1 – Enfoncer à nouveau les chômeurs pour nous faire travailler à n’importe quel prix
L’année dernière, la réforme de l’assurance-chômage s’appliquait, faisant perdre du revenu et de l’indemnisation à des milliers de personnes augmentant indirectement la pauvreté. Selon une évaluation de l’Unédic évoquée dans Le Monde, “jusqu’à 1,15 million de personnes ouvrant des droits dans l’année suivant l’entrée en vigueur de la réforme toucheraient une allocation mensuelle plus faible de 17 % en moyenne”. On pourrait croire qu’après un tel coup de massue, le gouvernement réélu allait s’arrêter là. Mais non : le président des députés MODEM, membre influent de la majorité présidentielle, Patrick Mignola, a annoncé les plans pour l’après-législatives, le 30 mai dernier, sur LCP. Pour lui, le « plein emploi » que nous vivons actuellement justifierait un énième changement de règle, avec réduction de la durée d’indemnisation. Après avoir modifié le calcul de l’allocation, le gouvernement pense à réduire sa durée ? Que resterait-il de l’assurance-chômage après ça ?
Dans le même temps, les organisations patronales orchestrent une campagne médiatique de déploration des difficultés de recrutement dans certains secteurs, comme la restauration. Le point de vue patronal est omniprésent dans le traitement journalistique de la question. Ce matraquage a pour but de nous faire oublier que dans un contexte d’inflation galopante, il devient sacrificiel de bosser dans des secteurs où l’on est maltraité, mal payé et pris par des horaires qui bouffent le quotidien. L’objectif du patronat est donc de forcer les chômeurs à prendre ces emplois, et pour cela il faut en finir avec l’assurance-chômage.
2 – La réforme des retraites est toujours au programme … et on sait désormais pourquoi
L’objectif principal du gouvernement, ce pour quoi Macron est soutenu par la grande bourgeoisie, l’obsession de la majeure partie de la classe politique et du MEDEF depuis 15 ans, c’est de repousser l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Ce qui signifie en réalité, pour les gens qui ont fait des études après 20 ans, bien plus tard. Macron, dans son premier quinquennat, n’avait pas assumé pleinement cette réforme. Puisqu’il s’était fait élire avec la promesse de ne pas toucher à l’âge de départ – ce qui lui avait valu son étiquette « ni gauche ni droite » et son élection – il avait mis en place une réforme complexe de réunification des différents régimes autour d’un critère unique que serait le point. Ce point, indexé sur un certain nombre de paramètres comme l’état de l’économie du pays, allait en réalité permettre à tout gouvernement de repousser l’âge de départ de façon technique, sans consulter les syndicats ou le Parlement : bref, un fantasme macroniste et technocratique total, qui a été mis au jour durant la discussion du projet de loi et provoqué un très fort mouvement social en 2019-2020.
Fort de sa réélection, Macron revient cette fois-ci sur le sujet en assumant son objectif : forcer les gens à partir à la retraite plus tard, pour faire des économies. Cette réforme n’est ni nécessaire, ni juste. Elle n’est pas nécessaire car notre système de retraite n’est pas en péril : c’est le Conseil d’orientation des retraites, l’instance chargée de prévoir la trajectoire budgétaire du régime, qui l’a dit. Et elle n’est pas juste, car il existe d’autres façons d’améliorer les finances du régime de retraite : augmenter les cotisations patronales en fait partie, pourtant, cette solution n’est jamais évoquée. Pour les macronistes et, indirectement, pour la presse mainstream qui n’évoque jamais cette piste, il est inconcevable de faire payer le capital, même quand il s’est gavé comme jamais.
Puisque le gouvernement ne veut pas augmenter les impôts des sous-bourgeois et bourgeois, c’est en allongeant la durée de cotisation de tous que l’on pourra investir ailleurs. Où ça ? Sans doute dans la “baisse des impôts de production” des entreprises, réclamée par le MEDEF durant la présidentielle. Une fois de plus, le travail va devoir payer pour le capital
Mais l’objectif est de toute façon ailleurs, et c’est Elisabeth Borne elle-même qui s’est trahie dans son dernier entretien au Journal du Dimanche : il s’agit d’utiliser les économies faites sur le régime de retraite pour financer d’autres volets de l’action publique. : “l’enjeu, pour notre pays, est d’assurer la force de notre modèle social, dit-elle, de poursuivre le progrès social et d’investir, notamment dans la santé et l’éducation”. Et quel est le rapport entre le budget des retraites et celui de l’éducation ou de la santé ? “Le président de la République a pris des engagements clairs : ni hausse d’impôt, ni augmentation de la dette” : c’est donc ça, puisque le gouvernement ne veut pas augmenter les impôts des sous-bourgeois et bourgeois (qui ont été exonérés d’une partie de l’Impôt de solidarité sur la fortune, souvenons-nous), c’est en allongeant la durée de cotisation de tous que l’on pourra investir ailleurs. Où ça ? Sans doute dans la “baisse des impôts de production” des entreprises, réclamée par le MEDEF durant la présidentielle et soutenue par les macronistes. Une fois de plus, l’objectif est de faire payer le travail pour le capital.
Nous payons décidément le fait que la Sécurité sociale n’est plus un budget indépendant de l’Etat, uniquement financé par les cotisations et géré par les travailleurs, comme elle l’était au moment de sa fondation : elle peut désormais servir de variable d’ajustement à des politiques publiques en faveur du capital (pour ça, on peut remercier Michel Rocard et les socialistes, inventeurs de la Contribution Sociale Généralisée qui s’est progressivement substituée aux cotisations).
3 – Des mesures de « pouvoir d’achat » inefficaces et prétextes à de nouvelles attaques
Le seul volet « social » promis par Macron et Borne concerne une série de mesures en faveur du pouvoir d’achat – terme dont nous avons pu montrer à quel point il posait problème. Ces mesures ont pour point commun de s’attaquer au problème de l’inflation à la marge, et de ne pas aborder celui de la faiblesse des salaires. La loi “pouvoir d’achat” contiendra vraisemblablement les éléments suivants :
- Le gouvernement compte mettre en place des « chèques alimentaires » pour les foyers les plus modestes, quelques dizaines d’euros par mois qui ne permettront pas d’endiguer la hausse des prix, et qui ont surtout l’avantage de ne pas toucher aux profits et de ne demander aucun effort au capital. Or, l’envolée des prix de l’alimentation est liée à la spéculation sur le contexte géopolitique tendu. « La flambée des prix actuels, ce n’est pas lié à un problème de production et de disponibilité sur les marchés internationaux, mais c’est lié à un emballement de ces marchés alimentaires sans précédent. Sur le marché du blé de Paris, le mois dernier, 72% des acheteurs étaient des spéculateurs. C’étaient des firmes ou des fonds d’investissement, c’étaient des financiers, ce n’était en rien des distributeurs ou des commerçants » expliquait un représentant de l’ONG CCFD-Terre solidaire à RFI le 1er juin. Mais plutôt que d’y faire face, ou d’obtenir des efforts de la grande distribution, le gouvernement joue la charité.
- La mesure phare de cette loi anti-inflation sera la reconduction et l’augmentation de la « prime Macron » : la possibilité de verser chaque année 6 000€ de prime par salarié, sans cotisation et sans impôt : autant de salaire brut qui ne sera pas augmenté et qui n’ira pas dans nos hôpitaux, notre protection sociale, nos écoles. C’est de l’optimisation fiscale et sociale légale que propose ainsi Macron. Et augmenter les salaires ? Seulement pour les patrons qui « le peuvent » a déclaré le ministre de l’Economie Bruno Le Maire. C’est d’ailleurs la deuxième fois que le ministre “demande un effort” aux patrons, la dernière fois étant en août 2021. Mais pourquoi le feraient-ils s’ils peuvent arrondir les angles du « pouvoir d’achat » sans verser de cotisations ni d’impôts ?
- Ironie mordante du gouvernement, cette loi « pouvoir d’achat » pourrait contenir la proposition de la campagne présidentielle de Macron de conditionner le RSA à un quota d’heures de travail gratuites. L’objectif serait de « stimuler le retour vers l’emploi » comme si les gens au RSA étaient simplement des fainéants. Là encore, la presse mainstream fait son travail d’accompagnement idéologique. Ces derniers jours, un fait divers est devenu viral, avec une présentation particulièrement fallacieuse de la part de la plupart des journaux : dans le Haut-Doubs, un agent immobilier multi-propriétaire est accusé de fraude fiscale massive après n’avoir pas déclaré de juteuses plus-values immobilières. Entre autres folies, il avait réclamé le RSA et roulait en Lamborghini. Comment pensez-vous que France Bleu a titré sur cet évènement ? « Il touche le RSA et roule en Lamborghini : un habitant du Haut-Doubs piégé par son train de vie ». Le Point ? « Doubs : bénéficiaire du RSA, il roulait en Lamborghini ». La Voix du Nord ? « Doubs : il touchait le RSA mais roulait en Lamborghini, une enquête ouverte ». Ces titres fallacieux mettent en valeur le RSA, qui n’est qu’une fraude de plus dans le parcours de cet agent immobilier. Ce fait divers participe de la propagande gouvernementale actuelle : “les bénéficiaires du RSA sont bien trop à l’aise”.
4 – Un gouvernement fragilisé après sa victoire à la Pyrrhus, un changement majeur est possible
Ce programme devrait tous nous terrifier. Mais pourtant, l’espoir demeure : selon Le Monde, Macron et ses sbires semblent temporiser la réforme des retraites. Ils se méfient des élections législatives à venir mais aussi et surtout de leur impopularité. Macron a gagné au premier tour et il a été élu au second par une minorité de votants. Il reste aussi peu populaire qu’avant son élection. Après le premier tour, les macronistes misaient sur un « état de grâce » post-présidentielle, ce phénomène d’opinion qui dure quelques mois et a bénéficié à la plupart des présidents durant leurs premiers mois de mandats. Mais ce n’est pas le cas pour Macron: non seulement sa popularité est restée stable (alors qu’elle aurait pu décoller après l’élection), mais en plus l’élection a renforcé son opposition de gauche, la plus dangereuse pour lui. Pendant ce temps, la vie de galère que l’inflation et les salaires qui stagnent nous imposent peut nous laisser espérer un mouvement social d’ampleur à venir : il reste à Macron peu de cartouches pour continuer à nous diminuer. Quant à nous, nous savons à quoi nous en tenir.
La bourgeoisie reste forte dans les institutions mais elle est, politiquement, à court d’idées. Son monarque est très affaibli, et il gouverne un pays à la situation économique exsangue, sans grand projet pour redorer son blason.
Les raisons d’espérer sont, pour celles et ceux qui souhaitent un changement d’ampleur, nombreuses : d’abord, le score de Mélenchon et le dynamisme de la gauche a déplacé le centre de gravité politique. L’extrême-droite a montré qu’elle ne servait à rien d’autre qu’à être le faire-valoir du candidat de la bourgeoisie : depuis, on ne l’entend plus, car l’ordre établi convient en réalité très bien aux Le Pen, Bardella et consorts. La bourgeoisie reste forte dans les institutions mais elle est, politiquement, à court d’idées. Son monarque est très affaibli, et il gouverne un pays à la situation économique exsangue, sans grand projet pour redorer son blason. La situation écologique et sociale est explosive : tout est donc ouvert. Jamais nous n’avions connu une situation aussi incertaine, où l’organisation des classes laborieuses sur des bases plus radicales voire – vu comme la situation est verrouillée côté institutions – révolutionnaires, pourra être décisive.
Auteur : Nicolas Framont