• Panthéon : qui a peur de Martha Desrumaux ?-par Frantz VAILLANT (tv5monde.com-27/01/2018)

     

    Figure majeure du mouvement ouvrier en France et de la résistance, cette féministe décédée en 1982 aura voué son existence au service des plus fragiles. Une nouvelle pétition demande son inhumation au Panthéon. Emmanuel Macron réserve sa réponse. Son destin extraordinaire plaide pour elle.

    "Etre une femme, une ouvrière et venir du Nord, c'est une triple pénalité ! s'enflamme Laurence Dubois, la présidente  des ami.es de Martha Desrumaux. En faisant entrer Martha au Panthéon c'est toute la classe ouvrière que l'on honore !"
     
    Parmi les ouvriers qui ont participé au chantier du Panthéon, au 18ème siècle, beaucoup venaient de la Creuse. Mais aucun ouvrier, à ce jour, homme ou femme,  ne repose dans le prestigieux monument
     
    Parmi les ouvriers qui ont participé au chantier du Panthéon, au 18ème siècle, beaucoup venaient de la Creuse. Mais aucun ouvrier, à ce jour, homme ou femme,  ne repose dans le prestigieux monument
     
    De fait, en examinant le profil des résidents du Panthéon, qui compte cinq femmes (avec Simone Veil) contre 76 "grands hommes", force est de constater qu'il n'y a aucune personnalité issue de la classe ouvrière. On trouve des militaires, des artistes, des politiques, des scientifiques mais aucun prolétaire.

    La France aurait-elle honte de ces ouvriers qui l'ont construite ? "Certes, insiste Laurence Dubois, Martha était cégétiste, communiste , féministe d'avant garde mais aujourd'hui, elle dépasse les clivages ! Elle aura consacré ses forces à défendre et valoriser les anonymes, ceux dont le militantisme et le travail ont aussi contribué au développement des valeurs de notre société. " .

    La pétition instruite par cette présidente passionnée dépasse désormais les 4000 signatures. Et le compteur continue de s'emballer...

    Martha Desrumaux, autodidacte de choc

    Née le 18 octobre 1897 à Comines (Nord), orpheline de son père à neuf ans, elle devient une "petite bonne" dans une famille bourgeoise avant d'intégrer une entreprise textile, dès l'année suivante. Son enfance est confisquée par le monde du travail. Martha Desrumaux  a dix ans. Elle découvre l'extrême dureté du quotidien ouvrier. A 13 ans, elle se syndique à la CGTU, la toute jeune Confédération Générale des Travailleurs qui, devenue CGT, comptera près de 4 millions d'adhérents au début des années 30. 
     
    Carte postale de 1910
    Carte postale de 1910


    En 1917, cette autodidacte de choc organise sa première grève aux usines Hassebroucq. Une victoire. Elle n’a que 20 ans, ne sait ni lire ni écrire, mais cela ne l'empêche pas de signer le protocole d'accord qui signifie l'arrêt du mouvement... et lui construit une solide réputation.

    En 1928, à la suite de son action lors des grèves très dures d’Halluin où l'on refuse  aux ouvriers du textile une augmentation de 50 cts, elle est inculpée, en novembre 1929, de "complot contre la sécurité intérieure de l’État". 
    Le tribunal correctionnel de Lille la condamne le 15 février 1930 à huit jours de prison avec sursis.
     
    Martha Desrumaux, à droite sur la photo, dans un groupe du textile à Lyon, en 1919.
    Martha Desrumaux, à droite sur la photo, dans un groupe du textile à Lyon, en 1919.
     

    La rencontre Martha Desrumaux avec Clara Zetkin


    En 1921, elle adhère au Parti Communiste et apprend à lire et à écrire. En 1927, elle part, seize mois durant, à Moscou à l'Ecole léniniste internationale où l'accueillent les instances féminines du parti bolchevik, les jetnodel. Avant son départ, le comité régional communiste notait à son sujet : " Excellente militante. Dévouée active, excellente agitatrice. Avec une éducation politique plus complète, pourrait rendre de grands services au Parti. Approuve et défend la politique du Parti. Remplit ses fonctions avec conscience et dévouement.".
     
     
    Clara Zetkin (1857-1933)<em>" Le droit de vote sans liberté économique n'est ni plus ni moins qu'un chèque sans provision."</em>
    Clara Zetkin (1857-1933)" Le droit de vote sans liberté économique
    n'est ni plus ni moins qu'un chèque sans provision."

    Outre son futur mari, Louis Manguine, ouvrier métallurgiste, elle y rencontre Clara Zetkin qui a lancé quelques années plus tôt, en 1910, l'idée d'une journée internationale des femmes.
    On peut lire sur son rapport d'évaluation qui conclut son long  séjour : " L’école lui a fait découvrir et lui a révélé le mouvement ouvrier, son histoire et le fond de notre doctrine et tactique de lutte. Elle est enthousiaste et d’un dévouement illimité pour le parti. " et un autre document précise : " Pas bonne pour l’organisation. Bonne pour le travail de masse dans les milieux du textile du Nord. Peut faire du travail dans l’illégalité. Pas de travail spécial. Confiance absolue. "
    A son retour en France, elle devient  la première femme élue au comité central et à la commission féminine du PC . Elle continue d'être de tous les combats sociaux.
    A Paris, on a beau moquer son accent ch'ti et sa grande taille (1,75m), la voici désormais devenue une personnalité solide et respectée au sein de la classe ouvrière.
    En septembre-octobre 1928, elle travaille à l'usine Tiberghien à Tourcoing, où elle organise et dirige avec succès la grève des " dix sous " contre la baisse des salaires décrétée par le patronat du Textile.

    L' organisation des marches de la faim

    Un peu partout en Europe, les mouvements ouvriers organisent  des "marches de la faim". En novembre 1933, entre Lille et Paris, une centaine de sans-emploi font le déplacement. Le parcours se fait en une quinzaine de jours, conduit par Martha Desrumaux et Charles Tillon.
     
    Marthe Desrumaux dans le film "La vie est à nous"
    Marthe Desrumaux dans le film "La vie est à nous"

    Elle apparait dans le film de Jean Renoir "La vie est à nous " (1936) et sera la seule femme membre de la délégation ouvrière chargée de négocier les "accords de Matignon" qui, placés sous l'arbitrage du Président du Conseil Léon Blum, entérinent les conquêtes du Front populaire ( les congés payés, la réduction du temps de travail et l'établissement des conventions collectives.)
    Pour appuyer sur les négociations, Martha est venue avec les fiches de paye des ouvrières du textile du Nord, indicateurs précieux des salaires de misère alors en vigueur.

    Rentrée dans la clandestinité en automne 1939, Martha, qui reste fidèle au Parti Communiste, a perdu tous ses mandats syndicaux après avoir refusé de dénoncer le pacte germano-soviétique, ce traité de non-agression entre l'Allemagne et l'Union  soviétique.
    Réfugiée un temps à Bruxelles, elle réorganise le PCF et revient à Lille le 6 juin 1940 où, à la mi-juillet, avec l'aide de jeunes communistes, elle saccage l’office de la propagande nazie. La voici devenue l'une des principales organisatrices de la Résistance dans le Nord-Pas-de-Calais.
     

    Martha Desrumaux (première personne à gauche sur la photo) à la tribune de l'Union des Jeunes Filles de France)
    Martha Desrumaux (première personne à gauche sur la photo) à la tribune
    de l'Union des Jeunes Filles de France)
     

    L' héroisme des mineurs en juin 1941

    La région est l'enjeu de toutes les attentions allemandes.
    Riche en réserve de charbon, sa production doit impérativement alimenter l'effort de guerre.  Avec le soutien d'autres militants,  dont Auguste Lecoeur et un grand nombre  de femmes, Marthe lance une  grève générale et patriotique fin mai-début juin 1941 et, le 3 juin, l’ensemble du bassin minier est touché.


    Sur les 143 000 mineurs recensés, 100 000 cessent le travail. La répression qui s'ensuit est particulièrement violente. Des dizaines de personnes sont fusillées, 450 sont arrêtées et parmi elles, 244 mineurs sont déportés en Allemagne.
    Cette fronde aura coûté près de 500 000 tonnes tonnes de guerre à l'économie allemande. Mais on traque les meneurs de ce mouvement. Parmi eux, Emilienne Mopty et Martha Desrumeau.  Toutes deux faisaient parties d'une liste d’otages dressée par le préfet Fernand Carles.
     

    Un « <em>block</em> » d'internement du camp de Ravensbrück.
    Un « block » d'internement du camp de Ravensbrück.
    Privatarchiv Norbert Radtke (Wikipédia)

    Ravensbrück

    En fait, Martha est victime d'une mesure mise en place par le régime nazi, la détention de sécurité (Schutzhaft). Elle permet la détention arbitraire d'une personne considérée comme dangereuse pour la sécurité du Reich.
    Elle est arrêtée le 27 août 1941 et déportée, sans jugement, le 28 mars 1942 à Ravensbrück, le camp de concentration réservé aux femmes. Elle se lie avec les déportées antifascistes des pays de l'Est et organise une résistance clandestine dans le camp. Son extême humanité constitue un oxygène vital pour les prisonnières et les enfants internés. 

    Martha après sa libération par la Croix Rouge Danoise
    Martha après sa libération par la Croix Rouge Danoise

    Lili Leignel alors âgée de 11 ans,  se souvient: "  Martha disait : C’est nin possible, des gosses comme ça dans les camps ! Elle négociait auprès de celles qui pouvaient recevoir des colis quelques friandises pour mes petits frères.  ".

    Martha Desrumaux est chargée de vérifier, aux douches, que les détenues n'ont ni poux, ni gale.
    Marie-Claude Vaillant-Couturier se souviendra : "Elle arrivait à parler aux femmes, en dépit de la présence des SS, essayait de les aider à supporter le premier choc et de les avertir de ce qu'il fallait faire pour éviter l'extermination : ne pas se déclarer malade, ne pas montrer ses infirmités pour ne pas recevoir la carte rose, ne pas se dire juive".
    Martha Desrumaux fait la connaissance de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, et de
    Germaine Tillion, grande résistante internée dans le camp, qui constatera que les Françaises sont " les plus détestées et les plus maltraitées dans les usines et dans les ateliers " et qu'elles se trouvent " écartées des postes avantageux et des travaux les moins pénibles ".

    Au sujets de ces années d'épouvante, Marthe laissera un témoignage  :  " Pour ceux qui ont connu la véritable Résistance du maquis (…) il peut paraître vain de parler de “résistance” dans un camp de concentration. Il est vrai que l’immense masse des détenues (…) était amorphe, affaiblie par la sous-alimentation, usée par le travail, minée par la maladie (…). Mais il est certain aussi que de cette masse se dégageait (…) une sorte de bouée qui surnageait et à laquelle les faibles se raccrochaient. Chacune était déjà un embryon de résistance, et c’est leur réunion qui constitua une véritable organisation de résistance. "

    En avril 1945, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge, elle est échangée avec 299 autres détenues de Ravensbrück contre 300 femmes SS détenues en France. Elle est  élue maire-adjointe de Lille le 13 mai puis est députée, pour deux mois, à la première Assemblée constituante, le 3 octobre 1945.  Elle décède le mardi 30 novembre 1982, quelques heures après la mort de son mari.


    Martha Desrumaux au Panthéon ? En septembre 2013, le Président Hollande avait reçu le dossier, examiné l'affaire.... sans jamais donner aucune suite à cette demande pourtant soutenue par toute la région Nord.
    Pourquoi un tel mépris silencieux concernant cette femme hors du commun ? L'historien Pierre Outerryck avance une explication :"Elle était femme, ouvrière et n'a pas produit d'écrit. Elle venait elle de province et elle est restée dans l'ombre des médias. Pourtant, ce pays a été bati par des mains d'ouvrier et une partie de notre législation et en particulier ce qu'on appelle "le pacte républicain" a été construit  grâce au concours d'ouvriers."
    Le président Macron, originaire des mêmes terres, saura-t-il s'en souvenir ?

    Martha Desrumaux et son mari vers la fin de leur vie, à Evenos (Var)<br />

 
    Martha Desrumaux et son mari vers la fin de leur vie, à Evenos (Var)
      
    Frantz Vaillant 
     
    « Billet Rouge -La Révolution française se poursuit au Venezuela. Par Floréal.(IC.fr-28/01/2018)Emmanuel TODD invité d'Aude Lancelin sur le Média (25/01/2018) »
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