• La loi Molac, le Conseil constitutionnel, et la vie comme elle est-par André Markowicz *(FB-11/06/21)

    C’est la croix et la bannière, pour quelqu’un qui n'est pas spécialiste, d'essayer de démêler les fils de ce qui s’est passé avec la loi dite Molac sur les langues régionales, la saisine et la décision du Conseil Constitutionnel. Je ne suis pas légiste, j’ai beaucoup de mal à lire les textes de loi. Mais, justement, pour le vulgum pecus que je tiens à rester, essayons d'abord de voir ce que disait cette loi Molac — et, pour l'instant, ne parlons que de cette loi, et pas de Paul Molac lui-même, de son itinéraire politique et de ses engagements (ce sera le sujet d'une autre chronique).
     
    *
     
    La loi avait trois facettes.La première, je l'appellerais la facette patrimoniale (articles 1 et 2). Le fait de reconnaître les langues régionales comme appartenant au patrimoine national, ce qui donne aussi accès à des financements pour sauvegarder tel ou tel document lié à ces langues. Bon, là encore, il y aurait beaucoup à dire sur les enjeux et la notion de patrimoine immatériel, et sur la notion même de protection. Mais laissons ce point, du moins ici, parce qu’il n’a pas soulevé de difficulté, et donc, ce n’est pas notre sujet aujourd’hui.
     
    Les articles 3 à 7 sont le corps du projet et peuvent se résumer à trois points essentiels en essayant de rester le plus factuel possible (sans prendre en compte, pour cette chronique, des aspects idéologiques, majeurs).D’abord, l'obligation faite aux collectivités (communes pour les écoles, départements pour les collèges, régions pour les lycées) de proposer partout la possibilité d'un enseignement bilingue (il ne s'agit évidemment pas d’une obligation). Ensuite, l'obligation faite aux communes dans lesquelles il n’y a pas d'enseignement bilingue de financer la scolarité d'enfants qui, voulant suivre cet enseignement, seraient obligés d'aller dans une autre commune. Enfin, la reconnaissance de l'enseignement immersif comme forme d'enseignement à l'intérieur de l'Éducation nationale. — Ces points-là ont été censurés par le Conseil constitutionnel.
     
    Les derniers articles de la loi Molac portaient, quant à eux, sur l'extension de la signalétique bilingue publique et la reconnaissance des signes diacritiques (inexistants dans l'orthographe française).
     
    *
     
    Le Conseil constitutionnel a censuré le tilde du prénom Fañch, au motif que le tilde n'existe pas en orthographe française et que le français est la langue de la République (notion qui, là encore, mérite d'être explicitée — mais pas maintenant). Je dois reconnaître que, sur ça, les attendus de la loi Molac constatent l'évidence : pourquoi n'aurions-nous pas le tilde si nous avons un ministre qui s'appelle Nuñez (avec tilde) ? — Autre est la question de savoir d’où vient ce tilde en breton et ce qu'il signifie vraiment, et une chronique sur l'élaboration de l'orthographe bretonne serait intéressante. Ici, en l'occurrence, une famille voulait que leur enfant, Fañch (ce qui veut dire François et se prononce Fanch) s'appelle Fañch et pas Fanch... Bon. Mais le fait est là : je ne comprends pas la décision — sans appel, par définition — de notre instance suprême.
     
    Mais tout est aberrant dans cette loi et dans la décision du Conseil constitutionnel.— Aberrant d'abord parce que cette loi a été adoptée en première lecture, et que le député Molac est un député macroniste (installé dans sa circonscription par Jean-Yves Le Drian lui-même, contre le candidat de son propre parti à l’époque, le parti socialiste) : sa loi a donc été adoptée par la majorité. Mais la plupart des députés qui ont déposé un recours sont, eux aussi, macronistes. Et ce recours concernait d'abord l'obligation faite aux communes dans lesquelles il n’y a pas d'enseignement bilingue de financer la scolarité d'élèves qui devraient aller dans une autre commune pour le suivre.
     
    J’ai appris qu’il existait déjà un article de loi dans le Code de l'Éducation nationale qui prévoyait un partage des frais de scolarité entre les communes si, pour telle ou telle raison (ces raisons sont spécifiées dans l’article) un enfant d’une commune X suit sa scolarité dans la commune Y. — La question est que, d'écoles bilingues, par exemple en Bretagne, il n’y en a, pour l’instant, relativement, que très peu, et que, donc, ces cas de financement, d'exceptionnels qu’ils sont aujourd’hui, pourraient devenir réguliers, au point de poser des problèmes inextricables à des communes qui, déjà, n'ont qu'un budget limité. Bref, sur le papier, ça paraît très bien de généraliser l'offre de l’enseignement. Dans la réalité, dans la façon dont c’est proposé, c'est une usine à gaz.
     
    Quand on regarde les chiffres officiels, on voit qu’en 2020, au Capes de breton, il y avait 11 candidats inscrits, et deux postes à pourvoir. Quatre étudiants ont passé le concours sur les 11 ( et d'après ce que je comprends, la moyenne des deux admis est inférieure à 10/20). Pour les professeurs des écoles, il y a une augmentation des postes offerts considérable... Des 30 postes qui étaient offerts en 2019, on passe à 43 en 2020. Et cette augmentation reflète en pourcentage l’augmentation du nombre de postes en général : on passe de 138 à 187... Mais la question n’est pas seulement celle des moyens, même si cette question est, de fait, fondamentale — et que, de l'argent, on en dépense des dizaines et des dizaines de millions d'euros (là encore, sujet d'une autre chronique, sur l'argent spécifiquement dépensé pour les «langues de Bretagne »). Elle est dans la demande. En Bretagne, le pourcentage d'élèves qui reçoivent un enseignement bilingue est infime. Et ce n’est pas seulement parce qu’il y a peu de postes. Ou plutôt, il y a peu de postes pour une autre raison : il n’y a pas de demande (même s'il arrive que, pour telle ou telle raison, l'Inspection refuse un poste demandé — et ces cas sont tout de suite montés en épingle par tout le monde, militants et presse régionale) . Et, depuis 40 ans, Diwan n’a jamais dépassé les 4000 élèves. Il y a 9500 élèves dans l'enseignement bilingue public, et 5500 dans l’enseignement bilingue catholique. Bref, à l'échelle de la Région (avec quatre ou cinq départements), il n’y a quasiment personne, sachant que, sur l'ensemble des cinq départements, il y a 870.000 élèves en tout. Nous parlons de moins de 0,5 % des élèves. Or, quand on parle d'éducation en Bretagne, dans 99% des cas, dans la presse, régionale ou nationale, on ne parle que de l'enseignement de la langue bretonne. Comme si les problèmes de l'Education nationale, en Bretagne comme ailleurs, n'étaient que ceux-là. Et il s'agit de changer les règles de l'Education nationale au nom de 0, 5 % des élèves.
    Je le répète : contrairement à ce que disent les « militants de la langue », la demande d'enseignement du breton en Bretagne est très faible. Ce que les parents, en Bretagne comme partout, demandent, ce sont des classes avec moins d’élèves, avec des professeurs, en général, mieux soutenus (pour ne pas dire mieux formés), ils demandent des écoles près de chez eux. L'essentiel est là, et l'une des raisons principales qui font que des parents choisissent les classes qui proposent des langues régionales, c'est justement qu'elles comptent moins d'élèves et que, donc, les conditions d'enseignement y sont meilleures.
     
    *
     
    Là encore, il est très rassurant de ne pas voir les chiffres officiels (de l'Office du breton lui-même, office qui n’est pas, dirons-nous, anti-nationaliste). Il est très rassurant de faire ce que fait toute la presse, de crier au refus de l'enseignement des langues régionales, au refus de leur reconnaissance, à l'oppression jacobine et, comme on dit en breton, me oar-me (j’en passe et des meilleures), et de se répandre en litanies sur les langues régionales qui sont nos richesses, nos racines, et qu'on est pour leur enseignement. — Le slogan des nationalistes bretons a été très longtemps « Hep brezhoneg, Breizh ebet » (sans langue bretonne, pas de Bretagne). C'était beau, mais c'était faux dès le départ (ça signifiait d'abord que la Haute-Bretagne devait parler breton), et c’est encore plus faux aujourd’hui. Non seulement on peut se passer du breton en Bretagne, mais 90 à 95 % de la population de Basse-Bretagne s’en passe et ne s'en rend compte que par les campagnes de presse tapageuses qui font l'éloge de l'enseignement et, très souvent, ramènent les problèmes de l'enseignement des langues, voire de l'enseignement en général, qu’au seul enseignement de la langue régionale. C’est rassurant de faire ça, parce qu’on se place, comme d’habitude, dans une attitude victimaire qu’on a raison d'avoir raison. — Mais quand on regarde la réalité, c’est différent. Non seulement il n’y a pas 20.000 élèves qui apprennent le breton en Bretagne (et qui l'apprennent, pour la plupart, comme une langue étrangère), mais il n’y a pas 7000 adultes qui prennent des cours du soir (une fois ou deux fois par semaine) et pas 400 adultes qui font des cours de formation immersive, de six ou de trois mois — période après laquelle, le plus souvent, ils ont un travail lié à la langue bretonne (et je vous laisse à penser quel est leur niveau de breton, alors qu’ils sont considérés comme « brittophones »).
     
    *
     
    Se pose, de fait, le problème de l'enseignement immersif, pas pour les cours pour adultes, mais pour les enfants. Là encore, je vois deux questions. La première est d'ordre général. — L'enseignement de Diwan, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, est la réplique inverse de l'enseignement pratiqué par les « hussards noirs de la République » : là où, entre 1880 et 1960, l'école ne devait parler que le français, les enfants des écoles Diwan ne doivent entendre que le breton. Les enfants apprenaient le français en trois mois, plus ou moins (souvent dans la violence — mais le système éducatif, dans le monde entier, laïc ou confessionnel était violent et, souvent, assassin). Les enfants qui apprennent le breton et n'entendent que le breton à l’école, n'entendent le plus souvent qu’un breton normalisé, avec l'accent français, et, au bout du compte, même s’ils sont capables de le parler, ne parlent pas : ils préfèrent passer au français dès qu'il s'agit de quelque chose de sérieux ou de réellement personnel. Et puis, il y a une autre question : les enfants des écoles Diwan ne doivent entendre que du breton, même de la part des personnels administratifs, ou du personnel des cantines. Or, non seulement Diwan a de plus en plus de mal à trouver des personnes qui parlent breton (ce qui est un signe d'évolution sociologique majeur et a été le cas, tout récemment, à Guingamp), mais l'intégration de Diwan aurait, de fait, comme le disait Blanquer, « diwanisé » l'Education nationale, puisqu'elle aurait introduit, de facto, une préférence régionale, voire ethnique (?), dans l'attribution des postes. Bref, il y avait là une impossibilité constitutionnelle majeure.
     
    Or, au lieu de censurer simplement cette disposition de l’intégration, le Conseil constitutionnel, sans guère d’attendus, déclare que, ce qui n’est pas constitutionnel, c’est, en soi, l'enseignement par immersion. Ça, n’est-ce pas, si c’est le cas (et c’est le cas, puisque ses décisions sont sans appel), il fallait se réveiller il y a quarante-cinq ans pour le dire. Parce que, en Bretagne, en tout cas, ça fait plus de quarante-cinq ans qu’il y a des écoles par immersion. Et ça signifie donc que la décision des « Sages » est tout sauf sage, pour ne pas dire qu'elle est incompréhensible. Diwan, on peut l’admettre, ne peut pas être intégré à l'Education nationale pour les raisons que j’ai dites (pas pour son enseignement en tant que tel), mais de là à interdire purement et simplement cet enseignement, il y a un abîme — abîme que le Conseil a franchi, j'allais dire d'un trait de plume.
     
    *
     
    Cette censure a surpris tout le monde, — y compris, je pense, le gouvernement. Une commission a été créée sur le champ pour sortir de l’impasse, et j'apprends que cette commission sera dirigée par deux députés, dont l’un est le nommé Kerlogot. Ce Kerlogot avait, dans une vie antérieure, en conseil municipal de Guingamp, appelé à condamner la présence de Françoise Morvan pour faire une conférence dans un centre d’art (il parlait de sa "présence inopportune", sic), et c’est lui qui, lors de la conférence, avait mené la horde de militants armés de panneaux qui avaient tenté d'interrompre sa prise de parole à propos, d’ailleurs, non pas de politique, mais d'Armand Robin. Eux, ces manifestants, ils appelaient à promouvoir un collaborateur des nazis, Polig Monjarret (créateur, il faut le souligner, du Festival Interceltique de Lorient — autre sujet de chronique)... J’en avais parlé sur le moment, vous avez le lien. Le dossier est entre de bonnes mains, et je ne doute pas que l'État trouvera une solution.
     
    La solution, ce Kerlogot la trouvera, et il sera soutenu par une grande partie de l'Assemblée, toutes tendances confondues, puisque, comme je le dis et le redis, la promotion des "identités" permet le consensus, et qu'elle est donc là pour ça : pour qu'il n'y ait pas de débat sur l'essentiel. Parce que, là encore, tout est faussé : on parle, en Bretagne, de même pas 20.000 élèves sur 870000 ; on ne parle pas de l'argent dépensé (et il y en aura de plus en plus — alors que tant de postes budgétaires vitaux sont rognés, voire supprimés). Et tout le monde fait comme si ces malheureux élèves se trouvaient en charge du salut de la langue.
     
    C'est bien cela, "le monde comme si"... On fait comme si, et certains, très rares, en profitent. Mais nous, avec les moyens de que nous avons, si les petits cochons ne nous mangent pas, nous continuerons à parler du monde comme il est.
     
     
    André MARKOWICZ
     
     
     
    Aucune description de photo disponible.
     
     
    (*) André Markowicz, né le 29 septembre 1960 à Prague (Tchécoslovaquie, aujourd'hui République tchèque), est un traducteur et poète français

     Il vit lors de son enfance à Leningrad (Saint-Pétersbourg), chez sa grand-mère russe. À l'âge de seize ans, il rencontre le traducteur Efim Etkind, qui devient son « maître ». Il lui fait traduire Pouchkine et lui apprend « les lois de la métrique, russe, et française ». Étudiant, il collabore avec le poète Eugène Guillevic pour la traduction du poète futuriste russe Ilia Zdanévitch.

    En 1964, il part vivre en France et s'initie à la traduction vers 1977. Depuis 1981, il publie plus d’une centaine de volumes de traductions, d’ouvrages de prose, de poésie et de théâtre. Il participe à plus d’une centaine de mises en scène de ses traductions, en France, au Québec, en Belgique ou en Suisse8. Il traduit le théâtre complet d'Anton Tchekhov en compagnie de Françoise Morvan qu'il rencontre en 1985 et avec qui il vit depuis.

    « Cuba condamne la résolution d’extrême droite du parlement européen, complice du blocus US (IC.fr-11/06/21)Lorient (56). La grève prend fin sur le port de pêche (OF.fr-11/06/21-12h37) »
    Partager via Gmail Yahoo! Pin It

    Tags Tags : , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :