• Notre-Dame-des-Landes : « Plus que mobilisés, dé-ter-mi-nés ! » (reporterre.net 11/07/2016)

    par  Nicolas de La Casinière et Vladimir Slonska-Malvaud 
     

    Grande affluence le week-end des 9 et 10 juillet à Notre-Dame-des-Landes : la détermination est plus forte que jamais face au projet d’aéroport.

    - Notre-Dame-des-Landes, reportage

    La petite bruine passagère qui a clôt les deux jours n’a pas réussi à doucher les ardeurs des plus de 25.000 personnes venues débattre démocratie et alternatives, manger de généreuses assiettes de légumes du cru, boire des bières indigènes, ou déguster sous une enseigne taguée "Pan ton patron, t’auras sa galette" des galettes de sarrazin quasiment nées dans le champs d’à côté. Les cantines rivalisent de recettes végan ou végétariennes, de galettes de blé noir au pesto, de pâtisseries orientales vite dévalisées. Le café est en rupture de stock.

    Ambiance de festival et assemblées multiples, débats autour des notions actuelles de la démocratie. Les participants ont surtout beaucoup échangé autour de la défense à venir, sur le terrain, face à la volonté d’évacuation militaire évoquée par Manuel Valls pour octobre prochain. Un comptoir de bookmaker du bocage aurait bien pu ouvrir, pour prendre les paris et faire fructifier - à prix libre- les supputations. La phrase du week-end, aura été, sous toutes variantes, « Alors, toi, tu crois qu’ils vont attaquer, à la rentrée ? », ouvrant à des déroulés de scénarios hypothétiques et d’arguments, politiques et militaires, voire météorologiques, pour les récuser ou les juger plausibles.

    Une lutte symbole, comme le Larzac

    « Peut être que l’Europe mettra son holà aux expulsions, imagine Michel, 64 ans, allocataire du RSA à Saint-Brieuc et pratiquement aide familial pour sa mère et son amie, 89 et 94 ans. C’est bien une lutte contre l’aéroport et son monde. C’est important l’ajout "et son monde"... J’étais hippie dans les années 70. Depuis je m’arcboute contre ce monde. La consultation, dans mon coin, ça n’a pas affecté grand monde, on savait que c’était pipé. Ca n’a pas entamé la détermination. D’autant que Notre-Dame-des-Landes, comme Bure ou Sivens, est devenu une lutte hautement symbolique ; comme le Larzac à l’époque ».

    A un jet de motte de terre de là, sous chapiteau, se tissent des liens chaleureux et solidaires avec les opposants à Bure, les Italiens du Val de Suze, avec le Chiapas et les luttes des Indiens mexicains d’Atenco contre un aéroport aussi, il y a dix ans.

    Les organisateurs ont remarqué que certains visiteurs sont venus pour la première fois à un rassemblement de Notre-Dame-des-Landes, le seizième.

    « Une histoire en train de s’écrire »

    D’autres sont venus de plus loin avec des amis, comme Amélie, étudiante à Paris en agronomie, originaire du Finistère, indécise mais à l’écoute : « Je ne suis pas opposante farouche à l’aéroport, ni convaincue que ce soit un bien. Il y a les arguments agricoles, l’artificialisation des terres, et environnementaux, la zone humide menacée... Mais des zones humides, il y en a ailleurs. Pourquoi se battre pour celle-ci ? Alors, ça m’intéresse de voir ici autre chose que ce qu’on lit dans les journaux. D’un autre côté il y a les arguments économiques, ceux qui lient l’aéroport au développement, même si ça pompe dans le budget des collectivités voisines. Aux dernières élections régionales, ça a été un enjeu entre les partisans de l’opposition et de l’approbation à ce projet d’aéroport. J’ai voté pour l’opposition... En venant ici, j’ai aussi vu que depuis le temps les opposants ont construit ici quelque chose de très intéressant. Il y a des paysans en conventionnel, en bio, des adeptes de la permaculture... C’est une histoire en train de s’écrire. Je me suis aussi renseignée ici sur la décroissance, dont les partisans n’emploient pas les même mots que les médias, ils ne se posent pas les question de la même manière. Pour être cohérente, il faudrait aussi que je m’informe sur un site de la FNSEA, voire sur un site de pro aéroport. »

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    Amélie : « Les opposants ont construit ici quelque chose de très intéressant »

    Légaliste, elle pense qu’il faudrait suivre l’avis favorable sorti de la consultation « pas si biaisée que ça » du 26 juin, tout en concédant que les abstentionnistes posent problème et que le périmètre « pas clair » a exclu les citoyens bretons pourtant sollicités via le budget de leur région...

    Mais ici, ses doutes sont minoritaires. Le Oui sorti des urnes de la consultation n’a pas émietté la mobilisation. Bien au contraire. « C’est clair, ça ne change rien de rien au rapport de force », assure un paysan du collectif Copain44 qui n’a pas pris part à la campagne pour le Non et n’attendait rien de ce vote. Comme toutes les composantes de la lutte, il n’y a pas cru mais n’en veut pas à ceux qui ont saisi l’occasion pour faire valoir les arguments contre le projet en menant des réunions publique et en distribuant des tracts sur les marchés.

    La cohésion du mouvement est renforcée par l’épreuve, des zadistes aux paysans historiques, de l’association citoyenne au syndicat CGT de Vinci, des Naturalistes en lutte aux collectifs de pilotes de ligne, d’élus, d’architectes, de juristes. en donnant le prochain rendez-vous, le week-end du 8-9 octobre pour une journée de mobilisation sur la Zad, Dominique Fresneau, le président de l’association citoyenne Acipa, résume le sentiment général : « On est plus que mobilisés, on est dé-té er-mi-nés ». « On est déter’, on est des terres », s’amusent des jeunes de Bure dans l’assistance, qui a eu aussi la surprise de voir passer Hugues Aufray venu en soutien.

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    Hugues Auffray soutient les opposants

    Terres, légales ou non

    Sous l’un des huit chapiteaux déclinant les questions de démocratie, une paysanne du Morbihan évoque les « installations agricoles légales ». Il aura fallu les occupations de terres de Notre-Dame-des-Landes et le collectif Sème ta Zad pour qu’une telle expression trouve sa raison d’être, à côté des récupérations de friches ensuite remises en cultures, comme l’ont fait les paysans sans terre du Brésil.

    Le chapiteau voisin accueille les Italiens du Val de Suze dont les témoignages ont été recueillis par le collectif Mauvaise troupe et publié dans le bouquin Contrées, aux éditions de l’Eclat. Mais plus qu’une collecte de récits et un projet éditorial, c’est une histoire de chaleur humaine, d’amitiés, de complicités et de solidarités actives qui prend place avec les traductions de l’italien au français, ou à travers le français rocailleux de certains militants contre le train grande vitesse qui veut rayer leur vallée : « Nous sommes venus pour apprendre de votre lutte. On s’intéresse au partage des terres. Vous avez beaucoup de produits de la campagne, le blé, le pain, les confitures. Chez nous des jeunes filles ont commencé avec des cueillettes d’herbe pour faire des crèmes, de la bière... », dit une mamma toute en noir. « Merci de nous avoir invités, reprend un homme fumant cigarette sur cigarette. On a expérimenté à Turin les refus des contrôles judiciaires. Après les coups et la prison, la répression s’est diversifiée et durcie cherchant à nous diviser. Mais vous devez continuer à résister ici. Votre résistance nous sert à nous aussi. »

    Hypothèses d’évacuation, évacuation d’hypothèses

    Si les journalistes interrogent toujours sur les effets de la consultation sur la légitimité de la lutte, les militants se centrent sur l’avenir proche sans tenir compte de la péripétie de ce vote consultatif. Intervention à l’automne ou pas ? Quand, comment ? Dans le jeu de rôle entre Valls l’autoritaire et Hollande l’indécis, quelle ligne primera ? Après leur défaite en 2012 et l’échec de l’opération César visant à évacuer la zone de ses occupants, quelle solution serait choisie, la même stratégie, mais avec deux fois plus d’effectifs de répression ? Faut-il craindre une manœuvre inédite pour prendre la Zad par surprise, par la date d’intervention inattendue, par la rapidité de destructions ? « Peu probable » ; « Franchement, ça m’étonnerait... » ; « Hmmm. Je les vois pas faire ça. » Chacun y va de son hypothèse, de l’argument qui démonte un scénario échafaudé. A vrai dire, ce petit jeu des pronostics dure depuis des années.

    La dimension humaine et la beauté du bocage

    « Cette fois la position du gouvernement semble claire et déterminée : en finir en mettant les grands moyens, dit Fred étudiant en école supérieure de commerce et fidèle lecteur de Reporterre. Oui je sais, la contradiction fait facilement la largeur de la Zad... En tous cas, face à l’intervention de l’Etat, il va falloir venir donner des coups de main, prendre des jours de congés pour ça en plus des vacances personnelles. Malheureusement, je ne serai pas en France à l’automne, mais en stage en Inde. Mais j’espère que l’an prochain en juillet, je serai de nouveau ici, à discuter. J’étais déjà venu pour des manifestations, sur la quatre voies, mais je n’avais jamais eu le temps de voir ce qu’était la Zad. Je suis arrivé vendredi pour avoir le temps de découvrir la beauté du bocage et des petites routes, la dimension humaine et celle du paysage. C’est très important pour mettre des images et mieux comprendre sur ce que j’avais lu. »

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    Fred : « Face à l’Etat, il va falloir venir donner des coups de main »

    On évalue l’orgueil des états-majors militaires et policiers, la montée des systèmes répressifs depuis mars dernier et les mobilisations contre la loi Travail, la résolution des composantes à Notre-Dame-des-Landes, paysans et zadistes en tête. On envisage le secteur bouclé, les plans B. « Faut qu’on se remémore quoi faire en cas d’arrestation et de garde à vue, dit une mère de famille. Faut d’ailleurs que j’en reparle aussi à mes enfants. »

    Notion de terrorisme élargie

    Sous un chapiteau, avec Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, et un assigné à résidence lors de la C0P21, les évolutions délétères de la répression sont envisagées. « La loi Urvoas de 2 juin 2016 prévoit la possibilité d’assigner à résidence, pour l’instant fléchée vers des personnes qui reviennent d’un théâtre d’opération d’un groupement terroriste, en gros l’Irak ou la Syrie, détaille Laurence Blisson. Mais le problème est qu’il ne s’agit que de suspicion, pas de faits, et que la notion de terrorisme peut être appréciée au sens large, petit à petit utilisable contre des militants revenant de lieux de mobilisation. Si aujourd’hui, la répression des militants est à la marge, le dispositif a vocation à les viser à terme... Lors de la COP 21 en décembre, le pouvoir s’est senti légitime pour utiliser l’état d’urgence contre des militants mobilisés sur la question du climat. »

    Chapeau cousu de boutons colorés, mitaines sur la manivelle de son orgue de barbarie, Xavier déroule une version de la Chanson de Mackie de l’Opéra de Quat Sous de Brecht, avec des paroles qu’il a réécrites, évoquant Notre-Dame-des-Landes. S’il lâche la complainte, c’est pour déclamer des vers de Maïakosvki qui font surgir au-dessus de l’orgue « un nuage en pantalon ». La météo n’a plus qu’à aller se rhabiller.

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    « Un nuage en pantalon »


    Source : Nicolas de La Casinière pour reporterre.net/

    Photos : © Vladimir Slonska-Malvaud/Reporterre

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