6 h 45 à l’Ehpad Saint-François, à Saint-Martin-des-Champs. Charlène, infirmière, prend son service. Elle sait déjà qu’elle ne pourra pas voir l’ensemble des 108 résidents de la maison de retraite. Et pour cause : sur les six infirmiers et infirmières de l’établissement, trois sont actuellement en arrêt. Faute de remplacement avant fin mai, il a fallu s’adapter : elle sera seule jusqu’à 11 h 30 et l’arrivée de sa collègue qui fera la fin de journée.
"On ne va pas se cacher. On est à la chaîne…"
« En temps normal, on est trois, on peut passer dans toutes les chambres. Mais aujourd’hui, on va à l’essentiel. » La professionnelle de santé verra ceux qui ont des soins spécifiques comme les prises de sang, les contrôles de glycémie, du collyre pour les yeux, de l’insuline… Les médicaments, eux, sont distribués par le personnel qui sert le petit-déjeuner. « On ne va pas se cacher. On est à la chaîne… », avoue celle qui travaille à Saint-François depuis 2015. « C’est frustrant. Je connais tous les résidents, leurs manies, leurs habitudes… Mais c’est trop speed. Alors, on n’a pas le choix, on met des limites pour se protéger ».
Pour n’oublier aucun soin ou médicament à administrer, les infirmiers de l’Ehpad Saint-François sont équipés d’un registre numérique.« On s’occupe bien de nous, mais… »
Françoise, 70 ans et résidente à Saint-François depuis un an, a un regard lucide sur la situation : « On s’occupe bien de nous. Mais on peut voir que, parfois, l’écoute est superficielle. Les infirmières, les aides-soignantes… Ils manquent de temps. J’en suis consciente… »
Moment d’échange entre infirmières quand Charlène accueille sa collègue du soir, Laëtitia.Le manque de personnel. C’est le mal qui mine les Ehpad. Saint-François ne fait pas exception. En avril, la direction indiquait avoir huit postes en CDI vacants. Dont six chez les aides-soignantes, qui, chaque jour, sont celles qui aident les résidents - 87 ans en moyenne - à réaliser ce qui est devenu impossible : toilettes, douches, habillement, bas de contention, rasage, coiffage, maquillage… Et même le réglage du réveil ou de la télé si besoin !
"Le côté humain a complètement disparu… On nous demande de faire toujours plus avec moins de moyens et moins de monde !"
« L’idéal serait d’avoir trois quarts d’heures avec chacun. Mais c’est impossible ! », déplore Nathalie, les yeux sur le planning - très serré - de son étage. Ce sera plutôt un quart d’heure ou 20 minutes. « Et oui, parfois, si quelqu’un est absent, on doit déplacer une douche d’un jour ou deux, voire une semaine. Mais ils ont tous les jours leur toilette ! »
Parmi les missions des aides-soignantes, aider les résidents à enfiler leurs bas de contention. À chaque fois, le geste demande plusieurs minutes et de la force.« Le côté humain a disparu »
Les « blouses bleues » enchaînent les chambres. Discutent tout en surveillant l’évolution de chacun. Mais dans les couloirs, la lassitude se ressent. Cette aide-soignante depuis 37 ans estime que « le côté humain a complètement disparu… On nous demande de faire toujours plus avec moins de moyens et moins de monde ! »
Après « l’affaire Orpéa », toutes et tous ont pris de plein fouet la « suspicion » des familles. « C’est dur… Parce que nous ne sommes pas les fautifs, ce sont les décideurs politiques ! Orpea a fait un électrochoc, mais ça fait des années qu’on travaille dans des conditions difficiles ! », lance une aide-soignante.
Des métiers qui n’attirent plus
Ce que confirme Véronique, l’infirmière coordinatrice. Elle a vu les choses se dégrader. La covid a enfoncé le clou. « Nos métiers n’attirent plus. Les nouvelles générations ne veulent plus d’horaires décalés, travailler un week-end sur deux, du niveau de salaire… ». Alors, quand on manque de bras, les équipes s’adaptent. « On augmente la durée des journées, on change les plannings. On fait avec moins de monde… Par contre, on ne fait pas revenir les gens sur leurs congés. C’est sacré ! » Mais combien de temps pourront-ils tenir à ce rythme ? « On aime notre métier mais on y laisse une partie de notre vie privée. Les gens ne se rendent pas compte », lâche une aide-soignante.
Le matin à l’Ehpad Saint-François, les différents personnels se croisent à l’heure de la distribution des petits-déjeuners.