• Un instituteur : « Ce n’est pas l’école » ! (LT.fr-13/05/20-8h46)

    Photo d’illustration Le Télégramme 

    Émile* enseigne en cours moyen dans une école de l’agglomération quimpéroise. Il a choisi de poursuivre la classe, mais s’interroge sur le sens de cette reprise. Voici sa contribution au débat.

    « Lundi soir, en revenant de notre journée de pré-rentrée scolaire, j’étais en colère. Colère de constater que ce qui s’y organise avec cette reprise n’est plus l’école. Nous vivons pour beaucoup cette période dans une grande contradiction, partagés entre l’envie de reprendre, de retrouver nos élèves et le dépit de voir comment tout cela va se mettre en place.

    Le problème est que l’école a pour fondement la relation à l’autre. C’est le lieu premier de la rencontre du prochain et de la rencontre du savoir. Les enseignants le savent bien : la relation, la rencontre sont au cœur de ce qu’on appelle « pédagogie ». Ce qu’on propose et organise avec le protocole sanitaire qui sera mis en œuvre est absolument à l’opposé de ce fondement.

    « Tout est verrouillé, l’autre est suspect, tenu à distance »

    Une illustration : l’interdiction du ballon dans la cour (les enfants vont y mettre les mains…). Une autre : l’interdiction de coopérer dans la recherche d’une solution à un problème ou de faire chorale, de partager un jeu éducatif, de se prêter un crayon, de lire un texte de théâtre à plusieurs… Tout est verrouillé, l’autre est suspect, tenu à distance. Un impératif : se laver les mains !

    Que fait-on dans ces journées de pré-rentrée ? On prépare un environnement carcéral. La classe se vide de ses tables et chaises. Celles qui restent sont espacées comme autant d’îlots qui interdisent tout échange. On prévoit le plan de circulation dans le bâtiment qui évitera aux élèves de se croiser, de se rencontrer, on discute du passage aux toilettes, on planifie les récréations qui se feront dans des espaces séparés par de la « rubalise »… Comme le dit une collègue : « on dirait une scène de crime ! ».

    Qui imagine une telle école ?

    Et nous, les adultes, tenus à distance des élèves. La règle : « on reste à un mètre, masqués ». Les cahiers : on ne les corrige pas ; pas de contact avec les affaires des autres. Ceux qui sont en difficulté ? On verra à distance ce qui leur pose problème. Qui imagine une telle école ?

    « Nous sommes responsables, collectivement responsables de ce qui advient »

    Et pourtant, on le voyait venir. On avait préparé ce terrain avec le plan Vigipirate et les exercices « intrusion ». L’ennemi d’alors se nommait « terroriste ». L’école devait se barricader et les élèves se cacher sous leurs tables. On a changé de danger, changé d’État d’urgence. D’ailleurs, les portes ne seront plus fermées et les salles de classe à l’air libre…

    Entendons-nous bien : je ne mets personne en cause. Les services de l’Éducation nationale font ce qu’ils peuvent pour rassurer les familles et c’est légitime. Nous appliquerons ces mesures de distanciation et d’hygiène pour éviter qu’une nouvelle vague survienne et ruine tous les efforts consentis jusqu’alors. Nous sommes responsables, collectivement responsables de ce qui advient.

    « Quelle société prépare-t-on ? »

    Nous devons concentrer tous nos efforts pour protéger les personnes vulnérables. Il nous incombe à tous de faire les bons choix et nous avons besoin d’explications. Nous avons besoin de comprendre ce qui nous arrive. Il y a une propension séculaire des sociétés à contraindre la jeunesse. L’épisode que nous vivons en est, de mon point de vue, une illustration parfaite, hélas.

    Alors oui, soyons rassurés : les élèves seront accueillis et en sécurité (mais quel est le risque pour eux, exactement ?). Oui, les enseignants sont solidaires de la Nation et participeront à l’effort économique en libérant les salariés pour leur entreprise. Mais je ne peux me résoudre à voir tout ça se mettre en place sans penser que ce n’est pas l’école et me questionner sur l’avenir de nos élèves : quelle société prépare-t-on ? Au nom de la protection et de la prévention des risques, jusqu’où sommes-nous capables de rogner nos libertés et notre relation à l’autre ? »

    * Prénom d’emprunt. Le titre et les intertitres sont de la rédaction.
     
    source: https://www.letelegramme.fr/
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