• Dans ce nouveau numéro de Michel Midi, Michel Collon reçoit Ogmundur Jonasson, ancien ministre de la Justice en Islande, et Deepa Driver, syndicaliste qui fait partie des fidèles soutiens de Julian Assange à Londres. Ensemble, ils discutent des évolutions de l’affaire Assange, le fondateur de Wikileaks étant plus que jamais menacé d’extradition vers les Etats-Unis.

    source: https://www.investigaction.net/

    Partager via Gmail Yahoo!

    votre commentaire
    •  La censure des GAFAM se fait plus forte pour imposer le récit de l’OTAN en Ukraine. Deux vidéos d'Investig'Action consacrées à Boutcha viennent d'être retirées de la chaine YouTube d'Investig'Action.  Investig’Action ne reculera pas. Nous republions ces deux videos que nous avons retrouvées sur Odyssée.com.

       

       

       

      source: https://www.investigaction.net/

      Partager via Gmail Yahoo!

      votre commentaire
    • Un numéro un peu particulier pour ce Michel Midi. Michel Collon revient sur la suppression de ses deux vidéos consacrées à Boutcha sur YouTube. La censure des GAFAM se fait plus forte pour imposer le récit de l’OTAN. Investig’Action ne reculera pas. Mais que faire pour la contrer? Michel Collon répond.

       

      Partager via Gmail Yahoo!

      votre commentaire
    • Chris Hedges : « La persécution d'Assange fait le bonheur des autocrates »  (elucid-12/01/22)

      Il a révélé que l'empire américain était une entreprise criminelle. Il a révélé les mensonges de cet empire, son mépris absolu de la vie humaine, sa corruption endémique et ses innombrables crimes de guerre. Et les empires détruisent toujours ceux qui leur infligent des blessures profondes et graves.

      Appelons les bourreaux de Julian Assange par leurs noms. Joe Biden. Boris Johnson. Scott Morrison. Theresa May. Lenin Moreno. Donald Trump. Barack Obama. Mike Pompeo. Hillary Clinton. Le juge en chef Ian Burnett et le juge Timothy Victor Holroyde. Les procureurs de la Couronne James Lewis, Clair Dobbin et Joel Smith. La juge de district Vanessa Baraitser. Le procureur adjoint du district Est de la Virginie, Gordon Kromberg. William Burns, le directeur de la CIA. Ken McCallum, le directeur général du service de la sûreté britannique ou MI5.

      Reconnaissons que ces exécutants, qui ont envisagé l'enlèvement et l'assassinat d'Assange, ont toujours eu pour objectif de l'anéantir. Le fait qu'Assange, dont la santé physique et psychologique est précaire et qui a été victime d'un accident vasculaire cérébral le 27 octobre dernier, pendant la période de la bataille judiciaire se déroulant par vidéo, ait été condamné à mort ne saurait surprendre.

      Les dix années qu'il a passées en détention, dont sept à l'ambassade d'Équateur à Londres et près de trois dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, se sont accompagnées d'un manque de soleil et d'exercice et de menaces, de pressions, d'anxiété et de stress incessants. « Ses yeux n'étaient plus synchronisés, sa paupière droite ne se fermait pas, sa mémoire était floue », a déclaré sa fiancée Stella Morris à propos de son AVC.

      Sa détérioration physique et psychologique a entraîné des hallucinations et une dépression. Il prend des antidépresseurs et un antipsychotique, la quétiapine. On l'a vu faire les cent pas dans sa cellule jusqu'à ce qu'il s'effondre, se frapper le visage et se taper la tête contre le mur. Il a passé des semaines dans l'aile médicale de Belmarsh.

      Les autorités pénitentiaires ont trouvé « la moitié d'une lame de rasoir » cachée sous ses chaussettes. Il a appelé à plusieurs reprises la ligne téléphonique d'aide à la prévention du suicide gérée par les Samaritains parce qu'il envisageait de se tuer « des centaines de fois par jour ». Mais les bourreaux n'ont pas encore terminé leur sinistre besogne.

      Toussaint L'Ouverture, qui a dirigé le mouvement d'indépendance haïtien, la seule révolte d'esclaves réussie de l'histoire de l'humanité, a été détruit physiquement de la même manière, enfermé par les Français dans une cellule de prison non chauffée et exiguë et on l'a laissé mourir d'épuisement, de malnutrition, d'apoplexie, de pneumonie et probablement de tuberculose.

      Assange a commis le pire crime possible contre l'empire. Il a démontré que cet empire était une entreprise criminelle. Il a dévoilé ses mensonges, son mépris cynique pour la vie humaine, sa corruption endémique et ses innombrables crimes de guerre. Républicain ou Démocrate. Conservateur ou Travailliste. Trump ou Biden. Cela n'a aucune importance.

      Les empires tuent toujours ceux qui leur infligent des blessures profondes et graves. La longue persécution romaine du général carthaginois Hannibal, le forçant à la fin à se suicider, et le saccage de Carthage se répètent d'épopée en épopée. Le chef amérindien Crazy Horse. Patrice Lumumba. Malcolm X. Ernesto « Che » Guevara. Sukarno. Ngo Dinh Diem. Fred Hampton. Salvador Allende. Si on ne peut pas vous acheter, si on ne peut pas vous intimider pour vous faire taire, on vous tuera.

      Les tentatives obsessionnelles de la CIA pour assassiner Fidel Castro - qui relèvent de l'incompétence puisqu'aucune d'elles n'a réussi - ont notamment consisté à engager Momo Salvatore Giancana, le successeur d'Al Capone à Chicago, et le mafieux de Miami, Santo Trafficante, pour tuer le leader cubain, tenter d'empoisonner les cigares de Castro avec une toxine botulique, lui fournir une combinaison de plongée infectée par le bacille tuberculeux, piéger une conque au fond de la mer où il plongeait souvent, glisser des pilules de toxine botulique dans l'une de ses boissons et utiliser un stylo équipé d'une aiguille hypodermique pour l'empoisonner.

      Cette fois-ci, la clique de meurtriers se cache derrière le burlesque judiciaire supervisé à Londres par des juges corpulents en toges et perruques de crin blanc qui débitent des absurdités juridiques dignes de ce qu'on trouve dans Alice au pays des merveilles.

      La décision qui fait droit à l'appel des États-Unis pour extrader Assange est dépourvue de toute analyse juridique. Elle a pleinement reconnu comme valides les conclusions du juge de la juridiction de première instance concernant le risque accru de suicide et les conditions de détention inhumaines aux États-Unis. Mais le jugement a fait valoir que la note diplomatique américaine n° 74, remise au tribunal le 5 février 2021, qui offrait des « assurances » qu'Assange serait bien traité, invalidait les conclusions du tribunal de première instance.

      C'était un cas remarquable de non sequitur juridique. La décision n'aurait pas obtenu la note minimale dans un cours de droit de premier semestre. Mais l'érudition juridique n'est pas la question. Le traitement judiciaire d'Assange, qui chaque jour un peu plus a réduit à néant les normes juridiques, a érigé « le mensonge en règle universelle » (Franz Kafka).

      Un manifestant brandit une pancarte de soutien à Julian Assange sur Oxford Street, Londres, 10 décembre 2021 - @AFP

      La décision d'accorder l'extradition était fondée sur quatre « assurances » présentées devant le tribunal par le gouvernement américain. Le comité d'appel composé de deux juges a estimé que ces « garanties répondent parfaitement aux inquiétudes qui ont amené la juge [du tribunal de première instance] à libérer Assange ».

      Les « assurances » garantissent qu'Assange ne sera pas soumis à des mesures administratives spéciales (MAS), qui maintiennent les prisonniers dans un isolement extrême et permettent au gouvernement de surveiller les conversations avec leur avocat, déniant ainsi le secret professionnel ; qu'il recevra des soins cliniques et psychologiques adéquats ; et que, avant et après le procès, il ne sera pas détenu dans l'établissement administratif maximal (ADX) de Florence, dans le Colorado.

      « Il n'y a aucune raison pour laquelle cette cour ne devrait pas reconnaître que les engagements signifient ce qu'ils disent », ont écrit les juges. « Il n'y a aucun fondement qui ferait supposer que les États-Unis n'ont pas présenté les assurances en toute bonne foi ».

      Et avec ces rhétoriques fuyantes, les juges ont signé l'arrêt de mort d'Assange.

      Aucune des « assurances » du ministère de la Justice de Biden ne vaut le papier sur lequel elles sont écrites. Elles sont toutes assorties de clauses de sauvegarde. Aucune n'est juridiquement contraignante. Si toutefois Assange faisait « quelque chose après l'offre de ces assurances qui réponde aux critères conduisant à imposer des SAM ou à un placement à ADX », il sera soumis à ces mesures coercitives. Et vous pouvez être sûrs que tout incident, aussi insignifiant soit-il, sera utilisé, si Assange est extradé, comme une excuse pour le jeter dans la gueule du dragon.

      Je ne sais pas trop comment répondre à l'assurance numéro quatre, selon laquelle Assange ne sera pas détenu avant le procès dans l'ADX de Florence. Personne n'est détenu avant procès à l'ADX de Florence. Et ce n'est pas la seule prison de très haute sécurité des États-Unis qui pourrait accueillir Assange. Il pourrait très bien être expédié dans une autre de nos installations semblables à Guantanamo.

      Daniel Hale, l'ancien analyste du renseignement de l'armée de l'air américaine actuellement emprisonné pour avoir publié des documents top secret révélant les nombreuses victimes civiles causées par les frappes de drones américaines, est détenu depuis octobre à l'USP Marion, un pénitencier fédéral situé dans l'Illinois, dans une unité très restrictive qui reproduit l'isolement quasi total imposé par les SAM.

      L'arrêt de la Haute Cour est ironiquement intervenu alors que le secrétaire d'État Antony Blinken annonçait, lors du Sommet virtuel pour la démocratie, que l'administration Biden allait fournir de nouveaux fonds pour protéger les journalistes pris pour cible en raison de leur travail et soutenir le journalisme international indépendant. Les « assurances » de Blinken selon lesquelles l'administration Biden défendra une presse libre, au moment même où cette administration exigeait l'extradition d'Assange, sont un exemple flagrant de l'hypocrisie et du mensonge qui font des Démocrates, comme le disait Glen Ford, « non pas le moindre mal, mais le mal le plus efficace ».

      Assange est inculpé aux États-Unis de 17 chefs d'accusation en vertu de la loi sur l'espionnage et d'un chef d'accusation de piratage d'un ordinateur gouvernemental. Il pourrait être condamné à 175 ans de prison, bien qu'il ne soit pas citoyen américain et que WikiLeaks ne soit pas une publication américaine. S'il est reconnu coupable, cela aura pour effet de criminaliser le travail d'investigation de tous les journalistes et éditeurs, où qu'ils soient dans le monde et quelle que soit leur nationalité, du moment qu'ils possèdent des documents classifiés permettant de mettre en lumière les rouages du pouvoir.

      Cet assaut meurtrier contre la presse aura été orchestré, il ne faut pas l'oublier, par une administration démocrate. Il créera un précédent juridique qui fera le bonheur d'autres régimes totalitaires et d'autocrates qui, enhardis par le comportement des États-Unis, attaqueront allègrement les journalistes et les éditeurs, où qu'ils se trouvent, publiant des vérités qui dérangent.

      Il n'y a aucune base légale pour maintenir Julian Assange en prison. Il n'y a aucune base légale pour le juger, lui, un étranger, en vertu de la Loi sur l'espionnage. La CIA a espionné Assange à l'ambassade de l'Équateur par l'entremise d'une entreprise espagnole, UC Global, engagée pour assurer la sécurité de l'ambassade. Cet espionnage comprenait l'enregistrement des conversations confidentielles entre Assange et ses avocats. Ce seul fait invalide tout futur procès.

      Après avoir passé sept ans à l'ambassade, dans une pièce exiguë et privée de la lumière du jour, Assange est détenu depuis près de trois ans dans une prison de haute sécurité à Londres, afin que l'État puisse, comme en a témoigné Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, continuer à le maltraiter et à le torturer sans relâche, sachant que cela entraînera sa désintégration psychologique et physique. La persécution d'Assange a pour but d'envoyer un message à toute personne qui envisagerait d'exposer la corruption, la malhonnêteté et la dépravation qui définissent le cœur noir de nos élites mondiales.

      Mind Games - @Mr.Fish

      Dean Yates peut vous dire ce que valent réellement les « assurances » américaines. Il était le chef du bureau de Reuters à Bagdad le matin du 12 juillet 2007, lorsque ses collègues irakiens Namir Noor-Eldeen et Saeed Chmagh ont été tués, avec neuf autres hommes, par des hélicoptères de combat Apache de l'armée américaine. Deux enfants ont été gravement blessés. Le gouvernement américain a passé trois ans à mentir à Yates, à Reuters et au reste du monde à propos de ces meurtres, alors que l'armée disposait de preuves vidéo du massacre prises par les Apaches pendant l'attaque.

      Cette vidéo, connue sous le nom de Collateral Murder, a été livrée en 2010 par Chelsea Manning à Assange. Pour la première fois, elle prouvait que les personnes tuées n'étaient pas engagées dans une fusillade, comme l'armée l'avait maintes fois répété. Elle a mis en lumière les mensonges des États-Unis, qui affirmaient qu'ils ne pouvaient pas localiser la séquence vidéo et qu'ils n'avaient jamais tenté de dissimuler les meurtres.

      Les tribunaux espagnols peuvent également vous dire ce que valent les « assurances » américaines. L'Espagne a reçu l'assurance que David Mendoza Herrarte, s'il était extradé vers les États-Unis pour y être jugé pour trafic de drogue, pourrait purger sa peine de prison en Espagne. Mais pendant six ans, le ministère de la Justice a refusé à plusieurs reprises les demandes de l'Espagne pour un transfert, ne cédant que lorsque la Cour suprême espagnole est intervenue.

      La population afghane peut elle aussi vous dire ce que valent les « assurances » américaines. Les responsables militaires, diplomatiques et du renseignement américains savaient depuis 18 ans que la guerre en Afghanistan était un bourbier et pourtant ils ont déclaré publiquement, à maintes reprises, que l'intervention militaire faisait des progrès continus.

      Les habitants de l'Irak peuvent vous dire ce que valent les « assurances » américaines. Ils ont été envahis et soumis à une guerre brutale fondée sur des preuves fabriquées de toutes pièces concernant des armes de destruction massive.

      Le peuple iranien peut également vous dire ce que valent les « assurances » américaines. Dans les Accords d'Alger de 1981, les États-Unis ont promis de ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures de l'Iran, puis ont financé et soutenu l'Organisation des moudjahidines du peuple d'Iran (MEK), un groupe terroriste basé en Irak et dont l'objectif était de renverser le régime iranien.

      Enfin, les milliers de personnes torturées dans les prisons clandestines des États-Unis peuvent vous dire ce que valent les « assurances » américaines. Les officiers de la CIA, lorsqu'ils ont été interrogés sur l'utilisation généralisée de la torture par la commission sénatoriale du renseignement, ont secrètement détruit les enregistrements vidéo des interrogatoires sous torture tout en insistant sur le fait qu'il n'y avait pas de « destruction de preuves ».

      Le nombre de traités, d'accords, de transactions, de promesses et d'« assurances » conclus par les États-Unis partout dans le monde et ensuite violés est trop important pour être énuméré. Des centaines de traités signés avec les tribus amérindiennes, à eux seuls, ont été ignorés par le gouvernement américain.

      Assange, qui en paye le prix fort à titre personnel, nous a avertis. Il nous a révélé la vérité. La classe dirigeante est en train de le crucifier pour cette vérité. Avec sa crucifixion, ce sont les timides lumières de notre démocratie qui s'éteignent.

      Article traduit et reproduit avec l'autorisation de Chris Hedges
      Source originale en anglais: Scheerpost - 13/12/2021

      Source en français: https://elucid.media/

      Partager via Gmail Yahoo! Pin It

      votre commentaire
    • Mercredi 17 novembre, anniversaire des Gilets jaunes, Stéphane Trouille ne sera pas de la fête. Condamné « injustement » en 2018, le reporter vit depuis six mois avec un bracelet électronique. Sa détermination à lutter, elle, « n’a pas faibli », tire-t-il comme bilan dans cette tribune.

      Le reporter Stéphane Trouille, numéro d’écrou 4954 encore pour quelques heures, a été condamné en 2018, dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes, pour violence sur personnes dépositaires de l’autorité publique. Sa peine : dix-huit mois de prison, dont huit ferme, et trois ans d’interdiction de manifester dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Île-de-France. Depuis le début du mouvement, en partie étouffé par la répression policière et judiciaire, plus de 3 000 condamnations, dont 2 000 de prison ferme, ont été prononcées, a comptabilisé France TV Info.


       

      Je viens de passer un peu plus de six mois sous surveillance électronique. Une épreuve loin d’être anodine, conséquence d’une condamnation, le 26 décembre 2018, à dix-huit mois de prison dont huit ferme, dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes, pour violence sur personnes dépositaires de l’autorité publique. Le tout complété d’une interdiction de manifester sur la voie publique pendant trois ans dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Île-de-France. J’ai raconté à l’époque, ici, les raisons de mon interpellation.

      Depuis le 17 mai dernier, je cohabite avec un bracelet noir et gris à la cheville droite, un bracelet qui permet à l’administration pénitentiaire de savoir quand je suis chez moi. Et de chez moi, je peux en sortir de 8 à 19 heures en semaine et de 14 à 18 heures les week-ends (de 10 à 18 heures pour ceux où je suis avec ma fille). Ainsi, je suis devenu mon propre gardien, qui s’autorise à sortir durant les heures admises, qui vérifie l’heure comme jamais auparavant et qui, en cas de manquement, peut se voir sucrer un temps de remise de peine, voir être dirigé vers la prison. Une vraie expérience d’autocontrôle dans la veine des auto-attestations de sortie mises en place pendant le confinement dû au Covid-19.

      Manifestation de Gilets jaunes le samedi 1er décembre 2018, à Paris. © NnoMan/Reporterre

      Tout au long de cette affaire, lors des procès, par la sévérité du jugement, par les paroles hautaines des juges et procureurs, mais aussi lors de cette période de bracelet, j’ai ressenti et vécu à quel point nous avons une justice de classe dans ce pays. Entre celles et ceux qui vivent leur peine sous bracelet dans un petit logement sans espace extérieur et celles et ceux — Balkany, Tapie, Guéant et consort — qui la vivent dans leur villa. Entre celles et ceux qui voient leur peine réduite, à la manière de Cahuzac, dont la surveillance sous bracelet a été suspendue au bout d’un an pour qu’il puisse exercer son activité de médecin, puis tout bonnement stoppée par décision du juge, qui dit s’être appuyé sur « les profonds regrets », et celles et ceux qui ne bénéficient pas de toutes les remises de peine sous prétexte qu’ils n’ont pas retrouvé de travail.

      « Le bracelet est une vraie peine qui entre dans le corps et l’esprit »

      Le bracelet m’a d’ailleurs mis devant les yeux à quel point la valeur du travail supplantait les autres pour le pouvoir judiciaire. J’ai pu le constater par rapport aux d’aménagements d’horaires, possibles pour aller travailler, mais impossibles pour participer à une réunion associative ou s’impliquer bénévolement dans un événement. Mine de rien, c’est le lien social qui peut en prendre un coup ! Avec, dans le même temps, une organisation administrative lourde puisqu’en plus d’envoyer les fiches de salaire après la période d’emploi, il est nécessaire de demander des justificatifs préalables à l’embauche aux employeurs. Et donc, de leur expliquer ma situation particulière et ma peine... On a connu mieux comme dispositif favorisant la réinsertion et l’emploi.

      «C’est une peine faite pour punir, une peine visible»

      Même s’il a le mérite de permettre de rester dans son milieu de vie, je tiens ici à dire que le bracelet est une vraie peine, pas du sursis, une peine qui entre dans le corps et l’esprit, une peine faite pour punir, une peine visible, que certain·e.s ne supportent pas, préférant rejoindre la prison. Je précise aussi que je suis contre les peines d’enfermement et bien plus sensible à la démarche de la justice restaurative, qui consiste à mettre face à face les protagonistes d’une affaire. Ce type de justice est notamment mise en place sur le territoire zapatiste du Chiapas [1] au Mexique, comme ont pu nous l’expliquer cinq zapatistes, de passage dans la vallée de la Drôme et en voyage pour la vie [2]. Là-bas, pas d’avocat·e.s, pas de juges, pas de prison, pas d’amende, mais une justice de médiation, de réconciliation, de réparation et/ou de compensation, en nature ou en travail communautaire [3].

      L’arrivée des zapatistes dans la Drôme.

      « Ma détermination s’est renforcée face aux dérives autoritaires, identitaires et capitalistes du pouvoir »

      Ces six derniers mois sous bracelet électronique, ma détermination à lutter pour d’autres mondes plus égalitaires, plus justes, plus épanouissants n’a pas faibli, bien au contraire. Elle a parfois pris des formes différentes, mais elle s’est renforcée, à la fois face aux dérives autoritaires, identitaires et capitalistes du pouvoir, et aussi face à cette peine injuste que je subis, comme de nombreux autres militant·e.s, Gilets jaunes notamment, qui a entre autres pour but de nous faire rentrer dans le rang [4].

      Ma peine de surveillance, cumulée avec l’interdiction de manifester sur la voie publique pendant trois ans à laquelle j’ai été condamné [5], m’a contraint à transformer mes modalités d’action. Je me suis investi autrement dans des mouvements comme celui des acteurs culturels [6] (je suis intermittent du spectacle), avec notamment l’occupation des lieux de culture au printemps dernier. Investissement aussi contre le passe sanitaire, en soutien aux personnes en exil (avec l’association Voies Libres Drôme) ou aux personnes qui font face à la police et à la justice.

      Mobilisation devant le Théâtre national populaire (TNP) de Villeurbanne. © Caroline Staffe / Hans Lucas

      Les difficultés à avoir des lieux pour se réunir m’ont également poussé, avec d’autres, à remettre au goût du jour un projet de Maison du Peuple à Saillans (Drôme), le village où j’habite. Un projet initié en 2019 par le groupe local des Gilets jaunes dont je fais partie et qui a failli prendre forme en mars 2020. Un lieu d’auto-organisation, de partage de savoir-faire, de lien, un lieu dont on a tant besoin, encore plus par les temps qui courent.

      Des Gilets jaunes à à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), le 12 janvier 2019. © Marion Esnault/Reporterre

      Gilet au bout de mes rêves

      Mon implication dans le mouvement des Gilets jaunes a également subi les conséquences de ma condamnation. Le gilet est toujours bien visible dans le véhicule, mais il m’est devenu compliqué d’assister aux réunions locales, encore plus de me rendre sur les ronds-points, comme celui de Valence, qui a repris des couleurs le samedi. Je continue à agir, en témoignant dans des médias, en réalisant des affiches, des tracts, des vidéos, en sensibilisant, en assistant quand cela reste possible aux réunions. Ce sera un vrai pincement au cœur de ne pas pouvoir me rendre au rassemblement anniversaire du mouvement mercredi 17 novembre. Je reste malgré tout tellement heureux de voir que les Gilets jaunes sortent de nouveau, que des personnes se rassemblent à nouveau sur la voie publique, se rencontrent, débattent, convergent, affichent leur mécontentement, imaginent leur société idéale et montrent qu’elles sont debout et qu’elles n’ont pas l’intention de se laisser faire.

      Avec trois ans de recul depuis ma condamnation, je peux affirmer que le mouvement des Gilets jaunes, comme l’épreuve judiciaire que je vis, m’a transformé et a transformé ma vie de militant. J’ai lié connaissance avec énormément de personnes de ma région, tissé des amitiés, entrepris des luttes, organisé des événements, pris plaisir à débattre, partagé des moments difficiles... Entre nous s’est noué un lien puissant de solidarité, qu’on ne nous prendra pas. C’est une victoire loin d’être anodine selon moi. À coup sûr un terreau fertile qui fera germer les graines d’autres mondes auxquels nous sommes nombreux·ses à aspirer.

      Ils n’auront ni notre détermination ni notre solidarité !

      Notes

      [1Le mouvement zapatiste est une initiative de transformation sociale et politique radicale née au Mexique dans la région du Chiapas. Apparu au grand jour en 1994, le mouvement s’étend sur une région grande comme la Belgique, forte de 11 territoires (caracoles) comprenant 27 communes autonomes et s’organise avec ses propres instances démocratiques, culturelles, judiciaires, d’éducation, de soins... et son armée de libération, l’EZLN. 150 à 250 000 personnes composent la communauté zapatiste. C’est la plus importante expérience d’autogouvernement collective de l’histoire moderne avec le Kurdistan.

      [3À voir à ce sujet, une intervention de l’historien Jérôme Baschet.

      [4Lire à ce sujet l’enquête que j’ai menée pour Bastamag.

      [5Concrètement, je suis interdit de tout rassemblement collectif avec une revendication, sur l’espace public. Fini les manifs, les ronds-points, les chorales sous les gaz, les tournages, les reportages — je suis reporter vidéo indépendant —, les assemblées sur la voie publique... Tous ces temps collectifs partagés de rencontre, de revendication, d’organisation, qui me font souvent tant de bien et qui était parfois source de revenu. Une vraie privation de liberté.

      [6Contre la réforme de l’assurance chômage, pour un meilleur pour un vrai plan de développement de la culture organisé par le bas, pour une meilleure prise en charge des précaires et des droits sociaux de chacun·es.

       

      Précisions

      Source : Courriel à Reporterre

      - Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
      - Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.

       

      source: https://reporterre.net/

       

      Partager via Gmail Yahoo! Pin It

      votre commentaire
    • Le préfet d’Harcourt mis en examen pour homicide involontaire après la mort de Steve Maia Caniço-petite notice biographique par Olivier Long (lundimatin-18/10/21)

      Petite notice biographique
      Olivier Long

      paru dans lundimatin#309, le 18 octobre 2021
       
       

      Le préfet de Loire-Atlantique, Claude d’Harcourt vient d’être mis en examen pour homicide involontaire suite à la mort par noyade de Steve Maia Caniço à Nantes, le soir de la fête de la musique 2019. C’est l’occasion de republier cette éclairante notice biographique qui permet de comprendre toute l’envergure du personnage.

      Suite à la mort de Steve Maia Caniço, les journaux s’émeuvent naïvement de la morgue et de l’indifférence du préfet de Loire-Atlantique : Claude d’Harcourt. « Une forme d’indifférence qui confine au mépris » lance Libération.. C’est ignorer qui est réellement le personnage.

       

      Claude d’Harcourt est l’héritier d’une longue lignée des plus anciennes familles de la noblesse française. La maison d’Harcourt débarque aujourd’hui tout droit de l’Ancien Régime avec ses titres, charges, châteaux et baronnies pour occuper l’actualité estivale. Elle est depuis toujours composée de seigneurs, comtes, ducs, marquis, maréchaux, ambassadeurs, prêtres et prélats, généraux de corps d’armée-lieutenant-de-France-émérite-de-l’ordre-du-Saint-Sépulcre-de Jérusalem ; et voilà que tout ce folklore fait retour. La plus vieille dynastie de l’histoire de France vient naturellement réoccuper la place qui fut toujours la sienne au cœur du royaume de France, mais aujourd’hui c’est à l’occasion de la plus grande affaire d’État que le pays ait connu depuis l’assassinat de Malik Oussekine par les voltigeurs de Charles Pasqua. Ce qui nous permet de revivre ici un énième épisode de la saga des Visiteurs.

      Suivons le fil de cette incroyable épopée chevaleresque, en marche et surtout à reculons dans Les couloirs du temps.

      Bien avant la guerre de Cent ans, dans la maison d’Harcourt on se nomme Torf, Turquetil, Anquetil, Errand, Octavius, Odet, plutôt que « Jojo le Gilet Jaune ». Le nom d’Harcourt est à tel point synonyme de pouvoir que Michel Houellebecq fait d’un certain Aymeric d’Harcourt l’archétype d’une souveraineté multiséculaire et brutale dans son dernier roman : Sérotonine. Aymeric d’Harcourt est l’ami intime du personnage principal de ce livre, Houellebecq en brosse le portrait :

      « [Aymeric d’Harcourt] avait sorti un portrait d’ancêtre, appuyé contre un fauteuil, c’était un type trapu, au visage carré et parfaitement glabre, l’œil mauvais et attentif, sanglé dans une armure métallique. Dans une main il tenait un glaive énorme, qui lui arrivait jusqu’à la poitrine, dans l’autre une hache ; dans l’ensemble il dégageait une impression de puissance physique et de brutalité extraordinaire. Robert d’Harcourt dit le Fort commenta-t-il. La sixième génération de Harcourt, bien après Guillaume le Conquérant, donc. Il a accompagné Richard Cœur de Lion à la troisième croisade. » Je me suis dit que c’était bien, quand même d’avoir des racines » [1].

      C’est des racines de cette archaïque brutalité et du type de croisade qu’elle mène actuellement qu’il sera question dans les lignes qui suivent.

      Le chevalier d’Harcourt, Cost Killer

      Claude d’Harcourt est haut fonctionnaire de l’Etat français lorsqu’il est nommé le 7 novembre de l’an de grâce 2016 à la direction de l’Agence Régionale de Santé (A.R.S.) de la Région PACA. Par ironie du sort, il faut savoir qu’avant la mort de Steve Maia Caniço, l’actuel préfet de Nantes, directeur des forces de police de Loire-Atlantique, travaillait non pas à une répression de laquelle s’ensuivit la mort d’un jeune homme mais au service de la santé de ses contemporains.

      Il faut savoir que bien avant d’être nommé préfet de région, Claude d’Harcourt était déjà bien connu pour être un killer, un vrai killer : ce qu’on nomme dans la novlangue managériale un Cost Killer. Arracheur de dents talentueux, il avait su prouver son obéissance en opérant à la hache dans le personnel de l’Agence Régionale de Santé de la région PACA. Bilan : 100 personnes brutalement déplacées en deux ans, et 70 départs (pour 35 arrivées !) en moins d’un an de règne.

      Ce personnage efficace et de sinistre mémoire porte donc à son passif un lourd bilan dans ses fonctions de directeur de cette Agence Régionale de Santé. Les fonctionnaires de ces services s’en souviennent bien. Un article du site Mars actu documente le quotidien des sévices infligés par Claude d’Harcourt. Tous ses collaborateurs décrivent un management maltraitant, d’une « dureté » digne de France Télécom : indifférent aux autres, menaçant, insultant, brisant, humiliant. Au menu : burn out, pressions et dépressions, mises au placard, carrières brisées, dégradations, propos blessants, insultes voire délation.

      Badauds, crieurs et tambours, sonnez trompettes et clochettes, Oyez braves gens, lisez ce texte instructif ; ces faits méritent large diffusion. Les informations du site de Mars actu ont été corroborées et vérifiées en interne par une source que avons personnellement suivi durant les quelques années qui furent pour son compte une longue suite de déboires et d’humiliations professionnelles.

      Est-ce à la suite à ses aventures guerrières dans le secteur de la santé, que le chevalier d’Harcourt - viking du management- après avoir semé la terreur en région PACA, fut « promu » préfet de Loire-Atlantique ? Toujours est-il qu’on peut se demander si les propos déplacés proférés par Claude d’Harcourt -devenu préfet de Nantes- après la disparition inquiétante de Steve Maia Caniço (« des gens qui avaient beaucoup bu et qui avaient aussi sans doute pris de la drogue » jusqu’à devenir « immaîtrisables »), ne sont pas à mettre en rapport avec la brutalité des politiques managériales que le chevalier a cavalièrement mis en œuvre dans un tout autre domaine : celui de la santé.

      La question est celle de savoir comment quelqu’un qui est censé veiller à la santé de ses concitoyens peut devenir sans transition préfet de la région Loire-Atlantique, c’est-à-dire assumer la répression sans précédent qui s’exerce à Notre-Dame des Landes ou être mêlé à des événements produisant la mort d’un jeune par noyade. Comment être à la fois patelin et brutal ? Comment comprendre qu’on puisse passer sans transition du soin à la répression ? Un peu comme si gérer la vie ou gérer la mort, c’était un même métier. Tel est le genre de paradoxe qu’il nous faut penser pour comprendre ce que la figure du chevalier d’Harcourt dit de l’époque.

      Sans perdre de vue l’itinéraire picaresque du Chevalier mais d’un point de vue plus politique, cet étrange retournement concerne un problème de gestion biopolitique des populations.

      Nécropolitique

      Selon Michel Foucault [2], le terme « biopolitique » désigne le fait que le pouvoir sur la vie (droit de vie et de mort) tend à se transformer entre le XVIIe et le XIXe siècle en gestion des vies (bios). L’étatisation du biologique transforme les pratiques de gouvernement en médecine sociale. Pour mettre au travail les populations de l’époque moderne, les gouvernants envisagent dès lors le corps social comme un ensemble d’être vivants dont la vie peut être contrôlée ou exclue. S’instaurent à cet effet toutes sortes de procédures et d’institutions concernant la gestion de la santé, de l’alimentation, de la sexualité, de la natalité. La gestion des vies, le management du capital humain remplace la force brutale et la raison d’État. L’objectif de ce changement est de contrôler plus précisément les corps afin de canaliser leur force de travail, c’est la raison pour laquelle la gouvernementalité moderne s’occupe moins de « faire mourir ou laisser vivre » (le droit de glaive du souverain) que de « faire vivre et laisser mourir ».

      Entendons par là que le rapport politique s’organise comme protection de la vie afin de mieux surveiller le corps social au travail. Gouverner c’est générer un certain nombre de soins qui permettent d’exclure du corps social les indésirables, c’est-à-dire les inutiles pour l’économie. On traite alors ceux-ci comme on circonscrit un foyer d’infection. Cette économie politique du vivant (bios, la vie) permet de contrôler de manière plus rigoureuse les populations en reléguant de manière insidieuse et toujours plus lointaine « ceux qui ne sont rien ». Ceux-ci se retrouvent automatiquement cantonnés dans des espaces d’exclusion où ils croupissent à perpétuité (chômage de longue durée, aides dérisoires, quartiers périphériques, prisons, centres de rétention, hôpitaux psychiatriques, etc.) sans qu’il soit nécessaire de se donner la peine d’une amputation ou d’une élimination physique. De ce point de vue, il est significatif que le candidat Nicolas Sarkozy ai pu remporter une élection présidentielle avec pour seul programme d’éliminer la « racaille »quand on sait qu’une des étymologies du mot désigne une malade de peau très contagieuse : la teigne.

      Comment comprendre la mise à mort dans un tel système ? Deux modèles-limites permettent de comprendre la persistance de l’élimination physique dans ce système hygiéniste : le camp de concentration et l’esclavage de plantation.

      A la suite de Michel Foucault et de Giorgio Agamben [3], Roberto Esposito [4], philosophe napolitain a montré que le camp de concentration incarne le paradigme le plus extrême de cette biopolitique des populations. Pour Adolf Hitler les opposants, les malades mentaux et les non aryens contaminaient la santé du peuple allemand, la régénérescence de la race aryenne passait donc par l’enfermement inévitable des juifs, des homosexuels, des tziganes, des malades mentaux et des opposants de toutes sortes afin qu’ils ne contaminent pas la race aryenne. Pour éliminer cette menace « biologique », virale, la rétention ou l’extermination ne sont pour le IIIe Reich que des mesures prophylactiques, c’est la raison pour laquelle on élimine des millions d’humain par le gaz comme on tue « des poux » (selon l’expression de Himmler).

      On retrouve un autre visage de cette gestion biopolitique du vivant dans l’esclavage de plantation. Si l’on protège la valeur marchande de l’esclave, son corps puissant et en bonne santé, c’est pour mieux le tuer au travail (8 ans d’espérance de vie dans une plantation des Caraïbes au seul motif que des européens fortunés puissent sucrer leur café !)). « En tant qu’instrument de travail, l’esclave a un prix. En tant que propriété, il a une valeur. Son travail répond à un besoin et est utilisé. L’esclave est par conséquent gardé en vie mais dans un état mutilé, dans un monde fantomatique d’horreurs et de cruauté et de désacralisation intenses. » explique Achille Membe [5]. La notion de mutilation est au cœur de l’organisation biopolitique comme nous allons le voir.

      Quand le pouvoir de « soin » médical et le pouvoir de tuer renvoient l’un à l’autre, s’instaure une dialectique de la vie et de la mort dont les limites viennent à se confondre. Car au lieu de sauver la partie qu’on pense non contaminée, la gestion biopolitique des populations se retourne en infection généralisée des sociétés. C’est sous prétexte d’immuniser les populations contre une pseudo-infection, que le peuple allemand tout entier s’est retrouvé enfermé par le national-socialisme. Enfermé en dehors des camps, mais enfermé chez lui dans une frontière de barbelés et un système de surveillance mortifère. De même, l’Europe s’est retrouvée prisonnière de ses frontières pour se prémunir des migrations qui sont les conséquences inévitables de la colonisation. Il n’y a qu’à compter le nombre de morts en Méditerranée pour comprendre que la gestion « biopolitique » se retourne inévitablement en « thanatopolitique » comme le remarque Roberto Esposito [6], (Thanatos, désigne la mort en grec ancien). L’horizon du meurtre demeure la perspective inévitable de toute gestion biopolitique des populations.

      Quoique ces digressions nous aient emmené un peu loin des tribulations du chevalier d’Harcourt, préfet de Nantes, indifféremment médecin et policier, n’est-ce pas là une clef de lecture pour comprendre la mort de Steve Maia Caniço ?

      Depuis les attentats de Paris et l’instauration de l’état d’urgence à perpétuité la place centrale donnée à la sécurité et au désir d’ordre fabrique une situation d’exception. L’adhésion massive ou passive des populations aux programmes du RN ou de LRM remet à l’ordre du jour ce point nodal où les systèmes d’immunisation se retournent contre eux-mêmes, c’est-à-dire contre les populations qu’elles disent vouloir protéger. Sous prétexte de protéger la vie de la communauté d’une agression par un ennemi extérieur, (menace terroriste, crise environnementale, économique, sanitaire, migratoire, fin du monde annoncée, etc…) on reconduit de manière inquiétante les apories de la biopolitique et son retournement en thanatopolitique.

      Quand on tue un jeune afin de « laisser les honnêtes citoyens dormir tranquille », le souci de protection vire au meurtre. Quand la disparition d’un jeune n’est plus qu’un dégât collatéral d’une opération de maintien de l’ordre qui vise à éradiquer une gêne, personne n’est plus très pressé de retrouver le corps de Steve Maia Caniço. Du point de vue du soin apporté aux populations la police a fait son travail, le préfet-médecin a opéré pour amputer l’infection. C’est la raison pour laquelle cette disparition a été reléguée pendant quelques semaines dans l’espace incertain où disparaissent les affections indésirables.

      C’est ce mélange de sollicitude et de répression mise au service du dressage des populations qui constitue la question biopolitique actuelle. Elle vise l’éradication d’un ennemi intérieur qui gangrènerai le corps social à la manière d’une infection : la jeunesse un peu trop bruyante, les citoyens issus des migrations, les musulmans forcément djihadistes, les travailleurs pauvres qui mettent à sac la vitrine parisienne, les retraités, les chômeurs qui touchent trop d’aides, les handicapés, les mères-célibataires qui font trop d’enfants, les exclus de tout poil, etc.

      Le parcours du chevalier professionnel du chevalier d’Harcourt, préfet- médecin est symptomatique de ces retournements. On ne sera pas surpris d’apprendre qu’avant de faire carrière au service de la santé des populations non seulement en région PACA mais aussi en Normandie, Champagne-Ardenne et Alsace et Lorraine, Claude d’Harcourt a également travaillé à la direction de l’administration pénitentiaire, mais aussi comme secrétaire général pour l’administration de la préfecture de police de Paris durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, tout cela avant d’être nommé préfet. Quelles sont les conditions qui font qu’on peut penser que la santé ou la police, les soins ou la répression sont un même métier ? Les apories de la nécropolitique donnent la clef de cette indifférenciation.

      Si l’on accepte que surveiller c’est punir et que punir c’est guérir, qu’enfermer c’est en quelque sorte prendre soin de ceux qu’on enferme, il n’y a pas mélange des genres. C’est finalement le même métier du point de vue d’une biopolitique qui se retourne fatalement en nécropolitique. 

      Epidémie dansante

      Dans cet embrouillamini savamment organisé, on peut finalement se demander si la mission curative du préfet-médecin n’était pas de faire cesser une épidémie bien connue dès la fin du moyen-âge : celle de la peste dansante, dite « danse de Saint Guy ».

      Les épidémies de danses ou « manies dansantes » étaient les premières Rave party de la fin du Moyen Âge. Ces antiques Teufs étaient souvent attribuées à la « condition pitoyable » et au « délaissement spirituel des populations », c’est la raison pour laquelle elles étaient étroitement surveillées par les pouvoirs en place. Car ceux et celles qui dansaient, le faisaient souvent pour se libérer de leur oppression tout autant que de leurs oppresseurs.

      Paracelse -médecin et chirurgien suisse de la fin du XVe siècle-, explique que « Rien n’irrite plus un homme qu’une femme qui danse. Et pour que l’affaire parût suffisamment sérieuse et pour confirmer l’apparence de la maladie, elle se mit à sauter, à faire des bonds, chantant, fredonnant, s’effondrant par terre, la danse finie, tremblant un moment puis s’endormant : ce qui déplut au mari et l’inquiéta fortement. Sans rien dire et prétextant cette maladie, elle berna son mari. Or d’autres femmes se comportèrent de la même manière, l’une instruisit l’autre, et tout le monde finit par considérer que la maladie était un châtiment du Ciel. » [7]

      Tout ceci est écrit bien avant les hystériques de Charcot, et il faudrait se demander si du point de vue des dominés, les têtes de cortège (avec ou sans Gilets jaunes), ne sont pas une variété de ce genre de tarentulisme, comme les cortèges de bacchantes visaient dans l’antiquité une guérison et une transformation collective du corps social. Du point de vue des dominants, la réponse apportée à ces pratiques d’extase, de débordement n’ont guère varié depuis les temps médiévaux. C’est peut-être pour cela que le chevalier d’Harcourt était le personnage idoine se mêler à ces tribulations.

      Le néolibéralisme actuel, sous prétexte d’entrer dans le Nouveau Monde ne recycle-t-il pas des pratiques d’un autre temps ? Du Moyen-âge au néolibéralisme globalisé s’exhibe la pérennité d’un ’théâtre de l’horreur et de la terreur’. C’est par ces mots qu’on a décrit les pratiques déroutantes de la justice médiévale. Avec son cortège de mise aux arrêts, d’amendes, de mutilations déshonorantes (amputations du pied, d’un pouce, de l’oreille, de la langue, œil crevé), de noyades forcées, de supplices raffinés, la justice médiévale consistait en une mise en scène quotidienne et impitoyable de la victoire du « Bien » sur la « Mal » au profit d’une minorité de la population bien évidemment.

      Ce « théâtre de l’horreur », n’est-ce pas ce qu’on a vu avec le traitement policier de la révolte des Gilets Jaunes ? Quand on lit le témoignage des agissements du Cavalier d’Harcourt à l’Agence Régionale de Santé de la région Paca, dès lors que plus personne n’ose s’exprimer, que les syndicats sont atones, ne lit-on pas ici tous les signes d’une politique de la terreur ? Ce qui nous rappelle les termes dans lesquels Michel Houellebecq décrit Aymeric d’Harcourt : « C’était un type trapu, au visage carré et parfaitement glabre, l’œil mauvais et attentif, sanglé dans une armure métallique. Dans une main il tenait un glaive énorme, qui lui arrivait jusqu’à la poitrine, dans l’autre une hache ; dans l’ensemble il dégageait une impression de puissance physique et de brutalité extraordinaire »

      De l’Agence de Santé de la région Paca à la préfecture de Nantes, des classes populaires de banlieue aux travailleurs pauvres, des Gilets Jaunes aux « teufeurs » de Nantes, au travers de l’instauration de situation d’exception (état d’urgence économique, menace terroriste, péril jeune), la volonté curative ne cache t-elle pas une simple extension du domaine de la brutalisation ? La « brutalisation » désigne chez les historiens de la première guerre mondiale, la contagion des sociétés des pays belligérants en temps de paix par des habitudes, des pratiques de violence contractées sur des lieux de guerre. De l’organisation de la terreur en entreprise (pour le bien des employés), à la terreur de rue (pour la sécurité des commerçants), de la terreur de rue à la mort des fêtards (péril jeune), l’exercice actuel du pouvoir ne dessine-t-il pas une simple consolidation du droit de tuer au service direct d’une assomption de la souveraineté pure ?

      Quand on mutile des manifestants, on peut toujours dire que ceux-ci sont violents puisque cela vide la rue. Mais comment comprendre qu’on s’en prenne à un jeune innocent qui ne conteste rien ? N’est-ce pas là un signal envoyé à l’intégralité de la population ? Quand la terreur vise des innocents, n’est-ce pas cela le terrorisme ? Cela signifie-t-il que se retourne aujourd’hui en France la « protection » biopolitique en terreur d’État ?

      Il semble que les récentes pratiques de maintien de l’ordre n’aient pour objectif que d’habituer petit à petit police et population, par gradations successives, à la brutalité du rêve américain. Ce mode de vie, bien qu’il proclame l’accès de tous aux premières marches du podium est pourtant le mode de vie d’un des empires les plus oppressifs, les plus belliqueux et les plus inégalitaires de la planète. Comment imposer ce cauchemar économique sinon par la peur ? L’obsession anti-terroriste n’aurait-elle que pour objectif que de valider l’instauration d’un régime de terreur économique ? Quand sous couvert de guerre, de résistance, ou de lutte contre la terreur, le biopouvoir fait du meurtre son objectif, le régime a change de nature. Un régime qui se définit par la terreur à tous les niveaux de l’existence, qui vise par sa terreur des innocents, un régime dans lequel l’humain devient superflu, c’est un système totalitaire. Il arrive que les couloirs du temps nous ramènent parfois bien en arrière. De manière irréversible ?

       

      [1Michel Houellebecq, Sérotonine, éditions Flammarion, Paris, 2019, p. 204.

      [2Michel Foucault, « Il faut défendre la Société », Cours au collège de France, 1976, éditions Gallimard/Seuil, Paris, 1997, p. 213 sq.

      [3Giorgio Agamben, Moyens sans fins, Notes sur le politique, éditions Rivages, Paris, 2002, p. 47 sq.

      [4Roberto Esposito, Communauté, immunité, biopolitique, Repenser les termes du politique, éditions Les prairies ordinaires, Paris, 2010, p. 171sq.

      [5Achille Mbembe, « Nécropolitiques », Raisons politiques, 2006/1, numéro 21, p. 15.

      [6Roberto Esposito, Bìos. Biopolitica e filosofia, Turin, Einaudi, 2004, p. 39.

      [7Paracelse, cité par Claire Biquard (E.H.E.S.S.) : Le mal de Saint Vit (ou Saint Guy) Bulletin du centre d’Etude et d’Histoire et de la médecine de Toulouse, janvier 2002.

       

      source: https://lundi.am/

      Partager via Gmail Yahoo! Pin It

      votre commentaire
    • Partager via Gmail Yahoo!

      votre commentaire
    • Réputé sûr, Protonmail a livré à la police des informations sur des militants climat (reporterre-9/09/21)

      par Gaspard d'Allens (Reporterre , 9/09/21)

       

      Le fournisseur de courriers électroniques chiffrés suisse Protonmail a fourni sous contrainte légale des informations sur des militants français de Youth for Climate, qui ont par la suite été perquisitionnés. Cette procédure illustre « l’acharnement » policier à l’encontre des activistes du climat et les limites de la confidentialité sur internet.

      L’affaire commence à faire polémique sur la toile et dans le milieu militant. Protonmail, un service de courriels chiffrés situé en Suisse, a fourni aux autorités policières françaises des données relatives à certains de ses utilisateurs impliqués dans le mouvement climat. Fondé en 2013 par des ingénieurs du MIT — l’Institut de technologie du Massachusetts — et du Cern — l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire — Protonmail se présente comme « le plus grand service de messagerie sécurisée au monde ».

      Le site a connu un essor rapide et compte désormais plus de 20 millions d’usagers. En open source et automatiquement chiffré de bout en bout, Protonmail est particulièrement apprécié par les militants. Il propose un haut degré de confidentialité et reste, contrairement à d’autres techniques, très facilement utilisable. Son slogan : « La sécurité sans les tracas ».

      Cela ne l’a pourtant pas empêché de fournir à la police l’adresse IP de militants engagés à Youth for Climate. Depuis un an, ces derniers font l’objet d’une surveillance massive après avoir occupé un local dans le quartier de la place Sainte-Marthe, à Paris. Les jeunes activistes luttaient contre l’embourgeoisement et « les spéculateurs » et défendaient une vision de l’écologie résolument sociale.

      « On a eu dix procès. Ça a abîmé le collectif et détruit des vies. »

      En septembre 2020, ils avaient organisé un camp climat que Reporterre avait couvert. De nombreuses conférences avaient eu lieu pour « se réapproprier la rue » avec l’économiste Thomas Piketty, le cheminot Anasse Kazib ou encore le chercheur Malcom Ferdinand. Un squat avait été ouvert dans des bâtiments détenus par des promoteurs immobiliers avant d’être violemment évacué le lendemain. Deux mois plus tard, en novembre 2020, les militants avaient occupé un autre lieu inhabité depuis cinq ans qu’ils avaient baptisé L’Arche. Cette occupation avait suscité de nombreux remous dans la presse car le local appartenait à la Siemp, un bailleur social, qui l’avait loué au Petit Cambodge, l’un des restaurateurs victime des attentats du 13 novembre 2015.

      Les propriétaires ont porté plainte et, à la suite d’une décision du tribunal de Paris, les militants ont été expulsés en janvier. Un militant a même écopé de 15 000 euros d’amende pour violation de domicile. La répression a continué par la suite. « On a eu près de dix procès, raconte un militant qui souhaite rester anonyme. Ça a abîmé le collectif et détruit des vies. C’est difficile aujourd’hui de s’en relever ». Plusieurs personnes ont l’interdiction de se rendre sur place. D’autres ont été condamnées à trois mois de prison avec sursis.  

      Lors de l’occupation de la rue Saint-Marthe, à Paris le 26/09/2020 © NnoMan/Reporterre

      La répression ne s’est pas arrêtée là, la police a aussi engagé une vaste enquête pour connaître les instigateurs de l’occupation. Youth for Climate a été identifié comme étant « à la tête des opérations ». Les enquêteurs ont épié les réseaux sociaux et se sont intéressés aux adresses électroniques avec lesquelles les militants communiquaient. Des lignes téléphoniques ont aussi été mises sous écoute. Le dossier fait plus de 1 000 pages et des extraits ont été publiés sur le site Paris Luttes Info.

      Selon les policiers, « le collectif militant “Youth for Climate” choisissait en effet l’occupation illégale de bien privé comme moyen d’action idéologique contre “la gentrification du quartier”, “la loi sécurité globale” ou encore “la protection du climat”. Lancé en février 2019, Youth for Climate organisait initialement des marches hebdomadaires pour le climat avant de durcir fortement sa ligne en prônant des actions de lutte directe anticapitaliste », ont-ils écrit dans le dossier.

      Extrait du dossier.

      Plusieurs réquisitions ont été adressées à Instagram et à Protonmail pour connaître l’identité des militants gérant les comptes. Instagram, détenu par Facebook, n’a pas donné suite aux sollicitations. Par contre, Protonmail a bien fourni des informations en réponse à la demande. L’entreprise affirme pourtant sur son site internet ne pas enregistrer les adresses IP de ses utilisateurs. « Contrairement aux services concurrents, nous n’enregistrons aucune information de suivi », assure-t-elle.

      Prise à partie sur les réseaux sociaux, la messagerie a dû se défendre. Lundi 6 septembre, sur Twitter, elle a affirmé ne pas avoir eu le choix. « Nous pouvons être contraints de collecter des informations sur des comptes appartenant à des utilisateurs faisant l’objet d’une enquête pénale suisse. Ce n’est évidemment pas fait par défaut, mais seulement si Proton obtient une commande légale pour un compte spécifique a-t-elle déclaré. Nous n’avions aucun motif ni aucune possibilité de faire appel de cette demande particulière ». Dans un communiqué publié sur son site dans l’après-midi, Protonmail récapitule son point de vue sur l’affaire et rappelle qu’il est accessible avec des garanties d’anonymat bien plus élevées via le navigateur Tor.

      Les activistes doivent « désapprendre à se croire en sécurité sur internet »

      La police française a dû passer par le biais d’Europol — l’Agence européenne spécialisée dans la répression de la criminalité — et demander la collaboration des autorités suisses pour contraindre Protonmail. Pour les militants, cette procédure fastidieuse prouve l’« acharnement » de la police : « Ça en dit long sur la manière dont ils nous perçoivent et essayent de nous faire taire. Ils nous considèrent comme des terroristes ou des criminels », s’insurge un militant de Youth for Climate. À la suite de cette réquisition, des perquisitions ont eu lieu et sept militants ont été poursuivis pour violation de domicile. Leur procès aura lieu en février 2022.

      L’association de défense des libertés la Quadrature du net juge l’affaire révélatrice : « Le milieu militant doit désormais réfléchir profondément à ses usages du numérique , dit à Reporterre Arthur Messaud, juriste au sein de l’association. Pendant longtemps, on a invité les militants à se former au chiffrement, à trouver les meilleurs hébergements mais aujourd’hui on s’interroge ». Face à l’arsenal policier et au renforcement de la répression, les activistes doivent, selon lui, « désapprendre à se croire en sécurité sur internet même s’ils pensent avoir de bons outils. On devrait plus faire attention à ce que l’on se dit, à comment on se le dit et à qui on parle. »

       

      source: https://reporterre.net/

      Partager via Gmail Yahoo! Pin It

      votre commentaire
    • Avec le système d’Emmanuel Macron, le pire est toujours sûr et dans tous les domaines. Avec l’intervention de celui qui nous tient lieu de président de la République le douze juillet dernier, nous savions comment serait gérée la lutte contre la pandémie dans les semaines qui venaient :  comme depuis le mois de janvier 2020, à coups de mensonges, de désinvolture, de mise en place de réglementations liberticides, de répression et de sabotage systématique des processus démocratiques normaux dans une république du même nom. Ce pouvoir conscient de son caractère minoritaire et par conséquent largement illégitime sait que la brutalité, la répression et les atteintes aux libertés publiques sont ses armes principales. Malheureusement s’il sait être brutal, il n’hésite pas à être discret, comme vient de le démontrer l’adoption définitive et discrète dans les bruits de l’orchestre du débat vaccinal, de la loi « confortant le respect des principes de la République ».

      Charles Meyer est avocat et tient beaucoup à la liberté d’expression si malmenée dans cette période pénible. Il pointe une nouvelle attaque subreptice du macronisme contre nos droits fondamentaux. Comme d’habitude le diable est dans les détails techniques. Merci à lui.

      Régis de Castelnau

      PS : On recommandera une fois de plus l’indispensable ouvrage d’Anne-Sophie Chazaud :« Liberté d’inexpression. Des formes contemporaines de la censure. »


       

       

      Le diable est toujours dans les détails

       

      Il y a quelques jours, l’Assemblée nationale a définitivement adopté la « Loi confortant le respect des principes de la République ». Au-delà des quelques points d’amélioration qu’on peut saluer, dans le camp laïque, beaucoup de critiques ont été à juste titre formulées. De l’exploitation directe des biens immeubles par les associations cultuelles jusqu’aux lâchetés incurables de la macronie même quand elle se visse un drapeau laïque et républicain sur la tête, tout ou presque a été dit : le « en même temps » a depuis fait son œuvre. Il divise certes, mais il ne contente jamais personne. Ni les islamistes, ni même les laïques sincères, en l’espèce.

      Mais nous allons parler ici d’une liberté, pas n’importe laquelle, mise à mal par un article de ce texte assez méconnu et qui a peu fait couler d’encre, à droite comme à gauche, au sein des sphère laïques comme au Conseil d’Etat, qui chacun dans leur couloir, n’ont strictement rien trouvé à y redire.

      L’article 20, devenu l’article 46 de la loi définitivement adoptée hier, autorise, en substance, les parquets à poursuivre certains délits de presse en procédure accélérée de comparution immédiate. Ce texte modifie ainsi l’article 397-6 du Code de procédure pénale (lequel excluait expressément du champ de la comparution immédiate les délits de presse) et autorise l’application de ce régime aux infractions aux articles 24, 24 bis et 33. 3e et 4e alinéa de la Loi du 29 juillet 1881, sauf lorsque celles-ci auraient été commises sous le contrôle d’un directeur de publication. Cette évolution constitue un bouleversement majeur bien peu commenté.

      En clair, il s’agit de permettre la comparution immédiate pour les délits d’apologie de crimes de guerre, de négationnisme (art. 24 bis L. 29 juillet. 1881), d’incitation à commettre des violences, mais aussi (et surtout) de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap (art. 24 L. 29 juillet 1881).

       A première vue, on pourrait applaudir, ce féliciter que ces valeurs sociales protégées par la Loi de 1881 bénéficient d’un régime procédural accéléré : ne peste-t- on pas régulièrement contre les lenteurs de la justice, plus particulièrement s’agissant des délais de jugement des juridictions spécialisées en matière de presse ? Ne s’est-on pas suffisamment offusqué du sentiment d’impunité, avec lequel certains multirécidivistes tristement célèbres se sont illustrés ? On peut comprendre que les provocations réitérées de personnages tels qu’Henri de Lesquen ou Soral et leur décontraction devant la 17ème puissent en exaspérer plus d’un. L’affaire Mila de son côté, a également rappelé à quel point la violence des mots et les menaces en meute ne peuvent laisser la société et ses représentants indifférents. Tout cela est vrai. Alors, pourquoi s’inquiéter de cet article 46 ? Quel mal y aurait-il à redouter que demain, des petits Alain Soral soient arrêtés à 6 heures du matin sur ordre du tout nouveau parquet « anti-haine », jugés dans la journée et même, pourquoi pas, incarcérés sur le champ ? (ce que permet par dérogation au droit commun le régime de la comparution immédiate y compris pour des peines inférieures à un an d’emprisonnement – art. 397-4 CPP). Il n’est pas question de remettre ici en cause les infractions de presse précitées : apologies, négationnisme, appels à la violence ou à la haine raciste ou toute forme de déterminisme réprimée peuvent être poursuivies. Pourtant, ce texte est dangereux.  

      Dangereux, car il inhibe les garanties du débat qui sont le propre d’un procès de presse. Un débat contradictoire, mais surtout, un débat serein, où le temps est souvent nécessaire et dans lequel le Juge doit distinguer avec une particulière minutie, ce qui relève de la liberté d’expression de ce qui n’en relève pas.

      On pourrait croire que cette ligne rouge est facile à distinguer si l’on se réfère aux seuls exemples qu’illustrent les susnommés. Évidemment, il ne faut pas cinq minutes pour intellectualiser puis qualifier en droit chacun des propos qui ont valu condamnation à des personnages dont l’antisémitisme ou le racisme puants sont devenus, au fil des années, des marques de fierté et même de reconnaissance pour leurs publics.

      Il n’en n’est pourtant rien et cette ligne rouge est, dans bien des cas, difficile à tracer. C’est ici que les choses se compliquent et que la minutie avec laquelle on juge un propos est capitale. Car le droit et plus exactement la procédure, ne distingue pas entre une incitation outrancière à la haine et une incitation plus intellectualisée. Entre un propos certes alambiqué et qui peut choquer certains publics et une invitation à haïr sans ambiguïté. Chacun, de bonne foi ou non, animé par sa haine ou par ses convictions, est logé à la même enseigne lorsqu’il doit défendre son propos en justice.

      Du reste, beaucoup des infractions faisant l’objet de l’aménagement procédural de l’article 46 de la Loi adoptée hier, sont aujourd’hui et plus que jamais, des infractions qui servent également de fondement aux poursuites dirigées contre des citoyens engagés, anonymes ou médiatisés, politiques ou intellectuels, lanceurs d’alerte, qui prennent leur part de risque dans le débat public lorsqu’ils décident d’aborder des thèmes sensibles tels que celui de l’islam politique,

      du pacte républicain, des avancées sociétales ou des mœurs. C’est ici que l’exercice du droit de la presse prend souvent l’allure d’une chirurgie à cœur ouvert de la démocratie.

       L’exemple le plus parlant qui vient à l’esprit est le procès intenté en 2016 à l’historien et ancien responsable du mémorial de la Shoah, Georges Bensoussan. Par deux fois, en première instance et en appel, le Parquet soutenait – contre toute évidence juridique au regard des propos poursuivis et de leur contextualisation par son auteur, que Georges Bensoussan se serait rendu coupable d’incitation à la haine, délit prévu et réprimé par l’article 24 de la loi de 1881. Précision importante : ses propos avaient été tenus lors d’un direct, ce qui revient à indiquer qu’en l’absence de directeur de publication, l’article 46 aurait pu trouver dans ce cas application *(1).

       Pour s’imaginer un instant les conséquences que peuvent avoir l’application du régime de la comparution immédiate que dispose ce tout nouveau texte de loi sur la liberté d’expression et le débat public, il faut rappeler ce qu’implique ledit régime : il s’agit au départ de juger immédiatement des flagrants délits ou larcins pour lesquels une répression rapide était synonyme d’efficacité. Cette efficacité s’opère souvent au détriment de la défense. Car si les droits de la défense y sont techniquement présents, il est permis d’affirmer qu’ils ne s’exercent certainement pas dans d’aussi bonnes conditions que lors d’un procès pénal classique et a fortiori dans celles d’un procès de presse. Arrestation, garde à vue, défèrement au parquet, dépôt, rencontre souvent de moins d’une heure avec un avocat, jugements à la chaîne et mandat de dépôt sont souvent de mise.

      Justice d’exception ? La preuve par l’exemple

       Nous sommes ici aux antipodes du déroulement normal d’un procès de presse qui permet de décortiquer souvent pendant des heures un propos et surtout de juger ce propos à l’aune d’une actualité, d’un contexte et en bref, dans le but de protéger le débat nécessaire dans une société démocratique.

      Imaginer un intellectuel comme Georges Bensoussan privé de l’audience d’une journée au terme de laquelle il a pu s’exprimer et faire part au Tribunal de son inquiétude qui lui valait poursuites, faire citer ses témoins, prendre le temps, pendant des heures, de contre argumenter et de démonter la tartufferie de ses adversaires, cela tiendrait de l’impossible.

      Évidemment, deux choses peuvent ici être objectées : d’une part, le prévenu a toujours le choix d’être jugé ultérieurement et pas en comparution immédiate. D’autre part, l’article 46 ne sera applicable qu’aux affaires en état d’être jugées. Cela est juste. Pour autant, deux autres choses doivent encore être dites pour y répondre : pour la première, on rappellera qu’en cas de refus du prévenu de comparaître immédiatement, l’usage d’un strict contrôle judiciaire et même très souvent du mandat de dépôt est possible et même courant, à tel point qu’il constitue en pratique un moyen de dissuasion qui amène nombre d’avocats à conseiller sauf exception d’être jugé en comparution immédiate *(2). Pour la seconde, il faudra déterminer ce qu’est une affaire en état d’être jugée : qui s’en chargera, si ce n’est en premier lieu le parquet ? Il faudra donc s’en remettre au parquet qui, bien souvent dans les affaires de presse, fait montre d’une approche étonnante, pour ne pas le dire, déconcertante.

      Les affaires concernant des lanceurs d’alerte comme Georges Bensoussan, Mohamed Louizi ou tant d’autres l’ont hélas illustré. Que dira ensuite la formation de jugement du tribunal ? On s’écarte ici notablement des garanties entourant la liberté protégée par les articles 10 de la Déclaration de 1789 et de la Convention européenne de sauvegarde des droits fondamentaux.

       Il ne peut raisonnablement être soutenu que cet article 46 n’aura aucune conséquence sur la liberté d’expression et ne porte pas en germe un effet d’auto censure de l’intellectuel, du journaliste, du politique et surtout, du citoyen qui s’engage, qui risquent de s’engager beaucoup moins car ils n’auront peut-être pas envie de faire l’objet d’une telle procédure accélérée qui ne permet absolument pas en l’état d’offrir les garanties du procès de presse.

       Car, par ailleurs, si le texte ne s’applique pas aux propos tenus sous la responsabilité d’un directeur de publication, cette situation n’est plus l’apanage du journalisme et du débat public à l’heure des réseaux sociaux et des chaînes en direct d’information.

       Pire, en assumant de distinguer le régime qui serait applicable au journaliste et au citoyen, ce projet instaure dans le droit une tendance actuelle tout à fait à l’opposé de l’esprit dans lequel la Déclaration de 1789 s’est forgée. En modelant peu à peu une liberté d’expression à deux vitesses, on conteste ainsi au citoyen lambda le bénéfice des garanties procédurales qu’on laisse au journaliste.

      Des conséquences délétères

      Cette tendance, déjà existante et exacerbée depuis 4 ans, s’illustre dans ce texte et elle est dangereuse. Car si des protections dérogatoires permettent aux journalistes de leur garantir de pouvoir librement informer – on pense ici au secret des sources – , en aucun cas il n’a été envisagé de permettre à certains de s’exprimer dans un cadre juridique distinct de celui des autres. Chacun est libre de publier ses idées et de débattre publiquement.

      Dernier point pratique mais non des moindres : l’article 46 ne s’accompagne pas d’une modification du Code de l’organisation judiciaire et rien n’est precisé s’agissant de la formation en charge de juger ces délits de presse : or l’on sait que la technicité de cette matière amène nombre de tribunaux, dont le Tribunal Judiciaire de PARIS, à affecter à des chambres spécialisées de telles affaires.

      Qu’en sera –t-il de ces procès de presse d’un genre nouveau ? Nous ne le savons pas et il est à craindre que des débats jusqu’alors préservés des contraintes de certaines chambres correctionnelles doivent désormais se réduire à peau de chagrin au détriment de la Liberté d’expression.

       Le développement des réseaux sociaux génère son lot de malfaisances et de problèmes parfois colossaux à résoudre, particulièrement dans l’intérêt des démocraties. Y répondre n’est pas facile et prendra sans doute le temps du recul que nous n’avons toujours pas.

      Mais y apporter de fausses solutions, qui plus est lorsqu’elles risquent de porter une atteinte inconsidérée à la protection de la liberté de la presse instituée depuis 1881, est parfaitement déraisonnable. Car la lutte contre les idéaux de haine est un combat politique qui nécessite de traiter des causes de ladite haine, pas de les aseptiser. Cette lutte requiert un cadre, pas une neutralisation préventive du débat. Ni la baisse du niveau de violence, ni la régulation des propos condamnables, ne doivent justifier d’y porter atteinte sous peine de mettre gravement en cause un des principes piliers de notre République.

      Alors, pensons à ces députés et politiques ayant salué ou voté ce texte qui, demain, pourrait viser chacun d’entre eux si, à l’occasion d’un débat un peu complexe et agité sur des questions telles que celles qui ont valu à Georges Bensoussan de comparaître, leurs propos rencontraient par malchance l’interprétation politique, les inepties de parties civiles et l’erreur de droit, pour ne pas dire, un manque absolu de courage et de clairvoyance d’un Parquet.

      La liberté d’expression dont principes sont posés par l’intangible déclaration des droits de l’homme et du citoyen, avec le texte fondamental la loi de 1881, font l’objet de destruction méthodique volontaire et calculée par ce pouvoir.

      *(1) L’article 395 al. 2 du Code de procedure pénale permet l’application du régime de la comparution immédiate aux délits punis d’une peine d’emprisonnement d’au moins six mois, lorsque le cadre d’enquête est celui du flagrant délit, ce qui est parfaitement concevable s’agissant dun propos dont se saisirait un service d’investigation quelques heures après sa publication. La provocation à la haine est quant à elle réprimée d’un an d’emprisonnement maximum.

      *(2)Toutefois et en l’état, cette hypothèse de détention provisoire serait réservée en droit de la presse aux infractions prévues et réprimées par les articles 23 et 24 al. 2 à 4 de la Loi de 1881, par application des dispositions de l’article 52 du même texte. Encore que l’article 46 de la Loi nouvellement adoptée n’évoque rien de ce point ni des contradictions qu’il institue entre, d’une part, l’article 52 de la Loi de 1881 qui limite le recours à la détention provisoire et, d’autre part, le régime de la comparution immédiate rendu désormais applicable ( l’article 46 de la loi nouvelle renvoyant aux articles 393 à 397-5 du Code de procedure pénale). Dont l’article 397-3 al.2 du Code de procédure pénale, qui permet en cas de délit flagrant puni d’au moins six mois d’emprisonnement, le placement en détention provisoire.

      Partager via Gmail Yahoo! Pin It

      votre commentaire
    • Lors d’une manifestation devant l’Assemblée nationale, en 2019, Sebastien Maillet a vu sa main arrachée par une grenade de la gendarmerie. Pour la justice, le lancer de la GLI-F4 était ni nécessaire ni proportionné. Il y a faute de l’Etat. Révélation de Blast.

      ____________________________________________________________

      Le 9 février 2019, c’est l’acte XIII des Gilets Jaunes. L’itinéraire parisien est dûment déclaré en Préfecture, autorisé par la même, et le cortège fait halte devant l’Assemble nationale. Plusieurs pelotons de gendarmerie sont positionnés, dont celui de Lodève. Les grilles avant du Palais Bourbon sont recouvertes de planches, pour cause de travaux. Sur les planches, de grandes photographies vantent les lieux ; un graffiti demande «où est l’entrée ?» ; un autre répond «le débat, c’est dans la rue». On entend des cris, des slogans, et des chants. Quelques projectiles volent, et c’est le festival de gazage. Des lacrymos en pagaille.

      "Sebastien Maillet, plombier, 29 ans, vient de perdre sa main droite"

      Soudain, à la hauteur du passage piéton qui mène du pont de la Concorde vers l’Assemblée, une explosion déchire les airs. Et d’autres cris, mais différents — des cris de douleur et d’effroi. Sebastien Maillet, gilet jaune d’Argenteuil, est emmené à l’abri, au pied des jardins de l’Assemblée. Ce jour-là, Sebastien ne porte pas son gilet, mais un brassard, car enfiler le gilet jaune à Paris, c’est désormais s’assurer des contrôles à répétition. Des street medics prennent immédiatement en charge Sébastien. On lui fait un garrot, encore des cris, une femme demande qu’on se pousse, « écartez vous, écartez vous », répète-t-elle. Plusieurs vidéastes saisissent la scène et au moins deux lives la retransmettent. Sebastien Maillet, plombier, 29 ans, vient de perdre sa main droite. Une grenade explosive a tout déchiqueté: la paume, les doigts — et son avenir.

      Lors du seul mouvement des gilets jaunes, la grenade offensive GLI-F4, contenant 26 grammes de TNT, cataloguée arme de guerre dans le Code de sécurité intérieure, depuis retirée des dotations de la police, mais remplacée dans le même temps par une autre, a coupé cinq mains et au moins un pied. Sébastien, c’est également la dernière scène d’Un pays qui se tient sage.

      Plus de deux ans après le drame, la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) affirme, le 10 juin 2021, que le tir effectué par le lieutenant L., commandant du peloton d’intervention, n’était ni proportionné, ni nécessaire — les deux piliers du maintien de l’ordre. Et donc, qu’il y a faute. De l’État. La CIVI octroie 8000 € à Sébastien, en guise de provisions, sur les 100 000 demandés, en attente d’expertises ultérieures. Blast révèle sa décision:

      Dans le jugement du tribunal judiciaire de Paris, la CIVI rappelle que « Sébastien Maillet n’exerçait pas de violence ou de voie de fait à l’encontre des forces de l’ordre juste avant les faits » et constate « que la grenade lacrymogène instantanée a été lancée à un endroit […] qui n’était pas vide de manifestants, alors que le lancer s’est déroulé dans des conditions de visibilité peu satisfaisantes puisqu’il avait été fait usages de plusieurs bombes lacrymogènes. En outre, le lancer doit être considéré comme ni nécessaire, ni proportionné à la réalité des violences subies par les forces de l’ordre ».

       

      Fac similé de la décision de

      la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI), 10 juin 2021  

       

      "C'est bien fait pour sa gueule"

      Le jour du drame, Yves Lefebvre, alors secrétaire général d’Unité SGP Police-FO, déclare sur C-News que « c’est bien fait pour sa gueule ». Il affirme, sans preuve, que Sebastien a voulu ramasser la grenade ; ce dernier a toujours expliqué avoir voulu s’en protéger (sa version est celle retenue par la CIVI, après «avoir étudié les différents témoignages et les films vidéos »). La sentence du représentant syndical, majoritaire chez les gardiens de la paix, sera un tournant. Depuis, c’est le flot de paroles detestables à jet continu sur les chaînes d’info en continu.

      Le soir même, l’IGGN, équivalent de l’IGPN chez les gendarmes, se précipite au chevet de Sébastien Maillet. Son avocat, Arié Alimi, raconte: « des gendarmes voulaient entendre Sébastien alors même que, complètement sédaté, il était dans un état qui ne lui permettait pas de répondre ». Les couloirs de l’hôpital Pompidou, dit-on, se souviendraient encore de la passe d’armes entre l’avocat et les pandores. Dans d’autres affaires, la précipitation à entendre telle ou telle victime de violences policières masquait mal l’envie de faire dire, et d’orienter les investigations à venir… Début mars 2019, Emmanuel Macron, interpellé sur les mutilés parmi les manifestants, déclare: « Ne parlez pas de violences policières ni de répression, ces mots sont inacceptables dans un état de droit ». Et le 19 mai 2021, c’est exactement au même carrefour, au pied de la même Assemblée nationale, que le secrétaire général d’Alliance, Fabien Vanhemelryck, lancera: « le problème de la police, c’est la justice !». Sous les acclamations de dix mille policiers-manifestants, et d’une poignée d’élus. Images saisissantes d’écharpes tricolores, les yeux tournés vers le toit-terrasse du car des patrons syndicaux, comme un symbole de soumission du législatif à l’exécutif.

      "On a de plus en plus d'instructions qui aboutissent"

      Pour Arié Alimi, la décision de la CIVI constitue « une véritable victoire alors que l’instruction n’est pas terminée ». Selon lui, la justice aurait dorénavant « conscience que la question des violences policières a pris une ampleur démocratique. On a de plus en plus d’instructions qui aboutissent, de poursuites à l’encontre de policiers et, maintenant, d’indemnisations ». Concernant Sébastien Maillet, l’enquête pénale est en effet en cours. Aucune date de clôture de l’instruction n’est avancée. Comme pour Jérôme Rodriguez, éborgné place de la Bastille, ou Gwendal Leroy, idem, à Rennes, et une dizaine d’autres. Quant au dossier IGGN de l’affaire Maillet, il comporte moultes expertises et auditions, dont certaines soulignent la dangerosité de la GLI-F4, et son caractère aléatoire.

      Officiellement, les GLI-F4 ont été retirées de l’arsenal des gendarmes en 2020, pour être remplacées par les GM2L, censées être plus sûres. Côté police, les GLI-F4 ont été détruites à Limoges, au Centre logistique de la Police nationale. Des milliers, à 40 euros pièce. Selon de bonnes sources à l’Intérieur, quelques-unes auraient néanmoins été conservées, ici ou là, « à titre de démonstration », environ 1% du stock restant. Quant au centre d’entraînement de Saint-Astier, en Dordogne, plaque tournante du maintien de l’ordre chez les gendarmes, il aurait, lui, multiplié ces derniers mois les expertises sur leur remplaçante, les GM2L. Pour laisser entendre que celles-ci ne seraient pas si fiables. Indiscrétion recueillie par Blast ce samedi matin, alors qu’à Redon, un jeune tefeur de 22 ans a perdu la main, lors d’affrontements avec la gendarmerie (une enquête a été ouverte).

      Indemnisation provisoire pour Sebastien Maillet. Explications d'Arié Alimi. mi, avocat,
      Sujet réalisé par Antoine Etcheto / Blast

      Quant à Sébastien, aujourd’hui, il porte une prothèse. Elle a coûté une vie de plombier, qu’amputé, Sébastien ne peut désormais plus connaître : près de 30 000 euros. Avec ce qui lui reste de muscles, Sébastien peut ouvrir et fermer la main mécanique. Avec l’application qui la pilote, il peut soulever, pincer, ramasser. Lors des entretiens d’embauche, dès que la conversation glisse sur le pourquoi de cette main qui manque, les visages se crispent, avec des rictus qui disent que personne-ne-veut-avoir-affaire-avec-la-police. Sébastien essuie refus poli sur refus poli. Pour lui, cette décision de la CIVI, c’est tout sauf une question d’argent, mais bien de reconstruction: « C’est la première reconnaissance de ce qui m’est arrivé. Jusqu’ici, on me cataloguait coupable. Maintenant, c’est à l’Etat de répondre ».

      Sebastien Maillet
      Un pays qui se tient sage / Bureau films

      ______________________________________________________________________________

      Crédits photo/illustration en haut de page :
      Acte XIII des Gilets jaunes devant Assemblée nationale, Edouard Richard et Hans Lucas via AFP.

      ______________________________________________________________________________

      source: https://www.blast-info.fr/

       

      Partager via Gmail Yahoo!

      votre commentaire


      Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
      Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique