• Les néonicotinoïdes de retour dans les champs de betteraves -par Thibaut Ghironi (Libération.fr-7/08/20)

    Récoltes de betteraves dans un champs, en 2013.Récoltes de betteraves dans un champs, en 2013. 

    Sous la pression de l'industrie sucrière, affectée par le développement d'une jaunisse dans ses cultures, le gouvernement a autorisé le retour, jusqu'en 2023, de ces pesticides nocifs pour les abeilles.

    La couleuvre que vient d’avaler la nouvelle ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a un petit goût de betterave. Jeudi, le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation, désormais dirigé par Julien Denormandie, a annoncé le retour des néonicotinoïdes pour le secteur sucrier. Une demande de la filière betteravière, alarmée par le développement massif de la jaunisse, une virose végétale principalement transmise par les pucerons verts. En réponse, le gouvernement prévoit d’introduire une dérogation au maximum jusqu’en 2023, pour autoriser à nouveau les planteurs de betteraves à utiliser des semences enrobées de néonicotinoïdes.

    Les néonicotinoïdes sont ces pesticides «tueurs d’abeilles» qui n’étaient plus autorisés en France depuis le 1er septembre 2018, suite à la loi biodiversité de 2016. Un texte défendu à l’époque par Barbara Pompili, alors secrétaire d’Etat à la Biodiversité sous François Hollande. Dans le Courrier Picard, elle reconnaît que «personne n’est satisfait de cette situation. Ni moi ni le ministre de l’Agriculture. Jamais nous n’aurions dû en arriver là. Il y a eu clairement un défaut de suivi.» Ce qui apparaît comme un grand retour en arrière écologique vient d’une absence d’alternatives aux néonicotinoïdes, d’après la ministre : «Si les choses avaient été faites comme elles auraient dû l’être, en quatre ans, il y avait la possibilité de faire émerger des solutions pérennes. Nous ferons en sorte que ce genre de situation ne puisse plus se reproduire.»

    Sur Twitter, Corinne Lepage, ex-ministre de l’Environnement, a dénoncé «une faute sanitaire et une faute politique» pour «complaire au lobby betterave». La sénatrice Europe Ecologie-les Verts Esther Benbassa estime, de son côté, que Barbara Pompili a «moins de poids qu’une betterave».

    «Aucune alternative» pour le lobby de la betterave

    Les producteurs, eux, se délectent de cette décision. «Le monde agricole est conscient du risque pour les pollinisateurs, mais qu’il n’y a vraiment aucune alternative», explique Franck Sander, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB). Il ajoute que «la betterave est une culture qui n’est pas mellifère». Comprendre qu’il n’y a pas de fleurs produites avant la période de récolte et que l’impact des néonicotinoïdes serait donc moindre sur les insectes pollinisateurs que sont les abeilles et autres bourdons. «On ne fera pas pousser de plantes mellifères dans l’année qui suit la plantation de betteraves», promet le président de la CGB. Une série d’arguments exprimée quasi telle quelle dans le communiqué du ministère de l’Agriculture.

    D’autres voix du monde agricole semblent moins convaincues. Damien Houdebine, membre du comité national de la Confédération paysanne, estime qu’ «il existe d’autres insecticides que les néonicotinoïdes. En autorisant à nouveau ces derniers, on incite les producteurs à agir de manière systématique sur toutes les cultures et non de manière localisée, là où il y a des problèmes.» Selon l’éleveur sarthois, «les néonicotinoïdes restent dans le sol. Et il n’y a pas que la question du butinage. Du blé qui serait planté derrière de la betterave, comme sur une rotation classique, pourrait entraîner une diffusion des insecticides par pollution dans l’air.»

    Sous couvert d’améliorer la souveraineté alimentaire du pays, la volte-face du gouvernement s’explique aussi par la puissance de l’industrie sucrière. La France est le deuxième producteur mondial, avec 38 millions de tonnes de betteraves produites, pour 45 000 emplois, 21 sucreries et un milliard d’euros d’excédent. De quoi faire dire à Damien Houdebine que, dans cette affaire, «une place importante a été laissée par le gouvernement aux acteurs économiques les plus puissants».

    L’impact du réchauffement climatique

    S’agit-il seulement d’influence industrielle ? Christian Huyghe, directeur scientifique du pôle agriculture au sein de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) rappelle que «les pucerons se sont développés très tôt en campagne cette année, à cause d’une pression énorme et d’une anomalie thermique. On a eu l’hiver le plus doux de l’histoire contemporaine de la France et le printemps a été incroyablement chaud avec +3.6°C en février» par rapport aux normales de saison.

    Lutter contre les invasions de pucerons verts reviendrait donc à lutter contre le réchauffement climatique. Des producteurs de betteraves, explique Damien Houdebine, sont «plus inquiets de l’impact du climat, des coups de chaud fin mai, de la sécheresse et de la canicule actuelle, que de la jaunisse».

    Croire que la solution viendrait de la nature elle-même est illusoire, selon Christian Huyghe : «On sort de vingt-sept ans de néonicotinoïdes, aussi extrêmement efficaces contre les insectes auxiliaires», souligne le chercheur. Parmi les insectes auxiliaires, on compte notamment les larves de coccinelles et les syrphes, toutes deux friandes de pucerons. Des pistes sont à l’étude pour lutter contre la transmission de la jaunisse, comme le morcellement des parcelles ou l’usage de «l’écologie chimique», en recourant par exemple à la plantation dans les champs de betteraves de fleurs comme l’œillet d’Inde, dont l’odeur est insupportable au puceron.

    Autant de solutions dont les filières agroalimentaires ne veulent pas forcément, leur préférant une logique court-termiste qui garantira une rentabilité maximum. Vendredi, ce sont les producteurs de maïs qui ont pris la parole pour demander à bénéficier, à leur tour, d’une dérogation leur permettant d’utiliser des néonicotinoïdes.

    Thibaut Ghironi
    source: https://www.liberation.fr/
     
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