• Ehpad. Un trop plein d'émotions et de colère (LT.fr 31/01/2018)

     

    Ronan Larvor et Delphine Tanguy Un flot de paroles, de sentiments qui s'échappe d'un seul coup. Dans la manifestation qui a réuni autour de 1.800 personnes, hier, à Quimper, il y avait les douleurs d'un secteur qui touche au coeur de la vie et que l'on voudrait ne pas voir. En souffrance, les personnels dédiés aux personnes âgées veulent pourtant aimer leur métier.

    Elles sont une quinzaine, employées de l
     
    'Ehpad d'Audierne, un établissement public géré par l'hôpital de Douarnenez. « Le rythme de travail est de plus en plus soutenu avec des résidants dont 80 % ont des problèmes cognitifs, disent-elles d'une même voix. Il nous arrive d'accueillir des personnes de moins de 60 ans qui ont des problèmes psychiatriques et n'ont pas de place en établissement. Nous ne sommes pas formées à cela. On nous ramène toujours à l'argent quand nous voulons parler de l'humain ». Le personnel soignant de l'Ehpad Ti Glazik dépendant lui du centre hospitalier de Quimper, avait organisé un rassemblement avec des familles de résidants, dans la matinée, sur le site. « L'organisation du personnel a changé depuis le début de cette année, dit une aide-soignante. Il y a moins de personnel pour les soins. On nous a demandé de les "optimiser". Nous ne voulons pas tomber dans la maltraitance mais nous ne sommes plus dans nos valeurs ». « Dans ce contexte, le peu d'autonomie de certains résidants disparaît vite », ajoute Karine Goanec, secrétaire générale CGT du Chic. Ce mardi, dans les rues de Quimper, les personnels d'établissements associatifs et privés étaient aussi présents. Ludovic, Karen, Céline, Gisèle et Michèle sont descendus de l'Ehpad de Plouzané (Association des Genets d'Or). « Je touche 1.000 € par mois à 85 %, dit une aide-soignante. Je ne pourrais pas prendre un temps plein car je suis déjà trop fatiguée ». « Moi, c'est 1.600 € par mois pour 25 ans d'ancienneté, à travailler un week-end sur deux, dit un autre. Comme il y a 300 € de primes sur cette somme, la retraite sera dérisoire et encore, je suis privilégié. Que l'on ne nous dise pas qu'il n'y a pas de moyens quand on voit les 40 milliards d'euros donnés aux entreprises avec le CICE. Il y a un choix de société à faire car aujourd'hui, les politiques prennent en otage la génération qui s'est battue pour les congés payés, pour la Sécurité sociale. On ne doit pas spéculer sur nos aînés ». Un autre groupe de salariées de l'association d'Aide et soins à domicile Archipel, rapporte le même sentiment. « Nous avons de plus en plus de travail pour que les personnes restent à domicile car elles ne veulent pas aller en Ehpad, elles disent que c'est l'antichambre de la mort, dit une auxiliaire de vie sociale. Pour nous, ce travail supplémentaire c'est plus d'arrêt de travail pour scolioses, tendinites. Mais nous aimons notre métier ». Ce que vient confirmer le témoignage de cette aide-soignante d'un Ehpad de Saint-Renan : « Les jeunes ne restent plus, c'est trop dur physiquement. On les lâche sans expérience ». « Les conditions se dégradent depuis une quinzaine d'années. Là, ce n'est plus supportable pour le personnel et pour les personnes âgées. Les aides-soignants en sont à solliciter les familles pour venir donner à manger aux résidants » s'insurge Pascale Robardet, ancienne aide-soignante en Ehpad et permanente du syndicat Sud au CHRU de Brest. « Les soignants sont arrivés à un point, où ils rentrent chez eux en pleurant. Il y a un taux d'absentéisme et d'accident du travail qui est phénoménal », poursuit cette dernière.
     
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    « J'ai regretté de ne pas avoir porté plainte »
    Des familles de résidants - et même des résidants - participaient à la manifestation. La Quimpéroise Annick Beaugrand, veuve depuis six mois, aurait aimé en être, mais, en pleine phase de rééducation après une vilaine fracture, elle n'a pu s'y rendre. Alors, « pour participer à l'amélioration des conditions de vie du personnel et des résidants », elle a voulu témoigner. Son mari, décédé en août dernier, est resté quatre années dans un Ehpad quimpérois. Il a d'abord intégré le « Cantou » (l'aile accueillant les personnes souffrant de troubles cognitifs). « Ma souffrance, c'était de voir mon mari là-bas et de rentrer seule. Nous étions mariés depuis 54 ans. Nous formions vraiment un couple uni. Alors je me suis vraiment engagée ». Elle y menait des jeux de mémoire, de petites animations...

    « J'ai regretté de ne pas avoir porté plainte »

    Puis, une nuit, il s'est cassé le col du fémur. « Je crois qu'il n'y avait pas de personnel... Il a été trouvé au matin. On l'a mis sur une chaise. Quand je suis arrivée, j'ai vu qu'il souffrait. J'ai appelé le chef infirmier. Mon mari a été opéré du col du fémur en urgence. À son retour, il ne bougeait plus, ne parlait plus... Il a été mis en Ehpad. J'allais le voir quotidiennement, pour le faire manger le soir. Comme ça, j'étais avec lui ». Elle a observé ainsi les cadences auxquelles était soumis le personnel : « Je mettais une heure pour faire manger mon mari. Dans les autres chambres, c'était dix minutes. Et pour éviter les "fausses routes" (fragments d'aliments mal déglutis, NDLR), on préparait des repas mixés aux malades d'Alzheimer. Il y avait toujours du potage mais aussi, souvent, de la semoule. Un jour, ils ont servi le chili con carne du midi mixé, une autre fois des merguez mixées... C'était très insuffisant. Il y avait même, le week-end, un repas charcuterie-chips ! Ça a été supprimé... Courant février dernier, j'ai trouvé un morceau d'os de poulet dans son repas mixé. J'ai regretté de ne pas avoir porté plainte, ça aurait peut-être fait bouger les choses ».

    « Les gens macèrent dans l'urine »

    Plusieurs fois, elle a constaté que son mari n'avait pas été lavé, faute de personnels. « D'ailleurs, on me le disait quand j'arrivais. Je leur répondais : OK, mais ne le faites pas trop souvent quand même... ». Elle décrit aussi la toilette express. « Quand j'allais le voir, je le rasais car ce n'était pratiquement jamais fait. Et les changements des protections, c'était en fin d'après-midi, vers 17 h - 17 h 30. Après, c'était jusqu'au lendemain matin. Les gens macèrent dans l'urine, avec les grosses inflammations qui en découlent ». Au final, elle tire son chapeau aux personnels. « S'occuper de personnes âgées malades... Il faut les soigner, les manipuler, il faut beaucoup de douceur, de lenteur. Les brusquer déclenche chez eux une angoisse folle. Ça demande beaucoup de temps... elles n'en ont pas ». Son mari a fait une détresse respiratoire en août dernier. Il est décédé aux urgences. « J'ai eu plusieurs courriels d'aides-soignantes. Ça m'a beaucoup touchée ».
     
    « Des choix de société inhumains »
     
    Brigitte, 59 ans. Elle était dans les rangs de la manifestation avec une pancarte dédiée à Marinette, sa tante décédée fin décembre à l'âge de 92 ans. « Quand je suis allée lui rendre visite en décembre, elle était alitée et j'apprends qu'en raison d'une nouvelle organisation elle ne serait pas levée deux jours supplémentaires par semaine, en plus du week-end. Elle avait besoin d'aide car elle était paralysée après un AVC. Avoir le plafond pour horizon, c'est un peu court », témoigne cette retraitée de la fonction hospitalière qui allait la voir trois fois par semaine, à l'Ehpad du Bois Joly de Quimperlé, où celle-ci était résidente depuis 2015. « Au niveau psychologique, cela a été très difficile pour elle. C'était une femme simple mais qui a toujours aimé la liberté. Elle avait encore l'appétit de vie, l'envie de communiquer avec les autres », relate sa nièce qui a pu voir la colère et le désespoir de sa tante face à cette situation et s'en est émue dans un courrier adressé à la direction de l'établissement. Aujourd'hui, elle ne veut pas incriminer le personnel qui souffre du manque de moyen mais tient à dénoncer ces choix de société inhumains et des décideurs qui pensent aux personnes âgées comme à des produits qui ne rapportent pas suffisamment d'argent.
    Danièle. « Les salariés ne se plaignent pas d'être mal payés mais du manque de temps. Il y a des moyens très bien comme cette baignoire pour faire de la balnéothérapie mais ils ne peuvent pas s'en servir car il n'y a pas les moyens humains », émet cette représentante des familles de l'Ehpad de Prat Maria à Quimper. Et d'ajouter : « On a tous le même intérêt que ce soit les personnels, les familles ou les directeurs. Ce sont juste les financements qui ne permettent pas de marge de manoeuvre ».
     
     
     
    « Guerlesquin. Ehpad du Guic : le personnel dit « trop, c’est trop ! » (OF.fr-31/01/2018)prcf-infoluttes n°4-2018 -Résistons ensemble ! (25/01/2018) »
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