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La destruction de l’hôpital public : le témoignage édifiant d’un médecin réanimateur ! (IC.fr-5/02/21)
La démolition de l’Hôpital Public a commencé de façon rampante il y a une quarantaine d’années et j’y ai assisté de l’intérieur, mais j’ai vraiment pris conscience du processus lorsque, pour des raisons familiales, j’ai quitté mon CHU de formation et d’exercice, une fois le cursus de ma spécialité d’Anesthésie-Réanimation terminée au CHU du Kremlin-Bicêtre en 1984.
J’ai donc intégré le Centre Hospitalier du Belvédère à Mont-Saint-Aignan, en région Rouennaise. Maternité de 3300 accouchements par an, avec une activité de chirurgie gynécologique modérée. Je passe sur le parcours du combattant à travers les arcanes administratifs et la méconnaissance des statuts de l’Assistance publique par la DDASS de la Seine-Maritime qui ont failli me coûter 9 ans d’ancienneté dans mon exercice d’anesthésiste-réanimateur pédiatrique…
Je venais aussi pour soutenir le chef de service qui était seul et donc de garde 24h/24 (aidé de temps en temps par des intérimaires) et qui se trouvait être un ancien collègue, croisé lors de nos gardes dans le service de réanimation du Professeur Gilbert Huault à St Vincent de Paul auprès duquel j’avais continué d’exercer lorsque son service pédiatrique de pointe avait déménagé au Kremlin-Bicêtre.
Au fil des années, la maternité de Mont-Saint-Aignan est devenue une maternité de niveau II : un service de pédiatrie (une unité « Kangourou »), une unité de grossesses pathologiques, 6 salles de naissances équipées pour la réanimation néonatale, et la réanimation et l’anesthésie maternelle, l’analgésie péridurale, un bloc opératoire (2 grandes salles, plus une salle pour les IVG et la petite chirurgie), un service de radiologie et de diagnostic anténatal, des consultations obstétricales (sages-femmes et obstétriciens) et anesthésiques. J’ai mis sur pieds une consultation et un suivi de grossesse des femmes ayant des problèmes d’addiction divers. L’équipe chirurgicale s’est étoffée, les gardes des anesthésistes étaient prises sur place et celles des obstétriciens ont suivi. Les formations régulières des équipes (aides-soignantes, sages-femmes, anesthésistes ou pédiatres pour la réanimation en salle de naissance) n’avaient rien à envier à celles du CHU voisin.
Pendant toutes ces années d’exercice (j’ai pris ma retraite en 2007 après 8 années comme chef de service), il a fallu lutter contre la volonté des ARS et autres instances de “concentration de sites” et de “plateaux techniques “. Et cela malgré notre collaboration active et constante avec le CHU de Rouen. Je viens d’apprendre qu’à partir de mars 2021, la direction sera désormais commune pour le CHU de Rouen et le CH du Belvédère, ce qui signifie surtout : redistribution du personnel et déclassement de nombreuses compétences du Belvédère.
Il a fallu également lutter contre la situation de pénurie permanente de médecins anesthésistes, denrée rare, vendue cher et migrant vers le privé où les émoluments étaient déjà nettement plus importants. La direction de l’hôpital faisait alors appel à de l’intérim, payé bien plus que le praticien hospitalier en place, et nous avions souvent à faire face à des gens incompétents voire dangereux que les agences d’intérim nous envoyaient. Des années de pratique à deux anesthésistes, quand l’un partait en vacances, l’autre était de garde 24 h sur 24.
Il fallait aussi déjà se battre (avec succès, in fine) pour arriver à donner à nos collègues “médecins étrangers”, compétents et fidèles, l’accès au poste et titre de Praticien Hospitalier.
Enfin il ne fallait jamais mollir contre les décisions “managériales” stupides. Par exemple, la décision d’installer, dans chaque chambre de l’unité Kangourou, la possibilité pour les patientes et leur visites de surfer sur le web, comme si dans le temps du séjour en maternité – déjà raccourci par souci « d’économies » – ce “service” était plus essentiel que la mise en route de l’allaitement maternel, l’accompagnement autour de la relation mère/enfant ou père/enfant (surtout pour les patientes de cette unité), les enfants prématurés, les femmes sous traitement de substitution, les enfants sous traitement de substitution pour syndrome de sevrage néonatal, ou encore les primipares jeunes de milieu précaire…
Les injonctions d’augmentation de la “rentabilité” étaient déjà permanentes : “faites plus de césariennes ” disait un “cerveau” de l’ARS.. !
L’externalisation était déjà à la mode puisque la direction avait décidé de sous-traiter la cuisine de l’hôpital en supprimant le poste de cuisinier. Le résultat a été que les femmes recevaient des plateaux incomplètement décongelés, ou que nos plateaux-repas de garde étaient inexistants…Sans parler de certains économes qui contaient les feuillets de PQ, les serviettes de suite de couches à distribuer, ou rôdaient dans les cages d’escalier de la pouponnière en espérant surprendre les auxiliaires de puériculture emportant des parts de repas non consommées par les enfants de l’étage et qu’il était obligatoire de mettre à la poubelle.
Enfin et pour finir, quand il a fallu nommer des successeurs aux postes des chefs de service qui partaient en retraite, les préférences sont allées le plus souvent aux médecins issus des notabilités locales plutôt que vers ceux qui avaient, par la qualité de leur travail et leur sens du service, fait les riches heures de la maternité du Belvédère.
L’hôpital du Belvédère avait commencé comme maladrerie, transformée en institution pour les filles-mères, pour devenir une maternité de pointe malgré les concurrences privées installées délibérément pour lui rapter son public nombreux. Avec des équipes formées et soudées, ayant développé des spécialités qui répondaient aux besoins des populations du bassin rouennais en expansion. La « raison » gestionnaire a eu raison de cinquante ans de travail acharné de son personnel et de ses prises en charges spécialisées.
Docteur I.G.
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Tags : Hopital Public, médecin
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