Une claque pour Emmanuel Macron et la percée historique de l’extrême droite à l’Assemblée nationale : ce sont deux des trois principaux enseignements du second tour des élections législatives, à nouveau déserté par plus de la moitié de l’électorat. Le troisième ? La gauche unie, Nupes, devient le premier groupe d’opposition.
Comme au premier tour, la participation est très faible : l’abstention atteint 54 % selon les estimations diffusées dimanche soir. C’est un peu moins qu’il y a cinq ans (57 %), mais dix points au-dessus du chiffre de 2012.
Ces données signent, de nouveau, un désaveu net pour nos institutions et pour les formations politiques représentées. La recomposition du champ politique en trois blocs (gauche, centre et droite/extrême droite) n’y a rien changé. Et si l’on peut supposer que l’union de la gauche, tant réclamée par une partie de l’électorat, a conduit à limiter la désertion des urnes, elle n’a clairement pas suffi à remobiliser massivement les Français·es, notamment les plus jeunes.
La débâcle pour la Macronie
Selon les estimations diffusées à 20 heures par les chaînes de télévision, la majorité sortante est sévèrement sanctionnée, deux mois après la réélection d’Emmanuel Macron. Pour la première fois depuis trente ans, il n’y a pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale et l’exécutif devra trouver des alliances sur chaque texte (ou passer en force autant que lui permet la Constitution, au risque de diviser encore plus le pays). « Une première place décevante », sont convenus la porte-parole du gouvernement Olivia Grégoire et le ministre de la justice Éric Dupond-Moretti.
Ensemble, la coalition formée par LREM, Horizons et le MoDem, obtient, selon les estimations, entre 220 et 240 sièges. Très loin de la majorité absolue (289). Arrivent ensuite la Nupes (entre 150 et 180 sièges), puis le Rassemblement national qui obtient un score historique (entre 80 et 90 sièges) et enfin Les Républicains (entre 60 et 70 sièges).
Ce très mauvais score pour Ensemble se reflète dans la liste des personnalités battues. Plusieurs ministres devront quitter le gouvernement : Justine Benin, ministre de la mer, a perdu en Guadeloupe, tout comme la ministre de la santé Brigitte Bourguignon, battue de 56 voix par le Rassemblement national (RN), dans sa circonscription du Pas-de-Calais, et la ministre de la transition écologique, Amélie de Montchalin, en Essonne face à Jérôme Guedj (Nupes).
En revanche, Élisabeth Borne l’a emporté en Normandie (mais avec un score peu enthousiasmant de 52 %), tout comme une petite dizaine de ministres dont Damien Abad et Gérald Darmanin, tous deux visés par plusieurs témoignages de violences sexuelles.
Symbole de cette débâcle, le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand a perdu dans son fief du Finistère face à une candidate de la Nupes (gauche unie). Le président du groupe LREM Christophe Castaner est lui aussi défait dans les Alpes-de-Haute-Provence, battu par la Nupes. Le président du groupe Modem Patrick Mignola subit le même sort.
Au vu de ces premières estimations, Emmanuel Macron pourrait alors se résoudre à négocier avec Les Républicains (LR), soit pour sceller un pacte de gouvernement (soutenu par Jean-François Copé), soit pour mener des discussions privilégiées au cas par cas (option défendue par Rachida Dati ou par Aurélien Pradié qui ne veut pas être « une opposition bête et méchante » mais ne veut pas « sauver la peau » du président).
Selon les projections diffusées dans la soirée, la droite classique obtient entre 60 et 70 sièges. Il faudra surveiller, avec l’arrivée de résultats définitifs, si le total Ensemble/LR suffit à atteindre le seuil fatidique des 289 sièges. Dimanche soir, la première ministre Élisabeth Borne s’est engagée à bâtir une « majorité d’action », avec des « sensibilités multiples associées », tout en promettant « d’amplifier et d’accélérer » l’action du gouvernement.
Le président de la République, mal réélu face à l’extrême droite en avril, a en tout cas manqué son pari : c’est la première fois depuis 1988 que la majorité absolue n’est pas acquise au chef de l’État tout juste élu. Ce résultat signe le profond rejet de sa personne et de sa politique dans une partie de l’électorat. La faute, aussi, à une campagne durant laquelle il a donné l’impression d’esquiver tout débat, sans réel projet pour les cinq ans qui viennent.
"Maintenant, Emmanuel Macron va-t-il nous reconnaître dans la République ?"
Sandrine Rousseau, écologiste
Le pouvoir porte aussi une grande responsabilité dans le score de l’extrême droite, alors qu’il n’a cessé de diaboliser l’alliance à gauche autour de Jean-Luc Mélenchon. Emmanuel Macron, sur le tarmac de l’aéroport l’emmenant vers l’Ukraine, avait demandé « une majorité solide pour assurer l’ordre » car « rien ne serait pire que d’ajouter un désordre français au désordre mondial ». « Dimanche, aucune voix ne doit manquer à la République », avait-il lancé, transformant ses adversaires de gauche en ennemis de la République.
La République en marche (LREM) avait d’ailleurs été incapable de fournir une consigne de vote claire pour les 65 duels Nupes/RN, marquant à la fois la faiblesse de sa campagne, et la stratégie dangereuse de l’Élysée. Les scores dans plusieurs circonscriptions et les premières indications sur les reports de voix – à affiner là aussi après les résultats définitifs – montrent que l’électorat d’Emmanuel Macron et de LR a refusé de faire barrage à l’extrême droite.
D’après un sondage sortie d’urnes Ipsos, en cas de duel Nupes/RN, 72 % des électeurs Ensemble se sont abstenus, 16 % ont voté Nupes, 12 % pour le RN. Chez les électeurs LR, 58 % n’auraient pas voté, 30 % auraient voté pour le RN et 12 % pour la Nupes.
« Les donneurs de leçon ont été incapables de donner une consigne claire dans 52 cas. Ce qui les disqualifie dorénavant à faire des leçons de morale pour qui que ce soit », a rappelé dimanche soir Jean-Luc Mélenchon, dont l’électorat a largement contribué à la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle.
« En mettant un signe égal entre l’extrême droite et la Nupes, les macronistes ont tourné le dos aux valeurs républicaines et donné au RN son plus gros score de l’histoire/L’échec et la honte/Nous n’oublierons jamais », a dénoncé sur Twitter la sénatrice écologiste Mélanie Vogel, résumant un sentiment largement partagé à gauche. « La Ve République arrive au bout de sa vie, a réagi Sandrine Rousseau, élue députée de Paris. Maintenant, Emmanuel Macron va-t-il nous reconnaître dans la République ? »
Un groupe historique pour l’extrême droite
Car le séisme politique est venu de l’extrême droite : malgré une campagne souvent qualifiée de ratée de Marine Le Pen, le Rassemblement national (RN) a concrétisé sa progression continue depuis des décennies. Non seulement il pourra constituer un groupe parlementaire, ce qu’il n’est jamais parvenu à obtenir depuis 1988, mais il multiplie par dix le nombre de ses député·es : le RN pourra compter entre 80 et 90 sièges.
En 2017, il n’avait réussi à arracher que huit circonscriptions. Deux mois après l’échec de Marine Le Pen à la présidentielle, c’est un choc immense, alors que le scrutin majoritaire à deux tours est clairement défavorable à l’extrême droite.
Triomphante devant la presse, Marine Le Pen a salué ce résultat historique, en dépit d’un « mode de scrutin particulièrement injuste et inadapté à notre temps ». « Nous avons atteint les trois objectifs » fixés par le parti d’extrême droite : « Faire d’Emmanuel Macron un président minoritaire ; poursuivre la recomposition politique indispensable ; constituer un groupe d’opposition déterminant face aux déconscructeurs d’en haut, les macronistes, et les déconstructeurs d’un bas, l’extrême gauche antirépublicaine. »
Le parti dirigé par intérim par Jordan Bardella, qui a réussi à neutraliser l’opération Reconquête d’Éric Zemmour (aucun siège), a promis de n’être pas « dans l’opposition de cinéma », alors qu’il a jusque-là brillé par son absentéisme au Parlement. Ces résultats viennent confirmer ceux du premier tour, lors duquel le RN avait déjà engrangé plus de 1,2 million de voix supplémentaires qu’en 2017. Il était présent au second tour dans 208 circonscriptions, contre 119 en 2017.
La victoire relative de la gauche unie
Ce scrutin, qui proposait de manière inédite les trois blocs issus de la recomposition du champ politique français, était aussi un test crucial pour la gauche française qui a bâti en quelques semaines une alliance inédite avec la Nupes, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, avec La France insoumise, le PS, Europe Écologie-Les Verts et le PCF.
Ces formations emmenées par Jean-Luc Mélenchon (22 % au premier tour de l’élection présidentielle) vont tripler le nombre de leurs élu·es à l’Assemblée avec entre 140 et 190 sièges selon les estimations. « C’est une percée incroyable, une validation d’une stratégie d’un rassemblement des forces sociales et écologiques sur la base d’un changement profond de la société », s’est félicitée Clémentine Autain (La France insoumise). Sandrine Rousseau (EELV) : « En 2017, nous étions laminés. Nous revenons en force. »
Mais malgré le scénario inédit offert par ce scrutin, le chef de l’opposition de gauche ne pourra pas prétendre disposer d’une majorité et former un gouvernement. Les tentatives pour clarifier l’enjeu du vote – avec l’appel à élire Mélenchon premier ministre – et pour remobiliser l’électorat de la présidentielle – les jeunes et les quartiers populaires – n’ont pas suffi.
Mais Mélenchon pouvait se satisfaire de l’échec d’Emmanuel Macron : « Même si nous n’avons pas de résultats suffisamment définis, a-t-il déclaré en début de soirée, c’est une situation totalement inattendue, absolument inouïe. La déroute du parti présidentiel est totale et aucune majorité ne se présente. Nous avons réussi l’objectif politique que nous nous étions donné en moins d’un mois de faire tomber [le président]. »
« Le macronisme a plongé le pays dans une impasse », a-t-il ajouté, avant d’exclure toute alliance avec LREM et ses alliés. « Il n’y a aucun clivage à dépasser avec nous, car nous ne sommes pas du même monde, nous n’avons pas les mêmes valeurs », a indiqué Mélenchon, qui n’était pas candidat.
Il a fini par un appel à la jeunesse – le point fort électoral de la Nupes – pour les combats futurs. Cette alliance inédite a permis la reconduction de toutes et tous les Insoumis (à l’exception de Michel Larrivé en Ariège, battu par un dissident du PS), de socialistes (Valérie Rabault ou Boris Vallaud) de communistes (Fabien Roussel réélu face au RN), le retour des écologistes à l’Assemblée (dont leur patron Julien Bayou ou Sandrine Rousseau).
Cette performance va aussi conduire de nouveaux visages à l’Assemblée, à l’image de l’écologiste Alma Dufour ou la cheffe de file de la lutte des femmes de chambre de l’Ibis des Batignolles Rachel Keke qui a battu l’ancienne ministre des sports Roxana Maracineanu dans le Val-de-Marne. Ce sont à elles et eux que reviendra désormais la tâche – immense – de convaincre une grande partie de l’électorat populaire, abstentionniste ou acquis à l’extrême droite, de faire confiance aux gauches unies.