L’intérêt affiché par les institutions européennes pour la question écologique provient d’abord des nécessités liées à la création du Marché unique : comme le résume l’historien Bernard H. Moss, « il était impossible de créer un marché commun sans une certaine harmonisation des normes relatives à la santé et à la sécurité »1. À l’origine donc, le désir d’éliminer les obstacles au commerce et les distorsions de concurrence constitue la principale raison d’être de la « politique environnementale » de l’Union européenne.
S’appuyant sur l’article 100 du traité de Rome2, la Communauté européenne adopte une première directive liée à l’environnement en 1967 ; elle porte sur les normes de classification, d’emballage et d’étiquetage des substances dangereuses, mais son objectif réel était bien de favoriser le commerce.3 La Communauté européenne ne s’attaque alors qu’aux problèmes environnementaux ayant un impact substantiel sur le fonctionnement du marché, d’où leur négligence en matière de protection de la biodiversité, non concernée par l’organisation de la libre concurrence et circulation des biens. Ainsi, l’environnement se conçoit comme une question technique et au domaine d’action limité à des harmonisations de réglementations nationales pour empêcher les distorsions de concurrence.
Dans les années 1980, du fait de la popularité des partis écologistes en Allemagne, aux Pays-Bas ou encore au Danemark et de l’extension de ses compétences avec l’Acte unique en 1984, la Communauté européenne intervient dans un champ plus large, fixant par exemple des premières valeurs limites sur la pollution de l’air.4 Mais à partir des années 1990, en dépit de la création de l’Agence européenne pour l’environnement réduite à un rôle consultatif, les pressions de différents lobbys se développent, comme l’illustre le rapport Molitor de 1995.5 Ce dernier, rédigé par des experts « indépendants » et des représentants de l’industrie, se plaint d’un « excès de réglementation [qui] étouffe la croissance, réduit la compétitivité et prive l’Europe d’emplois » et « entrave l’innovation et dissuade l’investissement des entreprises européennes comme des entreprises étrangères ».
L’accord de libre-échange entre l’UE et le Vietnam témoigne à nouveau de son hypocrisie en matière environnementale. Il s’accompagne d’un mécanisme de protection des investissements, qui permet aux grandes entreprises… de poursuivre le gouvernement vietnamien s’il décide de relever ses normes sociales ou environnementales !
Le rapport invite à la déréglementation de quatre secteurs principaux, parmi eux l’environnement et la législation sociale. Ces pressions vont notamment faire échouer le projet de taxe carbone aux frontières – suggéré par Jacques Chirac – et rendre beaucoup moins efficace le marché carbone mis en place en 2005 : au lieu d’une tarification carbone sur les industries pour les inciter à verdir leurs investissements, l’absence de protection aux frontières oblige l’UE à accorder des quotas gratuits (aujourd’hui encore plus de la moitié) afin d’éviter les délocalisations en dehors du marché unique. Ces quotas gratuits, en plus de l’abondance de quotas créée par la baisse temporaire des émissions à la suite de la crise de 2008, entraînent un effondrement du prix du carbone qui oscille pendant près de 10 ans entre 5 et 10€/tCO2, ce qui ne permet pas d’entraîner une modification écologique des investissements. Depuis lors, on observe une réduction nette des dossiers de procédures législatives ordinaires impliquant la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI) au sein du Parlement européen – de 30% sous la Commission Prodi (1999-2004) à 5% sous la Commission Juncker (2014-2020).6
Dans une contribution collective, les chercheurs Wyn Grant, Duncan Matthews, et Peter Newell concluent : « l’asymétrie du pouvoir entre les entreprises et les associations de défense de l’environnement ne devrait pas être une surprise dans une organisation dont l’objectif principal est de créer et de développer un marché intérieur ».7 C’est donc à l’aune de ces racines bien particulières de la « politique environnementale » de l’Union européenne que l’on doit juger l’action actuelle de celle-ci.
Le mirage de la « neutralité carbone »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Union européenne n’a pas abandonné ses néolibéraux dans sa politique environnementale. Ursula von der Leyen a bien tenté de « sortir le grand jeu » en décembre 2019 avec sa présentation du Pacte vert européen – véritable man-on-the-moon moment pour l’Europe. Ce Pacte repose sur une dissociation durable entre « la croissance économique et […] l’utilisation des ressources »8, un découplage que l’Agence européenne pour l’environnement juge elle-même « peu probable » avec les paramètres actuels.9 C’est sur ce socle que s’établit une politique environnementale européenne inconséquente et volontairement dépourvue de moyens.
L’objectif, pour l’UE, d’atteindre la « neutralité carbone » en 2050 a fait l’objet d’une importante médiatisation. Celui-ci équivaut pourtant à une forme de greenwashing, car cette notion ne peut se définir qu’à l’échelle de la planète. La « neutralité carbone », en effet, ne prend en compte que les flux polluants sortants des produits. Elle ne comptabilise aucunement les émissions de CO2 générées par la production d’un objet importé en Europe. Peu importe, donc la pollution générée en amont des importations européennes, pourvu que l’utilisation de ces produits sur le sol européenne soit propre ! Pire : les quelques normes qui pourraient être édictées pour verdir le système productif européen risquent d’accroître la tendance des entreprises européennes à la délocalisation – délocalisant du même coup la pollution, mais ne la réduisant nullement à l’échelle globale.
Comme l’illustrent les âpres négociations lors de l’été 2020 aboutissant à un plan de « relance » dérisoire10, la position inflexible des pays « frugaux » contribue à ces différents manques étudiés d’une politique environnementale finalement sans ambition. Au sein même du collège, Ursula von der Leyen est sujette à une défiance grandissante, pour son « exercice du pouvoir vertical et solitaire » selon un fonctionnaire européen11, mais aussi parce qu’elle doit faire face à la défense des intérêts nationaux par certains commissaires comme la Suédoise Ylva Johansson aux Affaires intérieures, qui s’inquiète de la stratégie de la Commission sur les forêts qui jouent un rôle important dans l’économie de son pays.12 Sur les questions environnementales, la Direction générale pour le Climat et l’Agence européenne pour l’environnement, plus progressistes, paraissent bien isolées – et impuissantes face aux directions générales de la Concurrence, du Budget, des Affaires économiques et financières, de la Fiscalité et de l’union douanière, et du Commerce qui sont sur une ligne néolibérale assumée !
S’ajoute une division entre Europe de l’Ouest et de l’Est, la partie orientale du continent ayant un mix énergétique beaucoup plus riche en charbon que l’Ouest, d’où de fortes réticences face à un Green Deal, quel qu’en soit le contenu – qui, à l’image de l’intégration européenne, accentue alors les disparités entre États plutôt que d’entraîner une convergence.13 C’est ce que résument Asya Zhelyazkova and Eva Thomann : « alors que certains États-membres ne respectent pas les règles environnementales de l’UE, d’autres mettent en œuvre des politiques plus ambitieuses que ce que l’UE exige officiellement ».14
Enfin, l’influence des lobbies réduit un peu plus l’impact de la politique environnementale européenne. Comme le remarquent Nathalie Berny et Brendan Moore, notamment spécialistes de l’organisation des groupes d’intérêts à Bruxelles, « l’arrivée de COVID-19 a fourni aux intérêts des milieux d’affaires une occasion inattendue de faire pression pour une mise en œuvre plus lente et des objectifs plus faibles ».15 En juillet dernier, des groupes industriels majeurs publiaient un rapport condamnant les propositions européennes en matière environnementale.16 Si des ONG et associations écologiques puissantes existent et offrent une résistance, elles font face à des intérêts bien plus puissants.
Il faut donc sortir de la naïveté : la seule « volonté politique » agitée par la gauche social-démocrate pour réformer l’UE ne suffira pas pour concrétiser un plan écologique ambitieux de la part de celle-ci, au vu du rapport de force en place et de l’absence de consensus sur plusieurs plans au sein de l’UE. Les gouvernements de la majorité des pays, ainsi que de puissants intérêts économiques, ne souhaitent aucunement un tel dispositif.
Il est paradoxal que la plupart des mouvements écologistes européens ne prennent pas en compte cet état des rapports de force, et se contentent de psalmodier que la solution réside dans une fédéralisation européenne accrue – comme si les institutions européennes et le cadre européen lui-même ne constituaient pas des obstacles décisifs à la mise en place d’une politique environnementale.
Un libre-échangisme zélé
Ce n’est pas la politique commerciale, compétence exclusive de l’Union, qui va rattraper les maigres ambitions écologiques de cette dernière. En continuant à ignorer ses émissions sur son territoire calculées en net (émissions importées moins les émissions exportées), elle réaffirme son credo libre-échangiste originel. Rappelons que la mise en place d’une taxe carbone aux frontières évoquée plus haut a échoué du fait de l’opposition des libre-échangistes de la Commission.
Là encore, l’Union européenne offre une communication enjolivée sur les Chapitres sur le commerce et le développement durable (CDD) inclus depuis 2011 dans les accords de libre-échange (ALE). Ces chapitres engagent l’UE et son partenaire commercial à respecter, entre autres, « les normes et les accords internationaux en matière de travail et d’environnement », à « pratiquer un commerce durable des ressources naturelles, […] lutter contre le commerce illégal des espèces de faune et de flore menacées et en voie d’extinction ».17 Ici encore, ces déclarations d’intention se heurtent à la réalité. Un des membres du groupe consultatif sur la mise en œuvre du CDD dans le cadre de l’accord commercial signé en 2011 entre l’UE et la Corée du Sud – premier accord à inclure un tel chapitre – le reconnaît : « le comportement de l’UE en ce qui concerne le CDD est […] hypocrite ».18 En effet, la chercheuse néerlandaise Demy van ‘t Wout, à partir des accords de libre-échange de l’UE avec la Corée du Sud, le Canada et le Japon, montre qu’en l’absence de mécanismes de sanction en cas de non-respect des différents accords internationaux sur l’environnement, le chapitre apparaît « sans importance pour la Commission », étant simplement inclus « pour lui donner une bonne image à l’échelle mondiale ».19 Bref, ce chapitre ressemble à du greenwashing plus qu’autre chose.
Plus récent encore, l’accord de libre-échange entre l’UE et le Vietnam, entré en vigueur à l’été 2020 montre de nouveau l’hypocrisie de l’UE en matière environnementale. Cet accord de libre-échange s’accompagne d’un mécanisme de protection des investissements, qui accorde des droits aux grandes entreprises sur leurs intérêts commerciaux au Viêt Nam. Les entreprises européennes, en cas d’investissement dans ce pays, pourront poursuivre le gouvernement vietnamien si, par exemple, le pays décide de relever les normes réglementaires en matière de travail ou d’environnement considérées comme néfastes pour les entreprises. C’est ici que réside une contradiction majeure de l’accord UE-Vietnam. Si le Vietnam prend des mesures pour mettre en œuvre les clauses de durabilité qu’il a convenues avec l’UE, il devient vulnérable aux contestations judiciaires des grandes entreprises.20 De tels manques ont continuellement été dénoncés par les eurodéputés, et ce dans la quasi-indifférence de la Commission européenne.
La maigreur des instruments budgétaires apparaît comme un obstacle de taille pour mener une politique écologique ambitieuse. Même la gauche la plus pro-européenne le reconnaît
Ce chapitre communicationnel ne doit pas non plus cacher les effets environnementaux du libre-échange en lui-même. Un tel credo dans la politique commerciale de l’UE implique en effet l’intensification des échanges internationaux et avec lui la croissance des émissions de gaz à effet de serre. Or les émissions liées aux échanges de biens et services représentent un quart des émissions mondiales totales de CO2.21 L’accroissement des échanges qui est l’un des objectifs clairement affichés de l’UE derrière ces accords commerciaux – où l’élimination des barrières douanières offre de nouveaux débouchés pour les industriels allemands en particulier – ne résoudra pas la crise climatique. Bref, une nouvelle absurdité de la politique environnementale de l’UE. Et les appels de certains pour inverser la tendance apparaissent bien risibles : on voit mal comment une organisation affirmant son libre-échangisme zélé depuis 195722 prendrait d’un coup une voie opposée.
Impasse des instruments
Avec ses Etats-membres, l’UE adopte une même posture qui cache l’absence de moyens opérationnels pour mettre en place les différentes actions écologiques, et surtout la pauvreté des instruments mobilisés sur cet enjeu. La maigreur des instruments budgétaires apparaît comme un obstacle incontournable pour mener une politique écologique ambitieuse. Même la gauche la plus pro-européenne, de Yanis Varoufakis à Aurore Lalucq, le reconnaît.23 Le rejet de la dépense publique poursuit les institutions européennes, et permet de comprendre la place prise par les entreprises dans leur stratégie environnementale. Le budget européen n’a que très peu de fonds. Au total, quand la France – 17,5% du PIB de l’UE – dépense presque 32,5 milliards annuellement, ce qui est déjà considéré comme insuffisant, l’UE prévoit de dépenser 100 milliards sur 10 ans…
Cette méfiance vis-à-vis de la dépense publique reflète alors la logique d’une écologie de marché s’illustrant par la volonté « d’inciter par le prix » , et d’organiser la libre concurrence avec l’espoir affiché que celle-ci entraînera les entreprises à réduire leurs comportements polluants. Et en les mettant en centre du jeu d’une telle façon, l’Union européenne fait pourtant preuve, une nouvelle fois, d’inconséquence. Par exemple, les obligations vertes pourront être vendues à de grands groupes gaziers et pétroliers, qui pourraient utiliser le financement par ces obligations pour des projets éoliens ou solaires, tout en maintenant, voire en augmentant, leurs investissements dans les infrastructures fossiles.24 Comme le chercheur Paul Schreiber le résume, « le cadre européen pour les obligations vertes, tel qu’il est mis en place actuellement, ne se situe pas au niveau de l’entreprise, mais au niveau du pays. Et il délègue le travail de conformité à une partie privée ». Car c’est effectivement une agence de notation privée, Vigeo Eiris, qui vérifiera le respect des normes bien légères par les entreprises usant de ces obligations…
Même constat pour le Fonds de transition juste, créé pour aider les régions qui dépendent davantage que les autres des énergies fossiles – particulièrement en Europe de l’Est – à assurer leur transition énergétique durable, mais risque en fait de subventionner les grandes entreprises existantes qui exploitent les énergies fossiles.25
Enfin, sur la taxonomie verte que prépare la Commission, l’inclusion des investissements dans l’énergie nucléaire, initialement recommandée par les experts chercheurs de la Commission26, soutenue par la France, mais fortement contestée par un groupe autour de l’Allemagne pourrait vraisemblablement se payer de l’inclusion parallèle du gaz (considéré comme « vert » car émettant 2 fois moins de CO2 que le charbon …) après des mois de bataille d’influence entre français et allemands.27
On retrouve une hypocrisie similaire avec le projet de la taxe carbone aux frontières, officiellement dénommé « mécanisme carbone d’ajustement aux frontières ». Celle-ci est destinée à remplacer les quotas gratuits d’émissions carbones pour préserver la compétitivité des industries lourdes et éviter les fuites de carbone que pourrait générer une politique européenne plus ambitieuse. Mais comme l’explique Eline Blot, analyste spécialisée dans le commerce au sein du groupe de réflexion Institute for European Environmental Policy, la proposition de la Commission « semble prolonger, plutôt qu’accélérer, la suppression progressive des quotas gratuits accordés à l’industrie européenne ».28 Ces quotas, très critiqués en dehors de l’UE car considérés comme des aides d’Etat, seront progressivement supprimés entre 2026 et 2035 à raison de -10% par an quand le mécanisme entrera en vigueur en 2024 ou 2025. Autrement dit, ce mécanisme ne servira pas à grand-chose sur le plan environnemental avant 2030.
On voit donc bien que la conception portée par l’UE de l’entreprise et de la libre concurrence comme leviers d’une politique écologique permet d’alléger les contraintes pesant sur les acteurs économiques. C’est le constat des politistes Asya Zhelyazkova et Eva Thomann : « la mise en œuvre reste le talon d’Achille de la politique européenne, contribuant au maintien de résultats environnementaux divers sur le terrain dans les États membres ».29
Par exemple, le fameux scandale du Dieselgate en 2015 montre qu’une directive européenne de 2007 fixant des limites sur les émissions de gaz d’échappement des nouveaux véhicules vendus dans les États membres de l’UE a été ignorée par l’Allemagne – et donc Volkswagen. Dans un autre domaine qu’est celui de la politique de l’eau, un rapport de l’Assemblée nationale publié il y a deux ans pointait les problèmes posés par la politique agricole intensive et celle de la concurrence instaurées par l’UE, entravant une bonne gestion de l’eau et empêchant d’atteindre des objectifs fixés par l’UE elle-même dans une directive-cadre de 2000.30 La politique européenne de l’eau fut pourtant entamée dès les années 1970, avec un même échec du fait d’une part d’un manque d’instruments pour tester les résultats et d’autre part d’un excès de règles contradictoires. On notera enfin que la plupart des moyens budgétaires sur le plan environnemental seront laissés aux Etats-membres.
Un volet social soigneusement ignoré
On aurait tôt fait de passer sous silence les conséquences sociales de ces accords de libre-échange et, plus largement, du modèle ordo-libéral de l’Union européenne, qui confine la portée de ses effets d’annonce écologistes aux classes sociales qui en bénéficient. Rappelons, comme le fait Bernard H. Moss31, que les partis écologistes européens effectuent des scores importants au sein des classes moyennes et supérieures, urbaines et diplômées. Dans le triangle d’incompatibilité entre une politique sociale, une politique écologique et une défense orthodoxe du marché unique, il semblerait que les institutions européennes aient tranché depuis belle lurette…
Symptôme de cette approche transclassiste de l’écologie, le marché carbone ETS pourrait, avec son extension au transport routier et au résidentiel, toucher autant les consommations vitales qu’élitaires. Une approche contraire à celle de la Convention Citoyenne pour le Climat qui suggérait d’interdire d’abord toutes les émissions ostentatoires comme les vols intérieurs, jets privés et yachts.
On voit là toutes les limites d’une écologie ignorante de la question sociale, et le risque d’un durcissement autoritaire dans la mise en place de sa politique. Car comment croire que les réformes de l’assurance-chômage et des retraites, que doit mettre en place le gouvernement français pour bénéficier du plan de « relance » européen, pourront faciliter l’adhésion populaire à une politique environnementale ?
Ce manque de consensus explique également un problème pointé par des chercheurs dans cette Europe à plusieurs vitesses sur le plan environnemental : un « suivi de l’application par les institutions européennes […] souvent très long ».32 Cette lenteur engendre évidemment des conséquences encore plus graves dans le domaine de l’environnement que d’autres. Par exemple, l’arrêt début septembre de la CJUE a interdit aux entreprises de l’UE de combustibles fossiles d’utiliser un mécanisme inscrit dans le Traité sur la charte de l’énergie (TCE) signé en 1994 leur permettant de réclamer des compensations aux Etats-membres qui décidaient de réduire progressivement l’emploi des énergies fossiles. Il a fallu donc attendre 27 ans pour la mise en place de cette norme élémentaire…
La taxe carbone aux frontières ne rentrera ainsi en vigueur qu’en 2026 et au prix de nombreux renoncements, eux-aussi fruits d’un compromis entre Etats.34
Face à ces multiples obstacles dans la mise en place d’une politique écologique à l’échelle européenne, la gauche pro-européenne, notamment emmenée par les Verts allemands, n’est pas avare en propositions. Elle suggère par exemple la mise en place d’un mécanisme de sanction dans les CDD des accords de libre-échange. Mais une telle proposition passe sous silence plusieurs aspects : parmi eux, l’absence de consensus au sein de l’UE à l’origine de l’absence de ce mécanisme comme le font valoir de nombreux spécialistes du sujet35 mais aussi l’indifférence continue de la Commission à de telles réformes – les « pressions » des parlementaires européens pour la mise en place de ce mécanisme n’ont cessé, en vain, depuis dix ans.
Peut-on sérieusement imaginer l’UE se faire la promotrice de la dépense publique, des monopoles publics, comme le fait la gauche social-démocrate en agitant ses tribunes pour un « Maastricht vert » ?36 Une écologie sans contrepartie sociale serait inconséquente et, là encore, l’UE pose de tels blocages pour une politique de transformation sociale37 qu’envisager un renversement relève de la chimère – alors même que le retour de l’austérité semble bien programmé.38
En rendant compte du rapport de l’UE à l’environnement, on perçoit donc mieux les contradictions fondamentales de celle-ci : conçue à l’origine comme une organisation économique visant à éliminer les barrières douanières, ses dogmes ordo-libéraux – libre-échange, concurrence libre et non faussé, libre circulation des biens et des services, austérité – rendent peu crédibles ses prétendues ambitions écologiques.
La gauche européiste répondra sûrement, qu’à un problème mondial – qu’est le changement climatique – il faut une solution mondiale et privilégier des échelons supérieurs. Il serait fou de nier qu’une politique écologique ambitieuse à l’échelle d’un État-nation comme la France – qui représente 1% des émissions mondiales – puisse, à elle seule, sauver le climat. Mais, au lieu de renoncer à cette ambition au prix de compromis dangereux à l’échelle européenne, elle pourrait au moins accélérer sa transition et montrer la voie à suivre pour les autres pays. Par une étrange ruse de la raison, peut-être la rupture avec l’Union européenne sera-t-elle la voie qui permettra d’entraîner le Vieux continent sur les chemins de la transition…
Notes :
[1] Bernard H. Moss, Monetary Union in Crisis The European Union as a Neo-Liberal Construction, 2005, p. 65.
[2] « Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, arrête des directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché commun ».
[3] The Effectiveness of EU Environmental Policy, 2000, page 9
[5] https://ec.europa.eu/dorie/fileDownload.do?docId=264419&cardId=264419
[6] Environmental Policy in the EU, 2021, page 343
[7] The Effectiveness of EU Environmental Policy, page 65
[9] https://www.eea.europa.eu/publications/growth-without-economic-growth
[10] https://lvsl.fr/plan-de-relance-europeen-la-farce-et-les-dindons/
[13] https://courrierdeuropecentrale.fr/la-pologne-mauvaise-eleve-de-la-lutte-contre-le-rechauffement-climatique-en-europe-a-lest-du-nouveau-2/ – https://www.courrierinternational.com/article/ecologie-un-vent-de-lest-contre-le-green-deal-de-la-commission-europeenne
[14] Environmental Policy in the EU, page 236
[15] Environmental Policy in the EU, page 162