• La parole au Dr Gérald Kierzek, urgentiste à Paris (IO n°553 -semaine 16/05 au 22/05/19)

    La parole au Dr Gérald Kierzek, urgentiste à Paris (IO n°553 -semaine 16/05 au 22/05/19)Vous êtes signataire, avec une centaine de médecins, d'un appel condamnant le fichage des Gilets jaunes venus se faire soigner aux urgences après avoir été blessés lors des manifestations. Quels sont les faits ?

    G. K. Début avril, nous recevons pour consigne aux urgences de signaler les Gilets jaunes avec le fichier « SI-VIC » que l'on utilise très exceptionnellement, en cas d'attentat ou de catastrophe sanitaire. J'étais donc très étonné car on ne rentrait pas du tout dans ce cadre. Là, c'est une rupture du secret médical, car cela permet d'identifier des gens comme Gilets jaunes blessés lors d'une manifestation.

    Je le fais savoir par un tweet qui est largement repris. Le directeur général de l'AP-HP, Martin Hirsch.le 14 avril, dans un interview à Libération, répond en niant la transmission de données nominatives. Mais quelques jours après, Le Canard enchaîné sort en écrivant: « Il y a des noms. » L’ AP-HP fait alors volte-face en disant: « Il y a peut-être des noms, mais il n’’y a pas de données médicales.. ». Re-enquête du Canard Enchaîné qui publie le fac-similé du fichier qu'il arrive à se procurer. Et l'AP-HP de dire : «Ah ben oui! il y a des noms, il y a peut-être des don-nées médicales, mais c'est de la faute des médecins ... »Et re-volte-face, ils disent: « Ben finalement! c'est lin stagiaire qui aurait rentré des données ... » On voit bien que c' est du n'importe quoi en termes de communication.

    Les faits sont là. Ce fichier existe. Il a été activé avec des consignes qui ont été données par l'AP-HP. Alors après, qui a fait du zèle, qui a fait quoi? C'est tout l'objet de cet appel pour demander une enquête parlementaire, pas une enquête interne, parce que les faits sont extrêmement graves, à savoir la constitution d'un fichage violant le secret médical.

     

    Mais quand on va aux urgences, on prend bien votre nom et votre prénom ...

    G. K. Oui, mais ça s'appelle un dossier médical ! Et ce dossier médical, il est protégé par le secret médical ... Il ne part pas à l' Agence régionale de santé, au ministère de la Santé ou je ne sais où ..; « SI-VIC », c'est un fichier parallèle au dossier médical, qui n'est plus couvert par le secret médical. Dans le cadre des attentats, on comprend bien que c'est pour informer les familles, etc. pour tracer les blessés. C'est interministériel, avec l'lntérieur, les Affaires étrangères, pour des raisons d'enquête et de sécurité évidemment .Tout ça est très encadré. En outre, les malades doivent en être informés. Or,là, à aucun moment, Ils ne l'ont été. Et une manifestation, ce n'est pas un attentat!

     

    Que pensez-vous des événements intervenus à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière, en marge de la manifestation du 1er Mai et de l'utilisation qui en a été faite ?

    G. K. Quand je vois, le soir du 1er Mai, «Attaque de La Pitié-Salpêtrière! », je me dis: c'est scandaleux. Évidemment, l'attaque d'un hôpital, c'est scandaleux …

    Sauf que ça me rappelle un événement: Necker, il y a deux ans. On avait dit à l'époque: « Il y a une horde de casseurs voire des syndicalistes, qui ont brisé les vitres et attaqué l'hôpital Necker ... »Mais l'enquête avait montré que c'était juste un type isolé et quand un manifestant lui avait dit qu'il s'agissait d'un hôpital, il avait arrêté immédiatement A l'époque, l'AP-HP avait fait une communication odieuse de récupération.

    Et puis rapidement dans la soirée de ce 1er Mai, des gens de l'AP-HP, qui sont de La Pitié, me donnent des informations: « Ce n'est pas du tout une attaque. » Et donc le 2 mai, je dis: « Prudence avant de parler d'attaque: il y a bien eu une intrusion mais ne sont-ce pas des manifestants qui étaient pourchassés et qui se sont réfugiés dans un hôpital? Et là d’un hôpital qui est la cible, on passe à un hôpital qui devtent refuge, qui est le rôle de l'hôpital " . Alors, quand je regarde avec un peu de recul ce qui s'est passé ce jour-là, je me dis que c'est une nouvelle fois une opération de communication, comme à Necker, et qu'il faut une enquête à ce propos. Qui a poussé le ministre à communiquer comme ça ?
    Qui a donné les informations? Pourquoi la directrice de La Pitié-Salpêtrière ou le directeur de l'AP-HP communiquent sur tous les médias en disant que c'est scandaleux en parlant « d'intrusion gravissime».

    Si on fait le lien avec le fichage, ça aurait arrangé bien du monde qu'un hôpital, ieu hautement symbolique, soit pris pour cible: « Les Gilets jaunes, les casseurs, vous vous rendez compte, ils s'attaquent à un hôpital ... On fait bien de les ficher !».

     

    Une grève se développe dans les services d'accueil des urgences un peu partout dans le pays. Pour quelles raisons?

    G. K. : Il y a la situation dans les urgences, et, si on recule un peu la focale, c'est l'hôpital, c'est la santé en France, c'est-à-dire les soignants… Les services des urgences sont en grève parce que les personnels ont des conditions de travail déplorables, ils n'en peuvent plus, il y a de moins en moins de lits dans les hôpitaux, alors que de plus en plus des malades viennent se faire soigner...

    C'est tout l'hôpital qui est comme ça. On ferme des lits, on ne recrute pas le personnel sufflsant, on le presse en permanence donc.du coup, c'est du harcèlement, les personnels partent et on n’arrive pas à fidéliser les équipes. Et si on recule un peu plus la focale, c'est le système de santé et les soignants qui ne sont plus écoutés dans ce pays. On nous a dit « On fait des économies », et donc mis des gestionnaires à la tête des Agences régionales de santé notamment. Mais si on voulait soigner les gens, on aurait mis des soignants à la tête de ces ARS!

    Que ce soit à l'hôpital ou en médecine libérale, personne n'en peut plus : les généralistes sont débordés, obligés de faire de l'abattage à 25 euros la consultation, avec les pressions des ARS comme: « On va vous subventionner des assistants pour faire 6 malades par heure" !Tout est fait pour harceler et épuiser les soignants et qu'ils n'aient le temps nécessaire pour s'occuper des patients. Ce que l'on voit aux urgences,c'est le débordement de tout un système, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. c'est juste le symptôme d'une maladie qui est en train de devenir très aigüe. On a pu avoir de l'espoir en se disant: « La ministre Buzyn est médecin » etc. Son diagnostic semblait bon, mais là on voit bien que le traitement ne vient pas. Il ne suffit pas de dire qu'on ne ferme pas les hôpitaux, si c'est pour les vider de leur substance en supprimant les services…

    Car j'ai peur que ce soit ça.le plan Santé 2022 : on garde les hôpitaux de proximité. mais en fait, qu'est-ce qu'il y a dans la définition de l'hôpital de proximité ? Même pas de chirurgie!

     

    Source : Informations Ouvrières n°553 (semaine du 16 au 22 mai 2019)

    « L'appel des 100-"Un devoir de désobéissance éthique" : 100 médecins contre le fichage des gilets jaunes (lexpress.fr-8/05/19)Brest. Gilets roses : un pique-nique revendicatif (LT.fr-18/05/19-18h13) »
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