• Une certification privée en anglais imposée pour valider licences, BTS et DUT-par Philippe Blanchet

    A diverses reprises l'Hermine Rouge a fait état des attaques portées contre la langue nationale  par les plus hautes instances  de l'Etat: cf notamment un article des secrétaires nationaux du PRCF " Violant la Constitution le régime macron impose l'anglais-comme langue officielle."

    Vous trouverez ci-dessous un article de Philippe Blanchet publié sur son blog le 12 juillet dernier. Philippe Blanchet est Professeur de sociolinguistique et didactique des langues, département Communication, université Rennes 2. Membre de la Ligue des Droits de l'Homme et du conseil d'orientation de la Fondation Copernic. Élu national FERC-SUP-CGT.


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    La chose est passée inaperçue, noyée dans l’actualité. C’est en pleine période de confinement et de fermeture des universités pour cause de crise sanitaire, que le gouvernement a publié, le 3 et le 5 avril, un arrêté et un décret qui rendent obligatoire de passer un examen d’anglais dans un organisme privé pour obtenir son diplôme.

    Rendre l’anglais et rien que l’anglais obligatoire dans l’enseignement supérieur

    Ces deux textes du 3 avril 2020 publiés au Journal Officiel du 5 avril constituent les deux volets d’un même projet qu’on doit bien considérer comme un dispositif général rendant l’anglais obligatoire dans l’enseignement supérieur. Le premier, un décret du premier ministre, subordonne l’obtention du BTS à une certification du niveau en anglais. Le second, un arrêté de la ministre de l’Enseignement Supérieur, porte sur les certifications en langue dans le cadre des licences, licences professionnelles et DUT.  Ils imposent une mise en place dès l'année 2020/2021 pour les licences spécialisées en langues (LEA, LLCER et Lettres Langues) — c’est un comble ! puis pour l'ensemble des licences professionnelles et pour cinq spécialités de DUT. Les autres licences et DUT seront tous concernés l'année suivante, le dispositif étant généralisé.

    Dans une ère où le plurilinguisme est promu comme un moyen de développer une compréhension interculturelle entre les peuples, une sorte d’écologie des langues et des sociétés humaines par les langues, rendre l’anglais et rien que l’anglais obligatoire va complètement à contre sens. Y compris de la politique d’offre de formation multilingue croissante mise en œuvre par les universités et l’Europe depuis 30 ans. Les effets de rétroaction des évaluations sur les formations ont été bien étudiés : on sait que ça va détourner massivement les étudiant.e.s et même peut-être déjà les lycéen.ne.s des autres langues. D’ailleurs, dans de  nombreux cursus, notamment les BTS et DUT, une seule langue est possible. Ce sera l’anglais, point barre.

    Et même pour enseigner dans les établissements français de l’étranger...

    On pourrait penser qu’il s’agit là d’un évènement ponctuel. Mais un autre texte est paru qui va dans le même sens. Un arrêté du 4 février 2020 du ministère de l’éducation nationale a créé un examen nommé « Certificat d’aptitude à participer à l’enseignement français à l’étranger » (CAPEFE). Ce certificat est délivré par les INSPÉ comme complément à un master d’enseignement ou apparenté. Il sera désormais exigé pour obtenir un poste (voire un stage) dans un des établissements concernés. Or parmi les épreuves, on trouve : « Faire valoir un niveau au moins B2 du cadre européen commun de référence pour les langues en anglais. Maitriser le cas échéant une autre langue étrangère au niveau B2 du cadre européen commun de référence pour les langues ». Pour aller enseigner en français dans un des 522 établissements français et dans 139 pays du monde, y compris les plus francophones et les moins anglophones où se trouvent un bon tiers de ces établissements, il faut avoir validé un bon niveau d’anglais....

    Un moyen de transférer des financements publics vers des entreprises privées étrangères

    Cette certification en anglais a été chiffré à 3,1 M€ pour 38 000 étudiants à la rentrée 2020 et prévoit une généralisation à l’ensemble des 400 000 étudiants du pays à la rentrée 2022. Ce dispositif représentera donc à partir de la rentrée 2022 une facture annuelle de plus de 32 millions d’euros. Dans un premier temps, le ministère prendra ces couts à sa charge (inscrits dans la loi de finance 2020 pour les universités) mais rien ne dit qu’il ne les transfèrera pas ensuite sur les établissements sans abonder leurs dotations pour autant.

    On peut s’interroger sur les motivations de cette dépense importante, surtout dans une période d’augmentation du déficit de l’État, lequel prétend par ailleurs vouloir augmenter son financement des universités via sa loi sur la recherche.

    Cette certification en anglais a été présentée par le premier ministre dans son discours à Croix le 23 février 2018 : « À terme, chaque étudiant (...), au plus tard en fin de licence, aura passé un test de type Cambridge, IELTS, financé par l’État, et qui donnera donc un niveau reconnu partout à l’étranger » (IELTS = International English Language Testing System ; in FrenchSystème d'évaluation en langue anglaise internationale ; par Cambridge il faut sans doute entendre le BULATS (Business Language Testing Service) devenu LINGUASKILL, délivré par l’université de Cambridge, qui a développé un véritable business de certification en anglais. Les textes officiels précisent bien qu’il doit s’agir d’une évaluation externe. Le terme est flou, externe à quoi ? à l’établissement ? Si l’on en croit les exemples donnés par le premier ministre, les organismes visés sont bien des organismes hors service public, étrangers en l’occurrence et donc payants. L’IELTS est ainsi géré par l'université de Cambridge, le British Council et IDP Education Australia. Le TOEFL® et le TOEIC® sont des marques déposées par l’université de Princeton aux États-Unis. Le ministère a lancé le 15 janvier un appel d’offre[1] clos le 14 février (avant publication de l’arrêté !) et c’est lui, et non chaque université, qui désignera l’entreprise retenue.

    Concrètement, il s’agit donc bien de rendre obligatoire le fait de payer des frais d’inscriptions à des organismes privés étrangers, et ceci d’autant plus qu’aucun niveau de réussite n’est exigé des candidat.e.s : « La justification de la présentation à cette certification conditionne la délivrance du diplôme » ! D’ailleurs les premiers visés sont celles et ceux qui n’en ont pas besoin, puisque suivant une licence de... langue. Pas toujours d’anglais ou incluant de l’anglais, en effet, mais souvent. On va donc avoir des titulaires (potentiels, du coup) d’une licence d’anglais d’une université française devoir passer un test d’anglais externe pour obtenir leur licence. Avec une terrible réduction de l’anglais à n’être qu’une langue instrumentale internationale, le tristement célèbre globish. C’est, en même temps, l’aveu par le gouvernement d’une terrible défiance envers la qualité des formations en langues données dans les universités françaises.

    Dans tous les cas, les résultats certifiés par ces tests sont valables deux ans, ce qui fait qu’ils ne seront plus valides quand les étudiant.e.s obtiendront leur master (auxquels s’inscrivent une grande partie des titulaires d’une licence y compris obtenue après un DUT). Ils et elles quitteront donc l’enseignement supérieur sans certification en anglais ou devront la repasser (à leurs frais ?).

    Bref, ce dispositif n’a à peu près aucune intérêt éducatif. Mais il permet aussi de faire gagner de l’argent dans le privé et dans certains milieux d’affaires internationaux (comprenez « anglophones »).

    L’éducation supérieure réduite à une école de commerce

    On peut par conséquent douter que la réflexion qui a conduit à ces décisions soit fondée sur des considérations effectivement éducatives, si réflexion il y a. Car, au-delà des arguments développés ci-dessus, d’autres ont été développés par les universités françaises ou par des associations de professionnel.le.s spécialistes qui ont protesté et demandé aux deux ministères concernés d’abandonner ces « réformes ». À commencer par la fiabilité toute relative et souvent critiquée de ces tests standardisés, à la fois simplistes et piégeux, et des inconnu.e.s qui « évaluent » les candidat.e.s. Les universités françaises de service public ont bâti un « Certificat de compétences en langues pour l’enseignement supérieur » (CLES), disponible dans neuf langues, et on ne voit vraiment pas pourquoi le CLES serait moins fiable que les certifications étrangères privées. Mais le ministère a fait savoir, dans une lettre du 17 février adressée à une association, que le CLES ne sera pas accepté au titre de cette certification.

    Mais de tout cela, le gouvernement actuel s’en fiche éperdument. Il l’ignore même peut-être, comme il ignore qu’il y a trois principales langues internationales largement répandues dans le monde et pas seulement l’anglais : dans l’ordre anglais, français, espagnol. Puis viennent l’allemand, le russe..., le portugais...[2] Il ignore également les atouts du tri- ou plurilinguisme ciblé sur des cas précis et des besoins précis. A quoi sert un examen en anglais pour aller enseigner dans un lycée français d’un des 43 autres états où le français est langue officielle et où l’anglais est marginal ? En quoi rater cet examen devrait empêcher l’exercice de cette mission ? C’est absurde, c’est idiot, c’est même destructeur.

    Il faut dire que notre gouvernement et ses cabinets sont surtout issus de la finance internationale où, en effet, un certain anglais sert de langue de communication (au mieux), de transaction (surtout). C’est à travers ce filtre qui instrumentalise l’éducation en général et l’éducation aux langues en particulier qu’on y voit les langues. Les textes publiés disent bien, du reste, que la certification présentée par les étudiant.e.s doit être « externe » ainsi que « reconnue au niveau international et par le monde socio-économique » (« monde socio-économique » = monde l’entreprise).

    Et comme ils sont toujours surs d’avoir raison, ils ne consultent jamais les professionnels de terrain (les universités ont découvert ce texte bien après sa publication) et, de toute façon, ne les écoutent pas : aucun des avis (avis négatif du CNESER à la quasi unanimité et du réseau des VP CFVU des universités), aucune des lettres, déclarations, motions, propositions adressées aux ministères concernées n’a été pris en compte[3].

    Philippe BLANCHET

    source:  https://blogs.mediapart.fr/philippe-blanchet/blog/120720/une-certification-privee-en-anglais-imposee-pour-valider-licences-bts-et-dut?utm_source=

    [1] https://centraledesmarches.com/marches-publics/Paris-Ministere-de-l-education-nationale-Mise-en-oeuvre-et-delivrance-d-une-certification-en-anglais-pour-des-etudiants/5135755

    [2] http://www.wikilf.culture.fr/barometre2017/index.php

    [3] Par exemple : https://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article8086http://www.adeb-asso.org/certifications-en-anglais-prise-de-position-de-ladeb/https://www.aeciut.fr/wp-content/uploads/2020/04/lettre-ouverte-premier-ministre-cles-24.01.2019.pdf,https://www.snesup.fr/rubrique/certificationhttp://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8704 ...

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