• Election présidentielle au Mexique: illusions réformistes et recomposition de l'hégémonie bourgeoise (déclaration du PC du Mexique)

    Election présidentielle au Mexique: illusions réformistes et recomposition de l'hégémonie bourgeoise

    Les résultats des élections fédérales mexicaines ont suscité l’émotion et ont agité partout les restes de la vieille social-démocratie internationale et des progressistes divers et variés. La « gauche » salue la lumière d’espoir qui se serait allumée suite à la victoire d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO), nouveau président mexicain. Son succès a réveillé un vieux fantasme, celui de la révolution de palais, une révolution sans violence et sans bouleversement des rapports sociaux-économiques, un « changement » qui passerait par les élections, par le respect des institutions libérales-démocrates et par un compromis possible entre les exploiteurs et les exploités. Ce qui plaît d’AMLO à la « gauche », c’est qu’il incarne parfaitement ce révolutionnaire de palais : il ne combat pas le système politique et économique en soi, mais seulement ses excès (notamment la corruption) ; il ne s’attaque pas à la domination des monopoles capitalistes, il veut seulement offrir quelques pansements pour que les pauvres se sentent un peu moins pauvres ; il ne divise pas la société mexicaine par l’introduction d’un discours et d’un programme de classe, mais au contraire il veut pacifier cette société justement en étouffant la lutte des classes à travers un discours de compromis construit autour de « l’unité nationale ».

    Pendant que les sociaux-démocrates s’agitent et rêvent d’un Mexique rose, pour les communistes il en va tout autrement quant à l’analyse du phénomène AMLO. La réalité de classe de sa victoire est sans appel : elle offre à la bourgeoisie mexicaine une sortie de secours de la crise sans précédent qu’elle-même a générée. AMLO offre la rédemption : la possibilité de continuer à exploiter sans la moindre remise en cause de la domination de classe ; la bourgeoisie n’aura qu’à accepter quelques mesures sociales négligeables, à accepter que tombent quelques têtes « trop » corrompues, et à profiter de la parenthèse AMLO pour se recomposer en tant que classe.

    Le commandement de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) avait prévenu déjà depuis le mois d’avril : l’hydre capitaliste ne permettrait pas un triomphe véritable d’AMLO, la mise en place d’un gouvernement de type nouveau, le maintien des promesses les plus avancées en faveur des classes populaires. L’EZLN a maintenant confirmé son constat à la suite des résultats électoraux : « Les contremaîtres, les intendants et les caporaux peuvent changer, mais l'agriculteur reste toujours le même ». Avec AMLO il n’y aura donc pas de changement dans les rapports de classe, mais seulement de la désillusion.

    Effectivement, l’hydre capitaliste a su engloutir et assimiler López Obrador pour faire de ce petit révolté un énième candidat du système. Ainsi, les élections mexicaines de 2018 ne sonnent pas le glas du vieux régime des dinosaurios : les bureaucrates sont à l’abri, et le capitalisme monopoliste l’est encore plus par le biais d’une bourgeoisie en recomposition. Cependant, la désillusion que provoque d’ores et déjà le gouvernement AMLO peut et doit être captée par les organisations révolutionnaires mexicaines, afin de réaliser l’unité de la classe prolétaire autour d’un programme de rupture réelle.

    C’est le sens de l’analyse avancée par le Parti Communiste du Mexique (PCM) au lendemain des élections, dans un communiqué que nous proposons, intégralement traduit, ci-dessous (traduction de l'UEC-Strasbourg).

     

    Déclaration du Bureau Politique

    du Parti Communiste du Mexique

    Election présidentielle au Mexique: illusions réformistes et recomposition de l'hégémonie bourgeoise

     

    Sur le résultat des élections présidentielles: recomposition de l'hégémonie bourgeoise.

     

    Le résultat des élections fédérales a confirmé la victoire présidentielle d’Andrés Manuel López Obrador et la constitution d’une majorité dans les chambres des députés et sénateurs issue de la coalition qui l'a désigné, qui obtient également la majorité au sein du gouvernement de Mexico et la majorité des gouvernements des États qui étaient disputés.

    Le résultat du vote populaire est conforme au choix que la plupart des monopoles au Mexique avaient déjà fait, exprimant leur soutien de différentes manières, intégrant leurs représentants dans la campagne électorale de la coalition, y compris les monopoles des médias Televisa et TV Azteca - autrefois ses adversaires et maintenant promoteurs de sa figure -. Les groupes économiques et leurs cadres politiques sont représentés dans les différentes équipes que présentait López Obrador, y compris son Cabinet : il est clair, sans ambiguïté, que le pouvoir des monopoles est assuré, que la dictature de classe de la bourgeoisie continuera.

    López Obrador a catalysé le malaise engendré par 36 années de politiques de privatisation qui ont minimisé les droits sociaux, syndicaux et démocratiques. Il l’a fait à travers un discours démagogique, avec l'ancienne recette de l'unité nationale - utilisée précédemment de 1936 à 1982 par le PNR-PRM-PRI -, un concept qui entend se placer au-dessus des antagonismes sociaux et de classe, comme étant une option supposée interclassiste, représentant également les exploités et les exploiteurs, les riches et les pauvres, les bourgeois et les prolétaires. La gestion néolibérale des gouvernements de Miguel de la Madrid, Carlos Salinas, Ernesto Zedillo, Vicente Fox, Felipe Calderón et Enrique Peña Nieto, a été responsable de la destruction de l'ensemble de l'ejido (propriété collective paysanne), de la dépossession des terres, de la destruction de l'enseignement public et de la sécurité sociale, de la privatisation des entreprises d'Etat, de l'appauvrissement accéléré de la population qui atteint 53 millions, de l'augmentation massive des émigrés, du recul constant des salaires face à l'augmentation irrésistible du panier moyen et du coût de la vie, du chômage, et aussi de la violence généralisée déclenchée dans la soi-disant guerre contre la drogue qui dure depuis plus de dix ans, laissant plus de 200.000 morts et disparus. L’ensemble de ces politiques néfastes a généré une insubordination ouvrière et populaire latente, avec des manifestations différentes au cours des dernières années. Cependant, cela a été temporairement contrôlé sous les illusions d'un changement dans la coalition d’Obrador. Mais l'aspiration à résoudre les problèmes essentiels de la classe ouvrière et des secteurs populaires sera déçue : dans la même lignée que son Projet Alternatif de Nation, ses discours et ses opinions, ses alliances, López Obrador en tant que président élu a déjà ratifié les mesures qui donnent un aperçu clair de son mandat. C’est-à-dire : l'autonomie de la Banque du Mexique, la discipline financière et fiscale, le respect des engagements avec les banques et les organisations financières internationales, et aucune expropriation ou confiscation. Il a également confirmé que sa lutte contre la pauvreté sera basée sur des palliatifs, sur des mesures d'aide sociale pour les personnes âgées, les personnes handicapées et des bourses pour les étudiants. Il tente donc de traiter un cancer en phase terminale avec de l'aspirine. Ce n'est pas un hasard si ce qu’il entend affirmer en premier lieu est la garantie de la liberté d'entreprise, un signe de distinction du projet de classe qu'il représente.

    Un autre élément démagogique du discours d'Obrador est que ce serait en résolvant le problème de la corruption qu’on résoudrait les grands problèmes nationaux. Plus encore, López Obrador estime que la corruption est la base de "l'inégalité économique et sociale". Insistant sur cette idée, en opposition à l'argument scientifique selon lequel la racine du problème est l'exploitation du travail salarié et l'appropriation privée de la richesse produite socialement, il maintient comme innovation théorique de son invention que la corruption est la racine des problèmes du Mexique. Avec l'honnêteté et l'austérité, il pourra blanchir, maquiller le capitalisme, mais aucun problème n'aura de solution tant que, dans le conflit capital/travail, la balance penche du côté du profit et de l'accumulation en faveur de la bourgeoisie. Atténuer les problèmes, éteindre le feu, appliquer le contrôle des dommages, est la tâche que López Obrador promet, pour assurer la stabilité du système dans une période de turbulence, démobilisant ceux qui ont voté pour un changement et provoquant à long terme un reflux de la lutte sociale.

    Une autre question doctrinale que nous ne pouvons ignorer est sa conception de l'État et de ses fonctions : revendiquant l'idéologie bourgeoise issue de la Révolution mexicaine, il conçoit l'État comme au-dessus des classes sociales, comme l’expression représentative de la citoyenneté, des « riches et pauvres ». Cette formule a servi autrefois à la bourgeoisie pour gouverner et pour construire des consensus sociaux, c'est-à-dire à identifier les exploités avec les intérêts de leurs exploiteurs.

    Une idée qui est renforcée par le triomphe d'Obrador est celle de la « transition démocratique ». Dans la voix des centres d'affaires, de leurs stylos et leurs organes, l'illusion que le pouvoir étatique exercé sur les travailleurs émane du peuple lui-même tient sa "démonstration" par ce troisième changement de parti au pouvoir, qui détermine la composition du cabinet et exerce le pouvoir exécutif. Le Parti, le gouvernement, la direction ont changé, mais pas l'Etat. Ce discours masque le fait que, quel que soit le changement de parti, les mêmes centres d'affaires concentrent le pouvoir économique et que, précisément à travers ce pouvoir économique, déterminent la réalité du pays. Ils dirigent, à travers une myriade de cadres placés ou cooptés par eux-mêmes, les fonctions du pouvoir d'Etat : cet Etat ne prendra aucune mesure qui ne respecte pas leurs intérêts, et sans affecter leurs intérêts tout changement des conditions de vie des travailleurs est impossible. Par exemple, au-delà de l’entourage honnête du mandataire en question, que se passera-t-il concrètement lorsque l'IMSS (Institut Mexicain de la Sécurité Sociale) ou l'INFONAVIT (Institut du Fonds National pour le Logement des Travailleurs) accepteront que les entreprises déclarent des salaires inférieurs aux salaires réels ? Est-ce que cette corruption sera extirpée par une simple décision de l'exécutif ?

    En vertu de ces conceptions, en tenant compte de l'expérience historique et des lois du capitalisme, il sera nécessaire, pour assurer la « liberté d’entreprise », pour remplir ses accords avec les monopoles, et suivant ses critères interclassistes, de réaliser des pactes ou des accords entre ouvriers et patrons, dans lesquels la classe ouvrière devra resserrer sa ceinture pour que le capital maximise ses profits. Selon ces conceptions, récupérer les droits du travail et les droits sociaux n'est pas une priorité : ce sont des exigences qui doivent finir aux archives. Au contraire, le PCM se battra avec les travailleurs pour renverser la réforme du travail approuvée par le Pacte pour le Mexique en 2012.

    Carlos Salinas et López Obrador se sont trouvés d’accord sur le fait qu’il est temps pour la réconciliation nationale. Les candidats Meade et Anaya ont reconnu rapidement et avec élégance la victoire d’Obrador, un événement sans précédent et applaudi par l'opinion publique. Que signifie cette pantomime ? En premier lieu, que les conflits inter-bourgeois sont maintenant résolus dans des cadres institutionnels, et qu’il est temps de resserrer les rangs pour surmonter la crise économique et de domination. Ces réactions ne sont pas une surprise pour les communistes : avant les élections, à notre Conférence Politique, nous avons affirmé que la bourgeoisie avait déjà choisi de permettre à un gouvernement de la nouvelle social-démocratie de gérer ses intérêts et de surmonter les conflits auxquels elle est confrontée. L’inconfort, l'insatisfaction, les conditions objectives de la faim, le chômage, la pauvreté, l'exploitation, l'insalubrité, les bas salaires, l'émigration, les féminicides et les centaines de milliers de morts, tout cela a produit des éclosions qui montrent qu'il existe une disposition de la classe ouvrière et des secteurs populaires à aller plus loin : les protestations pour Ayotzinapa, les protestations contre l’augmentation du prix de l’essence, les centaines de conflits qui confirment une tendance invariable et croissante à l'insubordination. Et c'est l'une des significations de l'élection d’Obrador : la recomposition de l'hégémonie bourgeoise, réalisant qu’une part importante de la volonté populaire identifie à tort ses intérêts avec ceux de ses oppresseurs et exploiteurs, avec la médiation de la nouvelle social-démocratie, qui à partir de maintenant prend la relève du conseil qui gère les intérêts du capital dans notre pays : l'État mexicain. Il ne s’agit pas d’une défaite infligée au « système politique » par AMLO ; au contraire, c’est sa bouée de sauvetage avec l'unité nationale et la réconciliation nationale, qui signifient en pratique la protection de la légalité bourgeoise et du système actuel des partis contre la délégitimation et la haine qu'ils ont gagnées.

    Nous notons qu'une frange des secteurs populaires décide pour la première fois de s'exprimer politiquement ; plusieurs millions qui, n'ayant pas d'autre choix dans les bulletins de vote, décident d'exercer le vote pour la première fois, participent d'une manière ou d'une autre à la vie politique. Ce n'est pas notre intérêt que les gens désillusionnées retournent à l'apolitisme. Ajoutés à une grande partie de la masse des électeurs d’Obrador, ils expriment aujourd'hui une volonté de changer et de manifester leur fatigue, sans nécessairement assumer le projet d'Obrador. Nous avons le devoir d'expliquer massivement la proposition communiste du pouvoir ouvrier comme une solution objective et nécessaire aux grands problèmes nationaux. Sur cette frange de la population prolétaire nous déclarons ouvertement que notre intérêt est qu’elle ne soit pas immobilisée, qu’elle franchisse la porte de la participation politique et qu’elle rejoigne la lutte pour imposer ses intérêts avec la classe ouvrière.

    De la même manière que contre Peña Nieto, notre lutte se poursuit contre l'Etat bourgeois continué dans le gouvernement de López Obrador. Nous appelons les travailleurs :

    ♦ A se battre pour reconquérir les contrats collectifs, à rétablir par les faits le droit de grève, le droit d’organisation syndicale, l'échelle mobile des salaires, à mettre fin aux impôts sur le travail. A inverser la réforme du travail et la réforme de l'éducation.

    ♦ A lutter pour mettre fin à la compromission des syndicats (charrismo), pour mettre fin aux chefferies dans le mouvement ouvrier, pour la syndicalisation massive, pour l'unité syndicale, pour la reconstruction du mouvement ouvrier à partir de ces positions de classe.

    ♦ A se battre pour récupérer des pensions et des retraites décentes, et mettre un terme aux néfastes AFORES (Administradoras de Fondos para el Retiro). Pour renforcer la sécurité sociale.

    ♦ A se battre pour que l’Etat assure le logement, la sécurité sociale et la santé pour tous les travailleurs, formels et informels.

    ♦ A lutter pour l'expropriation de tous les biens mal acquis, résultats du processus de privatisation, et pour le contrôle des travailleurs sur les moyens de production concentrés. Pour la nationalisation des banques, du commerce extérieur et du régime de change.

    ♦ A se battre pour l'extirpation radicale de toute la base du réseau économique et politique de l'industrie du trafic de drogue, qui assassine, fait disparaître et détruit les familles ouvrières.

    ♦ A lutter pour rompre avec l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) et avec tous les accords avec le FMI et la Banque Mondiale.

    ♦ A se battre pour annuler la dette extérieure.

    ♦ A exiger la restitution – vivants – des étudiants normaliens d’Ayotzinapa et des milliers de disparus, et la punition des coupables, ce qui implique nécessairement la punition de Peña Nieto et d’Angel Aguirre, ainsi que de ceux qui sont responsables d'avoir dirigé le gouvernement de l’Etat de Guerrero. Pour la justice contre tous les crimes d'Etat commis au cours des dernières décennies.

    ♦ A se battre pour la défense inconditionnelle des migrants d'Amérique centrale au Mexique et des Mexicains aux États-Unis.

    ♦Pour l’unité de la classe ouvrière avec des objectifs et des drapeaux politiques indépendants pour constituer un puissant front anticapitaliste et antimonopoliste pour le renversement du capitalisme, pour le pouvoir ouvrier et le socialisme-communisme.

    Le Parti communiste du Mexique, réitérant son indépendance vis-à-vis de quelconque option bourgeoise, réfutant la tromperie selon laquelle il serait en train de se produire au Mexique un basculement vers la gauche, luttera tous les jours pour les objectifs et les intérêts de la classe ouvrière, sans aucune illusion dans le gouvernement Obrador.

    Cette première analyse du nouveau gouvernement sera approfondie au XVIIème  Plénum de notre Comité central, se réunissant prochainement, et dans notre sixième Congrès qui se tiendra à Mexico les 3, 4 et 5 Août.

    Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!

     

    Le Bureau politique du Parti Communiste du Mexique, 

    le 4 juillet 2018

     

    sources:  http://uecstrasbourg.over-blog.com  &   http://www.comunistas-mexicanos.org/

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