Marine Le Pen à Sein pour le 80e anniversaire de l’Appel du 18 juin ? « Une honte » pour le Cornouaillais Alain Bodivit, président des combattants volontaires de la Résistance du Finistère.
La crise sanitaire l’a obligé à interrompre ses conférences dans les écoles. Alain Bodivit, 95 ans, a profité du confinement pour mettre de l’ordre dans ses archives personnelles. Le classement de tous ses précieux papiers a fait remonter de douloureux souvenirs, et rend, à ses yeux, d’autant plus intolérable la venue de Marine Le Pen, jeudi, à Sein, pour la commémoration du 80e anniversaire de l’Appel du 18 juin. « C’est honteux, ça m’écœure. C’est une atteinte à la France », dit-il.
Pour ce patriote, décoré notamment de la Croix d’officier de la Légion d’honneur, de la Croix de guerre et de la Croix des combattants volontaires de la Résistance, le Rassemblement national est « le descendant direct de la milice de Pétain, de ceux qui ont martyrisé les copains ». Lui et les neuf autres membres du groupe « Turma Vengeance », de Pleuven, craignaient tout particulièrement ces « crapules françaises ». « Avec chaque gestapiste, il y avait au moins sept miliciens. Ils s’infiltraient chez nous… », se souvient-il.
La carte de membre du réseau Turma Vengeance d’Alain Bodivit.
Il avait 17 ans quand il a rejoint la Résistance.
« C’était une zone interdite »
Ces risques ne l’ont pas empêché de rentrer dans la Résistance, en 1943, à l’âge de 17 ans. « On était privé de tout ! Tous les jeunes de mon âge voulaient la rejoindre ! ». C’est un second maître dans la Marine qui le coopta, autour d’un vin chaud, à l’issue d’un match de foot. Alain Bodivit commença à recueillir des informations pour les alliés. Son père était commerçant en produits agricoles, au Moulin du Pont, à la lisière de Quimper et Pleuven. « J’avais des ausweis pour aller livrer toutes les fermes alentour », poursuit-il. Il empruntait régulièrement la route qui menait à Bénodet, et en profitait pour noter les emplacements exacts des casemates et observer les bateaux ennemis venus mouiller dans la baie. « C’était une zone interdite. J’étais parfois contrôlé trois à quatre fois dans la journée ».
« Connaître le moins de personnes possible »
Du haut de ses 17 ans, il parvenait à reproduire précisément, sur un papier-calque posé sur une carte Michelin, les résultats de ses repérages. « Je les confiais à mon chef de réseau. Un agent de liaison passait ensuite chez lui les récupérer. Ça partait vers Port Manec’h, pour être transmis aux Anglais ». Il n’a connu que bien plus tard le nom du résistant de Port Manec’h. « Dans le groupe Turma Vengeance de Pleuven, nous étions dix et nous ne devions connaître personne d’autre. Nous étions des francs-tireurs. Les Allemands pouvaient nous fusiller immédiatement ! Mais ça ne se passait pas comme ça. Ils nous torturaient. C’est pour ça que nous devions connaître le moins de personnes possible ».
« Il a été pris tout de suite »
Ce cloisonnement lui permit d’échapper aux rafles, de justesse. « Un membre d’un des trois groupes Turma Vengeance de Quimper n’a rien trouvé de mieux que d’être arrêté par une patrouille allemande pendant le couvre-feu, avec un pistolet 6,35 mm sur lui. Ils lui ont laissé le choix. Il a donné le nom de l’agent de liaison… ». C’est ainsi que les Allemands ont encerclé une ferme, à Saint-Evarzec. « Il a été pris tout de suite. Mais ça ne suffisait pas. La tante, la grand-mère de 76 ans et les quatre filles de la ferme, embarquées ! Direction le bureau de la Gestapo, rue Laennec, à Quimper, pour être "questionnés" ».
La lettre envoyée par les FFI au commandement allemand au lendemain du débarquement du 6 juin 1944.
« Ce n’est pas sa place »
La septuagénaire fut libérée, ainsi que les quatre filles. Là encore, il s’en fallut de peu : « Dans la ferme, il y avait deux pistolets-mitrailleurs Sten, cachés dans le toit de chaume. S’ils avaient été trouvés, la ferme aurait été incendiée, avec ses habitants dedans ». Les Allemands poursuivirent leurs recherches à Pleuven, « car le traître savait qu’il y avait un groupe sur la commune ! ». Alain Bodivit a dû révéler à ses parents son appartenance à la Résistance puis partir se cacher. « Mon père, qui avait fait la guerre de 14, s’en doutait. Il m’a dit : S’ils viennent, je leur dis que je t’ai foutu à la porte depuis longtemps ! ». Il n’eut pas à le faire. Alain Bodivit s’en sortit. Il épousa, des années plus tard, l’une des quatre filles de la ferme de Saint-Evarzec. Aujourd’hui, il veut témoigner « tant que je pourrai ». Les larmes lui montent aux yeux quand il revient sur « la provocation » de Marine Le Pen. « Ce n’est pas sa place. Je dis toujours aux élèves, quand je parle de la création du Front National : "Au début, on pensait que c’était une fantaisie mais Hitler a commencé comme ça aussi." ».
Alain Bodivit : « Je dis aux élèves que ce qu’ils ont de plus précieux, c’est leur liberté. C’est comme l’air qu’on respire. On ne sait pas qu’il est là, mais quand il n’est plus là, on étouffe. »