernemental. Il s’agit d’une part d’un « deux poids, deux mesures » flagrant, et d’autre part d’un acharnement sur un médecin qui venait d’être démis de sa chefferie de service par le directeur de l’AP-HP (AFP, 17 décembre 2020).

    (17) L. Haéri, « Loi contre les fake news : chasse aux fausses informations ou nouvelle censure ? », Le Journal Du Dimanche, 7 juin 2018. L’article interviewe notamment le sociologue Romain Badouard, auteur de Désinformation, rumeur et propagande, Limoges, FYP éditions, 2017.

    (18) Y. Benkler, R. Faris, H. Roberts, Network Propaganda. Manipulation, Disinformation, and Radicalization in American Politics, Oxford, Oxford University Press, 2018.

    (19) L. Bigot, Fact-checking vs fake news. Vérifier pour mieux informer, Paris, INA Éditions, 2019.

    (20) R. Badouard, Les nouvelles lois du web. Modération et censure, Paris, Seuil, 2020, p. 12.

    (21) Cité par P. Roussin, « Liberté d’expression et nouvelles théories de la censure », Communications, 2020, 1, p. 26.

    (22) L. Martin, « Censure répressive et censure structurale : comment penser la censure dans le processus de communication ? », Questions de communication, 2009, 15, p. 71.

    (23) « Le quotidien Le Monde a reçu plus de 4 millions de dollars de la fondation de Bill Gates », Covidinfos, 11 mai 2020 [en ligne : https://covidinfos.net/].

    (24) L. Astruc, L’art de la fausse générosité. La Fondation Bill et Melinda Gates, Arles, Actes Sud, 2020, p. 12.

    (25) https://www.who.int/fr/about/planning-finance-and-accountability/how-who-is-funded

    (26) Cité par I. Mayault, « La rumeur, l’autre épidémie qui préoccupe l’OMS », Le Monde, 6 mars 2020. (27) M. Richtel, « W.H.O. Fights a Pandemic Besides Coronavirus: An ‘Infodemic’ », New York Times, 6 février 2020 ; cf. aussi F. Magnenou, « Comment l’OMS s’efforce de contenir l’infodémie qui entoure l’épidémie », France TV Info, 8 février 2020.

    (28) Parmi ces influenceurs, côté francophone, on peut citer par exemple Lê Nguyên Hoang (près de 200 000 abonnés sur sa chaîne YouTube « Science4All », Thibaud Fiolet (et son site « Quoi dans mon assiette »), le groupe « Osons causer » (près de 300 000 abonnés sur YouTube et près d’un million sur Facebook) ou encore Jérémy Descoux, (98 000 abonnés sur sa chaîne « Asclépios », président du Collectif « FakeMed », un réseau de médecins militants souvent très virulents, qui s’est fait connaître par sa lutte contre l’homéopathie). Certains de ces influenceurs apparaissent dans une vidéo intitulée « Coronavirus : chaque jour compte », postée sur YouTube le 14 mars 2020, et dont la liste des intervenants est en ligne : https://docs.google.com/document/d/1x-euHB-V72ipNttBj1KP6O_aEBGK0qKafqphMRBZK1I/edit#heading=h.3bjrhorulj7v Il est probable que Facebook « sponsorise » certains influenceurs dans sa stratégie de promotion de contre-discours (R. Badouard, les nouvelles lois du web, Op.cit., p. 97), mais on ignore lesquels.

    (29) Sur ce phénomène typique des années 2010-2020, cf. D. Frau-Meigs, « Les youtubeurs : les nouveaux influenceurs ! », Nectart, 2017, 5 (2), p. 126-136.

    (30) A. Bayet, N. Hervé, « Information à la télé et coronavirus : l’INA a mesuré le temps d’antenne historique consacré au Covid 19 », INA. La revue des médias, 24 mars 2020 [en ligne] ; N. Hervé, « Coronavirus. Etude de l’intensité médiatique », Working paper, 30 juin 2020 [en ligne : http://www.herve.name/coronavirus].

    (31) P. Bourdieu, Sur la télévision, Paris, Seuil, 1996, p. 82.

    (32) P. Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979, p. 549-550.

    (33) P. Bourdieu, « Le mythe de la ‘mondialisation’ et l’Etat social européen », repris dans Contre-feux, Paris, Raisons d’agir, 1998, p. 49.

    (34) Ibid., p. 48.

    (35) De la dernière enquête Kantar/La Croix, il ressort un niveau inégalé de défiance vis-à-vis des journalistes, 68 % des personnes interrogées considérant qu’ils ne sont pas assez indépendants des pouvoirs politiques, et 61 % qu’ils ne sont pas assez indépendants vis-à-vis des « pressions de l’argent » (A. Carasco, « Baromètre médias : pourquoi 4 Français sur 10 boudent l’information », La Croix, 15 janvier 2020).

    (36) S. Zuboff, L’âge du capitalisme de surveillance, Paris, Zulma, 2020. Sur la banalisation des technologies de surveillance de masse pendant la « crise sanitaire », cf. O. Tesquet, Etat d’urgence technologique. Comment l’économie de la surveillance tire parti de la pandémie, Paris, Premier Parallèle, 2021.

    (37) R. Vitt, « Vacciné contre la Covid-19, Google bat tous les records en 2020 », Presse Citron, 27 décembre 2020 ; « En pleine crise, les GAFA affichent des profits flamboyants », Frenchweb, 30 octobre 2020 en ligne]

    (38) L. Mucchielli, « Trafic d'influence : le rôle de l'industrie pharmaceutique dans la controverse sur le traitement médical de la Covid », Les Cahiers du CEDIMES, 2021, 16, p.76-86.

     

    source: https://blogs.mediapart.fr/laurent-mucchielli/blog/

            

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  • I – L’éloge passéiste de la cité antique

    Omniprésente dans les manuels scolaires, Hannah Arendt passe pour une grande philosophe, et on ne compte plus les livres, articles et documentaires qui chantent ses louanges. Phare de la pensée politique moderne, elle aurait tout compris : la démocratie et le , la cité antique et la société moderne, le mensonge et la violence, la Révolution et les droits de l’homme. Portée aux nues par la doxa universitaire, elle figure au panthéon philosophique de l’Occident démocratique. Elle passe pour une référence obligée, un point de passage incontournable destiné à tous ceux qui veulent comprendre le monde contemporain, ses contradictions et ses impasses. Le problème, c’est qu’Hannah Arendt représente elle-même une impasse théorique et politique. Il suffit d’ailleurs de la lire avec un peu d’attention pour s’en apercevoir : non seulement sa lecture de l’histoire moderne est erratique, mais sa vision de la démocratie est passéiste et réactionnaire.

    Des preuves ? Elles sont légion. Ne pouvant tout examiner en une fois, on s’intéressera à sa conception de la démocratie. Dans Condition de l’homme moderne (1951), Hannah Arendt explique que la seule égalité légitime est celle qui règne entre les citoyens, et non entre les hommes. L’égalité dans la cité antique, à ses yeux, est sans commune mesure avec l’égalité qui prévaut dans les sociétés modernes. Tandis que la cité grecque est une remarquable aristocratie politique, la démocratie moderne est le théâtre d’un conformisme généralisé, où l’esprit de compétition s’est dilué dans l’égalitarisme et la médiocrité ambiante.

    Cet éloge passéiste de la cité antique s’articule à une analyse particulière de l’agir humain. Si Arendt distingue le travail et l’action comme modalités de l’activité humaine, c’est pour dévaloriser le premier, qu’elle attribue à « l’homme-animal social ». Le travail est soumission à la nécessité naturelle, tandis que l’action, à l’autre extrémité, représente la noble dimension de l’activité politique. C’est pourquoi il faut parler d’un « animal laborans » pour désigner le travailleur, lequel « n’est jamais qu’une espèce, la plus haute si l’on veut, parmi les espèces animales qui peuplent la terre ».

    La politique visant à l’émancipation des travailleurs, poursuit Arendt, n’a donc abouti qu’à « courber toute l’humanité, pour la première fois, sous le joug de la nécessité ». Le travail productif n’étant que l’asservissement à la nécessité, « les hommes ne pouvaient se libérer qu’en dominant ceux qu’ils soumettaient à la nécessité ». Pour que les citoyens puissent s’adonner à l’exercice du pouvoir, il fallait que la production de leurs conditions d’existence fût assurée par une classe subalterne. Mais pour Arendt, cet état de fait est intangible, et vouloir transformer la condition des travailleurs n’a aucun sens. La sublimation du citoyen appelé à incarner les vertus nécessite, de tout temps, le travail manuel de l’animal laborans.

    Cette idée-force, elle ne cessera de la marteler. Se demandant, dans son Essai sur l’insurrection hongroise publié en 1956, s’il est possible de faire marcher des usines dont les ouvriers seraient les propriétaires, la philosophe répond sans détour : « En réalité, il n’est pas sûr du tout que les principes politiques d’égalité et d’autonomie puissent s’appliquer à la sphère de la vie économique. Après tout, la théorie politique des Anciens n’avait peut-être pas tort lorsqu’elle affirmait que l’économie, liée aux nécessités de la vie, requérait pour fonctionner la domination des maîtres ».

    La lutte contre la pauvreté ? Inutile d’y penser. Ignorant superbement la lutte des classes, Arendt estime que « la vie humaine s’est trouvée en proie à la pauvreté depuis des temps immémoriaux » et qu’« une révolution n’a jamais résolu la question sociale ni libéré des hommes du fléau du besoin ». Alors que les démocraties modernes, par leur obsession du social, ruinent les chances d’une véritable aristocratie des égaux, la cité antique avait compris que l’esclavage était le prix à payer pour l’exercice héroïque des vertus civiques. « Toute souveraineté tient sa source première, la plus légitime, du désir qu’a l’homme de s’émanciper de la nécessité vitale, et les hommes parvinrent à cette libération par la violence, en forçant d’autres à porter à leur place le fardeau de la vie ». on ne saurait être plus clair, et la conclusion s’impose : « Rien, pourrions-nous dire aujourd’hui, ne saurait être plus obsolète que d’essayer de libérer le genre humain de la pauvreté par des voies publiques ; rien ne saurait être plus futile ni plus dangereux », écrit-elle dans son essai De la Révolution publié en 1963.

    Mais ce n’est pas tout. Cette conception aristocratique de la vie politique conduit Hannah Arendt à nier l’universalité humaine, quitte à pulvériser un concept-clé hérité de la philosophie des Lumières : « La distinction entre l’homme et l’animal recoupe le genre humain lui-même : seuls les meilleurs, aristoi, qui constamment s’affirment les meilleurs et préfèrent l’immortelle renommée aux choses mortelles, sont réellement humains ». Reprenant explicitement la critique réactionnaire des droits de l’homme formulée par Edmund Burke, Arendt récuse l’universalité des droits humains. A ses yeux, c’est un principe funeste qui aurait pour effet de « réduire les nations civilisées au rang des sauvages », de « ces gens sans-droits, qui apparaissent comme les premiers signes d’une possible régression par rapport à la civilisation ».

    Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’Arendt voue une admiration sans bornes à la Révolution américaine, menée par des propriétaires d’esclaves, et qu’elle rejette la Révolution française, qui abolit l’esclavage colonial. De même que, dans les années 1960, elle refuse toute portée politique aux revendications des Afro-Américains pour les droits civiques et relègue au second plan ce qu’elle appelle dédaigneusement la Negro question. Toute philosophie est sous-tendue par une certaine idée de l’homme et de la société. Celle que défend Hannah Arendt participe d’une idéologie qui habille son conservatisme des oripeaux de la cité antique, justifie rétrospectivement l’esclavage et congédie le progrès social comme une dangereuse utopie. Ses détracteurs lui reprochent ses équivoques, l’indétermination de ses concepts, le mouvement erratique de sa pensée. Ce qui pose problème, c’est plutôt l’obscure clarté de ses anathèmes contre les idées progressistes et le compendium avarié de ses présupposés anti-humanistes. Exit Hannah Arendt.

    II – La mystification du système

    Absorbant toutes les activités humaines pour leur donner une signification univoque, le totalitarisme, pour Hannah Arendt, est un système qui transcende ses incarnations particulières. Peu importent alors les différences concrètes entre communisme et nazisme. L’abstraction du concept de totalitarisme, chez la philosophe, l’exonère d’une analyse proprement historique du phénomène. Appareil destructeur livré à sa propre démesure, le totalitarisme y revêt les traits d’une entité abstraite et homogène. Déconnectée de l’histoire réelle, l’idéologie paraît se suffire à elle-même, exercer ses effets en toute autonomie, modeler le cours des événements à son image : c’est la « logique d’une idée ».

    Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le spectre du totalitarisme, chez Arendt, plane au-dessus de l’histoire réelle et de ses affrontements de classe. Occultant la genèse historique des deux mouvements, cette théorisation ignore l’opposition irréductible entre communisme et nazisme. Elle fait comme si la mystique de la race et l’idéal prolétarien étaient de même nature. Elle passe résolument sous silence la relation structurelle entre nazisme et . Mais il y a pire : en élevant le concept de totalitarisme à la dignité d’un principe explicatif, elle occulte la visée exterminatrice qui caractérise l’entreprise nazie, le racisme structurel qui organise sa vision du monde, son acharnement meurtrier contre les populations civiles.

    L’inexactitude des analyses de Hannah Arendt, cependant, ne porte pas seulement sur l’idéologie respective des deux régimes. Sa théorie du système concentrationnaire se déploie en dehors de toute description factuelle. Elle soumet aux mêmes catégories apparemment rationnelles deux institutions radicalement différentes. Contrairement aux camps nazis, le système carcéral soviétique n’obéissait pas à une logique d’extermination, mais de punition et de rééducation. Le nombre des victimes du régime nazi est incommensurable à celui d’un système répressif soviétique dont 90 % des détenus étaient de droit commun, et dont la plupart sont revenus vivants.

    L’impuissance du modèle à rendre compte du réel est aussi flagrante lorsque la philosophe attribue au système totalitaire une politique étrangère agressive, ouvertement vouée à la conquête du monde. « Comme un conquérant étranger, le dictateur totalitaire considère les richesses naturelles et industrielles de chaque pays, y compris le sien, comme une source de pillage et un moyen de préparer la prochaine étape de l’expansion agressive », écrit-elle dans Le système totalitaire (1949). En décrivant comme une propriété intrinsèque du totalitarisme ce qui constitue la pratique constante des puissances occidentales, Hannah Arendt se livre à une singulière manipulation. Si la conquête et le pillage sont des pratiques totalitaires, pourquoi ne pas en déduire le caractère totalitaire de ces démocraties qui possèdent un empire colonial ?

    Le mythe des « jumeaux totalitaires » accrédité par Hannah Arendt a beau défier le bon sens, il n’en a pas moins procuré un répertoire inépuisable à la réécriture de l’histoire. Il a permis à l’idéologie dominante de tirer un trait sur la réalité d’un conflit où l’Armée rouge a payé le prix fort pour liquider la machine de guerre hitlérienne. Une interprétation fallacieuse des événements qui est illustrée, à nouveau, lorsque la philosophe écrit en 1966, dans une note ajoutée au même ouvrage, que « contrairement à certaines légendes de l’après-guerre, Hitler n’eut jamais l’intention de défendre l’Occident contre le bolchevisme, mais resta toujours prêt à s’allier aux Rouges pour la destruction de l’Occident, même au plus fort de la lutte contre l’Union soviétique ».

    Affirmation totalement absurde, mais peu importe : la matérialité des faits a l’obligeance de s’effacer devant les exigences d’une démonstration dont les prémisses sont erronées. Nazisme et stalinisme représentant deux variantes d’un même modèle, ils ne pouvaient pas s’engager dans une lutte à mort. Ainsi Hitler est-il censé être l’allié naturel de Staline. Mais si Hitler envisageait de s’allier aux Rouges, comment expliquer l’extrême brutalité de la guerre menée par les nazis contre l’URSS, laquelle tranche avec leur attitude, beaucoup plus respectueuse des usages de la guerre, sur le front de l’Ouest ?

    « Idéologie et terreur », selon Hannah Arendt, sont les deux caractéristiques du régime totalitaire. Le problème, c’est qu’elles définissent parfaitement la domination impitoyable infligée par les puissances européennes aux peuples colonisés. Si l’on fonde la thèse de la gémellité des régimes totalitaires sur l’usage de la terreur, que faut-il déduire de son usage massif sous le régime colonial ? Comment ignorer la relation entre une idéologie justifiant la déshumanisation des « races inférieures » et la violence meurtrière qui est l’essence même du colonialisme ? En exemptant les puissances démocratiques des abominations qu’elles commettent, Arendt exclut subrepticement le génocide colonial de la dignité du concept de totalitarisme.

    Si un tel concept désigne une réalité, il faut donc admettre qu’elle n’est ni une nouveauté ni une exception. L’inconvénient de la pensée de Hannah Arendt, c’est qu’après avoir éliminé les faits qui démentent son interprétation, elle enfile les abstractions comme on enfile des perles. Mais ces prouesses conceptuelles laissent la pensée orpheline d’une matière historique qu’elle a décidé d’ignorer. A l’évidence, le succès de sa doctrine ne tient pas à sa valeur heuristique, mais à l’idéologie de guerre froide adoptée par la philosophe au lendemain de son exil américain. Cet opportunisme lui a valu une consécration académique et une promotion médiatique dont l’inscription au fronton de l’institution scolaire, en France même, est l’illustration saisissante. Aussi demeurons-nous comme ligaturés par les biais cognitifs d’une pensée que nous devrions plutôt abandonner, comme dirait Marx, à la critique rongeuse des souris.

    Bruno GUIGUE

    source: https://www.initiative-communiste.fr/

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  •  À propos du Capitalisme Monopoliste d’État – par Georges Gastaud

    Sur son site internet, Georges Gastaud livre une nouvelle réflexion quant au Capitalisme Monopoliste d'Etat

          

    https://georges-gastaud.com/ 

                                                                                                                                                 

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  • « Islamo-gauchisme », « séparatisme », « privilège blanc », « racisme systémique d’Etat », etc. : Fumeux « concepts », faux « débats » et vrais problèmes

    Quand la Macronie impose les « termes du débat » …

    « Moi je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble, et que l’université n’est pas imperméable, l’université fait partie de la société » : en s’exprimant le dimanche 14 février face au chien de garde Jean-Pierre Elkabbach sur C-News, vecteur central de la fascisation en France, Frédérique Vidal, « ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche », poursuit la stratégie macroniste actée depuis plusieurs mois – si ce n’est depuis l’élection de « Jupiter » en mai 2017 –, à savoir préparer les esprits à un nouveau faux « duel » et vrai duo - en 2022. Pour y parvenir, les macronistes et les « idiots utiles » lepénistes ne lésinent pas sur les moyens et les stratagèmes :

    • Hégémonie médiatique promouvant le pseudo « affrontement » entre les « chiens de garde » des médias privés ou publics (Ruth Elkrief, David Pujadas, Nathalie Saint-Cricq, Léa Salamé et Nicolas Demorand, Sonia Mabrouk, Jean-Michel Apathie, Patrick Cohen, Christophe Barbier, Brice Couturier, Renaud Dély, etc.) défendant l’ordre capitaliste euro-atlantique et la macronie et les « faux impertinents » surtout présents dans les médias privés, qui portent la ligne nationaliste réactionnaire voire fascisante[1] ; le récent pseudo « débat » entre le sinistre Darmanin et la papesse de l’extrême droite en a offert un spectaculaire exemple, de surcroît sur une chaîne du « service public »[2] ;
    • Clins d’œil et rencontres croissantes entre macronistes et lepénistes, à l’image de ce déjeuner entre Bruno Roger-Petit, « conseiller mémoire » d’Emmanuel Macron (est-ce lui qui pousse « Jupiter » à défendre passionnément Charles Maurras et Philippe Pétain ?[3]), et Marion Maréchal(-Le Pen) en octobre 2020 – déjeuner qui heurta même des godillots macronistes comme Astrid Panosyan[4] ;
    • Révisionnisme historique passant à la fois par l’infâme assimilation entre communisme et nazisme à travers le fumeux « concept » de « totalitarisme » consacré par la honteuse résolution du Parlement européen adoptée le 19 septembre 2019 conjointement par les macronistes (membres de Renew Europe, tout un symbole), les eurodéputés du prétendu « Rassemblement national » (RN), mais aussi les faux « Républicains », « socialistes » et « écologistes » ; et par la réhabilitation pulsionnelle de Pétain et de Maurras[5], du fait d’une évident nostalgie pour la « figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort » (Macron à l’été 2015)[6] ;
    • Rapprochements thématiques et sémantiques, à l’image de l’entretien accordé par Macron à Valeurs actuelles à l’automne 2019 pour parler d’insécurité, d’immigration et d’islam – triptyque réactionnaire au service d’une candidature xénophobe et fascisante masquant faussement la nature profondément de classe (bourgeoise) du macronisme[7].

    … et transforme «  » en « LRNM »

    Le prétendu « concept » d’« islamo-gauchisme » illustre magistralement l’entente tacite entre le « bonnet brun » et le « brun bonnet » pour parvenir au désastreux faux « duel » de 2022. Car en annonçant sa volonté de demander au CNRS de « faire un bilan sur l’ensemble des recherches qui se déroulent dans notre pays » au sujet de la place qu’occuperait « l’islamo-gauchisme » au sein des universités, la ministre Vidal met en œuvre progressivement cette stratégie qui, ultime subtilité, débouche sur la fausse « polarisation » au sein de la majorité entre ceux qui appuient la ministre – à commencer par Darmanin, qui juge « trop molle » Le Pen, et Jean-Michel Blanquer qui déclarait à la suite de la mort de Samuel Paty en octobre 2020 : « Ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme fait des ravages. Il fait des ravages à l’université »[8] – et ceux qui estiment qu’elle va trop loin ou exagère. Ou comment chercher à étouffer toute autre parole tout en laissant prospérer la seule opposition adoubée pour 2022 dans un pseudo « débat » qui vise à « dédiaboliser au premier tour pour rediaboliser au second tour », alors que le RN et les prétendus « Républicains » applaudissent de plus en plus les actes et les paroles de la macronie[9] – et pas que sur le sujet de l’« islamo-gauchisme »[10]. De la même manière, le gouvernement a réussi à hystériser le « débat » , avec la complicité des chiens de garde médiatiques, au sujet du « séparatisme islamiste » désigné comme le seul séparatisme qui sévirait dans le pays, et ce tout en œuvrant parallèlement à l’euro-dissolution de la France et de la République à travers l’imposition dans la Constitution du « droit à la différenciation des territoires », débouchant sur « La République en Miettes »[11].

    Historiquement, rien de nouveau dans le fait que la droite réactionnaire et pseudo « libérale » (en réalité, promouvant un « capitalisme monopoliste d’Etat » sous le doux nom de « néolibéralisme »[12]) diffuse les mots d’ordre d’une extrême droite fascisante qui, afin de se parer des aspects de « scientificité », s’en remet à des « chercheurs » pour justifier l’usage de termes dont le véritable objet est le discrédit politique et la condamnation en place publique. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que Gilles Kepel, pontife de Sciences Po Paris, proche de Macron qui poussa Sarkozy à guerroyer en Libye (ouvrant ainsi la voie au chaos et à l’extension réelle de l’islamisme en Libye et, par ricochets, dans le Sahel), représente « le » « spécialiste de l’islam » pour les médias, à l’image du « tapis brun » déroulé par C-News qui lui permet très régulièrement d’éructer contre l’« islamo-gauchisme »[13]. Pourtant, il est évident que ce « concept » est le digne successeur de l’accusation de « judéo-bolchevisme » promue dans les années 1930, notamment par les médias aux mains des grands groupes capitalistes (l’agence Havas en tête), des ligues et partis fascistes, mais aussi d’« universitaires » réactionnaires, anticommunistes, antirépublicains et antisémites qui préparèrent parfaitement le terrain pour la Collaboration et la « chasse aux sorcières » envers les juifs et les communistes.

    Ainsi va « La République en Miettes », qui a déjà désigné son adversaire du second tour pour 2022 et fait tout pour le promouvoir, devenant de fait petit à petit « Le Rassemblement national en Marche » (LRNM), bien loin des « images d’Epinal » que les godillots de l’euro-gauche ont entretenue au soir du premier tour de l’élection présidentielle de 2017 en présentant Emmanuel Macron comme un « rempart contre le fascisme ». Tout au contraire, la macronie est le meilleur carburant de l’extrême droite fascisante, et n’hésite déjà plus à franchir le Rubicon : en juin 2020, Louis Aliot, ex-compagnon de Marine Le Pen, put compter sur le ralliement d’Alain Cavalière, colistier du candidat LREM, et de Josianne Cabanas[14], après avoir débauché une ancienne dirigeante locale des « Jeunesses populaires », Anaïs Sabatini[15]. Quand la fusion des droites devient plus que jamais une réalité…

    Une nouvelle offensive facho-obscurantiste contre les sciences sociales…

    Frédérique Vidal a été désavouée de manière cinglante par le CNRS, affirmant à raison que « « L’islamogauchisme », slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique. Ce terme [et certainement pas un « concept »]aux contours mal définis, fait l’objet de nombreuses prises de positions publiques, tribunes ou pétitions, souvent passionnées »[16], parmi lesquelles la pétition signée, entre autres, par Laurent Bouvet, animateur vallsiste du pseudo « Printemps républicain », Pascal Perrineau, Pierre Nora ou Gilles Kepel en octobre 2020 à la suite de l’ignoble assassinat de Samuel Paty, en soutien au sinistre Blanquer qui fustigeait déjà « l’islamo-gauchisme »[17]. Autant d’universitaires dont la « neutralité » peut prêter à sourire, à l’image de Pascal Perrineau, président de Sciences Po Alumni, professeur à Sciences Po, pourfendeur des « populismes » … et garant de « l’indépendance » du « Grand débat national » organisé par Macron en 2019 pour étouffer la révolte des gilets jaunes[18].

    « Curieusement », « LRNM », ses satellites (du « Printemps républicain » aux faux « Républicains ») et les pseudo « journalistes » se présentant comme les garants des « valeurs républicaines », ne s’offusquent pas des délires fascisants et réactionnaires bien implantés dans certaines universités, à l’image de Lyon-III où enseignent et/ou ont enseigné Bruno Gollnisch, ancien numéro 2 du Front national (FN) qui s’est signalé par son négationnisme[19] ; Georges Pinault, nationaliste breton qui, « trop jeune pour entrer dans la Waffen-SS, s’inscrit aux « Jeunes de l’Europe Nouvelle » (JEN), création du Groupe Collaboration à destination des adolescents » au cours de la Seconde Guerre mondiale[20] ; Jean Varenne, co-fondateur et président du Groupement de recherche et d’études sur la civilisation européenne (GRECE) aux sources de la « Nouvelle Droite », collaborateur de la revue Défense de l’Occident et ancien membre du « conseil scientifique » du FN[21] ; Patrick Louis, ancien membre du Mouvement pour la France (MPF) de Philippe de Villiers[22] (qui fut un temps l’une des « éminences grises » de Macron[23]) ; Bernard Lugan, « africaniste » racialiste nostalgique des bienfaits de la colonisation[24] ; ou encore Pierre Vial, « président de l’association Terre et Peuple qu’il a fondée en 1994 » et « actif en France comme en Europe aux confluents du paganisme et du suprémacisme blanc » intervenant régulièrement au sein du journal Rivarol[25].

    Parallèlement au CNRS, la Conférence des Professeurs des Universités (CPU), refusant catégoriquement de « produire des évaluations du travail des enseignants-chercheurs, ou encore d’éclaircir ce qui relève « du militantisme ou de l’opinion »», rappelle également que « « L’islamo-gauchisme » n’est pas un concept. C’est une pseudo-notion dont on chercherait en vain un commencement de définition scientifique, et qu’il conviendrait de laisser, sinon aux animateurs de Cnews, plus largement, à l’extrême droite qui l’a popularisée. Utiliser leurs mots, c’est faire le lit des traditionnels procureurs prompts à condamner par principe les universitaires et les universités », tout en concluant ironiquement que « si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition. Le débat politique n’est par principe pas un débat scientifique : il ne doit pas pour autant conduire à raconter n’importe quoi »[26].

    Dans son communiqué, « Le CNRS condamne avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique, indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques. Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de « race », ou tout autre champ de la connaissance. » Parmi les cibles des facho-obscurantistes se trouve la « French Theory », théorie française développée depuis les Etats-Unis et s’inscrivant dans le cadre d’une philosophie tenante du postmodernisme et de la déconstruction, philosophie symbolisée par Jacques Lacan (et ses travaux sur le langage et l’identité), Michel Foucault, Gilles Deleuze ou encore Louis Althusser. Il en a résulté l’essor des études postcoloniales – avec pour ouvrage référence L’Orientalisme d’Edward Saïd (1978), s’inspirant beaucoup des travaux de Frantz Fanon –, des études de genre ou encore des études s’intéressant à la « race ».

    … bien aidée par des délires anticommunistes et identitaristes

    Si ces réflexions postmodernistes ont légitimement leur place à l’université, elles paient néanmoins une double faute que des militants dits de la « gauche radicale » ont entretenue. D’une part, ces analyses désormais dominantes, voire hégémoniques, dans certaines universités se sont implantées en combattant, parfois radicalement, le matérialisme dialectique chassé des universités. A ce sujet, comme le rappelle Georges Gastaud au sujet de Lucien Sève : « Sève avait ainsi combattu les dérives d’Henri Lefèbvre, puis celles de Roger Garaudy et enfin, celles de son vieux compagnon de l’E.N.S., Louis Althusser. Bien que son argumentation contre les trois personnes citées fût de haute tenue, cette défense philosophique du matérialisme dialectique et du marxisme-léninisme a alors valu à Sève – jugé par les bien-pensants trop proches du PCF et de l’Union soviétique – le mépris de fer de l’Université et de ce que j’appellerai la doxa philosophique hors de laquelle nul ne fait carrière ni n’accède aux média. À l’Université, Sève était soit ignoré, soit brocardé dans les années 1970, quand ce n’était pas carrément traité de « flic théorique », alors qu’Althusser surfait sur la vague structuraliste et que, tout en restant au PCF, il bénéficiait de son demi-flirt très « tendance » avec les étudiants maoïstes. Quant à Garaudy, son crédit était mince à l’université comme l’était hélas son humanisme flou et sans rivage, mais il n’en bénéficiait pas moins d’un large appui médiatique puisqu’il semait la zizanie dans le PCF sur la base d’un positionnement antisoviétique et anti-léniniste. »[27] En laissant s’opérer, voire en participant à, l’entreprise de délégitimation et de censure des analyses matérialistes dialectiques – à l’image de l’historienne Annie Lacroix-Riz, mise au ban de la « communauté des historiens » contemporanéistes qui refusent les idées fortes et matériellement réelles (les nombreuses sources en attestent) de la « synarchie » et de la « non-épuration »[28] –, les universitaires tenants de la « Théorie française » ont contribué, par ricochets, à renforcer le pôle réactionnaire et fascisant.

    D’autre part, un militantisme politique et idéologique a incontestablement émergé à la suite de ces nouvelles approches, militantisme prônant des identitarismes essentialistes tout aussi intolérants et communautaristes que les messages portés par la droite fascisante, à l’image du Parti des indigènes de la République (PIR) qui théorise un pseudo « pouvoir blanc » (que cela signifie-t-il pour les prolétaires « blancs » ?!) substitue la « lutte des races sociales » à la « lutte des classes » et s’intéresse « aux rapports de domination que la planète blanche exerce sur les autres peuples », à l’instar de Houria Bouteldja – qui déclara que « Les juifs sont les boucliers, les tirailleurs de la politique impérialiste française et de sa politique islamophobe » – ou Sadri Khiari, « militant tunisien de la IVeInternationale (trotskiste) »[29]. C’est ainsi que des « camps décoloniaux » (!), interdits aux « Blancs » et refusant la mixité, ont été organisés en 2016 à Reims[30] puis en 2017[31], tandis que l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) en perdition ne trouvait rien de mieux à faire en mars 2020, « en vue de la journée internationale de lutte pour le droit des femmes », que de « renommer l’ensemble des amphis de la fac [de Nanterre] avec des noms de femmes influentes »[32], uniquement noires et parmi lesquelles se trouvaient Rokhaya Diallo, afroféministe intersectionnelle et décoloniale qui défend la non-mixité et combat le « pouvoir blanc » et la laïcité[33], ou Aya Nakamura, égérie capitaliste des adolescents avec ses « chansons » déstructurant la langue française.

    Sortir des faux « débats » et traiter les vrais problèmes

    L’essentialisation identitariste constitue une menace majeure pour la République une, indivisible, sociale et laïque, et plus encore pour les classes populaires– surtout la classe ouvrière –condamnées à être catégorisées selon des critères de « religion », de « race », de « genre » ou encore de « région ». Autant d’éléments servant la soupe à l’extrême droite fascisante et à la droite réactionnaire adeptes du suprémacisme blanc tel Éric Zemmour, mais également aux identitaristes « noirs » qui se lancent dans le déboulonnage des statues[34], aux islamistes et aux intégristes catholiques (Sens commun, Valeurs actuelles) et juifs (la Ligue de défense juive et le Betar), aux pseudo « féministes » comme Alice Coffin qui appelle à « éliminer » les « assaillants » composant la « communauté masculine »[35], ou encore aux euro-régionalistes et indépendantistes flirtant allègrement avec les forces d’extrême droite comme en Alsace – où le drapeau alsacien a été hissé au sommet de la cathédrale de Strasbourg le 11 novembre 2018 ![36] – ou en Bretagne. Mais également autant de signaux d’alerte de véritables problèmes à traiter et que les agitateurs de « LRNM » ou indigénistes ne souhaitent régler, préférant verser dans les postures, les dénis et l’entretien des pulsions et des passions.

    Car il existe bel et bien du racisme en France – frappant particulièrement les citoyens et/ou les travailleurs d’origine africaine ou nord-africaine et/ou de confession musulmane –, une violence multiforme (violences sexuelles, exploitation de classe, etc.) envers les femmes, une virulente homophobie, etc., autant de fléaux qui doivent être éradiqués au même titre que leurs agents. Tout comme il existe un islamisme fanatique sévissant en France, dont les premières victimes furent, au Moyen-Orient, les communistes et les partisans du panarabisme laïc contre lesquels luttèrent la pseudo « gauche antitotalitaire » – à l’image de Bernard-Henri Lévy qui s’enturbanna en Afghanistan aux côtés des « combattants de la liberté » qu’étaient les moudjahidines[37], futur vivier des talibans et des djihadistes ayant opéré en Bosnie, en Algérie et ailleurs –, la droite pseudo « libérale » et réactionnaire et l’extrême droite anticommuniste ; un islamisme à éradiquer d’urgence, au même titre que les autres délires pseudo « religieux ». Et tout comme il existe des séparatismes euro-régionalistes profitant à plein de la légalisation du « droit à la différenciation » introduite par « LRNM ».

    Face à ces faux « débats » et au pseudo affrontement Macron-Le Pen dont rêvent les deux faces de la même pièce capitaliste et euro-atlantique, le Pôle de Renaissance communiste en France (PRCF) appelle à en finir avec les vrais problèmes que sont l’euro-dissolution de la France et de la République une et indivisible, l’euro-démantèlement des services publics (dont l’Université à travers la sordide « LPPR » mettant au pas les universitaires[38]), l’euro-destruction des conquêtes sociales et démocratiques, et l’euro-arasement des libertés publiques comme l’illustre la fascisante loi dite « Sécurité globale »[39]. Et en ce qui concerne plus spécifiquement le monde universitaire, les problèmes urgents sont la destruction de la recherche publique, la précarisation des enseignants et leur mise au pas par un pouvoir politique menant une « chasse aux sorcières » croissante, la paupérisation effrayante des étudiant(e)s[40], la fin du saccage des sciences sociales et des sciences fondamentales comme les mathématiques[41], etc.

     

    Et pour cela, la seule alternative politique possible est le Frexit progressiste, cette ligne rouge et tricolore associant l’Internationale et la Marseillaise afin d’en finir avec l’euro, l’UE, l’OTAN et le capitalisme exterministe, porteur du principal séparatisme qu’est le séparatisme de classe promu par l’oligarchie capitaliste euro-atlantique[42]. C’est cette alternative que , désigné comme le porte-parole du PRCF par son Comité central pour l’élection présidentielle, mène, avec tous les camarades du PRCF, l’indispensable précampagne pour qu’émerge une candidature en mesure de porter cette alternative rouge-tricolore, seule à même de mener les travailleurs et les citoyens défenseurs des Lumières communes, mais aussi la France et la République une et invisible, sociale et laïque, souveraine et démocratique, fraternelle et pacifique, vers les « nouveaux Jours heureux » dont nous avons urgemment besoin !

     


    [1]https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/mesure-n3-democratiser-toute-la-vie-publique-pour-en-finir-avec-la-monarchie-republicaine-les-elus-autocrates-et-la-dictature-du-capital/

    [2] Parmi les articles : https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/02/12/debat-marine-le-pen-gerald-darmanin-la-dediabolisation-par-procuration_6069774_823448.html; https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-politique/le-billet-politique-du-vendredi-12-fevrier-2021

    [3]http://les-jours-heureux.nursit.com/spip.php?article21

    [4]https://www.huffingtonpost.fr/entry/ce-dejeuner-entre-marion-marechal-et-un-conseiller-de-macron-fait-jaser-jusque-dans-la-majorite_fr_5fe9a538c5b64e442104be4f

    [5]https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/macron-et-sa-clique-reactionnaire-nous-ressortent-petain/

    [6]https://lelab.europe1.fr/pour-emmanuel-macron-il-manque-un-roi-a-la-france-1365792; lire surtout : https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/1789-1989-2019-pour-sauver-la-revolution-combattons-la-reaction/

    [7]https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/macron-le-pen-memes-haines-memes-combats/

    [8]https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/23/polemique-apres-les-propos-de-jean-michel-blanquer-sur-l-islamo-gauchisme-a-l-universite_6057164_3224.html

    [9]https://www.ouest-france.fr/politique/front-national/le-rassemblement-national-approuve-les-propos-de-frederique-vidal-sur-l-islamo-gauchisme-7159305

    [10]https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/macron-le-pen-memes-haines-memes-combats/

    [11]https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/macron-la-republique-en-miette-par-fadi-kassem/

    [12]https://georges-gastaud.com/essais/a-propos-du-capitalisme-monopoliste-detat/

    [13]https://www.dailymotion.com/video/x7zdxe0

    [14]https://www.lexpress.fr/actualite/politique/municipales-a-perpignan-le-numero-3-de-la-liste-lrem-decide-de-soutenir-louis-aliot_2127432.html

    [15]https://www.youtube.com/watch?v=HH_i-6RAjDM

    [16]https://www.cnrs.fr/sites/default/files/press_info/2021-02/CP_CNRS_VF.pdf

    [17]https://www.francetvinfo.fr/societe/enseignement-superieur-on-vous-explique-la-polemique-sur-l-enquete-visant-l-islamo-gauchisme-reclamee-par-le-gouvernement_4300199.html

    [18]https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/1870-2020-150-ans-de-republique-le-mandarinat-qui-sert-le-republicain-macron-et-detruit-la-republique/

    [19]https://www.lemonde.fr/societe/article/2008/02/28/peine-confirmee-en-appel-pour-bruno-gollnisch-poursuivi-pour-contestation-de-crimes-contre-l-humanite_1016603_3224.html

    [20]https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Pinault

    [21]https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Varenne

    [22]https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_Louis_(homme_politique)

    [23]https://www.lejdd.fr/Politique/emmanuel-macron-a-propos-de-philippe-de-villiers-jaime-beaucoup-ce-type-3657500

    [24]https://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_Lugan

    [25]https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Vial

    [26]http://www.cpu.fr/actualite/islamo-gauchisme-stopper-la-confusion-et-les-polemiques-steriles/

    [27]https://www.initiative-communiste.fr/articles/culture-debats/le-prcf-salue-la-memoire-du-grand-lucien-seve-par-georges-gastaud/

    [28]https://www.initiative-communiste.fr/articles/culture-debats/annie-lacroix-riz-denonce-faits-a-lappui-la-non-epuration-des-collabos-et-sattire-les-foudres-de-la-censure/

    [29]http://www.slate.fr/story/153819/references-intellectuelles-indigenes-republique

    [30]https://www.lesinrocks.com/2016/08/25/actualite/actualite/camp-dete-decolonial-non-mixte-a-reims-suscite-de-nombreuses-reactions/

    [31]https://www.marianne.net/societe/interdit-aux-blancs-le-camp-d-ete-decolonial-remet-ca

    [32]https://twitter.com/unefnanterre/status/1235252386081517569

    [33]https://www.lesinrocks.com/2017/01/08/actualite/actualite/on-a-parle-feminisme-rokhaya-diallo/

    [34]https://www.initiative-communiste.fr/articles/deboulonnage-et-installation-de-statues-la-cle-cest-lhistoire-et-son-etude/

    [35]https://www.ladepeche.fr/2020/10/02/il-faut-a-notre-tour-les-eliminer-la-charge-de-la-feministe-alice-coffin-contre-les-hommes-9112884.php

    [36]https://www.huffingtonpost.fr/2018/11/11/le-drapeau-regionaliste-dalsace-hisse-illegalement-sur-la-cathedrale-de-strasbourg_a_23586361/

    [37]https://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/SOUCHON/54701  

    [38] Parmi les nombreux articles publiés par Initiative communiste, lire notamment : https://www.initiative-communiste.fr/articles/luttes/cynique-et-irresponsable-le-gouvernement-accelere-la-destruction-de-la-recherche-fondamentale-avec-sa-lppr-manif-le-12-juin-tract/

    [39]https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/loi-insecurite-globale-fichage-criminalisation-du-syndicalisme-et-du-communisme-combattons-leuro-fascisation-et-ses-complices-tract/

    [40]https://www.franceinter.fr/societe/precarite-etudiante-on-fait-7-distributions-alimentaires-par-semaine-en-octobre-il-n-y-en-avait-que-5

    [41]https://www.initiative-communiste.fr/articles/culture-debats/echec-aux-maths-ou-25-annees-de-deconstruction-maastrichtienne-de-lenseignement-des-mathematiques/

     

    [42]https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/le-principal-separatisme-en-france-cest-celui-de-macron-et-de-loligarchie-financiere-quil-represente/

     

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  • La lutte acharnée du communisme contre l’islamisme dans le monde arabo

    Tout d’abord, les mutations de la politique dans le monde arabo-musulman depuis 50 ans. Cet aspect est bien entendu totalement ignoré en France, tant par la droite que par une bonne partie de la gauche de la gauche. En effet, il est impossible de comprendre la lutte des classes dans le monde arabo-musulman depuis 1945, si on ne comprend pas que l’islamisme (au contenu politique plus que flou) a partiellement (mais seulement partiellement : il y a plus d’éléments petits-bourgeois traditionnels qui s’y agglomèrent) la même base sociale que le communisme, ou même que les mouvements panarabistes socialisants comme le nassérisme. Les classes populaires prolétarisées, qui sont souvent d’anciens agriculteurs ruinés et expropriés, ou fils de ces agriculteurs (donc des prolétaires avec encore une mentalité petite-bourgeoise et bornée très forte[v]), sont donc la base sociale principale à la fois des mouvements progressistes, et des mouvements islamistes. Bien sûr, l’objectif politique est diamétralement opposé, mais ce fait explique la concurrence acharnée qu’ont pu se mener dans le monde arabo-musulman l’islamisme et le communisme.

    Ainsi, en Iran, après la révolution de 1979, l’ayatollah Khomeini (islamiste chiite) a dû liquider physiquement tous les communistes iraniens, avec lesquels il avait d’abord dû s’allier pour pouvoir chasser le Chah d’Iran et reprendre part à la politique. Il a également dû liquider les moudjahiddines du peuple (populistes de gauche), car ces trois partis se battaient pour la même base sociale : un prolétariat récemment urbanisé, et des masses paysannes atomisées.

    De même, au Liban, le puissant Hezbollah n’a pu conquérir son hégémonie dans la communauté chiite durant les années 80 qu’en concurrençant le Parti communiste libanais (PCL), et en assassinant physiquement ses cadres et ses intellectuels (Mahdi Amel par exemple). En effet, le PCL était très présent chez les chiites, car il s’agissait au Liban d’une communauté sur-prolétarisée. L’hégémonie islamiste n’a pu se faire qu’en liquidant les communistes, et en prenant leur place.

    Par ailleurs, il est à peine besoin de noter que les monarchies islamistes de la péninsule du Golfe ont quant à elles toujours écrasé les communistes sous un talon de fer, puisqu’ils ne partagent même pas la même base sociale qu’eux, et sont donc réactionnaires sur toute la ligne.

    Quant aux Frères musulmans, notamment en Égypte, ils ont toujours été les ennemis mortels de Nasser, tentant même de l’assassiner en 1954. Ils furent bien entendu soutenus par les États-Unis ; le président Eisenhower allant même jusqu’à rencontrer une délégation menée par Said Ramadan (le père de Tariq Ramadan) à la Maison Blanche en 1953. Les Frères musulmans ont toujours tenu à adopter un discours en apparence sociale, afin de mieux s’implanter dans les masses populaires. Comme l’islamisme chiite, mais en étant pro-impérialiste, et à la différence de l’islamisme wahhabite, ils ont donc un besoin vital pour exister politiquement d’adopter un discours social. Ainsi, ils furent en Syrie le fer de lance de la lutte contre le parti Baath, et l’agent de l’impérialisme américain[vi], y compris durant la récente guerre.

    La croisade anticommuniste soutien de l’islamisme

    Arrivés à ce stade, il nous faut donc faire un bilan de la relation entre le communisme dans le monde arabo-musulman et l’islamisme. La constante de cette relation est l’anti-communisme fondamental de l’islamisme, quel qu’il soit. En revanche, deux variantes d’islamisme au moins ont besoin d’adopter un discours social marqué, car ils ont partiellement la même base populaire que les communistes : l’islamisme chiite, très marqué par le millénarisme, et celui des Frères musulmans. Cependant, les Frères Musulmans ont toujours été les laquais de l’impérialisme américain, ce qui fait une vraie différence avec l’islamisme chiite, qui lui, étant plus populaire encore, ne peut se permettre de compromis sur ce point. Ainsi, on a pu voir arriver en tête des élections en 2018 en Irak une coalition, formée du Parti communiste irakien, et des Sadristes, des populistes chiites, anti-américains, et critiques envers l’Iran. Nul besoin ici de hurler à « l’islamo-gauchisme » : les communistes irakiens ne se sont pas alliés à n’importe quels islamistes, mais aux chiites les plus sociaux et les plus patriotes, dans un contexte de crise. Ils jouent en Irak le rôle de populistes de gauche, un peu comme les Socialistes-révolutionnaires (SR) de gauche durant la révolution russe de 1917.

    En revanche, puisque comme nous l’avons vu, les islamistes sont toujours anti-communistes (sauf parfois les chiites), et de façon violente, on a pu voir en occident des intellectuels anticommunistes, en particulier libertaires ou trotskistes, se réjouir de la montée en puissance de l’islamisme. Ce fût en particulier le cas de Michel Foucault, qui écrivit en 1979 une série d’articles pour dresser les lauriers de la Révolution islamique en Iran[vii]. Cécité, manque d’informations, esprit du temps ? Ses fidèles ont tout cherché pour le défendre. La vérité est sans doute bien plus triviale : en bon libertaire (et libéral !), Foucault s’est réjoui de la défaite des communistes, et de leur liquidation express. Visiblement, le communisme trouble plus la jouissance du libertaire que l’islamisme rigoriste et puritain.  S’il y a donc eu une convergence entre les gauchistes et les islamistes, ce fut donc avant tout sur fond d’anti-communisme viscéral. Mais à ce train-là, on pourrait qualifier toute l’intelligentsia parisienne « d’islamo-libérale » quand elle soutint les talibans contre les communistes afghans.

     

    Et c’est ainsi que nous rejoignons la deuxième série d’événements : l’instrumentalisation par certains intellectuels de gauche, notamment trotskistes, de la question religieuse, à seule fin d’exister médiatiquement. Ainsi par exemple, Matthieu Renault, universitaire proche du NPA, a récemment commis un ouvrage qui attaque de front l’URSS, particulièrement durant la période stalinienne, et l’accuse ouvertement d’islamophobie, tout en faisant un rapprochement entre la politique du PCUS dans les républiques musulmanes d’Asie centrale dans les années 30, et les crimes de guerres commis par la France coloniale en Algérie[viii]. Ces accusations n’ont d’autre fondement que la haine obsessionnelle des trotskistes pour l’URSS, et il ne vaut pas la peine de les démonter. Ce genre de démarches, profondément marginales (faut-il le rappeler), sont peut-être les seules que l’on pourrait qualifier « d’islamo-gauchistes » au sens propre du terme, encore que l’obsession anti-communiste soit le vrai dénominateur commun de ce rapprochement, ainsi qu’une certaine volonté clientéliste de ramener vers le militantisme des enfants de l’immigration, en leur tenant un faux discours sur l’islam, vu comme étant seulement une « des prolétaires » – en oubliant que toute religion est d’abord et avant tout une idéologie de compromis et de collaboration de classe (ce qui n’exclut absolument pas comme le disait Thorez la « main tendue au travailleur croyant », bien au contraire). Ainsi, Houria Bouteldja a-t-elle pu se déclarer, « islamo-trotskiste », sans que l’on puisse savoir si cela relevait de la boutade provocatrice, ou d’une vraie position politique.

    Par ailleurs cette démarche clientéliste n’est pas limitée aux seuls groupuscules d’extrême-gauche : le think tank Terra Nova, proche du PS, ne répète-il pas depuis des années que la social-démocratie a complètement perdu les classes populaires (ce qui est totalement vrai), et qu’elle doit pour survivre se concentrer sur les luttes sociétales, et faire du clientélisme communautaire[ix] ?

    Seulement, et on voit bien là le confusionnisme du concept « d’islamo-gauchisme », ces positions gauchistes et social-démocrates, à mi-chemin entre la lâcheté politique et la stupidité théorique, n’impliquent absolument pas une convergence théorique ou d’objectifs politiques avec l’islamisme. Au mieux, il peut s’agir d’accommodements opportunistes et mondains. Les uns (les intellectuels gauchistes) ont besoin des autres (les islamistes) pour se donner un vernis de subversion dans le climat actuel, et se donner un semblant illusoire d’ancrage populaire, depuis qu’ils ont largué en rase-campagne la lutte des classes (la vraie, pas celle de Médiapart[x]). Les autres (toujours les islamistes) ont besoin des uns (ces mêmes intellectuels gauchistes) pour se donner un vernis de respectabilité : ainsi, l’ONG feu-Baraka City, d’obédience salafiste, a pu livrer moults « convois humanitaires » durant la guerre de Syrie (et on sait ce que cache ce terme dans un tel contexte), car elle servait les intérêts impérialistes français, et le dissimulait derrière de l’activité « humanitaire ». On mesure ici d’ailleurs le degré d’hypocrisie d’un Darmanin, qui feint l’indignation contre une telle association, alors qu’ils ont partagé durant si longtemps les mêmes plans pour la Syrie.

    En bref, nous avons ici affaire à un encanaillement de classe plus qu’à autre chose, dans ce que ce phénomène peut avoir de plus sordide. « L’islamo-gauchisme » est un concept confusionniste, utilisé par l’extrême-droite, et qui ne relève en rien de l’analyse de la lutte des classes, n’ayant jamais eu une vraie portée politique et populaire. En revanche, il décrit de façon floue un paragraphe insignifiant de l’Histoire de la lutte des places dans les milieux mondains français des années 2010-2020, en faisant abstraction de toutes les luttes géopolitiques, et de la lutte des classes. C’est dire donc son insignifiance, et le caractère désespéré de ceux qui le brandissent.

     

    21 février 2021 – par VS pour www.initiative-communiste.fr


    [i] https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/02/18/polemique-sur-l-islamo-gauchisme-la-ministre-de-l-enseignement-superieur-recadree-par-l-executif-et-les-chercheurs_6070388_823448.html

    [ii]  https://editionsdelga.fr/portfolio/le-langage-de-lempire/

    [iii] http://jrcf.over-blog.org/2020/12/le-gauchisme-ou-l-effet-procuste.html

    [iv] Un exemple récent de ce genre d’empoignades désolantes : https://lanticapitaliste.org/actualite/politique/cher-francois-ruffin-de-quel-droit-topposes-tu-la-liberte-de-circulation-des

    [v] Sur ce phénomène psychologique et sa portée de classe – le prolétaire ancien petit-bourgeois ou assimilé –, la brochure de Staline, Anarchisme ou socialisme, en donne d’excellents exemples et analyses.

    [vi] https://www.jeuneafrique.com/133003/archives-thematique/damas-liquide-les-fr-res-musulmans/

    https://www.mediapart.fr/journal/international/170616/les-freres-musulmans-en-pleine-mutation

    [vii] http://1libertaire.free.fr/FoucaultIran02.html

    [viii] https://www.revolutionpermanente.fr/Lenine-islamo-gauchiste-Entretien-avec-Matthieu-Renault

    [ix] Un exemple parmi d’autres : https://www.marianne.net/politique/quand-la-gauche-dit-adieu-aux-ouvriers-et-employes

    [x] Qui ne trouve rien de mieux à faire à l’occasion de la polémique que cracher sur la République et revendiquer un « satanisme méthodologique » (sic !) : https://blogs.mediapart.fr/norman-ajari/blog/100221/satanisme-methodologique-le-separatisme-est-une-exigence-ethique?fbclid=IwAR0h6jws-pO-vT0ZEJE-8j1whCiYisqFVYKS0VYNwsZUyM2_vZnzsgnGA6o

     

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  • le monde universitaire indigné demande la démission de Dominique Vidal tandis que les policiers de Darmanin protègent Génération Identitaire !

     

    C’est un grondement qui monte de toutes les parties du monde de l’, enseignants, chercheurs, et même jusque dans les rangs des hauts fonctionnaires pourtant nommés par la Macronie. La sortie de la ministre Vidal à la suite de Blanquer et de Darmanin courant derrière Le Pen et prétendant au nom d’une croisade xénophobe censurer la recherche et l’enseignement universitaire pourraient bien être la goute d’eau faisant déborder le vase de la colère.

    Pendant que Blanquer et Vidal vitupéraient dans les médias leurs rhétorique d’extrême droite, le préfet Lallement interdisait la manifestation anti-fasciste dénonçant le rassemblement du groupuscule d’extrême droite Génération Identitaire… un groupuscule soit disant menacé de dissolution par le ministère de l’intérieur mais protégé dans les faits par la police tout au long de ce 21 février 2021 comme cela avait déjà été le cas le 13 juin 2020 . C’est ainsi que des militants antifascistes se sont fait attaquer sans que la police n’arrête les violents factieux, trop occupés à procéder une nouvelle fois à l’arrestation politique du gilet jaune Jérome Rodriguez.

    Le régime Macron s’en prend à la , à l’Université et à nos libertés

    Les tapageuses déclarations de déjà reprises par Blanquer ne sont que la suite logique de la course à l’échalote xénophobe à laquelle se sont livrés avec la complicité de l’audiovisuel d’Etat Darmanin et Le Pen. Le premier trouvant “trop mole” la seconde tout en avouant vouloir faire plaisir aux députés FN RN. La seconde indiquant pouvoir signer le livre du premier…. De fait la campagne de propagande odieuse visant le soit disant “islamo gauchisme” de l’Université n’est que la poursuite d’une fangeuse entreprise de destruction de l’Enseignement Supérieur public, et des libertés acadamique. Une entreprise marquée par le passage en force de la loi LPPR à la faveur de la crise sanitaire, le gouvernement profitant d’avoir fermé depuis plus d’un an les universités, et une campagne de haine déjà lancée avec la tribune 31 octobre 2020 d’universitaires alarmés, liste d’ailleurs incomplète sur ce lien (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-est-la-persistance-du-deni_6057989_3232.html) dont l’histoire retiendra assurément l’appel à l’hallali . Mme Vidal pourrait d’ailleurs arguer, si elle ne l’a déjà fait, que c’est sur les instances d’éminentes « personnalités » qu’elle a agi… Et que s’est empressé de faire son collègue Blanquer. Ce qui ne manque pas de cynisme lorsque l’on sait que l’ancien recteur de Lyon a déjà témoigné de la complicité de Blanquer alors haut fonctionnaire au ministère de l’Education pour faire installer des écoles communautaristes proches des frères musulman à Décines...

    La dernière découverte de l’immense chercheur Darmanin : « Je connais des chercheurs avec lesquels on a travaillé [sur le projet de loi confortant les principes de la République, dite loi « séparatisme »], Bernard Rougier ou Gilles Kepel par exemple, qui expliquent très bien comme l’université française parfois les considère comme pas bienvenus, et sont parfois obligés de s’expatrier et de trouver des financements publics ou privés pour faire leurs études. (…) Dans certains endroits, dans certaines facultés, il existe cette incursion [de l’“islamo-gauchisme”]. » Des noms! Des noms! (https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/02/18/polemique-sur-l-islamo-gauchisme-la-ministre-de-l-enseignement-superieur-recadree-par-l-executif-et-les-chercheurs_6070388_823448.html)

    Le temps de la réaction face à la réaction

    Si la réaction est un cri d’indignation de la communauté universitaire, elle reste toutefois pour le moment très timide au plan institutionnel, tout comme au plan syndical. Comme le souligne notre camarade l’historienne Annie- Lacroix Riz : “On aura décidément tout vu. Accepter une étude sur un objet dont on conteste l’existence et dans un cadre strictement non statutaire (cf. le statut de la fonction publique dit Maurice Thorez : depuis quand le CNRS juge-t-il l’université, et pourquoi ne pas confier la mission au si compétent Institut d’études politiques?, ah, oui, c’est vrai, il est assez occupé ces temps-ci par d’autres dossiers) donne une idée de l’état d’une structure officiellement consolidée, en 1945, dans le cadre des réformes progressistes (pas longtemps) de l’après-Libération.”

    Il serait temps que l’Université en voie d’anéantissement passe à la résistance, les coups pleuvant décidément de toutes parts. Ce qui nécessiterait au demeurant de parler de son effective destruction « européenne », clairement mise en œuvre depuis le programme de Lisbonne notamment (« Réforme des universités dans le cadre de la stratégie de Lisbonne », 2003) plutôt que de la bombe puante de l’islamo-gauchiste?  De fait« la LPR, une loi inégalitaire et darwinienne », est la résultante directe du cadre fixé par l’Union européenne, et strictement appliqué conformément à ses instructions et directives. Cyniquement là aussi, c’est au nom d’alerte contre l’extrême droite que certains universitaires hautement médiatiques(parmi lesquels des éminences très inquiètes de l’islamo-gauchisme)  avant chaque “élection” « européenne » se livre à une propagande effrenée pour en remettre une couche et ainsi poursuivre la dissolution de la France et de ses valeurs révolutionnaires, sociales et démocratiques, dans cette union européenne réactionnaire, qui affiche son cléricalisme jusque dans son drapeau. . Cela même instruisent des procès en sorcellerie contre ceux de leur confrère qui en s’en tenant à la méthode et la rigueur universitaire refuse d’alimenter la propagande capitaliste et au contraire osent au contraire faire avancer la connaissance.

    Annie Lacroix-Riz le souligne : “Maccarthysme, vraiment, régnant chez nous à cause des islamo-gauchistes? Et le vrai maccarthysme, celui qui a viré le marxisme de l’Université et de tous les grands médias (France Culture compris), contraint de fait la recherche française à se proclamer antimarxiste et anticommuniste (pardon, « antistalinienne », ah, mais oui, c’est bien ça!) et, entre autres, banni de  France toute recherche sérieuse sur l’histoire de la Russie et de l’URSS, celle qui  avait assuré sa notoriété académique à l’ère Roger Portal (pas communiste pourtant) pour ne nous laisser que les « soviétologues » qui placent la « soviétologie » française et européenne au rang de l’enseignement scolaire français des mathématiques? Ils en disent quoi, nos chasseurs d’islamo-gauchistes?”

    Espérons que de plus nombreux soit ceux qui reconnaissent enfin combien il était dangereux de laisser faire « l’Europe » sur l’équation communisme = nazisme avec par exemple l’ignoble résolution de septembre 2019, votée par tous les groupes français, « gauche » incluse, sauf la FI. Car nous n’avons pas fini de payer cette alimentation de ce ventre toujours fécond. Bien sûr le sujet est résolument tabou, mais il compte dans l’opération en cours contre une vilaine « minorité ». Le maccarthysme, ça ne se coupe pas en tranches, ça se combat à visage ouvert, et pour tous usages.

    Oui ouvrons des enquêtes à l’Université sur les casseurs du savoir et des disciplines : l’UE, le medef et ses sbires de LREM

    S’il devait y avoir enquête du CNR, une qui s’imposerait compte tenu de l’agonie avérée, ce serait celle de l’enseignement des mathématiques en France. Elle compléterait avantageusement celle que le sénateur Pierre Ouzoulias a demandée sur l’état des étudiants affamés et privés d’études par un pouvoir. Et elle illustrait l’état désastreux de la science dans ce pays, après que l’école, l’enseignement secondaire et supérieur et la recherche publique ont été mis en coupe réglée aux ordres de l’Union Européenne et de sa stratégie de Barcelonne.

    Le ministre des Affaires étrangères du régime Macron ose accuser la Chine de déposer des vaccins sur le tarmac des aéroports d’Afrique, alors même que les vaccins « européens » fabriqués par les multinationales américaines (vive l’UE!) “seront excellents” (Le Driant, France Inter) mais qui sont à cette date extrêmement peu nombreux (et extrêmement coûteux) : des vaccins privatisés et inaccessibles (sauf semble-t’il pour les pontes des conseils d’administrations et autres anciens présidents…), des vaccins qui ne sont pas produits en France. Ni masques, ni tests, ni vaccins, ni les connaissances mathématiques de base nécessaire pour comprendre et donc faire face à la pandémie…

    On conseille donc de relire l’article en trois parties d’un des camarades du PRCF, jeune agrégé sur l’enseignement des mathématiques en France, décembre 2020-janvier 2021, qui préfère, vu les les aléas de l’application du Statut de la fonction publique, demeurer anonyme :

    Revue de presse :


    Le syndicat majoritaire de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche dénonce dans un communiqué les atteintes graves à la liberté universitaire

    Frédérique Vidal fait injonction à la recherche publique de procéder à une enquête sur l’« islamo-gauchisme » à l’Université : le SNCS-FSU et le SNESUP-FSU dénoncent cette nouvelle atteinte aux libertés académiques

    Depuis bientôt six mois, les universités en France vivent sous la menace de mesures contre un prétendu « islamo-gauchisme » qui les aurait « gangrénées ». L’« islamo-gauchisme » n’existe ni dans les universités, ni au CNRS, ni ailleurs dans le monde scientifique. En revanche, la menace de censure est désormais réelle. L’« islamo-gauchisme » n’est pas un concept scientifique : il ne correspond à aucun travail de recherche ou d’enseignement. C’est le nom qu’une poignée de militants « identitaires » souffle à l’oreille des ministres pour disqualifier des travaux de recherche à visée émancipatrice. Sont visées entre autres les études sur le genre, les sexualités, les migrations, les formes de domination et les effets à long terme de la colonisation dans les sociétés contemporaines. Ces travaux sont aujourd’hui stigmatisés par le pouvoir politique, dans un contexte de surenchère entre le Rassemblement national et le gouvernement. Cela signifie que le pouvoir politique s’arroge un droit de regard sur des recherches qui sont menées dans les universités et les laboratoires en France, non pas de manière isolée mais en lien avec la recherche internationale.

    Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a fait savoir le mardi 16 février qu’il entendait confier une « étude » sur ces sujets à l’Alliance ATHENA, qui coordonne les recherches en sciences humaines et sociales. La veille, la ministre avait souhaité que le CNRS lui-même soit chargé de cette mission. Ce recul, si c’en est un, n’est encore que microscopique. C’est l’idée même d’une nouvelle « chasse aux sorcières » qui doit être abandonnée. Les libertés académiques sont en cause, comme rarement elles l’ont été.

    Car contrairement à ce qu’a déclaré la ministre, le pouvoir politique n’a pas à ordonner des enquêtes pour « distinguer ce qui relève de la recherche académique et de ce qui relève du militantisme et de l’opinion ». La communauté scientifique elle-même évalue en permanence, ce qui, dans la production de ses membres, constitue un travail scientifique valable. Elle le fait tous les jours, sans attendre les enquêtes, injonctions ou oukazes des ministères et des groupes de pression. Et surtout, une fois la production scientifique dûment validée, elle ne se soucie pas de savoir quelles opinions, éventuellement militantes, ses membres peuvent professer librement par ailleurs.

    Les propos de la ministre, en remettant en question cette liberté fondamentale, ont soulevé une intense émotion dans toute la communauté scientifique et universitaire. Ils révèlent un dangereux climat de défiance contre les chercheurs, qui se répand aussi dans certains médias, et une volonté de pilotage politique de la recherche. Les sciences humaines et sociales ne sont pas seules visées. Quelles seront les prochaines recherches attaquées, par quels ministres et par quels lobbys, comme cela a été le cas des cellules souches, de la question des substances toxiques dans l’alimentation ou l’environnement ou encore celle du changement climatique ?

    Le SNCS-FSU et le SNESUP-FSU dénoncent les récents propos de Frédérique Vidal. Ils appellent la ministre à se ressaisir et à se concentrer sur ce à quoi elle a failli depuis sa prise de fonction : le soutien de l’État aux organismes de recherche et aux universités ; la réhabilitation du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche ; la démocratisation du savoir et l’aide aux étudiants en détresse en temps de pandémie ; et, plus que jamais, les libertés académiques. 

    Paris, le 17 février 2021

    https://www.snesup.fr/article/f-vidal-fait-injonction-la-recherche-publique-de-proceder-une-enquete-sur-l-islamo-gauchisme-luniversite-communique-du-sncs-fsu-et-du-snesup-fsu-du-17-fevrier-2021

    Dominique Vidal condamnée par la très modérée conférence des président d’Université, pourtant eux même désigné par le régime

    Communiqué du CNRS : L’« islamogauchisme » n’est pas une réalité scientifique

    « L’islamogauchisme », slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique. Ce terme aux contours mal définis, fait l’objet de nombreuses prises de positions publiques, tribunes ou pétitions, souvent passionnées. Le CNRS condamne avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique, indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques. Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de « race », ou tout autre champ de la connaissance.

    Concernant les questions sociales, le rôle du CNRS, et plus généralement de la recherche publique, est d’apporter un éclairage scientifique, une expertise collective, s’appuyant sur les résultats de recherches fondamentales, pour permettre à chacun et chacune de se faire une opinion ou de prendre une décision. Cet éclairage doit faire état d’éventuelles controverses scientifiques car elles sont utiles et permettent de progresser, lorsqu’elles sont conduites dans un esprit ouvert et respectueux.

    La polémique actuelle autour de l’ « islamogauchisme », et l’exploitation politique qui en est faite, est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science. Elle n’est ni la première ni la dernière, elle concerne bien des secteurs au-delà des sciences humaines et des sciences sociales. Or, il y a des voies pour avancer autrement, au fil de l’approfondissement des recherches, de l’explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche. C’est là aussi la mission du CNRS.

    C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés. Ce travail s’inscrirait dans la continuité de travaux d’expertise déjà menés sur le modèle du rapport « Recherches sur les radicalisations, les formes de violence qui en résultent et la manière dont les sociétés les préviennent et s’en protègent » réalisé en 2016 par l’alliance Athena, qui regroupe l’ensemble des forces académiques en sciences humaines et sociales dans les universités, les écoles et les organismes de recherche, ou du rapport « Les sciences humaines et sociales face à la première vague de la pandémie de Covid-19 – Enjeux et formes de la recherche », réalisé par le CNRS en 2020.

    Communiqué du CNRS le 17 février 2021 : https://www.cnrs.fr/fr/l-islamogauchisme-nest-pas-une-realite-scientifique

    Pétition : Des milliers d’universitaires demande la démission de Dominique Vidal

    Ci dessous la Tribune pétition publiée par Le Monde le 20 février 2021.
    600 premier·es signataires ci-dessous avec leur position académique, suivi·es des 3700 autres signataires au 21 février 2021 à 10h. Vous pouvez signer sur https://www.wesign.it/fr/justice/nous-universitaires-et-chercheurs-demandons-avec-force-la-demission-de-frederique-vidal

    Le mardi 16 février, à l’Assemblée nationale, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal confirmait ce qu’elle avait annoncé deux jours plus tôt sur la chaîne Cnews : le lancement d’une « enquête » sur l’ « islamogauchisme » et le postcolonialisme à l’université, enquête qu’elle déclarait vouloir confier au CNRS à travers l’Alliance Athéna. Les raisons invoquées : protéger « des » universitaires se disant « empêchés par d’autres de mener leurs recherches », séparer « ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme et de l’opinion » ainsi que … « l’apparition au Capitole d’un drapeau confédéré ».

    Si le propos manque de cohérence, l’intention est dévastatrice : il s’agit de diffamer une profession et, au-delà, toute une communauté, à laquelle, en tant qu’universitaire, Frédérique Vidal appartient pourtant et qu’il lui appartient, en tant que ministre, de protéger. L’attaque ne se limite d’ailleurs pas à disqualifier puisqu’elle fait planer la menace d’une répression intellectuelle, et, comme dans la Hongrie d’Orban, le Brésil de Bolsonaro ou la Pologne de Duda, les études postcoloniales et décoloniales, les travaux portant sur les discriminations raciales, les études de genre et l’intersectionnalité sont précisément ciblés.

    Chercheur·es au CNRS, enseignant·es chercheur·es titulaires ou précaires, personnels d’appui et de soutien à la recherche (ITA, BIATSS), docteur·es et doctorant·es des universités, nous ne pouvons que déplorer l’indigence de Frédérique Vidal, ânonnant le répertoire de l’extrêmedroite sur un « islamo-gauchisme » imaginaire, déjà invoqué en octobre 2020 par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Mais, plus encore, nous nous insurgeons contre l’indignité de ce qu’il faut bien qualifier de chasse aux sorcières. La violence du projet redouble la lâcheté d’une ministre restée silencieuse sur la détresse des étudiant·es pendant la pandémie comme elle avait été sourde à nos interpellations sur une LPR massivement rejetée par tout·es celles et ceux qui font la recherche, y contribuent à un titre ou un autre.

    La crise économique et sociale la plus grave depuis 1945 assombrit l’avenir des jeunes adultes, l’anxiété face à la pandémie fissure la solidarité entre les générations, la pauvreté étudiante éclate aux yeux de tous·tes comme une question sociale majeure, les universités – lieux de vie et de savoirs – sont fermées. Mais pour Frédérique Vidal, le problème urgent de l’enseignement supérieur et de la recherche, celui qui nécessite de diligenter une « enquête » et d’inquiéter les chercheur·es, c’est la « gangrène » de l’ « islamo-gauchisme » et du postcolonialisme.

    Amalgamant un slogan politique douteux et un champ de recherche internationalement reconnu, elle regrette l’impossibilité de « débats contradictoires ». Pourtant, et nous espérons que la ministre le sait, nos universités et nos laboratoires déploient de multiples instances collectives de production et de validation de la connaissance : c’est bien dans l’espace international du débat entre pair·es que la science s’élabore, dans les revues scientifiques, dans les colloques et les séminaires ouverts à tous·tes. Et ce sont les échos de ces débats publics qui résonnent dans nos amphithéâtres, comme dans les laboratoires.

    Contrairement à ce qu’affirme Frédérique Vidal, les universitaires, les chercheur·es et les personnels d’appui et de soutien à la recherche n’empêchent pas leurs pair.es de faire leurs recherches. Ce qui entrave notre travail, c’est l’insincérité de la LPR, c’est le sous-financement chronique de nos universités, le manque de recrutements pérennes, la pauvreté endémique de nos laboratoires, le mépris des gouvernements successifs pour nos activités d’enseignement, de recherche et d’appui et de soutien à la recherche, leur déconsidération pour des étudiant·es ; c’est l’irresponsabilité de notre ministre. Les conséquences de cet abandon devraient lui faire honte : signe parmi d’autres, mais particulièrement blessant, en janvier dernier, l’Institut Pasteur a dû abandonner son principal projet de vaccin.

    Notre ministre se saisit du thème complotiste « islamo-gauchisme » et nous désigne coupables de pourrir l’université. Elle veut diligenter une enquête, menace de nous diviser et de nous punir, veut faire régner le soupçon et la peur, et bafouer nos libertés académiques. Nous estimons une telle ministre indigne de nous représenter et nous demandons, avec force, sa démission.

    Vous pouvez signer la pétition ici.

    Du “judéo-bolchévisme” à “l’islamo-gauchisme” : une même tentative de faire diversion – par Shlomo Sand

    En 2015 déjà l’universitaire et historien israélien Shlomo Sand dénonçait la propagande d’extrême droite propagé derrière le concept d’islamo gauchisme

    Dans les années 1930, en France comme dans d’autres pays d’Europe, les communistes et diverses personnalités de la gauche radicale étaient fréquemment qualifiés de “judéo-bolcheviks”. Ainsi, par exemple, mon père qui, avant la Seconde Guerre mondiale, était un communiste polonaisétait considéré par les autorités et la presse du pays comme faisant partie de la “Zydokomuna”.

    Étant donné que plusieurs dirigeants de la Révolution d’Octobre, tout comme nombre de communistes et de défenseurs de l’URSS, dans toute l’Europe, étaient d’origine juive, l’association langagière entre judaïsme et menées subversives était très populaire parmi les judéophobes.

    Une symbiose propagandiste très efficace

    D’Adolf Hitler à Carl Schmitt et Martin Heidegger, de Charles Maurras à Louis-Ferdinand Céline et Pierre Drieu-La Rochelle, l’identification rhétorique entre juifs et bolcheviks a toujours été empreinte de tonalités effrayantes puisées dans une vieille tradition religieuse, mêlée à des menaces pleinement modernes et laïques.

    Cette symbiose propagandiste s’avéra très efficace, et elle conduisit, entre autres, à ce que plus de 5 millions de Juifs croyants, et leurs descendants, ainsi que 2 millions de soldats soviétiques furent exterminés, en même temps, dans les camps de la mort nazis. Hitler avait ainsi espéré enrayer le “danger” d’une conquête judéo-bolchévique de l’Europe.

    Si, à la fin du XXe siècle, la judéophobie n’a pas totalement disparu, elle a, cependant, très notablement régressé dans les centres de communication des capitales européennes. Les élites intellectuelles et politiques ont voulu oublier et ont aspiré à se fondre dans leur civilisation blanche, à l’aide d’une nouvelle politique des identités. À toutes fins morales utiles, cette civilisation a même troqué son appellation de “chrétienne” en “judéo-chrétienne”.

    Les juifs survivants et les bolchéviks, quasiment disparus, ont cessé de constituer une menace pour la position et l’identité des élites dominantes, mais l’état de crise permanent du capitalisme, et l’ébranlement de la culture nationale, consécutif à la mondialisation, ont incité à la quête fébrile de nouveaux coupables.

    Une appellation qui émerge dès 2002

    La menace se situe désormais du côté des immigrés musulmans et de leurs descendants, qui submergent la civilisation “judéo-chrétienne”. Et voyez comme cela est étonnant : de nouveaux incitateurs propagandistes les ont rejoints ! Tous ces gens de gauche qui ont exprimé une solidarité avec les nouveaux “misérables” ont fini par s’éprendre ouvertement des invités indésirables venus du sud.

    Ces antipatriotes extrémistes trahissent une nouvelle fois la glorieuse tradition de la France dont ils préparent l’humiliante soumission “houellebecquienne”. L’appellation “islamo-gauchiste” a émergé parmi les intellectuels, avant de passer dans l’univers de la communication, pour, finalement, être récupérée par des politiciens empressés.

    Pierre-André Taguieff, futur conseiller du CRIF, fut, semble-t-il, le premier à recourir à la formule “islamo-gauchisme” (dans le sens actuel de terme), déjà en 2002. Caroline Fourest, Elisabeth Badinter, Alain Finkielkraut et Bernard-Henry Lévy s’emparèrent du terme et veillèrent à lui assurer une diffusion à longueur d’interviews et d’articles. Des figures comme Alain Gresh, Edwy Plenel, Michel Tubiana et Raphael Liogier devinrent des “islamo-gauchistes” archétypiques.

    Une marche supplémentaire vient cependant d’être franchie. Cela a commencé avec Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, qui, au nom du républicanisme universel, dans un article intitulé : “La gauche qui vient”, s’en est pris à la gauche de la gauche, accusée de soumission au pluralisme culturel. Il a particulièrement ciblé Clémentine Autain, la porte-parole d’Ensemble, l’une des composantes du Front de gauche.

    La lourde charge de Manuel Valls

    Mais c’est de Manuel Valls qu’est venue la charge la plus lourde, dans la vague de stigmatisation de “l’islamo-gauchisme”. À l’occasion d’une interview accordée, le 21 mai, à Radio J, une radio communautaire juive, n’a-t-il pas déclaré :

    “Il y a ces capitulations intellectuelles… Les discussions entre Madame Clémentine Autain et Tariq Ramadan, les ambiguïtés entretenues qui forment le terreau de cette violence et de cette radicalisation.”

    Et Manuel Valls de ne pas hésiter à ajouter : “Il n’y a aucune raison pour que M. Tariq Ramadan obtienne la nationalité française”.

    Il convient tout d’abord de préciser que Clémentine Autain n’a jamais rencontré Tariq Ramadan, dont, évidemment, elle n’approuve pas le discours idéologique. Il faut ensuite se féliciter qu’en France, le droit d’obtenir la citoyenneté relève de la loi, et non pas d’une décision d’un chef du gouvernement. Tariq Ramadan réside en France où il est actif ; il est marié, depuis plusieurs années, avec une citoyenne française, ses enfants sont français, et, à ma connaissance, il n’a pas enfreint la loi ni prêché la violence.

    Enfin, les auditeurs de Radio J, à Paris et à Jérusalem, ont certainement apprécié cette flatteuse interview, et si d’aventure, elle a été diffusée en Arabie saoudite, il est probable qu’elle y aura également été reçue avec sympathie, puisque Tariq Ramadan y est interdit de séjour. Après cette interview passionnée de Manuel Valls, je suis persuadé que Tariq Ramadan n’a aucune chance de se voir décerner la Légion d’Honneur, contrairement au prince héritier du roi d’Arabie saoudite.

    Une formule qui permet de faire diversion

    Lorsque j’ai entendu ces propos de Manuel Valls, je n’ai pas pu m’empêcher de m’interroger sur ce qui se serait passé si Tariq Ramadan avait été un fidèle juif et non pas musulman.

    Si, par exemple, comme l’ensemble des fidèles juifs (mais non pas juives), il avait dû dire, dans sa prière du matin : “Sois béni de ne pas m’avoir fait femme, et sois béni de ne pas m’avoir fait goy (non-juif)”. Autrement dit : un authentique fidèle juif, dont les valeurs fondamentales diffèrent totalement de ma conception du monde républicaine et laïque.

    Malgré tout, même s’il s’agissait d’un juif conservateur, porteur d’un système de valeurs réactionnaire, je me serais, sans aucun doute, employé de toutes mes forces pour que lui soit attribués des droits d’égalité citoyenne. Je l’aurais combattu au plan de la réflexion théorique, mais j’aurais vu en lui un compagnon politique légitime, dans la lutte contre toute forme de judéophobie et de discrimination raciale, sous le masque d’une laïcité culturelle.

    J’ai, envers la philosophie de Tariq Ramadan, une vision fortement critique, tout comme, pour d’autres raisons, envers celle d’Alain Finkielkraut. Mais exploiter des positions conservatrices de l’intellectuel musulman afin de salir ceux qui luttent contre la propagation du racisme, en faire un dangereux épouvantail pour utiliser le terme stigmatisant d’islamo-gauchiste, n’est pas à l’honneur d’un chef de gouvernement socialiste, qui, par ailleurs, commet une erreur en assimilant antisionisme et antisémitisme (je suis quasiment sûr que le républicain Manuel Valls ne soutient pas la politique communautaire d’un État qui, par principe, appartient, non pas à tous ses citoyens mais aux juifs du monde entier, qui n’y résident pas).

    Certes, le terme d’”islamo-gauchisme” n’est pas encore identique ni proche de la vieille appellation du “judéo-bolchévisme”. Il est destiné, pour le moment, à clouer le bec, et à faire diversion dans le débat public, par rapport à d’autres problèmes sociaux et politiques un peu plus sérieux. Toutefois, qui peut affirmer que le recours à la formule “islamo-gauchisme” n’est pas promis à un sombre futur imprévu ? Il se pourrait qu’elle constitue une contribution rhétorique, non marginale, vers l’approche d’un trou noir supplémentaire dans l’histoire moderne de l’Europe.

     

    source: https://www.initiative-communiste.fr/

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  • La commission du Pôle de Renaissance communiste en France (PRCF) relaie cet article de , intitulé “Ecologie réelle contre Ecototalitarisme”. Il décrit certaines composantes de ce que nous pouvons qualifié d’idéologie écologiste bourgeoise et réactionnaire, entre autres :

    • Une rengaine permanente dans l’utilisation du préfixe “éco-” dont l’auteur donne de nombreux exemples.
    • Une stigmatisation des peuples et des classes subalternes a qui on accorde le droit de crever dans la “sobriété heureuse”, mais zéro déchet!
    • La présentation d’une fausse “troisième voie”, ni capitaliste, ni communiste. Elle consiste à détourner, par un discourt anti-capitaliste de façade, le prolétariat du combat de classe. Pour mieux entretenir l’avènement d’un (voir d’un fascisant régime de “décroissance”).

     

    Rappelons, cette excellente citation que nous devons au député de la France Insoumise, Adrien Quatennens : “Le problème avec le capitalisme vert, ce n’est pas la couleur!”

    _______________________________________________________________________

    Ecologie réelle contre écototalitarisme

    par Guillaume SUING

     

    ll y a quelques années lors de la « COP21 », le plasticien Oliafur Eliasson installait (1) devant le Panthéon à Paris douze blocs de glace (80 tonnes au total) coûteusement ramenés du Groenland pour fondre lentement sous nos yeux.

    De l’eau a coulé sous les ponts depuis l’époque où l’art contemporain se revendiquait comme un art « transgressif », la version la plus aboutie de « l’art pour l’art » contre l’art « engagé » incarné à l’Est par le « monstrueux » (et finalement bien mal connu) réalisme socialiste. Désormais largement financé, promu, soutenu (non plus par la CIA comme à l’époque mais plus ouvertement) par l’État, il est lui-même devenu, c’est incontestable, un art « officiel ». Mieux, c’est devenu l’art « engagé » … d’une seule cause : le climat. Pensée « totale », expliquant tout, s’infiltrant partout, jusque dans l’art, la « défense du climat » est devenue un paradigme, une forme – disons-le – de « totalitarisme ».

    Aucun élève du secondaire ne l’ignore : C’est Hannah Arendt qui intégra au « totalitarisme » dont les nazis se réclamaient, ce qui s’apparentait plutôt en URSS aux conséquences sociologiques et politiques d’une révolution culturelle multiforme où le « social » était devenu central. Ce qui est « totalitaire » pourtant, si ce terme a une quelconque signification politique, ce n’est pas l’existence de facto d’une lutte idéologique entre propagande et contre-propagande, mais celle d’une propagande mensongère permettant, en prétendant servir une cause, la satisfaction de besoins diamétralement opposés à celle ci (2). Le juriste nazi Carl Schmitt définissait ainsi le Troisième Reich dans les années trente, avec le sens clairement énoncé qu’a pu lui donner rétrospectivement la philosophe antinazie Simone Weil : « Un régime où le pouvoir d’Etat déciderait souverainement dans tous les domaines, même et surtout dans le domaine de la pensée ».Il en est sans doute ainsi de l’idéologie écologiste, si on admet avant tout qu’une idéologie ne s’annonce jamais comme telle mais toujours comme une « évidence », une « pensée unique » qu’il serait fou de discuter : Depuis une vingtaine d’années, cette idéologie a réussi à s’infiltrer par tous les pores de notre société, s’imposant aux travailleurs pour mieux les exploiter, jusque dans leur façon de penser la contestation même du système…

    DE « L’ÉCO » À TOUTES LES SAUCES…

    Les oxymores pullulent quand il s’agit d’imposer à des segments de marché le « commerce équitable », ou d’imposer aux contribuables-consommateurs, avec leur consentement, une « éco-fiscalité » faite « d’écotaxes », pour favoriser une utopique « éco-mobilité », une « écoparticipation » généralisée (augmentation des prix pour lutter pour le climat), des majorations par « l’éco-finance » pour développer « l’éco-habitation » pourtant inaccessible chez les plus précaires. On gratifie certains d’une « prime éco-énergie », on subventionne les entreprises pour valoriser leur soi-disant « éco-efficience », et se développe maintenant le curieux sobriquet « d’éco-entreprises » pour celles qui vont engloutir nos impôts sans contestation possible, via des torrents de subventions des pouvoirs publics complices.

    La crise installée, transformant notre peur de l’avenir en « éco-anxiété », la publicité nous abreuve de produits de consommation en tout genre venant de « l’écoconception » et « l’éco-design » devient omniprésent sur les panneaux publicitaires et dans les rayons de supermarché. Des « écolabels » sont attribués en masse aux marques (par elles-mêmes le plus souvent) et « l’éco-marketing » s’enseigne maintenant dans les écoles de commerce comme une nouvelle tendance.

    Tout est subitement devenu « naturel » dans nos caddies, tandis que les leaders de la junk food et de l’industrie chimique se parent de logos à feuilles et d’étiquettes verdâtres : Mac Donald’s, Coca-Cola, Ariel, mais aussi Total, Renault, etc.

    On peut désormais montrer du doigt dans nos quartiers populaires mais aussi hors des frontières dans les pays qui n’ont pas la chance d’appartenir à notre prestigieux continent, ceux qui dérogent, faute d’argent et d’envie, à la consommation « éco-responsable » et au « tri des déchets » (qui alimente le big business du recyclage en évitant les « coûts de main d’œuvre », ou à défaut remplit généreusement les caisses de l’État par les contraventions). Ceux qui roulent dans des vieux tacots polluants seront doublement sanctionnés par une « éco-vignette » prévue à cet effet. A la manière d’une étoile cousue au col, les prolétaires doivent désormais exhiber leur vignette « 3 » ou « 4 » et se voient déjà interdire le stationnement dans les beaux quartiers (comme c’est d’ores et déjà le cas dans la métropole lilloise) : La qualité de vie des quartiers riches n’a pas de prix ! Des radars flashent aussi les voitures polluantes en Belgique, dont les conducteurs payent des amendes substantielles. D’ici à ce qu’on incarcère des syndicalistes en grève pour « crime contre l’ » pour avoir brûlé des pneus sur un piquet de grève, il n’y a qu’un pas… qui sera vite franchi : On nous promet maintenant des « polices de l’environnement »  sur les tracts électoraux notamment macronistes, pour les municipales, c’est donc une vraie tendance.

    Quand il est temps de prendre des vacances, loin des « éco-gestes » du quotidien et du « zéro déchets » obligatoire dans les magasins hors de prix de centre-ville, c’est « l’écotourisme » qui prend le relais. Si vous êtes malade, il existe à présent des « éco-antibiotiques » (qui détruisent toujours nos microbiotes, mais qui sont produits avec des énergies renouvelables et sans déchets), et « l’éco-psychologie » pendra en charge vos angoisses puisque nous sommes tous des « êtres malades vivant dans une nature malade ». Jusque dans votre lit, on vous vend désormais « l’éco-sexualité » (promenez-vous sur Wikipédia si nécessaire pendant la lecture de cet article !) …

    Vous vous révoltez contre cette société de plus en plus invivable, malgré tous ces pansements idéologiques ? De nombreuses théories politiques vous attendent, de « l’éco-socialisme » (une révision du marxisme revisité à la mode écolo) à « l’éco-féminisme » en passant par les formes les plus radicales « éco-warrior » pour les amateurs de sensations fortes … Il y en aura pour tous les goûts !

    LA MANIPULATION DES MASSES COMMENCE PAR LE « BON SENS » ET L’ÉPANOUISSEMENT DES BAS-INSTINCTS

    Entendons-nous : le problème de la destruction de l’environnement que nous gérons ou « jardinons » d’une manière ou d’une autre, celui du climat de façon générale, figurent parmi les problèmes majeurs qu’impose l’impérialisme en putréfaction. Mais si les peuples, les prolétariats, les pays du Sud néocolonisés sont en première ligne face à la catastrophe (domination de l’agrobusiness occidental toxique et augmentation des sécheresses dévastatrices), ils en sont toujours désignés aussi (et paradoxalement) comme les premiers responsables par l’écologie politique occidentale ! Pourquoi ne se satisfont-ils pas de « l’austérité heureuse » préconisée par le gourou Pierre Rabhi ? … C’est bien ce savant tour de passe-passe qui fait du paradigme « pro-climat » un éco-totalitarisme politiquement opérationnel. Il est en effet bien aisé pour des pays impérialistes qui ont délocalisé à tour de bras vers le sud et qui se désindustrialisent exponentiellement, qui par conséquent produisent moins de CO2 qu’avant, de stigmatiser ceux qui n’ont pas encore atteint ce stade !

    Bien sûr il ne faut pas confondre le greenwashing généralisé actuel avec l’idéologie « totalitaire » nazie, mais n’oublions pas que pour cette dernière, c’est une réaction juste et légitime dans l’Allemagne des années vingt et trente (la grande crise de 1929 aggravant encore les conséquences sociales dramatiques de l’annexion des mines de la Ruhr par la France et de bien d’autres injustices liées au Traité de Versailles) qui a débouché, sous l’égide du capital financier terroriste, sur la pire barbarie.

    Le consentement des masses passe par une stigmatisation redoublée des couches sociales déjà précaires, qui en ont « l’habitude » (le prolétariat toujours désigné comme arriéré, barbare, et chez qui on développe largement la honte et le sentiment d’autophobie), et la valorisation-consolation des couches sociales en cours de précarisation. Comme à la grande période du fascisme dans les années trente, on recherche le soutien de cette petite bourgeoisie avec des arguments adaptés. Leur mépris de classe typique passera par la radicalisation des attitudes écolo, végan, etc. pour se distancier d’un prolétariat « irresponsable », tandis que la chute de leur pouvoir d’achat inexorablement liée à la crise structurelle du capitalisme trouvera dans « l’austérité heureuse » un alibi supportable et même opportunément revendiqué, vecteur d’une conscience de classe (petite bourgeoise) plus forte que jamais.

    Si de surcroît, le « communautarisme » (voire le « séparatisme » pour reprendre les mots de Macron) brise l’indispensable union transclassiste pour le climat, si la viande halal contrevient aux principes fondamentaux de la « cause animale », si les pays où l’on en mange ont également un sous-sol riche en énergies non renouvelables productrice de gaz à effet de serre… la petite bourgeoisie porteuse autoproclamée d’intérêts planétaires qui la dépassent, à l’avant-garde de cette lutte pour « sauver la planète », trouvera sans doute facilement (ou a déjà trouvé ?) la « cinquième colonne » basanée qu’il faudra « neutraliser » de toute urgence…

    La comparaison ici proposée sera forcément jugée abusive ou excessive. C’est toujours le « bon sens » qui piège insensiblement les masses dans l’idéologie dominante, et la cause défendue est toujours sous sa forme annoncée juste et honorable : Par définition, l’identification d’un totalitarisme est toujours rétrospective.

    CONDITIONNER AVANT TOUT LES JEUNES GÉNÉRATIONS

    Pour annihiler tout sens critique de façon « durable » au sein de toutes ces couches sociales, c’est bien connu, il faut mettre le paquet sur l’éducation et installer le paradigme chaque fois que possible, dès que possible. A titre d’exemple, les nouveaux programmes de SVT (Sciences de la vie et de la Terre) au lycée, sont l’occasion de faire du climat une notion centrale, omniprésente quelque soit le sujet abordé. On aborde la géologie avec la question de l’évolution des paysages sous l’effet des variations climatiques. On parle des pandémies et de l’immunité en insistant sur l’arrivée de nouvelles épidémies en Europe reliée au réchauffement climatique. On étudie la génétique humaine avec des exemples d’adaptation progressive des populations aux variations climatiques. Sans parler de la question plus économique que biologique des « services écosystémiques » (cheval de bataille du capitalisme vert « gagnant gagnant » sur la gestion des écosystèmes naturels) qu’on aborde pourtant en SVT à plusieurs reprises. La liste est longue.

    Ex aequo avec la « laïcité militante », les éco-gestes deviennent structurants dans l’éducation et les « projets d’établissement » en général, avec sans doute en ligne de mire les parents dérogeant à la règle par exemple et que les élèves dénonceront avec, bien sûr, le sentiment de bien faire. Que penser de sorties nature pour étudier par exemple la « résilience » d’un petit écosystème local après le passage destructeur d’un camp de Roms ? L’exemple existe, et on imagine ce que les élèves retiennent de la communauté concernée, particulièrement « non-écocitoyenne » … On imagine ce genre d’exemple se généraliser sans que personne n’y voit rien à redire.

    Le processus est déjà bien amorcé et si les « manifestations pour le climat » ont tant d’audience auprès des jeunes générations, ce n’est pas sans raison : Où se trouve la subversion voire la transgression dans de telles manifs bien encadrées, qui accueillent parfois des députés macronistes dans leurs rangs et ne subissent jamais de gazages et autres charges de CRS ? On observe déjà dans les classes à quel point ce sont les « bons élèves » qui manifestent le plus d’intérêt pour les questions écologiques et l’engagement militant qu’elles induisent, pendant que les élèves les plus « contestataires » adoptent les attitudes les plus anti-écolo possibles, renforçant encore le fossé sociologique au grand bonheur des diviseurs d’en haut…

    Occultant enfin les incontestables succès de l’agro-écologie cubaine (totalement absente des manuels de SVT), on insistera au contraire chaque fois que possible sur les catastrophes écologiques de l’URSS (Tchernobyl, Mer d’Aral etc.) (3) et la pollution en Chine. Sur le développement de toutes les énergies renouvelables la Chine est pourtant devenue le pionnier incontestable… et jamais cité. C’est donc ici l’occasion d’une nouvelle charge anticommuniste en direction des jeunes, distillant la sinophobie dans toutes les matières où c’est possible (économie, SVT, etc.). Les jeunes doivent adhérer à l’idéologie écologiste, mais ne surtout jamais soupçonner que les solutions se trouvent hors du capitalisme.

    UNE NOUVELLE « TROISIÈME VOIE » ?

    Confrontée à un décrochage de plus en plus marqué mais tout à fait logique entre la fuite en avant du capitalisme en crise et le niveau d’adhésion de « l’opinion publique » en colère, la classe dominante peut désormais s’appuyer, comme jadis, sur une idéologie s’affichant (pour s’installer dans les masses sans trop de difficultés) comme « anticapitaliste », tout en proclamant radicalement son « antiprogressisme » et son anticommunisme (puisque le « productivisme » serait le fait des deux systèmes et non d’un seul). Comme le fascisme un siècle auparavant, l’écologie politique se présente comme une « troisième voie » attractive, tentant de détourner la colère des couches sociales les plus exploitées ou précarisées, tout en répondant par d’autres voies aux exigences économiques et politiques du grand capital.

    Les courants, encore minoritaires certes, de l’extrême droite radicale actuelle sont en phase avec le survivalisme et le retour à la nature et à la tradition, que la « modernité » aurait profané. Ce n’est pas un hasard : Ils sont depuis fort longtemps les champions des « troisièmes voies » ni capitaliste ni communiste.

    Mais ce n’est qu’un aspect symptomatique. Le grand enjeu du moment pour l’écologie politique est sans doute de remplacer une autre « troisième voie » aujourd’hui en perte de vitesse (tant les défaites sociales se développent avec les reculs du mouvement ouvrier) : la sociale démocratie, par définition anticommuniste. C’est elle qui sous Weimar pava la voie au fascisme en Allemagne pour éviter à tout prix l’inexorable montée du « péril rouge », et que les communistes ont jadis qualifié sur la forme de « social-fascisme » (littéralement qui « pave la voie au fascisme » sans en être encore bien sûr). 

    Il faut donc une caution « morale » confusionniste au départ de toute dérive autoritaire (songeons à l’étymologie du NSDAP ou parti national-« socialiste » !), et nous ne serons pas étonnés de voir dans les injonctions d’un Aurélien Barrau (astrophysicien sans expertise sur le climat mais se parant pourtant de la légitimité du savant) les premiers signes d’une tentation autoritaire : Pour celui-ci, les intérêts supérieurs du « climat » justifieraient des décisions politiques drastiques malgré voire contre les intérêts immédiats de la population, quitte à devenir impopulaire. Le catastrophisme, le millénarisme, proclamés jusqu’au plus haut sommet de l’État, sont la meilleure formule d’une politique n’autorisant absolument aucun doute, aucune opposition (par définition irresponsable et criminelle). Quelle définition plus claire peut-on donner des tentations les plus anti-démocratiques et anti-populaires de nos gouvernements actuels ? Quel meilleur terreau aujourd’hui pour développer en face les pires populismes (et d’ailleurs, au fond, les attitudes les plus anti-écologistes) en réaction à ces passages en force politiques ?

    Cet autoritarisme écologiste est-il d’ailleurs si « anticapitaliste » ? Si l’industrialisation des pays du Sud, qui leur permet de sortir du sous-développement et de mieux satisfaire les besoins des peuples par une plus grande indépendance nationale vis-à-vis de l’impérialisme occidental, est perçu comme le nouveau danger majeur pour la planète, le capitalisme occidental en perte de vitesse n’a-t-il pas tout à y gagner ? La « lutte pour le climat » n’est-elle pas la justification globale la plus opérationnelle aujourd’hui pour assujettir, stigmatiser et finalement bombarder les pays du sud qui s’industrialisent et concurrencent progressivement les hégémonies vieillissantes, comme on soumettait jadis les « barbares » pour les « civiliser » (tout en stoppant leur développement économique) ?

    La « décroissance » (4), version revisitée de l’idéologie malthusienne des deux siècles précédents, ne verrait-elle pas d’un bon œil une réduction drastique (y compris pourquoi pas par la guerre) de la démographie humaine, puisque nous serions aujourd’hui trop nombreux sur Terre ?

    LE POST-MODERNISME, TERREAU PHILOSOPHIQUE DE L’

    Car en définitive, ce qui est en ligne de mire pour les acteurs de l’écologie politique, c’est bien « l’espèce humaine » : C’est elle qui potentiellement, par son développement historique, une fois les luttes de classe niées, reste responsable des dégâts causés à la « nature ». C’est une rupture concrète et maintenant bien enracinée avec la tradition humaniste et le mouvement « progressiste » en général. Nous pourrions même affirmer que cette rupture anti-humaniste atteint aujourd’hui un degré tel qu’il s’agirait plutôt désormais « d’humanophobie » (plus ou moins masquée par de « l’antispécisme » par exemple).

    Et cette rupture paradigmatique n’est pas la première dans l’histoire : en tant de crise c’est même un classique. La catégorie de l’humain est subordonnée à celle de « nature » idéalisée, comme elle était jadis subordonnée à celle de race supérieure (reléguant les autres comme des nuisibles à peine humains). L’opposition anti-dialectique entre « nature et culture », qui fait de l’homme une forme « à part », non naturelle, inopportune, nous enjoint à revenir aux sources des « lois naturelles » contre le « droit », comme on cherchait jadis à ressourcer la race aryenne, « naturellement » forte et féconde (la loi du plus fort) contre les assauts perpétuels des populations jalouses et « parasites » non aryennes : la préservation d’une « race » fantasmée contre le reste de l’humanité n’est-elle pas une forme d’humanophobie jumelle de celle que nous connaissons aujourd’hui, puisque reléguant la notion d’humain au second plan ? Il faut se méfier d’une idéalisation de la « nature pour la nature », d’une nature qui aurait des « droits » inspirés de ses « lois » (loi de la jungle !) : cette vision conduit en droite ligne aux pires barbaries, et nous en avons déjà fait plusieurs fois l’expérience historique.

    Cette vision « anti-progressiste », percevant dans toute aspiration au progrès un germe de totalitarisme, est la conséquence directe du développement (largement promu et financé) du post-modernisme et de la French Theory. La toute puissance de la catégorie d’individu, de surhumain (anti-humanisme, anti-égalitarisme), de la « morale des forts » contre le collectif, l’humain, la « morale des dominés », est le fondement du philosophe le plus à la mode aujourd’hui : Nietzsche. Et ce n’est sans doute pas un hasard si le « nietzschéisme de gauche » (sic) oublie si opportunément que l’auteur de « Par-delà le bien et le mal » et « La volonté de puissance » (5) fut l’icône du troisième Reich, la caution philosophique des antisémites de l’époque.

    A chaque période de crise dans l’histoire, des courants idéologiques traduisant la nostalgie du passé (et la peur sinon la haine de l’avenir) ont pris le dessus. L’écologie politique, comme le fascisme hier, ne déroge pas à cette règle… et le post-modernisme lui a bien préparé le terrain (comme le romantisme nietzschéo-wagnérien hier).

    Hostilité vis-à-vis de la science, non naturelle et profanatrice, de l’égalitarisme et de l’esprit collectif d’une espèce auto-couronnée et qui serait destinée à détruire la nature (« péché originel » qu’on peut dater globalement du néolithique !), de la « froideur » productiviste, retour aux « lois naturelles », à la toute puissance de la Nature, à sa beauté, sa résilience, sa bienveillance, sa « force » : L’écologie politique s’inscrit bien dans ce qu’on appelle la tradition « réactionnaire » au sens littéral du terme.

    En tête de gondole : le principe post-moderne d’individuation, né dans le sillage d’un Foucault ou d’un Derrida, bref de tous les philosophes (parmi lesquels on trouvera aussi BHL ne l’oublions pas !) qui se sont dressés contre la « domination marxiste » en philosophie et la toute-puissance du « progressisme » (totalitaire) à l’époque du grand reflux contre révolutionnaire anti-soviétique de la fin du vingtième siècle. Ce principe rejette catégoriquement l’idée qu’une minorité puisse dominer ou exploiter la majorité et pose au contraire que c’est toujours la « masse » qui domine et stigmatise (dans son identité) les minorités. Il ne s’agit plus de se libérer du joug d’une élite de nantis, mais d’imposer son identité, sa singularité (véganisme, secte paléo, etc.) à la majorité bornée comme une subversion salvatrice. Plus aucun frein à la haine contre les « masses » donc, potentiellement responsable de tous les « crimes contre la nature » par manque de cœur (et non de science), et que chaque individu survalorisé, intégralement narcissique, pourrait maudire en toute impunité.

    L’ÉCOLOGIE RÉELLE, SEULE RÉPONSE À L’ÉCOTOTALITARISME

    Le pouvoir a donc prétexté d’une conséquence majeure de son propre système, l’épuisement et la destruction de l’environnement, pour renouveler à la fois l’offensive (« capitalisme vert ») et sa pseudo-alternative anarcho-réformiste (« éco-socialisme », « extinction rébellion », « antispécisme », etc.) à tendance nettement anticommuniste. Se tenir dans la posture de l’ennemi commun aux deux pôles de cette savante contradiction serait sans doute la pire des erreurs politiques : La question écologique est bien un enjeu vital de subsistance dans le Sud, non pas au nom d’un « respect » romantique de la « nature telle qu’elle est » (puisqu’elle se transforme en permanence, y compris et peut être surtout sans l’homme), mais pour rendre « durable » les souverainetés nationales chèrement conquises et jamais garanties, voire comme à Cuba le système socialiste lui-même, ne serait-ce que par la préservation locale des ressources énergétiques et alimentaires contre les embargos impérialistes.

    Bien sur à Cuba ou encore en Chine, la protection des ressources naturelles, par une planification écologique sur le plan de l’énergie ou par le développement de l’agro-écologie, se bâtit pas à pas, peut être trop discrètement et humblement à nos yeux, pendant que les effets d’annonce au Nord ne se traduisent jamais dans le réel et précèdent en général des reculs inouïs sur les engagements hâtivement proclamés : Car « l’écologie réelle » n’est pas une idéologie, encore moins un paradigme, mais une science, une quête pour trouver un équilibre dynamique entre le développement humain et celui de la nature environnante, garantissant durablement la satisfaction des besoins fondamentaux de chaque humain à partir de ressources renouvelables et des infinies potentialités du vivant qui nous entoure, quand celles-ci ne sont pas épuisées ou détruites par le court-termisme et l’anarchie de la production capitaliste. Cette science nécessite un investissement colossal et de long terme : elle implique donc une planification sérieuse, à des années-lumière des symboliques et maigrelettes éoliennes financées par des miettes de capital dérisoires (et détruisant nos paysages). Seul un pouvoir populaire révolutionnaire peut mener à bien cette lutte pour l’harmonie entre l’homme et la nature que la lutte des classes entravera toujours, tant qu’elle existera. L’écologie ne se proclame pas comme un mantra ou une prière, un vague espoir facile à détourner ou contourner. Elle se construit collectivement et scientifiquement, par un progrès scientifique et technique démultiplié par le renversement des classes dominantes et de leurs intérêts particuliers. Et tant qu’il n’en sera pas ainsi, l’écologie politique ne pourra qu’accélérer et aggraver les catastrophes qu’elle prétend éviter !

    Guillaume SUING

     

    (1) Ice Watch, 2016. Oliafur Eliasson.

    (2) L’idéologie nazie se fondait sur la nécessité d’une « auto-défense » du peuple allemand persécuté par le capitalisme de la grande crise de 1929 et les conséquences sociales dramatiques de l’annexion des mines de la Ruhr par la France et de bien d’autres injustices liées au Traité de Versailles. Voir à ce sujet « La révolution culturelle nazie », Johann Chapouteau.

    (3) Ces catastrophes sont pourtant à mettre à l’actif d’un tournant post-khrouchtchévien lié à l’alignement assumé de l’industrie et de l’agriculture soviétiques sur le modèle américain, rompant notamment avec l’agrobiologie qui y avait cours jusque là (voir : L’écologie réelle, une histoire soviétique et cubaine, G. Suing, Delga, 2018).

     

    (4) Rappelons au passage que selon Jean Ziegler par exemple, aucune famine n’est jamais causée par une démographie excessive face à des ressources limitées, et qu’avec la production actuelle, nous pourrions potentiellement nourrir au moins 15 milliards d’humains. C’est bien la transition démographique liée à un mieux être matériel dans les pays du Sud (et non à une limitation artificielle et non consentie de leur développement économique) qui stabilisera l’humanité face aux ressources limitées de la planète.

    (5) Ce n’est pas non plus un hasard si on insiste à ce point sur le fait que La volonté de puissance serait un faux. Le « complotisme » n’est pas toujours honni : il est au contraire tout à fait opportun quand il s’agit de taire la véritable racine idéologique du paradigme ultra-individualiste actuel. Du reste, personne ne doute que cet ouvrage est une compilation quasi-posthume de notes véritables de Nietzsche (qu’on prétend surtout « hors contexte » plutôt que falsifiées). La petite sœur nazie du philosophe, incriminée pour ces trucages, serait d’ailleurs, d’après le philosophe spécialiste de Nietzsche Domenico Losurdo, moins antisémite que lui !

     

    source: https://www.initiative-communiste.fr/

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  • La  du Pôle de Renaissance communiste en France (PRCF) attire votre attention sur ce texte d’Amar Bellal. Il trace la ligne de démarcation entre un modèle écologique bourgeois et un modèle qualifié d'”écolo-communiste” par l’auteur. Le sujet est simple : ce n’est pas en jouant à Robinson Crusoé, ni en rejetant le progrès technique et scientifique que nous sauverons la planète bleue.


     

    Le syndrome Robinson Crusoé et la tentation du retour à la terre, Amar Bellal

     

    « Penser global, agir local », une de ces formules consensuelles à hisser au même niveau que le fameux « indignez-vous ! », tellement elle séduit. Elle est consensuelle au point d’être utilisée aussi bien par l’UMP que par l’extrême gauche en passant par le Modem, même si, selon le bord politique, on n’y mettra évidemment pas le même contenu. À gauche, il y a plusieurs lectures possibles. Reconnaissons-le, une partie de la gauche a fait le deuil de la possibilité de changer les pouvoirs au niveau national et en Europe. Vient alors, très souvent, le raisonnement suivant : s’il est devenu impossible de changer les lois et l’orientation des gouvernements, alors il revient au citoyen par ses actions, par son mode de vie, de changer la donne, de bousculer le « politique » jugé conservateur quelle qu’en soit l’étiquette. On érigera alors un mode de vie comme un positionnement politique, une « preuve par l’exemple » en somme : je fais du vélo, je mange bio, je sauve la planète. La manière de consommer remplace alors l’exercice traditionnel de la citoyenneté, perçu comme une impasse (les élections, les luttes, les partis, les syndicats, ne changeront rien). Cette démarche poussée à l’extrême, on ira jusqu’à quitter la ville, ouvrir une ferme et démontrer que, loin de la folie des hommes, il est possible de vivre autrement. C’est ce qu’on peut appeler le syndrome « Robinson » ou le « retour à la terre ».

    On ne soulignera jamais assez la démagogie de ce discours. Au moindre problème de santé sérieux, ces Robinsons des temps modernes, courront se faire soigner dans l’hôpital de la ville la plus proche à coup de scanner, avec les derniers progrès de la chimie et de l’imagerie médicale, pour sauver leur vie ou celle de leurs enfants. Et la médecine est un seul aspect de la modernité, parmi des milliers d’autres, dont nous ne nous soupçonnons même plus l’existence tellement notre mode de vie paraît aller de soi (eau potable à disposition, mortalité infantile quasi-nulle, chauffage, éclairage, récoltes agricoles toujours assurées, disparition des famines…). C’est le résultat de siècles de progrès, d’essais-erreurs d’hommes et de femmes qui ont cherché à comprendre la nature pour s’en affranchir et nous ont permis d’atteindre l’espérance de vie que nous connaissons, anormalement élevée pour les pauvres mammifères que nous sommes. Ajoutons à ce progrès, l’aspect social: en effet, l’hôpital est remboursé par la sécurité sociale, système conquis par des luttes très dures, des mobilisations collectives. Ces mobilisations sont aujourd’hui passées sous silence, ces conquêtes menacées. On moque le travail des syndicats et des partis politiques qu’on qualifie d’« archaïque et dépassé », en plus de critiquer la connaissance scientifique responsable de tous les maux. Par certains aspects, cette pensée peut être qualifiée de « réactionnaire ».

    A ce propos, il est intéressant de remarquer le succès d’un Pierre Rhabi, une des figures de ce mouvement, habituellement célébré par les milieux de gauche, mais qui est aussi invité par le Medef à discourir devant des patrons: sa critique de la sécurité sociale, du progrès et son appel à la frugalité n’y sont sans doute pas pour rien. Si ce discours séduit autant et que les livres défendant ces thèses se vendent aussi bien, c’est qu’il y a en chacun de nous une envie enfouie de renouer avec la nature et de retrouver un paradis perdu. Ce qui pose problème ici, c’est lorsqu’on théorise cette envie sur le plan politique et qu’on prétend que c’est la solution à de graves problèmes d’envergure mondiale (l’alimentation, l’énergie, l’eau…), au lieu de se contenter de satisfaire ce désir inconscient par des randonnées ou quelques jours de bivouacs en pleine montagne dans les Pyrénées! 

    Ce type de nostalgie traduit aussi une aspiration à revenir à des échelles plus réduites, que l’on peut contrôler: faire son jardin, choisir de consommer autrement, nous donnent l’impression de reprendre en main notre destin, loin de l’inaccessibilité des pouvoirs institutionnels dont on ne voit pas comment ils pourraient changer. Si ces aspirations individuelles légitimes peuvent être récupérées par la bourgeoisie, elles peuvent aussi nourrir la gauche progressiste dans ce qu’elles ont de meilleur. À condition de faire ce travail de compréhension, d’articulation, entre le local et le global, entre l’individu et le collectif, en montrant que l’un ne s’oppose pas à l’autre mais doivent nouer une relation dialectique, de synergie.

    La gauche doit avoir l’intelligence de lier les actions et initiatives de proximité, les réponses aux aspirations individuelles, avec des objectifs de progrès social pour toute l’humanité. Une gauche qui ne renonce pas à orienter le progrès scientifique et technique au service de l’. Celle qui souligne l’importance de changer l’orientation des politiques nationales et européennes pour disposer de leviers de financements, de services publics à la hauteur et des lois répartissant mieux les richesses. Et pas de démagogie : cela exigera des batailles très dures, beaucoup de lutte de classe, de la sueur, des larmes et des mobilisations collectives.Cette autre gauche-là, on la rencontre aussi à l’échelon local, dans beaucoup de municipalités, notamment communistes, et qui manifestent beaucoup d’efforts, de persévérance et de créativité dans le domaine environnemental et social. Ce dossier est une contribution qui donne à voir la réalité de leur engagement, souvent méconnue. Géothermie, transport, eau, rénovation thermique des logements, agriculture de proximité, biodiversité, traitement des déchets: du local au global, bienvenue chez les écolo-communistes !

     

    source: https://www.initiative-communiste.fr

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  • Artisan, ancien conducteur de train, fonctionnaire ou ingénieur du son, ces citoyens militants habitent dans le Lot et ont créé leur propre société ferroviaire, Railcoop, une coopérative. Ils veulent rouvrir la ligne Bordeaux-Lyon, abandonnée par la SNCF en 2014. "Envoyé spécial" les a suivis dans leur aventure.

     

    C'est un rêve fou qu'ils sont persuadés de réaliser : créer leur propre compagnie ferroviaire ! Artisan, ancien conducteur de train, fonctionnaire ou ingénieur du son, ils habitent à la campagne, dans le Lot. Et ils partagent le même constat : loin des grandes villes, compliqué de se déplacer en train, pourtant pratique et plus écologique.

    Une aventure qui n'a rien d'une utopie

    Comme le marché du train s'est totalement ouvert à la concurrence en décembre 2020, ils ont créé leur propre société, Railcoop, une coopérative dans laquelle chaque Français peut prendre une part. Déjà 2 000 personnes ont participé à ce projet. Et ces citoyens militants voient grand. Ils veulent rouvrir la ligne Bordeaux-Lyon, abandonnée par la SNCF en 2014. Mais avec quel argent ? Quel matériel ? Quels voyageurs ? "Envoyé spécial" les a suivis dans leur aventure qui n'a, pour eux, rien d'une utopie.   

    Un reportage de Perrine Bonnet, Vincent Piffeteau et Benoît Sauvage diffusé dans "Envoyé spécial" le 14 janvier 2021.

     

    source: https://www.francetvinfo.fr/

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