• Révélations sur la clique qui a conduit la préfecture de police à sa perdition. ( mediapart.fr - 17/06/22 - 14h32 )

    Révélations sur la clique qui a conduit la préfecture de police à sa perdition. ( mediapart.fr - 17/06/22 - 14h32 )             Paul-Antoine Tomi, Didier Lallement et Alexis Marsan.

    Deux gardiens de la paix sont visés par une enquête de l’IGPN pour avoir utilisé des gaz lacrymogènes lors de la finale de la Ligue des champions. Mais qui a donné les ordres ? Alors que le Sénat a chargé jeudi le préfet Lallement et dénoncé « l’impréparation des autorités », Mediapart a enquêté sur les hommes qui commandaient le dispositif. Vidéo, sons et témoignages attestent d’un goût immodéré pour la méthode violente. 

    Ils partagent avec le préfet Lallement la même passion pour la moto et la même conception agressive du maintien de l’ordre. Alexis Marsan et Paul-Antoine Tomi, les deux hommes qui coordonnaient les quelque 7 000 policiers et gendarmes déployés le soir de la finale de la Ligue des champions, « sont connus pour ne pas être les derniers à recourir à la force », euphémise un policier de la préfecture de police (PP). 

    Si Didier Lallement s’est présenté face aux sénateurs qui ont dénoncé jeudi la « gestion critiquable » de la finale de la Ligue des champions comme le « seul responsable opérationnel de l’ordre et de la sécurité publique sur l’agglomération parisienne », c’est pourtant bien ces deux hommes qui étaient aux manettes dans la « bulle » de commandement du Stade de France ce fameux soir du 28 mai. 

    Le premier, 49 ans, Alexis Marsan, directeur adjoint la DOPC (direction de l’ordre public et de la circulation de Paris et de la petite couronne), a été à la manœuvre depuis 2018 dans la gestion de la plupart des manifestations dites sensibles, dont certaines sont restées dans les mémoires - à commencer par celle du 1er décembre 2018 lors de laquelle des gilets jaunes avaient saccagé l’Arc de triomphe.

    Le deuxième, Paul-Antoine Tomi, 53 ans, commissaire lié au milieu corse qui officiait ce soir-là en tant que chef d’état-major adjoint à la DOPC, a comme lui dirigé la brigade motocycliste de la préfecture de police avant de gravir les échelons malgré un certain passif : la dernière fois que Paul-Antoine Tomi a fait parler de lui, en janvier 2021, c’est pour avoir matraqué à une dizaine de reprises un manifestant tombé au sol lors d’une manifestation contre la loi « sécurité globale », comme l’avait relaté un article de StreetPress.

    Mediapart a recueilli les témoignages d’une dizaine de policiers qui les ont côtoyés, et enquêté sur les faits d’armes de ces deux hommes décrits comme « proches ». Le soir de la finale, c’est avec eux que le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin s’est entretenu, dans la salle de commandement déconcentrée qui domine la pelouse, avant de mettre en cause, face au désastre, les prétendus « dizaines de milliers » de supporters de Liverpool munis de faux billets - sachant que seuls 2 589 faux tickets ont été effectivement scannés aux entrées du stade.

    Le préfet Didier Lallement, qui avait validé le dispositif aujourd’hui décrié (lire notre article), surveillait de très près depuis la salle de commandement de la « Cité », au sous-sol de la préfecture de police à Paris.

    Mais pour comprendre comment on est arrivé à ce fiasco, il faut remonter au cœur du mois de juillet 2018, quand éclate l’affaire Benalla. Plusieurs hauts gradés de la PP sont emportés par le scandale, et s’opère alors un « petit coup d’État » à la DOPC, où la direction est entièrement renouvelée.

    Muté des RG après avoir utilisé son arme dans une cité

    Alexis Marsan, un ancien militaire (comme le préfet Lallement) qui a fait l’essentiel de sa carrière dans le maintien de l’ordre, est un des premiers bénéficiaires de ce grand ménage. Le nom de cet habitué du terrain et du contact apparaît pour la première fois dans la presse il y a vingt ans : en 2002, il est blessé d’un coup de couteau à l’abdomen lors d’une manifestation alors qu’il était jeune commissaire. Au milieu des années 2000, il fait par la suite un passage à la direction centrale des renseignements généraux (DCRG), avant d’être brutalement muté chez les CRS après un épisode trouble, relaté en octobre 2006 dans une dépêche AFP où son identité n’est pas citée. 

    L’incident aurait eu lieu le 12 octobre précisément, alors qu’Alexis Marsan était « en exercice de filature » avec son supérieur. « Témoins d’un vol à l’arraché », les deux hommes seraient intervenus avant d’être pris à partie par « une trentaine de jeunes ». Ils font alors usage de leur arme de service, des tirs qui leur valent quelques semaines plus tard d’être écartés des renseignements généraux.

    Cela n’empêche pas l’inspecteur général Marsan de continuer à monter rapidement dans la hiérarchie, jusqu’à être nommé en 2020 directeur adjoint de la DOPC de la préfecture de police, où il occupe un rôle clé sous la direction de Jérôme Foucaud, un haut gradé sans expérience du maintien de l’ordre, propulsé là à la faveur du scandale Benalla – c’est lui qui a signé le « télégramme » qui a entériné le dispositif de maintien de l’ordre de la finale de la Ligue des champions.

    Depuis 2018, c’est Alexis Marsan qui dirige d’une main de fer les opérations lors des manifestations les plus sensibles. À la préfecture de police, certains louent « son côté sympathique et sa bonne connaissance du terrain ». D’autres décrivent un homme « dans une logique d’hubris », habité par une « vision violente » du maintien de l’ordre, dont l’impulsivité, le « manque d’anticipation » et « le manque de sérénité » ont créé un climat délétère. « Quand il lance sur les ondes lors d’une manif un peu compliquée “Rentrez-leur dedans !”, vous imaginez ce qui se passe dans la tête du jeune gardien de la paix », expose l’un de ses anciens subalternes.

    "Défoncez-moi les gens qui sont à la place du rond-point."

    Alexis Marsan sur les ondes, lors d’un rassemblement de gilets jaunes

    Certains de ses « services », comme on les appelle à la PP, sont restés dans les annales. À commencer par la manifestation de gilets jaunes qui a abouti au saccage de l’Arc de triomphe le 1er décembre 2018. Le dispositif qu’il avait mis au point avait fait l’objet d’un « retex » (retour d’expérience) au vitriol rédigé par l’une des sections syndicales de la DOPC. Lui sont reprochés dans ce document, déjà, des choix stratégiques « inadaptés »« des fautes tactiques majeures » et une « hypercentralisation du commandement ». « Un seul décideur, si brillant soit-il, ne peut à lui seul gérer un dispositif aussi complexe », « l’organisation et les techniques de maintien de l’ordre sur l’agglomération parisienne doivent être repensées en urgence », concluait l’auteur de ce rapport, aujourd’hui à la retraite, qui, contacté par Mediapart, n’a pas souhaité ajouter de commentaire.

    Les forces de l'ordre sous l'Arc de triomphe, lors de l'acte 3 des gilets jaunes le 1er décembre 2018. 
     

    « Le préfet Lallement et Marsan se rejoignent sur des pratiques très musclées du maintien de l’ordre », déplore un commandant de police qui a régulièrement participé aux opérations les samedis de rassemblements des gilets jaunes. « On a toujours craint le pire, c’est-à-dire qu’il y ait un mort. Lorsque Lallement est arrivé en 2019 à Paris, il a trouvé son alter ego avec Marsan. Il faut “aller au contact des manifestants”, les “impacter” comme ils le disent, voire les “percuter”. Il suffit de voir le nombre de blessés parmi les gilets jaunes. C’est honteux », ajoute-t-il. 

    « Impactez-les fort », « mettez-les minables »

    Si ce commandant accepte de témoigner aujourd’hui, en préservant son anonymat, « c’est que les événements du Stade de France ont été la goutte d’eau ». « On doit se préparer aux JO et avant il risque d’y avoir des manifestations à la rentrée. Qu’allons-nous faire ? Gazer, matraquer, mutiler ? », s’interroge-t-il, avant d’égrener les surnoms attribués à Alexis Marsan par ses détracteurs : « le boucher »« l’opportuniste »« le courtisan sans foi ni loi »

    Dans le cadre d’enquêtes sur les violences commises par les policiers lors des manifestations des gilets jaunes, certains magistrats se sont interrogés sur la nature des ordres donnés, sans que cela n’entraîne de poursuites. Pourtant, les retranscriptions de certains échanges radio entre la salle de commandement de la préfecture de police et le terrain mettent en lumière la violence des consignes. 

     

    Le nom d’Alexis Marsan revient dans plusieurs affaires, notamment celle concernant les blessures de Gabriel Pontonnier, 21 ans, dont la main a été mutilée par une grenade explosive GLI-F4, le 24 novembre 2018, au cours de l’acte 2 des gilets jaunes en bas des Champs-Élysées. Le même jour, un autre manifestant, Pierre, avait également été grièvement blessé par une GLI-F4 tirée par un CRS.  

    Interrogé par l’IGPN en septembre 2021, Alexis Marsan précise que l’ordre de recourir aux grenades explosives, transmis oralement par le préfet, n’a donné lieu à aucune note et qu’il l’a lui-même relayé sur les ondes radio. Le 10 février 2022, jugeant l’usage d’une grenade à l’égard de Gabriel Pontonnier disproportionné, le juge d’instruction a mis en examen l’auteur du tir, le major Jacky D., sans retenir la responsabilité des hauts fonctionnaires de la préfecture.

    « Ce n’est pas simple de caractériser une infraction pénale imputable à la hiérarchie, le droit pénal étant d’interprétation stricte », nous explique un magistrat. « Le sujet est celui de la complicité, qui pourrait être retenue contre la hiérarchie en fonction de la nature de l’ordre, de sa précision et de sa distance par rapport aux faits. Cette question est légitime même si l’appréciation n’est pas évidente en pratique. La responsabilité de la hiérarchie peut également être recherchée au niveau disciplinaire. »

    Outre le recours à ces grenades décriées, les investigations sur l’auteur de la mutilation de Gabriel Pontonnier rapportent également la violence des ordres donnés depuis la salle de commandement de la préfecture : « venir impacter très fort, très fort les manifestants »« les mettre minables ». « Défoncez-moi les gens qui sont à la place du rond-point », lance-t-on depuis la préfecture.  

    « Faire mal »

    Deux semaines plus tard, lors de l’acte 4 du 8 décembre 2018, les ordres restent les mêmes. Une réunion de préparation se tient en préfecture en présence notamment du préfet de l’époque, Michel Delpuech, du numéro un de la DOPC, Alain Gibelin, et d’Alexis Marsan, chargé du cœur du dispositif. Alexis Marsan donne les ordres suivants : « Dès que vous voyez un mec ouvrir un coffre, qui va chercher son pain, c’est pas grave, allez le contrôler »« il faut les insécuriser, tout ce dont on sera débarrassé avant la manif ou même au cours, c’est des gens qu’on aura déstabilisés ». 

    Le numéro 2 de la DOPC veut « faire mal » et il le fait savoir. Il rappelle ainsi que des véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG) seront déployés en nombre et permettront de disperser les manifestants en les aspergeant de gaz lacrymogènes. « On tire de tout » avec ces engins, insiste-t-il. « Les VBRG […] peuvent servir à faire mal. »

    Afin de rendre les troupes plus mobiles, la préfecture de police de Paris met alors en place les détachements d’action rapide (DAR), devenus depuis les Brigades (motocyclistes) de répression de l’action violente (BRAV). « Alors que les voltigeurs avaient été interdits après la mort de Malik Oussekine [en 1986 – ndlr], la préfecture de police décide de les exhumer. C’est une triste nouvelle lorsqu’on est attaché aux valeurs républicaines », déplore un capitaine chargé du maintien de l’ordre. « Lallement avait également expérimenté les BRAV à Bordeaux avant d’arriver à Paris. C’est cela le maintien de l’ordre selon le duo Lallement-Marsan ! »

    "On n’est pas là pour gazer des honnêtes citoyens, crever des yeux et arracher des mains, le maintien de l’ordre doit être républicain et au service de la démocratie... Eux, ils font n’importe quoi."

    Un ancien de la préfecture de police

    Le 8 décembre 2018, en salle de commandement, le préfet Delpuech, avec à ses côtés Alexis Marsan, encourage alors les CRS qui progressent sur les Champs-Élysées, ainsi que Le Monde l’avait révélé : « Oui, vous pouvez y aller franchement, allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter ceux qui sont à votre contact, à proximité… Ça fera réfléchir les suivants. » Des ordres qui interrogent sur leur légalité.

    Un policier gaze des manifestants pacifiques sur le pont de Sully, le 28 juin 2019 à Paris. 
     

    Selon nos informations, c’était aussi Alexis Marsan qui était en salle de commandement lors de l’évacuation très musclée de militants écologistes d’Extinction Rebellion qui occupaient pacifiquement le pont de Sully le 28 juin 2019. Au cours de cette opération, l’usage des gaz lacrymogènes avait été tel que le commandant des CRS chargé de la manœuvre avait perdu connaissance. À la tête du dispositif du pont de Sully, Alexis Marsan faisait équipe ce jour-là, comme le 28 mai dernier au Stade de France, avec, sur le terrain, le commissaire Paul-Antoine Tomi, qui affiche lui aussi un lourd pedigree

    Un « rappel à la règle » pour avoir matraqué un manifestant au sol

    Entré dans la police en 1994 comme inspecteur, il est le frère de Michel Tomi, considéré comme le dernier des parrains de l’Île de beauté. Lui-même surnommé « Tomi le Corse », il était notamment apparu dans un procès-verbal dans lequel un lieutenant de Michel Tomi avait affirmé à la police judiciaire effectuer des versements annuels de 25 000 euros en liquide au policier, alors commissaire à la DCRI (renseignement intérieur). 

    Paul-Antoine Tomi a gagné des galons à la préfecture de police après l’arrivée de Didier Lallement en 2019 – il dirigeait alors la « division régionale motocycliste » devenue un élément clé dans les stratégies de maintien de l’ordre, et régulièrement mise en cause pour ses méthodes violentes. À l’été 2019, il fait partie des fonctionnaires décorés de la médaille de la sécurité intérieure pour ses services lors des manifestations de gilets jaunes. 

    En janvier 2021, le commissaire Tomi est identifié, notamment grâce au patch en forme de drapeau corse qui orne une poche de son uniforme, comme l’auteur d’une dizaine de coups de matraque sur un manifestant au sol lors d’une manifestation contre la loi « sécurité globale ». À l’époque, face au tollé suscité par une vidéo vue des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux, le préfet Lallement annonce l’ouverture d’une enquête administrative à l’issue de laquelle le commissaire a eu un simple rappel à la règle.

    Pire : malgré cette affaire, Paul-Antoine Tomi a été promu au poste stratégique de chef d’état-major adjoint, et c’est à ce titre qu’il pilotait, aux côtés de son acolyte Marsan, les opérations très sensibles du Stade de France.  

    Capture d’écran d'une vidéo dans laquelle le commissaire Tomi matraque un manifestant au sol, le 30 janvier 2021 à Paris. 

    « Une autre équipe aurait été à la manœuvre au Stade de France, cela ne se serait pas passé de la même façon, sur les choix tactiques et sur le recours à la force », estime un ancien de la DOPC, où règne une certaine inquiétude, à deux ans des Jeux olympiques de Paris. « Le maintien de l’ordre, ça ne s’invente pas, il faut avoir la fibre et c’est de plus en plus compliqué. On manque de gens d’expérience », lâche un policier de la DOPC, qui souligne que trois quarts de la soixantaine de fonctionnaires de la « salle de commandement » ont quitté leur poste depuis l’affaire Benalla et l’arrivée de la nouvelle direction. « La finale de la Ligue des champions, c’est un avertissement. On a l’opprobre, mais au moins il n’y a pas eu de morts », lâche un officier.

    Certains policiers expriment aussi un profond malaise face à la nouvelle doctrine d’emploi de la force instaurée par le préfet Lallement, devenue une norme : « Ça me tord les boyaux de voir ça… On n’est pas là pour gazer des honnêtes citoyens, crever des yeux et arracher des mains, le maintien de l’ordre doit être républicain et au service de la démocratie... Eux, ils font n’importe quoi », souffle un ancien de la PP, rappelant à ce titre la lettre que le préfet Grimaud avait envoyée aux policiers après Mai-68 au sujet des « excès dans l’emploi de la force » documentés lors des manifestations étudiantes. Le 29 mai 1968, le haut fonctionnaire y écrivait notamment à ses troupes que « frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même »

    Auteur : Sarah Brethes et Pascale Pascariello

    Source : https://www.mediapart.fr

    « Quimper. Génération : environ 150 salariés en grève pendant deux jours pour de meilleurs salaires (OF.fr-17/06/22-20h57)TABLE RONDE #04 Aymeric Monville, Jean-Pierre Page et Maxime Vivas La Chine sans œillère. ( Odysee - 16-06-2022 ) »
    Partager via Gmail Yahoo! Pin It

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :