• Le pari réussi de la Coop des Masques (ParisMatch 24/07/21-15h44)

    L'usine de la Coop des Masques en octobre 2020 et en avril 2021

    Près de Guingamp, une usine de masques chirurgicaux et FFP2 a ouvert, employant une vingtaine de salariés. Mois après mois, voici le récit de la naissance de cette société coopérative d’intérêt collectif.

    Par Anne-Sophie Lechevallier / Photos : Virginie Clavières

    En un coup d’œil, Aurore Ruellan repère une anomalie sur la soudure de l’élastique. Le masque chirurgical défectueux vient de sortir de la très longue machine installée à la Coop des Masques, dans l’ancienne usine d’Alcatel de la zone industrielle de Grâces, à la lisière de Guingamp dans les Côtes-d’Armor. La conductrice de ligne n’a perdu aucun de ses réflexes. Elle les a acquis pendant cinq ans à la chaîne d’une autre usine de masques, à 30 kilomètres de là, à Plaintel, jusqu’à ce que son nouveau propriétaire, Honeywell, se sépare des intérimaires. Enfin la salariée de 42 ans retrouve ce monde de l’industrie textile qu’elle affectionne, après une décennie marquée par une reconversion, puis par un accident qui l’a clouée trois longues années dans une chaise roulante et une formation aux métiers industriels et à la maintenance technique. Aurore Ruellan n’est pas la seule à juger que les conditions y sont meilleures qu’ailleurs. L’atmosphère n’est pas humide, il n’y a pas de saleté, l’ambiance est bonne. Quand elle a appris la création de la Coop des Masques, elle a informé son mari et ses filles de son désir de postuler. Et finalement, le lieu retenu n’est qu’à un quart d’heure de chez elle.

    À la chaîne, ses nouveaux collègues prêtent attention à chacune de ses remarques. Sa parole est d’or, elle est la seule des 24 salariés de l’entreprise, avec le directeur, Patrick Guilleminot, à connaître ce métier. Le jour de l’inauguration, le 22 janvier, ils sont encore en rodage. Après avoir passé leurs entretiens avec succès lors d’une campagne de recrutement organisée par Pôle emploi qui avait suscité 400 candidatures, ils commencent à peine à apprivoiser les machines arrivées de Saint-Étienne. Ils comptent le nombre de mots en langue des signes que leur a déjà appris l’un de leurs collègues sourd –30 % d’entre eux sont en situation de handicap. Tous expriment leur fierté de fabriquer ces équipements de protection qui ont tant fait défaut, de participer à la relocalisation d’une filière industrielle. Ils ont conscience de vivre les prémisses d’un projet et accueillent avec indulgence les aléas des débuts. Il faudra en effet plusieurs semaines pour obtenir les certifications, dompter les machines et tourner à pleine cadence.

    La Coop des Masques à l'agence Pôle emploi de GuigampSeptembre 2020. A l’agence Pôle emploi de Guingamp, les entretiens s’enchaînent pour la direction de la Coop des Masques. Patrick Guilleminot (à g. en blanc) en est le directeur. Il s’entretient avec les agents de Pôle emploi. 

    Le matin du 22 janvier, élus de tous bords, militants syndicaux et associatifs, hauts fonctionnaires du territoire, salariés de Pôle emploi, regardent Loïg Chesnais-Girard, le président de la région Bretagne, couper le ruban blanc et bleu. Dans l’assistance emmitouflée (la livraison du chauffage d’appoint tarde), les deux hommes qui ont eu l’idée de cette usine, Serge Le Quéau et René Louail. Une idée un peu folle, à laquelle pas grand monde ne croyait lorsque le premier, figure locale du syndicat Solidaires, l’a formulée neuf mois plus tôt alors que la pénurie de masques sidérait le pays. Sur les tarmacs d’aéroports, les rares cartons venant d’Asie étaient réquisitionnés par l’armée quand ils ne faisaient pas l’objet de surenchères à coups de dollars entre les pays en manque.

    Une usine de masques Honeywell a fermé moins de deux ans auparavant; les pouvoir publics ont été alertés, en vain

    La France était confinée depuis seulement neuf jours et déjà la pandémie éclairait d’une lumière crue les conséquences de la désindustrialisation et de l’autonomie perdue. Il n’y a pas deux ans qu’Honeywell a fermé la vaste usine de Plaintel, près de Saint-Brieuc et l’a délocalisée à Nabeul, en Tunisie. Les pouvoirs publics avaient été alertés de sa disparition. En vain. Pourtant, l’État connaissait bien le site, c’est en grande partie grâce à lui qu’avait été constitué le stock stratégique lors de la grippe aviaire. Le savoir-faire est toujours là. Mais les machines de la ligne de production ont fini dépecées en ferraille à la déchetterie de Ploufragan.

    Assemblée générale de la Coop des MasquesLe 10 octobre 2020, lors de l’assemblée générale, au stade du Roudourou, à Guingamp. Avec de g. à dr., le député Yannick Kerlogot, le président de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, le maire de Guingamp, Philippe le Goff, et le président de la Coop, Guy Hascoët. Photo : Virginie Clavières

    Ces jours-là, Marie aussi a pensé à Plaintel. Dans son salon méticuleusement tenue, la retraitée a aligné différents modèles de masques Honeywell. L’ancienne responsable de groupe autonome de production pourrait parler des heures de cette usine, qui a tenu un rôle crucial dans son existence : «C’est grâce à elle que j’ai réussi ma vie, et que j’ai pu élever mes quatre filles.» C’est aussi grâce à elle qu’elle peut dire avec émotion qu’elle a obtenu son premier examen à cinquante ans passés. Elle a tout connu, une entreprise familiale où elle a travaillé dès 1978 bien avant l’arrivée des lignes automatiques, ses propriétaires successifs, et le dernier, Honeywell. Elle se souvient de la dégringolade, depuis la production en cinq-huit pendant les années de la grippe H1N1 jusqu’aux plans sociaux à répétition –cinq entre 2010 et 2018 et le chômage partiel. Aujourd’hui, elle considère que l’Etat «devrait faire quelque chose contre ces industriels financiers étrangers qui prennent les subventions puis licencient», qu’il «devrait les obliger à rembourser».

    Machine fabriquant des masques FFP2 à la Coop des MasquesMise en route de la machine fabriquant les masques FFP2, le 20 janvier. 

    Ce 26 mars 2020, quand Serge Le Quéau écrit depuis Saint-Brieuc un communiqué au nom du syndicat Solidaires Bretagne, lui non plus n’a rien oublié. Le texte dénonce «un retour au réel brutal» et la «stupeur» avec laquelle le pays découvre «qu’il ne possède pratiquement pas de stocks de masques». Il propose que «le site […] de Plaintel soit recréé en urgence». Son écho est instantané. Et le syndicaliste mobilise tous azimuts les réseaux bretons. Dans un fichier informatique, il a consigné chacun de ses efforts et chacune des coupures de presse. À la date du 30 mars 2020, il a noté son appel à Guy Hascoët, un nom que René Louail, ancien porte-parole de la Confédération paysanne puis élu écologiste, venait de lui suggérer, juste avant de se retrouver aux prises avec le Covid et d’entrer à l’hôpital.

    A lire : Le mirage des relocalisations

    Guy Hascoët préside aujourd’hui la Coop des Masques. Cet ancien élu de 61 ans fut cofondateur des Verts, député du Nord, secrétaire d’État à l’Économie solidaire entre 2000 et 2002 sous Jospin, puis élu en Bretagne. Avec sa qualité d’ancien ministre comme sauf-conduit, sa connaissance intime des rouages administratifs, sa capacité de conviction, son enthousiasme et son énergie illimitée, il a levé un à un les obstacles. Il a choisi de constituer l’entreprise en société coopérative d’intérêt collectif, un statut qu’il connaît bien puisqu’il l’a créé quand il était au gouvernement. La région Bretagne (avec 200 000 euros) et le département des Côtes-d’Armor (50 000 euros), sont les premières collectivités à entrer dans le capital après sa naissance juridique le 19 juin 2020, afin que le territoire ne revive plus une telle pénurie. Il manque encore aujourd’hui 500 000 euros pour atteindre l’objectif initial de 2 millions d’euros et consolider la trésorerie. Il a fallu aussi réhabiliter à toute vitesse cet espace de 5000 mètres carrés trouvé à Grâces. Aux murs du couloir des bureaux, des tirages de photos des années 1970 sont accrochées. Sous ces mêmes verrières, des ouvriers soudaient des baies dans l’atelier de bobinage de l’Association des ouvriers en instruments de précision, qui était à l’époque la plus grande coopérative ouvrière d’Europe occidentale. Il a aussi fallu trouver des clients, des structures qui ont besoin de protections même en dehors des crises sanitaires. Engie Home Services, la Caisse des dépôts, la Caisse d’épargne, la Mutuelle familiale, des centres hospitaliers ou le conseil régional de Bretagne ont passé commande.

    Banc d'essai de la Coop des MasquesDans le laboratoire de la Coop, on teste l’efficacité et la respirabilité des masques. 

    La Coop vend 7 euros les 50 masques chirurgicaux et 20 euros les 50 FFP2. Quant aux masques venant de Chine, avec la fin du déséquilibre entre l’offre et la demande, ils ont fini par retrouver leur prix modique. Ces derniers temps, Guy Hascoët ressent «un peu de colère». Le président de la Coop continue à sensibiliser les acheteurs potentiels à l’intérêt de se fournir à la Coop dans leur démarche de responsabilité sociale et environnementale, mais il se heurte à «des discours de gestion» : «C’est un problème de choix. Il est l’heure de prendre ses responsabilités et de savoir si on veut pérenniser la filière française. Tous les donneurs d’ordre, publics comme privés, devraient rompre avec leur logique de moins-disant et passer au mieux-disant, considérer les critères de qualité dans leurs appels d’offres. Il est encore temps de se reprendre.»

    Rouleaux de meltblown à la Coop des MasquesRouleaux de meltblown, une matière filtrante essentielle à la fabrication des masques. 

     

    Guy Hascoët n’est pas le seul à s’inquiéter pour les mois à venir. Le Syndicat des fabricants français de masques a récemment adressé un manifeste à l’Élysée, dans lequel il rappelle le souhait formulé par le chef de l’État en mars 2020 d’obtenir une indépendance pleine et entière sur cette production, vœu exaucé grâce à la large mobilisation et aux multiples aides publiques. Sauf que «face à la concurrence étrangère faussée, le risque d’un retour à la case départ est réel et le pronostic de survie des masques “made in France” engagé», déplore le syndicat, qui demande que «toutes les administrations, institutions et entreprises publiques achètent des masques français dès à présent».

    A lire :L'impensable pénurie de masques

    À Grâces, l’inquiétude ne paralyse pas la Coop des Masques, qui s’attelle à la création d’une filière de collecte de masques en Bretagne pour faciliter leur recyclage. Surtout, à la rentrée, la machine pour fabriquer du meltblown va arriver. Sept embauches sont prévues. Une partie de cette matière filtrante servira aux masques, mais elle sera également vendue à une douzaine d’autres secteurs industriels qui l’utilisent déjà. La Coop des Masques espère que ces entreprises achèteront français. Sans tarder.

    Chiffres Coop des Masques

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