• Pour Varoufakis-par Jacques Sapir (30/07/2015)La menace d’une inculpation pour Haute Trahison pesant désormais sur Yanis Varoufakis a quelque chose d’absurde, mais aussi de terriblement révélateur[1]. Elle éclaire de manière crue le faite que la zone Euro est désormais devenue un monstre, ou plus précisément un tyran qui s’est dégagé de toute règle.

    Les faits

    Yanis Varoufakis, en tant que Ministre des finances, a pris la décision de faire pénétrer clandestinement le système informatique de l’administration fiscale grecque. On a rendu compte de ce « plan B » dans ce carnet[2], et c’est ce qui lui est reproché. Mais, il a pris cette décision en accord avec le Premier ministre, Alexis Tsipras. Il a pris cette décision concernant le système informatique de l’administration fiscale grecque parce que ce dernier était en réalité sous le contrôle d’hommes de la « Troïka », c’est à dire du Fond Monétaire International, de la Banque Centrale Européenne et de la Commission Européenne. C’est donc le Premier ministre conservateur, M. Samaras, battu lors des élections du 25 janvier, qui a en réalité commis cet acte de Haute Trahison en confiant l’administration fiscale à une (ou des) puissances étrangères. C’est lui, et lui seul, qui porte la totale responsabilité de ce qui est alors survenu.

    Cette décision avait pour but de mettre en œuvre un système de paiements parallèles qui aurait permis au gouvernement grec de contourner le blocage des banques qui fut organisé par la BCE à partir de la fin juin 2015. Ceci aurait été nécessaire pour éviter la destruction du système bancaire grecque qu’a provoquée l’action de la Banque Centrale Européenne. Cette action illégale de la BCE a mis en péril le système bancaire alors que l’une de ses missions, inscrites dans la charte de la BCE est justement d’assurer le bon fonctionnement de ce système bancaire. Si Yanis Varoufakis doit être inculpé, il serait logique, il serait juste, que le Président de la BCE M. Draghi ainsi que le Président de l’Eurogroupe, M. Dijsselbloem, le soient aussi.

    Il est exact que ce système parallèle de paiements aurait aussi pu permettre un glissement très rapide de l’Euro vers la Drachme, mais Varoufakis, selon les propos rapporté par The Telegraph, n’envisageait cela qu’en toute dernière extrémité[3].

    Une décision absurde.

    Inculper M. Varoufakis est ainsi absurde. Le fait qu’il soit désormais défendu par des personnalités comme Mohamed El-Erian, l’économiste en chef d’Allianz et Président d’un comité d’experts économiques auprès du Président des Etats-Unis[4], montre bien que ce qu’il a fait, il l’a fait pour le plus grand bien de l’Etat qu’il servait comme Ministre des finances. Cette inculpation, si elle devait de confirmer, ne pourrait avoir lieu qu’avec la complicité d’Alexis Tsipras qui aurait alors lâché son ancien Ministre des finances, et qui n’assumerait pas ses responsabilités. Cette inculpation, si elle survenait, serait un acte odieux, un acte de pure justice politique, de vengeance des autorités européennes contre un homme qui a osé, appuyé par son peuple, les défier.

    Cette inculpation serait aussi quelque chose de très révélateur de l’attitude néo-coloniale qu’ont les autorités européennes aujourd’hui vis-à-vis de la Grèce, mais aussi d’autre pays. Stefano Fassina, ancien Vice-Ministre des finances du gouvernement italien, membre du Parlement de ce pays et l’un des membres éminents du Parti Démocrate actuellement au pouvoir, a écrit dans un texte qui a été publié sur le blog de Yanis Varoufakis[5] : « Alexis Tsipras, Syriza et le peuple grec ont eu le mérite historique indéniable d’arracher le voile de rhétorique Européiste et d’objectivité technique qui n’a pour but que de masquer la dynamique de la zone Euro »[6]. Il ajoute aussi : « Nous devons reconnaître que l’Euro fut une erreur de perspective politique. Il nous faut admettre que dans la cage néo-libérale de l’Euro, la Gauche perd sa fonction historique et qu’elle est morte comme force servant la dignité et l’importance politique du travail ainsi que de la citoyenneté sociale en tant qu’instrument d’une démocratie réelle »[7]. Il conclut enfin en écrivant : « Pour une désintégration qui soit gérée de la monnaie unique, nous devons construire une large alliance de fronts de libération nationale »[8].

    Cette perspective est aujourd’hui entièrement justifiée. La zone Euro s’est bien révélée une machine de guerre au service d’une idéologie, le néo-libéralisme, et au service d’intérêts particuliers, ceux de la finance, et d’une oligarchie sans frontières. La perspective offerte par Stefano Fassina est bien celle que nous avons aujourd’hui devant nous, soit la constitution d’une « alliance des fronts de libération nationale » des pays de la zone Euro pour faire plier le tyran, et pour démanteler la zone Euro.

    Jacques Sapir-le 30/07/2015

    Notes

     

    [1] Evans-Pritchards A., « European ‘alliance of national liberation fronts’ emerges to avenge Greek defeat », The Telegraph, 29 juillet 2015, http://www.telegraph.co.uk/finance/economics/11768134/European-allince-of-national-liberation-fronts-emerges-to-avenge-Greek-defeat.html

    [2] http://russeurope.hypotheses.org/4148

    [3] http://www.telegraph.co.uk/finance/economics/11764018/Varoufakis-reveals-cloak-and-dagger-Plan-B-for-Greece-awaits-treason-charges.html

    [4] http://www.project-syndicate.org/commentary/varoufakis-agenda-defended-by-mohamed-a–el-erian-2015-07

    [5] Voir Fassina S., « For an alliance of national liberationfronts », article publié sur le blog de Yanis Varoufakis par Stefano Fassina, membre du Parlement (PD), le 27 juillet 2015, http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/27/for-an-alliance-of-national-liberation-fronts-by-stefano-fassina-mp/

    [6] Alexis Tsipras, Syriza and the Greek people have the undeniable historical merit of having ripped away the veil of Europeanist rhetoric and technical objectivity aimed at covering up the dynamics in the eurozone

    [7] We need to admit that in the neo-liberal cage of the euro, the left loses its historical function and is dead as a force committed to the dignity and political relevance of labour and to social citizenship as a vehicle of effective democracy.

    [8] For a managed dis-integration of the single currency, we must build a broad alliance of national liberation fronts

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  • Entretien inédit pour le site de Ballast

    Résumons à très grands traits. Le 25 janvier 2015, Syriza remporte les élections législatives grecques sur un programme de rupture ; le 5 juillet, c’est un tonitruant « OXI », à 61 %, qui envoie les petits barons de l'ordre européen dans les cordes ; le lendemain, Yánis Varoufákis, ministre des Finances grec, est poussé vers la sortie ; le lundi 13 juillet, le tout-venant apprend que les dix-huit heures de bataille psychologique, à la fameuse « table des négociations », ont eu raison des espoirs mis dans le gouvernement grec : capitulation en rase campagne, entend-on. La couleuvre de l’austérité avalée contre un hypothétique rééchelonnement de la dette. « J’assume la responsabilité d’un texte auquel je ne crois pas », affirme Tsipras à la télévision publique grecque. Mercredi, le comité central de Syriza rejette l’accord et dénonce « un coup d’État contre toute notion de démocratie et de souveraineté populaire ». Les ministères démissionnaires partent en claquant la porte, le texte passe avec les voix de la droite et de la social-démocratie grecques, les grèves générales repartent et la place Syntagma s’enflamme. « Trahison » ; la messe est dite. Pour Stathis Kouvélakis, philosophe francophone, membre du Comité central de Syriza et figure de la Plateforme de gauche, l’équation s'avère toutefois plus complexe, si l'on tient à prendre toute la mesure de ces récents événements. Entretien pour y voir plus clair et, surtout, organiser la riposte.


    Stathis Kouvélakis : « Le non n’est pas vaincu, nous continuons » (entretien -site Ballast -27/07/2015)Vous émettez des réserves quant à la critique de Tsipras en termes de « trahison », qui revient pourtant fréquemment dans les gauches radicales européennes depuis l’accord du 12 juillet. Pourquoi la considérez-vous comme inefficace ?

    Je ne nie pas que le terme de « trahison » soit adéquat pour traduire une perception spontanée de l’expérience Syriza. Il est évident que les 62 % qui ont voté « non » au référendum et les millions de gens qui ont cru en Syriza se sentent trahis. Néanmoins, je nie la pertinence analytique de la catégorie de trahison car elle repose sur l’idée d’une intention consciente : consciemment, le gouvernement Tsipras aurait fait le contraire de ce qu’il s’était engagé à faire. Je pense que cette catégorie obscurcit la réalité de la séquence en cours, qui consiste dans la faillite d’une stratégie politique bien précise. Et quand une stratégie fait faillite, les acteurs qui en étaient les porteurs se retrouvent uniquement face à de mauvais choix ou, autrement dit, à une absence de choix. Et c’est très exactement ce qui s’est passé avec Tsipras et le cercle dirigeant du gouvernement. Ils ont cru possible de parvenir à un compromis acceptable en jouant cette carte de la négociation – qui combinait une adaptation réaliste et une fermeté quant à des lignes rouges, dans le but d’obtenir un « compromis honorable ».

    Or la Troïka des créanciers n’était nullement disposée à céder quoi que ce soit, et a immédiatement réagi, en mettant dès le 4 février le système bancaire grec au régime sec. Tsipras et le gouvernement, refusant toute mesure unilatérale, comme la suspension du remboursement de la dette ou la menace d’un « plan B » impliquant la sortie de l’euro, se sont rapidement enfermés dans une spirale qui les amenait d’une concession à une autre et à une détérioration constante du rapport de force. Pendant que ces négociations épuisantes se déroulaient, les caisses de l’État grec se vidaient et le peuple se démobilisait – réduit à un état de spectateur passif d’un théâtre lointain sur lequel il n’avait prise. Ainsi, quand Tsipras affirme le 13 juillet qu’il n’avait pas d’autre choix que de signer cet accord, il a en un sens raison. À condition de préciser qu’il a fait en sorte de ne pas se retrouver avec d’autres choix possibles. Dans le cas précis de la Grèce, on assiste à une faillite flagrante de cette stratégie pour la simple raison qu’elle n’avait prévu aucune solution de repli. Il y a un véritable aveuglement de Tsipras et la majorité de Syriza dans l’illusion européiste : l’idée qu’entre « bons européens », nous finirons par nous entendre même si, par ailleurs, demeurent des désaccords importants ; une croyance dure comme fer que les autres gouvernements européens allaient respecter le mandat légitime de Syriza. Et, pire encore, l’idée de brandir l’absence de « plan B » comme un certificat de bonne conduite européiste, qui fut le comble de cet aveuglement idéologique...

    La notion de « trahison » empêche d’analyser et de remettre en cause la stratégie ; elle empêche de parler en termes d’analyse stratégique et point aveugle idéologique ; elle rabat tout sur les « intentions des acteurs » – qui resteront toujours une boîte noire – et se fonde sur l’illusion naïve selon laquelle ceux-ci sont maîtres de leurs actes. Par ailleurs, elle empêche de saisir le cœur du problème, à savoir l’impuissance de cette politique : la violence de la réaction d’un adversaire a été sous-estimée alors même que le gouvernement Syriza, par son existence même, était allé suffisamment loin pour la déclencher.

    De plus en plus de voix s’élèvent dans l’Europe du Sud pour dénoncer le carcan de la monnaie unique. Ce débat a-t-il sérieusement eu lieu au sein du gouvernement Tsipras et de Syriza ? Yánis Varoufákis, après avoir démissionné, a affirmé avoir proposé un plan de sortie de l’euro ou, du moins, la mise en circulation d’une monnaie nationale au plus dur des négociations.

    Ce débat n’a jamais véritablement eu lieu — ou, plutôt, il n’a eu lieu que de façon limitée, au sein de Syriza, pendant les cinq dernières années. Et ce fut toujours contre la volonté de la majorité de la direction du parti, par une sorte d’état de fait créé par le positionnement d’une minorité substantielle en faveur d’une sortie de l’euro, comme condition nécessaire pour la rupture avec les politiques d’austérité et le néolibéralisme. La majorité de la direction du parti n’a jamais vraiment accepté la légitimité de ce débat. La sortie de l’euro n’était pas présentée comme une option politique critiquable avec des inconvénients qui justifiaient un désaccord. Elle était purement et simplement identifiée à une catastrophe absolue. Systématiquement, il nous était reproché que si nous défendions la sortie de l’euro, nous étions des crypto-nationalistes ou que la sortie de l’euro entraînerait un effondrement du pouvoir d’achat des classes populaires et de l’économie du pays. En réalité, c’étaient les arguments du discours dominant qui était repris par nos camarades. Ils ne cherchaient donc pas un véritable débat argumenté mais à nous disqualifier symboliquement, à disqualifier la légitimité de nos arguments à l’intérieur de Syriza et de la gauche radicale. Ainsi, quand Syriza est arrivé au pouvoir, la question s’est posée par la logique même de la situation, puisqu’il est rapidement devenu évident que ces négociations n’aboutissaient à rien. Déjà, l’accord du 20 février indiquait bien que Syriza était contraint de reculer au cours de ce bras de fer. Mais cette discussion s’est déroulée à huis clos : jamais de façon publique et jamais avec le sérieux nécessaire — si l’on excepte bien sûr les prises de position de la Plateforme de gauche de Syriza.

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    Alexis Tsipras (Getty Images)

    Yánis Varoufákis, de son côté, avait posé à divers moments la question d’un plan B. Panayótis Lafazánis et la Plateforme de gauche mettaient régulièrement sur la table ces propositions. Il faut préciser que le plan B ne se limite pas simplement à la reprise d’une souveraineté monétaire. Il met en avant l’interruption du remboursement des créanciers, le placement des banques sous contrôle public et un contrôle de capitaux au moment du déclenchement de l’affrontement. C’était, d’une façon générale, prendre l’initiative plutôt que d’être à la traîne de négociations qui amenaient un recul après l’autre. Le gouvernement n’a même pas fait les gestes minimaux afin d’être en mesure de tenir bon quand les Européens appuyèrent sur le bouton nucléaire, c’est-à-dire en arrêtant totalement l’approvisionnement en liquidité avec l’annonce du référendum. Le référendum lui-même aurait pu être conçu comme le « volet politique » du plan B : il a donné une idée d’un scénario réaliste conduisant à la rupture avec les créanciers et la zone euro. Le raisonnement aurait pu être le suivant : Le mandat initial de Syriza, celui issu des urnes du 25 janvier, était de rompre avec l’austérité dans le cadre de l’euro ; nous avons bien vu que c’était impossible dans ce cadre ; donc nous nous présentons de nouveau devant le peuple ; le peuple confirme son mandat en disant « Non à l’austérité et faites le nécessaire ». C’est effectivement ce qui s’est passé avec la victoire écrasante du « non », lors du référendum du 5 juillet, mais il était déjà trop tard ! Les caisses étaient déjà vides et rien n’avait été fait pour préparer une solution alternative

    Vous soulignez les rapports de force qui ont traversé Syriza depuis 2010. Comment expliquer que la frange acquise à l’Union européenne et l’euro l’ait emportée ?

    Il faut replacer ces débats dans un cadre plus large : celui de la société grecque, et d’une façon plus générale, celui des sociétés de la périphérie européenne. Avant la crise de 2008-2010, les pays les plus europhiles au sein de l’Union européenne étaient précisément ceux du sud et de la périphérie. Il faut bien comprendre que, pour ces pays, l’adhésion à l’UE signifie une certaine modernité, à la fois économique et politique, une image de prospérité et de puissance que l’euro vient valider à un niveau symbolique. C’est l’aspect fétichiste de la monnaie que Karl Marx a souligné : en ayant la monnaie commune dans sa poche, le Grec accède symboliquement au même rang que l’Allemand ou le Français. Il y a ici quelque chose de l’ordre du « complexe du subalterne ». C’est notamment ce qui nous permet de comprendre pourquoi les élites dominantes grecques ont constamment joué avec la peur de la sortie de l’euro — leur carte maîtresse depuis la début de la crise. Tous les « sacrifices » sont justifiés au nom du maintien dans l’euro. La peur du Grexit est étrangère à la rationalité économique. Elle ne repose pas sur les conséquences éventuelles d’un retour à la monnaie nationale ; par exemple : les difficultés pour les importations ou, à l’inverse, les nouvelles facilitées à l’exportation. Au niveau du « sens commun », la sortie de l’euro charrie une sorte de tiers-mondisation symbolique. Pour le Grec moyen qui résiste à l’idée d’une sortie de la zone euro, la justification de son refus renvoie à la peur d’une régression du pays au rang de nation pauvre et retardataire – qui était effectivement le sien il y a quelques décennies. N’oublions pas que la société grecque a évolué très rapidement et que le souvenir de la misère et de la pauvreté est encore présent dans les couches populaires et dans les générations âgées.

    Ce que je viens de dire explique aussi l’apparent paradoxe du vote massif du « non » chez les jeunes. Le journal Le Monde fait son reportage en disant : « Toutes ces générations des 18-30 ans qui ont grandi avec l’euro et l’Union européenne, qui ont bénéficié des programmes Erasmus et des études supérieures [le niveau d’accès à l’enseignement supérieur en Grèce est parmi les plus élevés d’Europe], comment se fait-il qu’elles se retournent contre l’Europe ? » La raison est en fait que les jeunes générations ont moins de raisons que les autres de partager ce complexe de la subalternité ! Cet « européisme » ambiant de la société grecque est resté toutefois hégémonique, y compris dans les forces d’opposition aux politiques néolibérales — à l’exception du Parti communiste, très isolé et sectaire. Et cela explique pourquoi Syriza a choisi, dès le début, de s’adapter à l’européisme et d’avoir une stratégie électoraliste à court terme plutôt que d’entrer dans un travail de pédagogie qui consisterait à dire : « Nous ne sommes pas contre l’Europe ou l’euro par principe, mais si eux sont contre nous, et qu’ils nous empêchent d’atteindre nos objectifs, il nous faudra riposter. » C’est un discours qui demandait un certain courage politique, chose dont Tsipras et la majorité de la direction de Syriza s’est révélée être totalement dépourvue.

    01-nosource 
    Angela Merkel (DR)

    Le référendum n’était donc en rien la possibilité d’une rupture mais un simple mouvement tactique afin de renforcer Tsipras dans les négociations ?

    Tsipras est un grand tacticien. Penser que tout ce qui s’est passé est conforme à un plan préétabli serait se tromper lourdement. C’est une gestion au jour le jour de la situation qui a prévalu, sans vision stratégique autre que celle de la recherche de l’illusoire « compromis honorable » dont j’ai parlé auparavant. Le référendum a été conçu, d’emblée, comme un geste tactique, comme une issue à une impasse dans laquelle le gouvernement s’est trouvé à la fin du mois de juin, lorsque le plan Juncker a été présenté sous la forme d’un ultimatum. Mais, en annonçant le référendum, Tsipras a libéré des forces qui sont allées bien au-delà de ses intentions. Il faut ici souligner le fait que l’aile droite du gouvernement et de Syriza ont très bien perçu, elles, le potentiel conflictuel et de radicalisation que comportait objectivement la dynamique référendaire, et c’est pour cela qu’elles s’y sont fortement opposées. Je vais vous livrer une anecdote. Le jour du grand rassemblement du vendredi [3 juillet], une foule immense s’était rassemblée dans le centre-ville d’Athènes. Tsipras est allé à pied de la résidence du Premier ministre à la place Syntagma, séparées par quelques centaines de mètres. C’est une scène de type latino-américaine qui s’est produite : une foule enthousiaste s’est formée derrière lui et l’a conduit en triomphateur jusqu’à la marée humaine de la place du Parlement. Quelle a été la réaction de Tsipras ? Il a pris peur et a abrégé les trois quarts du discours qu’il avait préparé.

    Vous racontez qu’Euclide Tsakalotos, ministre des Finances grecques après la démission de Yánis Varoufákis, préparait son intervention devant l’Eurogroupe comme un professeur d’université prépare sa contribution à un colloque. Ne pointez-vous pas ici un des problèmes de la gauche radicale : une parfaite analyse des phénomènes mais une incapacité à mener des rapports de force, à établir des stratégies gagnantes, à jouer sur les contradictions de l’adversaire ? Est-ce dû à la promotion des savoirs académiques au sein de la gauche radicale au détriment d’autres profils ?

    Je suis très réticent par rapport aux explications sociologistes : je ne pense pas qu’elles permettent de comprendre la situation. Dans un entretien à Mediapart¹, Tsakalotos expliquait en effet que, lorsqu’il est allé à Bruxelles, il avait préparé ses argumentaires de façon très sérieuse. Il s’attendait à entendre des contre-arguments et, au lieu de cela, il s’est retrouvé face à un mur de technocrates répétant des règles et des procédures. Il avait été choqué du faible niveau de la discussion – comme s’il s’agissait d’un colloque universitaire où le meilleur argument l’emporte. Or tout en étant moi-même universitaire, et même un ancien camarade de parti de Tsakalotos (nous avons milité dans le Parti eurocommuniste grec dans les années 1980), je n’en suis pas moins en désaccord profond avec lui. Par ailleurs, s’il y avait un reproche à lui faire, c’est justement un défaut d’analyse ! La gauche, dans son ensemble, a considérablement sous-estimé la nécessité d’analyser sérieusement l’Union européenne. Au lieu de cela, nous avons eu droit, pendant des décennies, au recours à une longue litanie de vœux pieux : « l’Europe sociale », « l’Europe des citoyens », « faire bouger les lignes en Europe », etc. Ce genre de discours sont répétés inlassablement depuis des décennies alors qu’ils ont fait la preuve flagrante de leur impuissance et de leur incapacité à avoir la moindre prise sur le réel.

    Une dernière remarque à propos du statut sociologique du discours européiste : je fais partie d’un département d’Études européennes dans une université britannique. Je peux vous assurer que mes collègues, qui sont du côté mainstream, qui sont donc universitaires mais qui connaissent de façon intime la machine européenne, ont toujours refusé de prendre au sérieux la vision de Syriza. Ils n’arrêtaient pas d’ironiser sur les naïfs qui pensaient qu’à coups de négociations et d’échanges de bons arguments on arriverait à rompre avec le cadre des politiques européennes, c’est-à-dire avec l’austérité et le néolibéralisme. Personne n’a pris ce discours au sérieux chez les gens informés, alors, qu’à l’inverse, il déclenchait une sorte d’extase parmi les cadres et bon nombre de militants des formations de la gauche radicale européenne. Nous avons ici affaire à une question de politique avec un grand « P », à la puissance de l’idéologie dominante et à une déficience d’analyse et de pensée stratégique, loin de toute explication réductrice en termes de position sociologique des acteurs.

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    Euclide Tsakalotos (Laurent Dubrule-EPA)

    Slavoj Žižek a écrit le 20 juillet que « Syriza devrait exploiter, en montrant un pragmatisme impitoyable, en pratiquant le calcul le plus glacial, les fêlures les plus minces de l’armure de l’adversaire. Syriza devrait instrumentaliser tous ceux qui résistent à la politique hégémonique de l’Union européenne, des conservateurs britanniques à l’UKIP, le parti pour l’indépendance du Royaume-Uni. Syriza devrait flirter effrontément avec la Russie et la Chine, elle devrait caresser l’idée de donner une île à la Russie afin que celle-ci en fasse sa base militaire en Méditerranée, juste pour effrayer les stratèges de l’OTAN. Paraphrasons un peu Dostoïevski: maintenant que le Dieu-Union européenne a failli, tout est permis². » Y souscrivez-vous ?

    Il y a ici deux questions en une. Tout d’abord, il s’agit de s’interroger sur les contradictions internes à l’Union européenne et, ensuite, de se demander que faire en dehors de ce cadre. Quant à la première, la stratégie du gouvernement Tsipras consistait justement à exploiter ses contradictions internes, réelles ou, surtout, supposées. Ils pensaient pouvoir jouer sur l’axe Hollande-Renzi – vus comme des gouvernements plus « ouverts » à une approche anti-austérité –, Mario Draghi – vu également sur une ligne divergente de l’orthodoxie rigoriste de Wolfgang Schäuble [Ministre allemand des Finances] – et, enfin, sur le facteur américain – perçu comme pouvant faire pression sur le gouvernement allemand. Tout cela s’est révélé une illusion complète. Bien entendu, il ne s’agit pas de nier l’existence de contradictions dans le bloc adverse : le FMI, par exemple, a une logique de fonctionnement et des priorités en partie distinctes de celles de la Commission européenne. Ceci dit, toutes ces forces convergent sur un point fondamental : dès qu’une menace réelle émerge, et Syriza en était une car il remettait en cause l’austérité et le néolibéralisme, toutes ces forces ont fait bloc pour la détruire politiquement. Voyons le numéro de François Hollande. Il essaie d’endosser auprès de l’opinion française un rôle soi-disant amical vis-à-vis des Grecs. En réalité, il n’a été qu’un facilitateur de l’écrasement du gouvernement grec par le gouvernement allemand : ces acteurs-là sont d’accord sur l’essentiel, à savoir sur une stratégie de classe — les divergences ne portent que sur des nuances.

    Que faire maintenant, en dehors du cadre de l’Union européenne ? Penser pouvoir s’appuyer sur l’administration Obama est une fausse bonne idée, on l’a vu. Quant à la Russie, c’était sans doute une carte à explorer. Syriza l’a tentée sans vraiment y croire ; en réalité, la diplomatie russe est très conservatrice. Elle ne vise pas du tout à favoriser des ruptures dans le bloc européen. La Russie, dans ses pourparlers avec Syriza, souhaitait un gouvernement dissonant quant à l’attitude antirusse des Occidentaux suite à l’affaire ukrainienne et aux sanctions économiques. Mais à condition de rester dans le cadre de l’Union européenne et de l’euro ! En dépit de quelques bonnes paroles, la Russie n’a été, à aucun moment, un allié du gouvernement Syriza : il me semble douteux de croire qu’elle serait disposée à faire davantage si les choses étaient allées jusqu’à la rupture.

    D’aucuns avancent que Tsipras temporise et attend les élections générales espagnoles de novembre pour avoir le soutien de Pablo Iglesias – en pariant sur une victoire de Podemos. Cela vous semble-t-il crédible ?

    Ce genre de propos relève d’une tromperie manifeste. En signant cet accord, la Grèce est soumise à un carcan qui va bien au-delà de celui imposé par les mémorandums précédents. C’est un véritable mécanisme institutionnalisé de mise sous tutelle du pays et de démembrement de sa souveraineté. Il ne s’agit pas simplement d’une liste – comme les naïfs peuvent le croire – de mesures d’austérité très dures, mais de réformes structurelles qui remodèlent le cœur de l’appareil d’État : le gouvernement grec perd en effet le contrôle des principaux leviers de l’État. L’appareil fiscal devient une institution dite « indépendante » ; elle se retrouve en fait dans les mains de la Troïka. Un conseil de politique budgétaire est mis en place, qui est habilité à opérer des coupes automatiques sur le budget si le moindre écart est signalé par rapport aux objectifs en matière d’excédents, fixés par les mémorandums. L’agence des statistiques devient elle aussi « indépendante » ; en réalité, elle devient un appareil de surveillance en temps réel des politiques publiques directement contrôlé par la Troïka. La totalité des biens publics considérés comme privatisables sont placés sous le contrôle d’un organisme piloté par la Troïka.

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    François Hollande (Agence Ecofin)

    Privé de tout contrôle de sa politique budgétaire et monétaire, le gouvernement grec, quelle que soit sa couleur, est désormais dépossédé de tout moyen d’agir. La seule chose qui reste sous contrôle de l’État grec est l’appareil répressif. Et on voit bien qu’il commence à être utilisé comme avant, c’est-à-dire pour réprimer des mobilisations sociales. Les gaz lacrymogènes déversés sur la place Syntagma du 15 juillet, suivis d’arrestations de militants, de passages à tabac et maintenant de procès devant les tribunaux de syndicalistes, ne sont qu’un avant-goût de ce qui nous attend lorsque la situation sociale se durcira, lorsque les saisies des résidences principales se multiplieront, lorsque les retraités subiront de nouvelles coupes dans leur retraite, lorsque les salariés seront dépossédés du peu de droits qu’ils leur restent. Le maintien du très autoritaire Yannis Panoussis comme ministre responsable de l’ordre public, et qui se voit également confier le portefeuille de l’immigration, est un signal clair du tournant répressif qui s’annonce. Ceux qui évoquent donc une stratégie de « gain de temps » ne provoquent chez moi qu’un mélange de dégoût et de révolte.

    Vous analysez les résultats du référendum du 5 juillet comme un vote de classe. Pensez-vous, comme Frédéric Lordon en France, que l’Union européenne et l’euro sont l’opportunité historique donnée à la gauche radicale de reconstruire une frontière de classe dans nos sociétés européennes ? Faut-il, d'après vous, profiter des élans d'une sorte de « patriotisme émancipateur » (« Défendre les Grecs contre la Troïka », dit-on) – pour constituer des identités politiques « nationales-populaires » (Gramsci), comme en Amérique latine ?

    Je me situe, de par ma formation intellectuelle au sein du marxisme, à la convergence de ces deux dimensions : associer la dimension de classe et la dimension nationale-populaire. Cela me paraît d’autant plus pertinent dans le cadre des pays dominés comme la Grèce. Disons-le sans ambages : l’Union européenne est une construction impérialiste – par rapport, certes, au reste du monde, mais aussi en interne, au sens où elle reproduit des rapports de domination impériale en son sein. On peut distinguer au moins deux périphéries : la périphérie Est (les anciens pays socialistes), qui sert de réservoir de main-d’œuvre bon marché, et la périphérie Sud (c’est un sud géopolitique, et non géographique, qui inclut l’Irlande). Ces pays sont soumis à des régimes de souveraineté limitée de plus en plus institutionnalisés via la mécanique des mémorandums. Quant à la force du vote « non » au référendum, elle vient de l’articulation de trois paramètres : la dimension de classe, la dimension générationnelle et la dimension nationale-populaire. Cette dernière explique pourquoi le « non » l’a emporté même dans les départements de tradition conservatrice. Je pense que pour devenir hégémonique, la gauche a besoin de tenir les deux bouts. D’abord, une identité de classe adaptée à l'ère du néolibéralisme, du capitalisme financier et des nouvelles contradictions qui en résultent — la question de la dette et des banques est un mode essentiel (mais non unique) sur lequel repose aujourd’hui l’antagonisme entre Travail et Capital. Par ailleurs, ces forces de classe doivent prendre la direction d’un bloc social plus large, capable d’orienter la formation sociale dans une nouvelle voie. Il devient ainsi bloc historique qui « se fait Nation » , autrement dit, qui assume une hégémonie nationale-populaire. Antonio Gramsci a beaucoup travaillé là-dessus, oui : articuler la dimension de classe et nationale-populaire.

    Il s’agit d’une question complexe, qui se pose différemment selon chaque histoire nationale. En France, ou dans les nations anciennement coloniales et impérialistes, la notion nationale-populaire ne se pose pas de la même façon qu’en Grèce ; comme elle ne se pose de la même façon en Grèce qu’en Tunisie, ou dans un pays asiatique ou latino-américain. L’enjeu est d’analyser les contradictions propres des formations sociales. Ceci étant dit, la force de Syriza, et plus largement de la gauche radicale grecque (qui a un enracinement profond dans l’histoire contemporaine du pays et dans les luttes pour la libération nationale), est qu’elle combine la dimension de classe et la dimension nationale-populaire.

    05-nosourcePablo Iglesias (DR)

    Le scénario grec a permis de dessiller les yeux des défenseurs de l’« autre Europe ». N’est-ce pas là le grand succès de Syriza : avoir révélé en quelques semaines la nature anti-démocratique des institutions européennes ? Par exemple, le dernier vote au Parlement grec a donné à voir un spectacle ahurissant : des députés qui doivent se prononcer sur un texte de 977 pages, reçu 24 heures plus tôt…

    Il faut bien que les défaites servent à quelque chose ! Malheureusement, ce que je vois dominer, même maintenant, dans la gauche radicale, ce sont des réflexes d’auto-justification : malgré tout, il faut trouver des excuses à ce que fait Tsipras, tourner autour du pot, laisser croire qu’il ne s’agit que d’un mauvais moment à passer, etc. J’espère que ce n’est qu’un mécanisme psychologique transitoire face à l’étendue du désastre et que nous aurons rapidement le courage de regarder la réalité en face, le courage de réfléchir sur les raisons de ce désastre. Je ne sais pas, pour ma part, ce qu’il faut de plus comme démonstration éclatante de l’inanité de la position selon laquelle on peut rompre avec le néolibéralisme dans le cadre des institutions européennes ! L’un des aspects les plus choquants des développements qui font suite à la signature de l’accord est qu’on est revenu exactement à la situation de 2010-2012, en matière de démocratie, ou plutôt de sa négation ! À savoir que même les procédures formelles de la démocratie parlementaire – on voit d’ailleurs qu’elles ne sont pas que formelles au regard des efforts déployés pour les supprimer – ne sont pas respectées. Les députés n’ont eu que quelques heures pour prendre connaissance de pavés monstrueux qui changent de fond en comble le code de procédure civile : 800 pages, qui faciliteront la saisie des maisons ou renforcent la position juridique des banques en cas de litige avec des emprunteurs. En outre, on trouve dans ce même projet de loi la transposition d’une directive européenne sur l’intégration au système bancaire européen, qui permet, en cas de faillite des banques, de pratiquer ce qu’on appelle un « bail-in », c’est-à-dire un prélèvement sur les dépôts bancaires pour renflouer les banques. Le cas chypriote se généralise à l’échelle de l’Europe. Tout cela a été voté le 22 juillet par les mêmes procédures d’urgence que Syriza n’avait cessé de dénoncer durant toutes ces années, et qu’il est désormais obligé d’accepter puisqu’il a capitulé devant les créanciers. Le mot « capituler » est sans doute faible. J’ai vraiment des réactions de honte quand je vois un parti dont je suis toujours membre être au gouvernement et se livrer à ce type de pratiques, qui tournent en dérision les notions les plus élémentaires du fonctionnement démocratique des institutions.

    Après le vote par le Parlement grec de l’accord d’austérité et desdites « réformes structurelles », comment se redéfinit l’échiquier politique grec ? Va-t-on vers une scission de Syriza ou, du moins, une recomposition des forces de gauche radicale ? D’autant que les grèves repartent et la place Syntagma se remplit de nouveau...

    La recomposition est certaine et elle sera de grande ampleur. Il est peut-être trop tôt pour en avoir les contours exacts mais j’aimerais insister sur deux éléments. Le premier est la situation interne de Syriza. Il faut bien comprendre que les choix du gouvernement Tsipras n’ont pas de légitimité au sein du parti. La majorité des membres du Comité central a signé un texte commun, dans lequel l’accord est rejeté et considéré comme le produit d’un coup d’État contre le gouvernement grec. Une  convocation immédiate du comité central est exigée — et elle s’est heurtée à une fin de non-recevoir de Tsipras, président du parti élu, lui-aussi, directement par le Congrès. La quasi-totalité des fédérations du parti et des sections locales votent des motions dans le même sens. On est devant une situation de blocage. Du côté des proches de Tsipras, le ton devient extrêmement agressif envers ceux qui sont en désaccord avec les choix qui ont été faits. Il est très choquant de voir que certains membres du parti reprennent mot pour mot les arguments propagés par les médias, jusqu’aux calomnies qui présentent les défenseurs de plans alternatifs, comme Varoufákis ou Lafazanis, comme des putschistes, des comploteurs de la drachme, des alignés sur le Grexit, façon Schäuble. Nous avons donc peu de raisons d’être optimistes quant à l’évolution de la situation interne de de Syriza.

    Mais l’essentiel est ailleurs. La gauche de Syriza, dans ses diverses expressions (même si la Plateforme de gauche en constitue l’épine dorsale), se fixe à présent comme objectif la traduction et la représentation politique du peuple du « non » aux mémorandums et à l’austérité. La situation nouvelle créée est que le bloc social, avec ses trois dimensions – de classe, de génération et national-populaire –, se retrouve désormais orphelin de représentation politique. C’est à cette construction politique qu’il faut maintenant s’atteler. Il s’agit de rassembler, de façon très large, des forces politiques à l’intérieur et l’extérieur de Syriza. Les premiers signes qui nous parviennent sont positifs. Mais il est vital d’impliquer également dans ce nouveau projet des acteurs non strictement politiques, qui ont mené la bataille du « non » par en-bas, dans le mouvement social. C’est absolument extraordinaire : les initiatives, que ce soit sur les lieux de travail ou dans les quartiers, ont littéralement fusé en l'espace de quelques jours ; d’autres se sont créées dans la foulée du référendum ou se constituent actuellement.

    08-nosource 
    Christine Lagarde (DR)

    L’image que véhiculent les médias, selon laquelle « en Grèce, tout le monde est soulagé, Tsipras est très populaire », est très loin de la réalité. Il y a un très grand désarroi, de la confusion, une difficulté à admettre ce qui s’est passé. Un ami a utilisé le terme de « choc post-traumatique ». Cela signifie qu’une partie de l’électorat du « non » est dans un tel désarroi qu’elle ne sait plus sur quel pied danser et se dit qu’il n’y avait peut-être pas d’autre choix possible. Mais nombreux sont ceux, surtout parmi les secteurs sociaux les plus massivement engagés dans le « non » – à savoir les jeunes et les milieux populaires –, qui sont révoltés et disponibles pour participer ou soutenir un projet alternatif. La Plateforme de gauche tient son premier meeting public au grand air à Athènes, lundi prochain [27 juillet — aujourd'hui]. Le titre de cette manifestation sera : « Le non n’est pas vaincu. Nous continuons. » Il faut construire de façon nouvelle la voix du « non » de classe, démocratique et anti-Union européenne.

    C’est la stratégie qu’aurait dû entreprendre la gauche radicale française suite à la victoire du « non » au référendum sur le Traité Constitutionnel Européen en 2005, non ?

    Exactement. Et au lieu de ça, elle a régressé et s’est empêtrée dans des luttes de boutique internes. Au lieu de pousser la critique de l’UE plus loin, à partir de l’acquis de la campagne du « non », elle est revenue en arrière et n’a cessé de rabâcher la litanie de « l’Europe sociale » et de la réforme des institutions européennes...

    Le projet d’une plateforme commune des gauches radicales sud-européennes, afin d’établir un programme concerté de sortie de l’euro, est-il envisageable ?

    Depuis 35 ans, j’essaie d’être un militant communiste. Ce qui m’intéresse est une stratégie anticapitaliste pour ici et maintenant, dans un pays européen et dans la conjoncture où nous vivons. Et je considère effectivement que cela serait la médiation nécessaire afin d'établir une stratégie anticapitaliste effective, non pas basée sur un propagandisme abstrait ou sur des velléités de répétition des schémas anciens dont on sait pertinemment qu’ils ne sont plus valides, mais sur les contradictions actuelles ; une stratégie qui tire les leçons des expériences politiques récentes, des luttes, des mouvements sociaux et qui essaie d’avancer dans ce sens, en posant la question du pouvoir et de la stratégie politique. Ce n’est donc pas simplement un projet prétendument « anti-européen », ce n’est d’ailleurs pas un projet limité à l’Europe du Sud, mais un projet authentiquement internationaliste — qui suppose en effet des formes de coordination plus avancées des forces d’opposition au système. Ce qu’il faut, c’est une nouvelle gauche anticapitaliste. Et l'une des conditions, non pas suffisante mais nécessaire pour y parvenir, est d’ouvrir un front résolu contre notre adversaire actuel, c’est-à-dire l’Union européenne et tout ce qu’elle représente.

    Dans vos interviews, écrits et articles, vous avez pris l’habitude d’écrire systématiquement entre guillemets « la gauche de la gauche » ou « la gauche radicale ». Cette incapacité à se définir clairement – sans ambages ni guillemets – marque-t-elle le signe que les identités politiques héritées du XXe siècle sont, pour partie, devenues obsolètes ?

    Le terme de « gauche radicale » est sans doute utile car il correspond à cette situation mouvante. On est dans un entre-deux et les formulations souples sont nécessaires, ou du moins inévitables, pour permettre aux processus de se déployer de façon nouvelle, en rupture avec des schémas préétablis. Ce qui caractérise Syriza sont ses racines très profondes dans le mouvement communiste et la gauche révolutionnaire grecque. En d’autres termes, Syriza est issu de la recomposition de mouvements dont le but commun était la remise en cause, non pas seulement des politiques d’austérité ou néolibérales, mais du capitalisme lui-même. Il y a donc d’un côté un aspect de radicalité réelle, mais de l’autre, on a vu que la stratégie choisie était profondément inadéquate et renvoyait à des faiblesses de fond et, par là même, à des contradictions dans la constitution de Syriza, qui n’a pas résisté à cette épreuve terrible du pouvoir gouvernemental. La contradiction a ainsi fini par éclater. Il s’agit à présent d’assumer ce fait et de passer à une étape suivante pour que cette expérience chèrement acquise par le peuple grec et les forces de la gauche de combat servent au moins à ouvrir une perspective d’avenir.


    NOTES

    1. Entretien accessible en ligne.
    2. « Le courage du désespoir », accessible en ligne.


    REBONDS 

    ☰ Lire notre carnet de route (2), « Grèce : six mois pour rien ? », juillet 2015
    ☰ Lire notre carnet de route (1), « L’Europe agit comme si elle était en guerre contre les Grecs », juillet 2015
    ☰ Lire notre entretien avec Cédric Durand, « Les peuples, contre les bureaucrates et l’ordre européen », juillet 2015
    ☰ Lire notre entretien avec Sofia Tzitzikou, « La dignité du peuple grec vaut plus qu’une dette illégale, illégitime et odieuse », juillet 2015
    ☰ Lire notre traduction de l'entretien de Pablo Iglesias : « Faire pression sur Syriza, c’est faire pression sur Podemos, pour montrer qu’il n’y a pas d’alternative », mai 2015
    ☰ Lire notre traduction de l'article « Assassiner l'espoir », Slavoj Zizek, avril 2015
    ☰ Lire notre entretien avec Joëlle Fontaine, « Difficile pour la Grèce d’être souveraine suite aux menaces de l’Union européenne », février 2015

    source: revue-ballast.fr

     

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  • La Grèce et la direction du PCF-par Jacques Sapir (28/07/2015)Cynisme : idéologie de la petite bourgeoisie grecque désespérée par la guerre du Péloponnèse. (Bolshaya Sovetskaya Entsiclopediya, éditions de 1952)

    La direction (CEN ou Comité Exécutif National) du PCF a produit, le 17 juillet, un document de travail à l’usage de ses cadres et militants sur les événements de Grèce. Ce document, plus et mieux que l’interview de Pierre Laurent, le secrétaire national, donne le ton de ce qu’est l’analyse politique que fait le PCF sur ses événements. Le rappel qui est fait des événements jusqu’au 5 juillet n’est pas faux, tout en passant sous silence l’existence de débats au sein de Syriza et en se refusant à prendre parti, voir simplement à décrire, les positions des uns et des autres. On baigne dans une image d’Epinal d’un Syriza uni autour de son chef. Mais, ce document retrace fidèlement les manœuvres de l’Eurogroupe et la tentative de coup d’état qui conduit au référendum du 5 juillet.

    Par contre, sur la période du 5 au 13 juillet, ce document est bien plus succinct. Il ne tient pas compte de l’interview de Stathis Kouvelakis (membre de la plate-forme de gauche de Syriza) publiée le 15 juillet dans Jacobin[1], ni de la note postée sur le blog de Paul Mason, le correspondant de Channel 4 en Grèce, qui avait recueilli les confidences de Varoufakis et des autres membres de la gauche de Syriza[2], enfin, et surtout, aucune mention n’est faite de l’analyse de Yanis Varoufakis, l’ancien Ministre des finances, analyse publiée le 14 juillet sur son blog[3]. On pourrait multiplier les exemples. C’est donc un point de vue extrêmement orienté qui est donné dans ce document de travail, celui d’Alexis Tsipras. Pire, car l’on pourrait comprendre que politiquement on reprenne le point de vue de Tsipras. Le point de vue de l’opposition interne dans Syriza n’est nullement mentionné. Dans ces conditions, la description du vote de la nuit du 15 au 16 juillet est incompréhensible pour le lecteur, qui n’a pas les éléments nécessaires pour se faire une opinion. La référence à un sondage sur l’Euro, donnant 75% des grecs opposés à une sortie de l’Euro accentue le malaise, quant on sait la valeur très discutable des sondages qui, il faut le rappeler, donnaient le OUI vainqueur ou ne donnait qu’une très faible avance au NON, alors que celui-ci fut majoritaire à plus de 61%. Ici encore, on ne peut qu’aboutir à la conclusion que le document du CEN du PCF entend présenter la position d’Alexis Tsipras comme la seule possible. Autrement dit, le CEN du PCF nous rejoue l’antienne de Margaret Thatcher « there is no alternative » (TINA).

    Il n’est pas dans mon intention d’analyser la totalité de ce document. Néanmoins, les analyses économiques de ce qu’aurait entraîné le « Grexit » présentent un intérêt, en ce qu’elle viennent conforter l’idée d’une présentation extrêmement orientée, au point même d’en être malhonnête, de la situation en Grèce.

    Je me concentrerai sur le paragraphe « Concernant la sortie de la Grèce de la zone euro » qui commence fin de la page 4 et début de la page 5 du document émis par le CEN.

    Les conséquences immédiates d’un GREXIT

    Un « Grexit » signifierait une dévaluation estimée au minimum à 40 % et donc une perte de pouvoir d’achat de 40 % et une augmentation du coût de la dette de 40 %. Cela ne peut apporter aucun gain de compétitivité dans un pays où les salaires ont déjà baissé de 25 % et où l’appareil productif n’est pas capable de répondre à un surcroît de demande.

    On ne sait vraiment pas comment les rédacteurs de cette note peuvent déterminer ainsi la dépréciation probable du taux de change de la Drachme en cas de « Grexit ». Compte tenu de la dévaluation interne déjà opérée depuis 2010, et du rétablissement de la balance courante de la Grèce, une dépréciation de l’ordre de 15% à 25% apparaît bien plus probable. Rien ne vient donc appuyer cette argumentation, si ce n’est la volonté de présenter une image « cataclysmique » d’un possible Grexit. En fait la situation de la balance courante actuelle de la Grèce laisse à penser que cette dévaluation serait nettement inférieure à 40%.

    Il y a ensuite une erreur grossière dans le texte. Tellement grossière que l’on peut penser qu’elle est faite à dessein, pour provoquer un mouvement de recul sur la base d’un « effet d’évidence » c’est quand il est dit qu’une dépréciation de 40% entraînerait une baisse du pouvoir d’achat de 40%. Cela équivaut à prétendre que la totalité de la consommation en biens et services de la totalité de la population est réalisée en biens importés. Ce n’est évidemment pas le cas. Si l’on excepte les 10% les plus riches de la population, dont la part de consommation de biens importés peut atteindre 70%, pour le reste de la population on sait que cela se situé à moins de 50% et pour les personnes les plus pauvres (disons pour les 50% les moins riches), on sait que la part importée se situe autour de 20% voire de 15%. Cela veut donc dire qu’une dépréciation de 40%, que l’on considère par ailleurs comme une hypothèse excessive, aboutirait à une perte de pouvoir d’achat de -28% sur les plus riches mais de -8% voire -6% sur les plus pauvres. De fait, la perte de pouvoir d’achat porterait essentiellement sur les plus riches. En réalité, une dépréciation de la devise induit un changement au sein de la population, touchant bien plus fortement les catégories sociales qui sont largement importatrices. C’est, aussi, un mécanisme de justice sociale au sein d’une population.

    Deuxième erreur grossière, le passage suivant : « Cela ne peut apporter aucun gain de compétitivité dans un pays où les salaires ont déjà baissé de 25 % et où l’appareil productif n’est pas capable de répondre à un surcroît de demande ». Tout d’abord le problème est bien plus celui des élasticités croisées import/export ; passons. Mais, la question de la compétitivité de l’économie grecque implique de connaître les secteurs exportateurs. Ceci montre que les rédacteurs du document n’ont aucune idée, ou n’ont pas cherché à en avoir, de la situation sur ce point de la Grèce. En effet, les ressources de la balance courante de la Grèce incluent quatre postes importants :

    • Les recettes de l’industrie touristique (considérées comme des « exportations » du moment que des touristes non résidents viennent en Grèce). Or, il est évident, et corroboré par de nombreuses études, que l’industrie touristique bénéficierait massivement d’une dépréciation de la Drachme, en particulier en attirant des touristes hors-saison (cas des touristes britanniques et d’Europe du Nord) qui aujourd’hui vont en Croatie ou en Turquie.
    • Les recettes de la construction et de la réparation navale. On sait que c’est un des secteurs « exportateurs » de l’économie grecque. Actuellement, ce secteur est en crise à cause de la concurrence faite par la Croatie et la Turquie (qui a déprécié sa monnaie dans des proportions importantes depuis 3 ans). Un retour de chiffre d’affaires au niveau de celui de 2010 est probable avec une dépréciation de la Drachme de -25%, du fait de la qualité reconnue de ce secteur.
    • Les recettes de l’industrie grecque. L’industrie grecque est peu développée, mais elle a quelques secteurs d’excellence, secteurs qui sont très loin de travailler à pleine capacité des installations. En fait le taux d’utilisation des capacités semble se situer autour de 60-65%. Une montée vers 80% est possible en cas de dépréciation de la Drachme.
    • Les recettes de l’agriculture grecque. L’agriculture grecque est largement exportatrice, que ce soit vers les Balkans, vers les pays arabes, ou vers les pays de l’Eurozone. Ses marges d’exportation sont limitées par le cours de l’Euro dans les deux premiers cas.

    On voit qu’une dépréciation de la Drachme induirait un coup de fouet important sur l’économie grecque. Par ailleurs, il serait alors possible d’accroître les investissements en proportion du PIB. Le coup de fouet se transformerait alors en une pente vertueuse, des investissements plus importants améliorants la productivité dans les secteurs exportateurs, qui pourraient accroitre leurs parts de marché. L’économie grecque renouerait avec la croissance et le chômage, qui touche aujourd’hui plus de 26% de la population diminuerait rapidement.

    On voit que les auteurs du texte du CEN n’ont pas présenté une image objective, et tout simplement honnête, des conséquences du GREXIT à leurs lecteurs.

    Conséquences financières

    « Cela aurait pour effet immédiat une hausse des prix importés donc plus d’austérité salariale, une dette privée plus chère, des difficultés accrues pour financer les investissements et, finalement, une soumission encore plus forte à la finance ».

    En ce qui concerne la dette de la Grèce, il est clair qu’un GREXIT indurait un défaut souverain. Mais cela ne veut pas dire que la Grèce ne rembourserait rien. On sait qu’après un défaut, les créanciers et le pays endettés se mettent d’accord sur une forte dépréciation de la dette, qui peut aller jusqu’à 80% comme en Russie après le défaut de 1998. Si on admet que la dépréciation de la dette soit simplement de 66%., compte tenu d’une dépréciation de la devise de -25% cela donne :

    Dette actuelle : 315 milliards d’Euros

    Dette recalculée en Drachme, après dépréciation de la Drachme de -25% : 420 milliards de Drachmes

    Dette après abattement de 66% : 138,6 milliards de Drachmes.

    Si l’accord post-défaut inclut une perte de valeur faciale de 80% (comme dans le cas de la Russie) on aboutit à : 84 milliards de Drachmes.

    Même dans le cas le moins avantageux, la dette grecque aurait été ramenée à 70% du PIB (200 milliards d’Euro = 200 milliards de Drachmes).

    Quant à la hausse des prix, induite par la hausse des prix importés, une étude relayée par mon excellent confrère Alberto Bagnai (que je salue ici) montre qu’elle serait de 0,3 x montant de la dépréciation, soit de 7,5% étalés sur environ 3 ans. Ici encore, rien de catastrophique, et certainement rien de comparable avec les effets du 3ème mémorandum.

    Quant à la question des investissements, je renvoie à ma note sur l’interview de Pierre Laurent, car j’ai montré qu’en réalité une dépréciation de la Drachme serait très favorable à l’investissement[4]. Une fois encore, on voit que les auteurs du document de travail de la CEN prennent des libertés inadmissibles avec la réalité, et que ceci ne peut s’expliquer que par la volonté idéologique de discréditer toute politique de sortie de l’Euro.

    Conséquences à l’Europe

    « Par ailleurs, un « grexit » déclencherait des assauts spéculatifs massifs pour faire sortir d’autres pays de la zone euro, à commencer par l’Italie (2.070 milliards d’euros de dette), l’Espagne (966 milliards d’euros), le Portugal (219 milliards d’euros) et, probablement, la France ensuite. On entrerait dans une course sans fin de chaque pays aux dévaluations compétitives, anti-salariales et déflationnistes renforçant encore la guerre économique pour prendre des parts de marché au détriment des partenaires européens ».

    Le risque d’attaques spéculatives est réel, et il est probable qu’un GREXIT entraînerait un éclatement de la zone Euro. Mais, cet éclatement serait largement positif pour trois pays, l’Italie, la France et le Portugal. Si cet éclatement est anticipé (et pourquoi ne le serait-il pas ?), les gouvernement peuvent s’entendre sur une sortie collective, et fixer des limites à la dépréciation de leurs monnaies. En fait, cet éclatement de l’Euro ne pénalisera qu’un seul pays : l’Allemagne, qui verra sont excédent commercial se réduire très rapidement. Tout cela a été calculé de nombreuses fois et ces calculs ont montré que les conséquences d’un éclatement de l’Euro ne seraient, là non plus, pas « apocalyptique » comme l’écrivent les rédacteurs du document de la CEN. Ici, on voit bien l’idéologie européiste en action qui prétend que, hors de l’Euro, point de salut. Ce qui revient à dire que l’on est dans l’idéologie, et nul part ailleurs.

    Un discours essentiellement idéologique

    On voit la nature profonde du document du CEN dans l’extrait suivant : « Mais le grexit serait la meilleure façon de légitimer le discours nationaliste de l’extrême droite (Aube dorée en Grèce, FN en France…) ». Autrement dit, si Mme Marine le Pen dit qu’il fait soleil à Athènes en plein midi, nous devrions tous nous précipiter sur nos manteaux et nos parapluies et crier qu’il pleut et qu’il fait froid à Athènes. Tel est le niveau de raisonnement ou est tombé le Comité Exécutif National du PCF dans son document de travail. Cela en dit long sur la terreur qui semble avoir saisi ses rédacteurs, mais aussi très long sur jusqu’où les membres de la CEN sont prêt à aller pour induire les cadres et les militants de leur parti à emprunter une voie sans issue. Car, il faut le redire encore et encore, un GREXIT n’est nullement la propriété d’un parti mais une solution économique et politique, qui doit être traitée d’un point de vue économique et politique, et non idéologique.

    Le Comité Exécutif National du PCF a donc commis un document qui est largement idéologique. Il en dit long sur le désarroi de la direction du PCF (ou d’une partie de celle-ci) confrontée à la réalité, une réalité qu’il n’hésite pas à tordre ou a dissimuler. Car, il y a suffisamment de personnes de valeurs au sein de ce parti pour que l’on puisse penser que ces distorsions de la réalité, et ces mensonges, ne sont pas le produit de l’ignorance mais bien celui d’une ligne politique.

    Jacques Sapir

    Notes

    [1] https://www.jacobinmag.com/2015/07/tsipras-varoufakis-kouvelakis-syriza-euro-debt/

    [2] http://blogs.channel4.com/paul-mason-blog/greece-crisis-austerity-deal-pointless/4197

    [3] http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/14/on-the-euro-summits-statement-on-greece-first-thoughts/

    [4] http://russeurope.hypotheses.org/4144

    source: russeurope.

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  • Vénézuéla-le crime se prépare-par Jean Ortiz [Chroniques latines]

    Le crime se prépare, comme en 1973 au Chili de l’Unité Populaire. La campagne de discrédit, de déstabilisation, contre Caracas, s’accélère avec le déchaînement,  l’activisme, des vraies droites, des fausses gauches, et des médias « libres » internationaux.

    Pour le chef d’orchestre, les Etats-Unis, il faut reprendre la main en Amérique latine, notamment afin de mettre en place les Zones de libre-échange transatlantique et transpacifique, vastes entreprises de recolonisation. Cela passe par le renversement, « électoral » et/ou insurrectionnel de la révolution vénézuélienne, pièce maîtresse du puzzle émancipateur continental, et dont la chute provoquerait, selon le gouvernement étatsunien, des « effets domino », des réactions en chaîne. Caracas est en effet l’architecte du système souverain d’intégration continentale, insupportable pour les intérêts géoéconomiques de Washington, dans une région qu’il dominait sans partage depuis le 19ième siècle et la « doctrine Monroe » (1823). « L’empire » voudrait en finir avec les « restes du chavisme » : Petrocaribe, l’Alba, l’Unasur, la Celac, les président(e)s Correa, Kichner, Dilma, Morales et Maduro, ces empêcheurs d’impérialiser en rond.

    Le crime se prépare contre Caracas, la nouvelle opération « Sortie » se met en place, et la solidarité gronde peu. Rappelons qu’au Venezuela l’essentiel de l’économie est encore aux mains du secteur privé et 80% des médias à l’opposition, que la droite relaie toutes les ingérences extérieures (le néo-franquiste parti Populaire espagnol a proposé que le prix Sakharov 2015 soit attribué à cette droite putschiste vénézuélienne...à défaut de Franco, déjà décédé). Ingérences et provocations s’accélèrent à l’approche des législatives du 6 décembre, notamment en utilisant le différend territorial entre le Venezuela et la Guyana (ex Guyane britannique), au sujet de l’Esequibo. Le gouvernement de la Guyana et son nouveau président David Granger, manipulés, refusent de reconnaître l’accord de Genève de 1966, qui déclare « zone en litige » l’Esequibo.

    La campagne d’intox est grassement et salement financée par le lobby pétrolier yankee, par la multinationale pétrolière Exxon Mobil, qui a obtenu de la Guyana des concessions juteuses (« Bloque Starbroke ») dans la zone en litige, et opère, exploite le brut, sans précautions et en toute illégalité.

    Caracas s’en tient à une « attitude diplomatique de paix », soutenue par le Mercosur lors de sa récente réunion au Brésil, tout en revendiquant « ses droits historiques » ; mais l’occasion est trop belle pour Washington qui tente de transformer en conflit bilatéral le différend territorial. La sous-secrétaire américaine pour l’hémisphère sud, Roberta Jackson, jette de l’huile sur le feu. Le décret du président Obama considérant le Venezuela comme une « menace  pour la sécurité des Etats-Unis », couvre tous les mauvais coups.

    La guerre économique (pénuries, accaparement, stockage, détournements, corruption grandissante, spéculation sur la monnaie, inflation importante) se poursuit de plus belle et fatigue la population. Les groupes paramilitaires se préparent... Lorsque le gouvernement se défend, que la justice arrête et juge ceux qui confondent opposition et sédition, la révolution est accusée par les « troïkistes » de là-bas (et d’ici), de « totalitarisme », de « violation des droits de l’homme ». Les séditieux deviennent des « martyrs », des « dissidents », des « prisonniers politiques ». Henry Kissinger reçut le Nobel de la paix après le crime commis au Chili... Un grand classique. Pas de liberté hors du marché. Pas touche au capitalisme, indépassable et bienfaiteur de l’humanité. Les mêmes je vous dis, FMIisés, Merkélisés, qui n’aiment les peuples qu’enchaînés, soumis, bien saignants...

    Si nous ne réagissons pas à la hauteur des enjeux, si nous cédons au pilonnage, j’ai peur que demain nous disions : « Qu’elle était belle cette révolution ».

    Jean ORTIZ

    sources: communcommune.com/ & humanite.fr/blogs/

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  • Grèce : le "Document de travail" de la direction du PCF (FVR-PCF le 25/07/2015)Après les monumentales cagades de la direction du PCF et du responsable du groupe communiste à l’Assemblée nationale appelant à voter pour le mémorandum applicable à la Grèce tout en félicitant la main gauche du capitalisme, F. Hollande, cette même direction cherche à rattraper le coup ! Rappelons tout de même que ce mémorandum est digne d’une démarche colonialiste : c’est la mise sous tutelle renforcée de la Grèce en vue de lui extirper ce qui lui reste de richesses, et surtout de faire un exemple pour les peuples de l’UE qui se risqueraient à regimber. C’est pourquoi la direction du PCF vient de bâcler un texte sur les évènements de Grèce appelé "Document de travail". Chiche ! Et bien nous allons travailler à donner quelques couleurs à cette position qui est empêtrée dans ses contradictions, à savoir prétendre combattre l’austérité tout en vénérant l’euro et l’UE et en idolâtrant la politique du social-démocrate Tsipras. En attendant que se mijote le propre texte du réseau "Faire vivre et renforcer le PCF", nous donnons à lire ce fameux document de travail.

    PB

    Grèce : le "Document de travail" de la direction du PCF (FVR-PCF le 25/07/2015)

    CEN 17 juillet 2015

    Grèce : Document de travail du PCF

    Ce texte est une première analyse, encore à chaud, de la situation. Tant sur l’analyse que sur les leçons à tirer, il faudra prendre le temps d’approfondir, avec le recul et en tenant compte des évolutions des semaines à venir. La situation reste très instable. Face à l’urgence, nous posons des questions et ouvrons des pistes pour nos luttes, avec comme ligne de mire la nécessaire élévation de notre bataille en France et en Europe.

    ***


    La Grèce est en première ligne de la lutte des classes en Europe. Depuis la victoire de Syriza en Grèce le 25 janvier, et a fortiori à travers la dernière séquence politique des négociations dans la zone euro, a mis en lumière la violence avec laquelle une droite au service de la finance, s’appuyant sur l’extrême droite et bénéficiant du silence complice des autres, a pu piétiner la démocratie et punir un peuple, qui a osé dire non à l’austérité. Malgré le courage de Tsipras et la maturation politique qu’a permis son combat dans toute l’Europe, de lourdes questions sont posées pour les forces progressistes de nos pays, au premier rang desquels, le rôle que nous devons jouer pour élever assez haut le niveau de débat politique et de rapport de forces en Europe, pour desserrer l’étau sur le peuple grec et ne pas laisser isolé le seul gouvernement de gauche en Europe.

    I - Le gouvernement Tsipras : une lutte permanente contre le coup d’état financier et la déstabilisation politique

    Dans une Europe dominée par le consensus libéral entre forces de droite et social-démocrates, dès le 25 janvier, jour de leur victoire électorale, le gouvernement Tsipras et Syriza sont devenus les ennemis de tous, l’expérience alternative à détruire.

    25 janvier – 25 juin : 5 mois de luttes pour la sortie de l’austérité, la relance économique et l’assainissement de la vie publique grecque, sous asphyxie financière
    Le 20 février, après de difficiles négociations, la Grèce signe l’accord-pont avec l’Eurogroup. Objectif : allonger le programme de financement précédent le temps de prendre les mesures urgentes et préparer un programme de financement durable à négocier en juin. Loi humanitaire, réintégration de fonctionnaires, réouverture ERT, droit du sol, lutte contre la corruption et commission vérité sur la dette : le gouvernement Tsipras inscrit sa politique à gauche. Pendant ce temps, les termes de l’accord ne sont pas respectés par les créanciers et aucun financement n’est versé. La BCE commence à multiplier les conditionnalités pour l’accès à ses financements : l’asphyxie financière a commencé dès la victoire de Syriza.

    La tentative de coup d’État financier, le référendum
     

    Le mandat donné par le peuple grec « Sortir de l’austérité, rester dans l’euro » a conduit le gouvernement Tsipras a une démarche de négociations depuis son élection. Depuis, ni le mandat, ni la démarche n’ont changé jusqu’ici. Le 25 juin, alors qu’un accord était « à portée de main », le FMI rompt les négociations du plan de financement durable en faisant une contre proposition inacceptable. Tsipras décide alors de convoquer un référendum et appelle à voter NON à la proposition des créanciers. La réponse des forces néolibérales est celle de la pression politique et financière – une stratégie de la déstabilisation et de la peur – pour peser sur le référendum.
    Quelques jours avant, Samaras (leader de l’opposition grecque) appelait à un gouvernement d’Union nationale et le Président de To Potami (un parti fondé par les anciens du Pasok et pro-austérité) était reçu en grandes pompes dans toutes les institutions européennes. L’eurogroup du 27 juin décide, sans le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis, de terminer au 30 juin le programme financier en cours. Le lendemain, conséquence logique, la BCE annonçait la coupure des liquidités pour les banques grecques à la même date. Ce chantage financier a contraint le gouvernement grec à mettre en place une procédure de contrôle des capitaux et à fermer les banques, puis à faire défaut au remboursement du FMI. L’offensive médiatique et politique est coordonnée autour d’au moins deux axes : Tsipras est irresponsable, c’est lui qui a fait échouer les négociations / la question du referendum est pour ou contre la sortie de l’Euro. Le 5 juillet, le NON l’emporte avec 61 %. Tsipras est renforcé et compte toujours négocier. Il s’appuie sur le referendum pour inclure dans les négociations un rééchelonnement de la dette et un plan d’investissement pour la croissance issu du plan Juncker. Son objectif est un programme de financement durable pour stabiliser la Grèce et relancer l’économie.

    II - Le 13 juillet, un tournant historique

    L’Europe est ébranlée par le tournant pris au sein de l’Eurozone ces dernières semaines.

    Une méthode de « gangsters »
    Le Grexit était l’option choisie par Angela Merkel et les droites dures d’Europe (ex : le gouvernement Finlandais de droite/extrême droite) dès le début et jusqu’au dernier moment. Le but déclaré des dirigeants allemands était la "suspension provisoire ", autrement dit l’expulsion de la Grèce de la zone euro, quitte à ouvrir, pour ce pays au bord de la banqueroute, une ère cauchemardesque, et d’entraîner l’Europe elle-même dans une aventure très périlleuse. Quant à la dette grecque, les dirigeants allemands ne voulaient plus en entendre parler. Ils n’entendaient pas davantage consentir de nouveaux prêts à un Etat dirigé par un gouvernement qui a osé le défier jusqu’à organiser un référendum au verdict humiliant pour ceux qui se voient comme les maîtres de l’Europe. La Banque centrale européenne devait continuer à servir d’instrument pour ce coup d’Etat financier. Tout au long du week-end ce « bloc des durs », n’a cessé de faire des propositions provocatrices, humiliantes et inacceptables pour le gouvernement Tsipras, cherchant à ce qu’il quitte la table des négociations.

    Un mauvais accord signé « le couteau sous la gorge »
     

    Les mesures imposées dans ce contexte à Athènes sont socialement inhumaines, économiquement contre-productives et politiquement scandaleuses -incluant des violations extrêmement graves de la souveraineté du pays. Le paroxysme est, à cet égard, atteint avec la création d’un "fonds pour les privatisations" : visant à gager des actifs publics d’un montant démentiel -plus d’un quart du Produit Intérieur Brut de la Grèce !- et soustrait à la maîtrise du gouvernement pour la gestion des recettes attendues. Une mesure scélérate s’il en est. Le Grexit n’est pas écarté. Il reste le choix du gouvernement allemand et l’accord ne comporte aucune garantie de déblocage des financements, au contraire, il impose de nouvelles conditionnalités.
    Le choix politique d’Alexis Tsipras : signer un mauvais accord pour éviter le désastre, stopper l’asphyxie financière du pays et la mort à petit feu, empêcher le grexit et la mort subite. Il a favorisé la survie financière du pays. Il a pris ses responsabilités de Premier ministre face aux exigences extravagantes des créanciers, à la possibilité d’un effondrement immédiat du système bancaire et la sortie de l’euro et la « sortie ordonnée » de l’euro préconisée par Schaüble, et même par certains à gauche. La Grèce n’est pas sortie de l’euro, conformément au souhait de 75 % de la population. Donc, pour l’instant, l’objectif de Schaüble n’est pas atteint. Le gouvernement Tsipras est toujours en place et bénéficie d’un très large soutien dans la population grecque. Le deuxième objectif de Schaüble n’est donc pas atteint. Le texte de l’accord a été adopté au Parlement grec dans la nuit de mercredi à jeudi. Dans le groupe de Syriza, la majorité a voté pour, 32 contre dont des personnalités « phares » (Konstantopoulou, Varoufakis), 6 abstentions et une absence. Le CC de Syriza appellait à voter contre. Nous devons être très vigilants à ne pas nous immiscer dans les débats internes de Syriza.

    Le vote des communistes au Parlement français
     

    C’est principalement le contenu de cet accord qui a conduit nos députés et sénateurs à voter contre au Parlement Français. Il s’est agit également de marquer notre rejet de la brutalité de la méthode Schaüble et notre mécontentement que la France ait laissé faire. C’est aussi un vote de combat, un vote en soutien au peuple grec et à Tsipras. Pierre Laurent au Sénat « Notre vote est aujourd’hui un acte de lutte et de solidarité aux côtés du peuple grec, d’Alexis Tsipras et de nos camarades de Syriza. Nous sommes solidaires de leurs choix et assumons leur difficile et courageux combat. Nous sommes à leurs côtés pour dire non à l’expulsion de la Grèce. Mais nous disons d’un même mouvement, au nom de la France, que l’accord scandaleux imposé à Bruxelles n’est pas digne de l’Europe et qu’aucun maintien dans l’euro ne le peut légitimer ».

    III - Perspectives de combats, de réflexion, d’initiatives politiques

    Après les deux victoires du 25 janvier et du référendum, l’accord du 13 juillet est une défaite dans le combat pour imposer une solution viable et juste pour le peuple grec et les peuples européens. Mais la bataille continue. Le 13 juillet a été le paroxysme d’un aiguisement sans précédent de l’affrontement de classe en Europe. La lutte de Syriza et la résistance du gouvernement grec ont élevé le niveau d’affrontement, permis une maturation du combat et des consciences en Europe. Les 6 mois écoulés ont été une démonstration grandeur nature pour des millions d’Européens. A un peuple et un gouvernement qui refusent l’austérité, a répondu une violence inouïe du capital allemand et d’une partie des dirigeants européens. Ceux qui l’ont emporté cette fois peuvent le payer cher dans la durée, d’autant que l’accord s’avère sans issue pour le pays. Le PCF doit poursuivre le combat avec une intensité renouvelée dans ses initiatives de solidarité, mais aussi le recul nécessaire pour tirer les leçons de cette page sombre de l’histoire européenne, en dégager des perspectives de luttes.

    Aider les Grecs dans l’immédiat
     

    → Continuer à contester sur le fond la stratégie du choc et le contenu de l’accord :

    • Refuser l’austérité. Les Grecs, s’ils ont compris le dilemme auquel était confronté le gouvernement Tsipras, restent debouts contre l’austérité. Les gouvernements de la zone euro et la « troïka » n’ont pas réussi à neutraliser les effets du « non » au référendum en Grèce. En France, les sondages d’opinion montrent qu’une large majorité des Français rejettent ces politiques.

    • Argumenter sur l’inefficacité économique. Plusieurs voix diverses s’élèvent pour dire que l’« accord » du 13 juillet, contraire à tout bon sens économique, est inapplicable.

    • « Lever la punition ». L’inqualifiable mise sous tutelle d’un pays membre de la zone euro, le fond de privatisations, la méthode autoritaire employée font débat, y compris en Allemagne, et les humiliations produisent de l’indignation très très largement dans les sociétés européennes. Même dans des cercles conservateurs, l’inquiétude grandit. Le gouvernement allemand notamment, « serait peut-être allé trop loin ». Des ruptures s’opèrent au sein du consensus libéral, il faut les utiliser.

    → Déverrouiller les financements :

    Tout faire pour stopper l’asphyxie financière de la Grèce. La décision de l’Eurogroup « post-accord » a conduit la BCE à augmenter de 900 millions d’euros de l’aide d’urgence (ELA) aux banques grecques. Cela est non seulement insuffisant mais ne permet pas à la Grèce de voir venir au-delà d’une semaine. La BCE doit assurer la liquidité des banques grecques en augmentant suffisamment le plafond des liquidités d’urgence et en en diminuant le coût. Les banques grecques doivent pouvoir rouvrir pour les citoyens comme pour les PME.

    Argumenter sur la nécessaire restructuration de la dette. La dette grecque est non viable et l’accord, par ses conséquences récessives et les nouvelles recapitalisations des banques, peut la faire exploser à nouveau. La directrice générale du FMI, C. Lagarde vient de dire qu’elle devra être nécessairement restructurée. La BCE également.

    Agir pour que les financements de moyen terme, arrachés par la Grèce et destinés à la relance de l’économie, deviennent effectifs au plus vite. Plusieurs engagements figurent dans l’accord à la demande de la Grèce : un programme de refinancement de 82 à 85 milliards d’euros, un plan européen d’investissement pouvant aller jusqu’à 35 milliards d’euros.

    Créer un fonds de développement pour la Grèce, adossé à la BCE, pour que la création monétaire de la BCE soit utilisée pour l’économie grecque et non pour la spéculation financière. Ce fonds pourrait servir de modèle pour la création d’un fonds de même nature destiné à tous les pays européens.

    Débloquer les fonds structurels non utilisés, notamment pour aider la Grèce à accueillir les migrants. La République hellénique fait aujourd’hui face, avec l’Italie, à une situation humaine et sanitaire qu’elle ne peut régler seule, a fortiori dans les conditions de crise qu’elle connaît elle-même.

    => Le PCF fera signer cet été et jusqu’à la Fête de l’Humanité, une carte pétition. Les cartes pourraient être déposées dans un lieu symbolique.

    Pousser la réflexion et le débat sur les solutions :

    Nous avons toujours rejeté les fondements libéraux de l’Union européenne. Tout, depuis Maastricht, et en particulier depuis l’éclatement de la crise financière mondiale de 2008 et son utilisation par les dirigeants européens pour accélérer le processus de libéralisation et de démembrement des modèles sociaux de nos pays, et le tournant pris par la zone euro à travers l’accord du 13 juillet, nous conforte dans ce rejet. Après ce précédent ultra-violent, nous entrons dans un nouveau cycle. Il est maintenant évident que l’Europe ne peut continuer ainsi. Une lutte s’ouvre au grand jour entre les tenants de l’ultralibéralisme, prêts à pousser encore et toujours la mise à genoux des peuples pour servir les intérêts de la bourgeoisie, les forces d’extrême droite qui cherchent à tirer profit de la crise pour rendre crédible leur projet nationaliste et xénophobe, et une troisième option, la nôtre, celle de la refondation de l’Europe pour une coopération régionale, solidaire et démocratique. L’aiguisement des contradictions sème une confusion et parfois du désarroi. Cela doit nous conduire, à moyen terme, à des approfondissements et des clarifications. Ce combat ne peut être abandonné devant l’ampleur de la tâche. Voici, basées sur les travaux de la dernière Convention Europe du PCF, quelques réflexion et pistes d’initiatives soumises au débat des communistes pour les semaines à venir.

    Concernant la sortie de la Grèce de la zone euro :
    Devant la brutalité de cet accord, certains en viennent à penser que le grexit ne serait plus qu’un moindre mal. Quoi qu’il arrive, cette hypothèse ne peut qu’être une décision souveraine du peuple grec et nous rejetons toutes les tentatives de grexit forcé imposées par un ou plusieurs gouvernements européens, ainsi que par les créanciers. La Grèce ne peut, à nouveau, être le laboratoire d’expérimentation du pire. Cette hypothèse serait à ce stade une option extrêmement dangereuse pour plusieurs raisons :

    • Économiques et sociales : un « grexit » signifierait une dévaluation estimée au minimum à 40 % et donc une perte de pouvoir d’achat de 40 % et une augmentation du coût de la dette de 40 %. Cela ne peut apporter aucun gain de compétitivité dans un pays où les salaires ont déjà baissé de 25 % et où l’appareil productif n’est pas capable de répondre à un surcroît de demande. Cela aurait pour effet immédiat une hausse des prix importés donc plus d’austérité salariale, une dette privée plus chère, des difficultés accrues pour financer les investissements et, finalement, une soumission encore plus forte à la finance. Par ailleurs, un « grexit » déclencherait des assauts spéculatifs massifs pour faire sortir d’autres pays de la zone euro, à commencer par l’Italie (2.070 milliards d’euros de dette), l’Espagne (966 milliards d’euros), le Portugal (219 milliards d’euros) et, probablement, la France ensuite. On entrerait dans une course sans fin de chaque pays aux dévaluations compétitives, anti-salariales et déflationnistes renforçant encore la guerre économique pour prendre des parts de marché au détriment des partenaires européens.

    • Politiques : l’humiliation et la soumission contenues dans l’accord vont déjà laisser des traces dans les esprits en Grèce et partout en Europe. Mais le grexit serait la meilleure façon de légitimer le discours nationaliste de l’extrême droite (Aube dorée en Grèce, FN en France...), qui se prépare en se frottant les mains au choc des nations, comme elle se nourrit des divisions dans nos pays.

    • Géopolitique : une déstabilisation de la Grèce, port méditerranéen aux portes du Moyen-Orient et pays d’accueil des migrants qui fuient la guerre et la famine, est un risque d’aggravation de la situation pour toute la région.

    • Stratégique : dans notre bataille européenne commune, notre position est plus forte avec un gouvernement qui mène le combat politique au sein de la zone euro. C’est la raison principale pour laquelle Schauble et Merkel souhaitent le grexit : ils ne veulent pas que puisse exister une voix alternative à leur ordo-libéralisme. C’est pour cette même raison que les forces nationalistes et xénophobes prônent le grexit : leur alternative de repli nationaliste doit être la seule alternative.

    Concernant notre projet européen :

    • La question de la refondation de l’Union européenne se pose plus que jamais
    Beaucoup de propositions figurent dans le texte de la Convention Europe du PCF, d’autres – convergentes – émanent des textes du Parti de la gauche européenne et des débats du Forum européen des alternatives (une brochure est en cours de préparation). Nous pointons deux questions clés aujourd’hui.

    • Pour ceux qui, à gauche, nourrissaient encore des doutes à ce sujet : la souveraineté populaire ne compte pour rien, aux yeux du pouvoir européen actuel, dès lors que ses "règles" sont remises en cause et que ses intérêts de classe sont en jeu. La démocratie est bel et bien au coeur des ruptures à opérer avec les règles et les institutions actuelles pour qui veut s’engager dans le combat pour la refondation de la construction européenne.
    • Un débat est ouvert, notamment par la France, sur le modèle d’intégration de la zone euro. François Hollande, dans un entretien accordé au JDD, prône un nouveau saut fédéraliste pour la zone euro qui devrait constituer une « avant garde » : « J’ai proposé de reprendre l’idée de Jacques Delors du gouvernement de la zone euro et d’y ajouter un budget spécifique ainsi qu’un parlement pour en assurer le contrôle démocratique ». Après le 13 juillet, nous considérons que la conclusion qu’il tire est l’exact contraire du bon sens. D’abord parce qu’elle créée une Europe à deux vitesses entre la zone euro, intégrée au plus haut niveau, et une périphérie totalement écartée des choix majeurs en matière économique. Mais surtout parce qu’elle constitue une grave fuite en avant, au moment même, où la zone euro, et l’UE entière, devraient se questionner sur leur capacité à intégrer les différences entre ses pays membres et les choix souverains des peuples. A cette vision centralisatrice, qui nous soumettrait un peu plus à la loi du plus fort, nous opposons notre conception d’une Europe à géométrie choisie. Toute initiative non basée sur le consentement est vouée à l’échec. Le temps doit être pris pour négocier, dans la transparence et en conformité, non pas avec les principes libéraux et la loi des marchés, mais avec les aspirations populaires et les choix souverains des pays membres. La zone euro devrait se doter d’un Fonds européen destiné au développement des services publics et de l’emploi dans les pays membres. Ce Fonds, institution financière publique, serait financé par la BCE comme l’y autorise le Traité de Lisbonne (article 123,2). Il émettrait des titres publics que la BCE achèterait avec une partie des 1.140 milliards d’euros qu’elle s’est engagée à créer, le 22 janvier dernier, pour stimuler l’économie européenne au taux de 0,05 %. Ce Fonds serait géré démocratiquement avec des critères explicites. Il pourrait être une première étape vers la réalisation de notre demande d’un Fonds européen pour le développement que réclame le Parti de la gauche européenne.

    => Une tâche clé du PCF pour les mois à venir est de préciser son projet européen, de le construire avec ses alliés de tous les pays. Nous proposons dès la rentrée une réunion de travail visant à préciser notre alternative tant sur l’usage de la monnaie unique que sur le modèle de coopération au sein de la zone euro.

    La politique européenne de la France pourrait être différente :
    Si le Président de la République avait joué son rôle dès le début de l’affrontement entre les "institutions" et le gouvernement grec - à plus forte raison s’il avait tenu sa promesse d’agir pour "réorienter l’Europe" dès son élection en 2012 - le rapport de force aurait été bien différent dans le moment crucial que nous vivons aujourd’hui. La France a joué un rôle pour empêcher le grexit. Mais il a laissé Merkel dicter la liste des cruautés et des humiliations qui caractérisent le contenu de l’accord. Alors que son action a prouvé qu’elle pesait lourd dans les processus de négociation, elle a joué les rabatteurs sur les propositions des droites dures et des créanciers.

    La bataille contre l’austérité en France est une question clé. Pour créer un nouveau rapport de force en Europe, le rôle et la voix de notre pays sont essentiels. La France peut faire basculer les choses si elle s’engage elle-même dans la contestation de l’austérité. La crise grecque élargit les possibilités d’y parvenir car elle a élevé le niveau de confrontation ici aussi. Le rôle de la France n’est pas d’être collé à n’importe quel prix au couple franco-allemand mais de prendre part à un front anti-austérité en Europe.

    => Nous pouvons lier plus systématiquement nos combats anti-austérité (hôpitaux, services publics, dépenses publiques, dotations aux collectivités locales) à la demande d’une sortie du pacte budgétaire et à des mesures d’allègement de la dette (conférence européenne sur la dette)

    => Nous pouvons faire monter l’exigence d’initiatives de coopération de la France avec la Grèce, par exemple, pour que notre gouvernement débloque immédiatement sa contribution au plan européen d’investissement pour la Grèce et qu’une aide alimentaire (qui existe dans le cadre européen actuel) soit constituée avec les producteurs français de viande et de lait qui connaissent une crise sans précédent de débouchés et de prix.

    Tout pays qui veut appliquer une politique de gauche devra élever le niveau du rapport de force européen :
    La « crise grecque » a mis en évidence combien l’échelle européenne est une échelle pertinente de la lutte des classes, et combien elle est difficile dans le cadre du consensus libéral qui unit droite et social-démocratie européenne, même avec un rapport de forces qui a évolué avec l’élection d’un premier gouvernement de gauche. L’enjeu est crucial pour nous-mêmes. Nous avons collectivement marqué des points dans la crédibilité et la visibilité de la gauche européenne. Un petit pays et un gouvernement isolé ont réussi à ouvrir une brèche et occuper le débat public pendant des semaines. Mais nous avons en face de nous un système de pouvoirs prêt à nous écraser. Nous pouvons, si nos adversaires parviennent à leurs fins, sortir affaiblis, voire rayés de la carte ; et l’espoir de millions d’Européens avec. Le gouvernement de Syriza reste un rempart, il n’a pas rendu les armes. Nos amis grecs nous l’ont toujours dit : la victoire du 25 janvier élève le niveau d’ambitions, de luttes et de solidarités à construire au niveau européen et dans nos pays. Nous ne pouvons pas faiblir sur la solidarité avec le peuple grec, avec Syriza et avec le gouvernement Tsipras. La bataille ne fait que commencer et le PCF entend bien s’engager dans cette lutte, comme il a toujours su le faire. Nous avons, de part notre histoire et notre pratique du rassemblement, un rôle particulier à jouer pour l’unification des forces qui peuvent, et doivent, entrer en mouvement.

    Il faut, à gauche, se poser collectivement la question : avons-nous jusqu’ici fait vivre la solidarité politique avec le peuple grec au niveau exigé par l’enjeu stratégique que représente le premier affrontement entre un pays membre de la zone euro et l’implacable coalition des tenants du système en place ? L’honnêteté doit nous conduire à répondre non à cette question et à travailler ensemble à un rehaussement qualitatif de notre engagement - aussi nécessaire pour aider le peuple grec à sortir par le haut de l’impasse actuelle qu’indispensable pour ouvrir une perspective de gauche dans notre propre pays. Il ne suffit pas qu’un gouvernement isolé décide de "désobéir à Bruxelles" pour ouvrir la voie aux ruptures fondamentales rendant possible les changements attendus. L’Union européenne n’est pas un "château de cartes" dont il suffirait de menacer de retirer une pièce pour briser la coalition impitoyable des pouvoirs en place. Refonder l’Europe est un combat de classe de haute intensité. La construction sans relâche de convergences entre forces progressistes européennes et la recherche permanente de l’éventail le plus large possible d’alliés dans différents pays pour atteindre ensemble des objectifs partiels mais rassembleurs constituent des impératifs catégoriques pour donner à un peuple et à son gouvernement -qui en ait la volonté politique- la force nécessaire pour changer la donne. Par-delà la Grèce, cette leçon concerne chacun de nos pays, y compris la France. Elle interpelle le "peuple de gauche" dans toute sa diversité, ainsi que chaque force politique ou sociale qui s’en réclame.

    Quelques pistes :

    => Rendre possible une progression des forces anti-austérité, une « contagion » dans plusieurs autres pays en appuyant de toutes nos forces nos partis et mouvements alliés dans les pays qui ont des échéances électorales (Espagne, Portugal, Irlande) et placer les régionales en France comme une étape de la percée politique nécessaire en France pour changer le rapport de force européen (avec dans nos projets régionaux, des propositions concrètes de solidarités : programmes de co-développement, politiques de solidarité, de jumelage...). Nous envisageons une rencontre politique de haut niveau de tous les partis politiques impliqués pour discuter des modalités de cette solidarité active.

    => Élargir l’alliance contre l’austérité au niveau européen : Le Forum européen des alternatives que nous avons tenu à Paris les 30 et 31 mai derniers à l’initiative du PGE, a permis le dialogue et un début de construction commune entre forces politiques, mouvements sociaux, intellectuels critiques. La situation rend urgente une deuxième édition. La fête de l’Humanité devra être un temps fort de mise en évidence de la bataille européenne.

    => Élargir le rassemblement en France pour la solidarité avec la Grèce. Le spectre des forces « indignées » de la mise à genoux de la Grèce est très large. L’impact, dans les esprits, de la négation du Non au référendum aura des conséquences contradictoires. Il faut que cette indignation ne tourne pas à la résignation. L’opinion publique française évolue pour le moment dans le bon sens mais nous devons être vigilants car, une fois de plus, le système médiatique est mobilisé pour faire peur, désinformer, empêcher les Français de voir ce qui les unit aux autres peuples européens. La stratégie de la division est en marche. Nous devons saisir la question grecque pour faire le lien en permanence avec les politiques d’austérité menées en France, la dette de notre pays, le nécessaire redressement productif pour lutter contre le chômage. Ce qui n’est pas bon pour les Grecs, n’est pas bon pour les Français.

    => Matérialiser nos solidarités avec la création d’une association de coopération solidaire France-Grèce : jumelages des villes communistes, tourisme social, solidarités concrètes impliquant des organismes institutionnels (en prenant soin de ne pas empiéter sur les initiatives citoyennes déjà existantes et en incitant les camarades à prendre part à celles-ci).

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    Document joint

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      source: lepcf.fr/

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  • Pierre Laurent, la Grèce et les mensonges-par Jacques SAPIR (25/07/2015)

    Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, vient de donner le samedi 25 juillet une interview à Marianne[1]. Il justifie sa position au sujet de la Grèce et son soutien à la capitulation consentie par Alexis Tsipras. C’est son droit. Mais, pour se faire, il prend un certain nombre de libertés avec les faits. Et cela est beaucoup plus condamnable. Cette interview est une excellente illustration des illusions d’une partie de la « Gauche Radicale », illusions sur l’Euro et sur l’Europe, dont il semble désormais que le Parti de Gauche commence à se dégager[2].

     

    Un petit florilège des citations de Pierre Laurent permet de voir qu’il entretient de sérieuses illusions, et même qu’il adopte un point de vue « européiste » qui n’est pas éloigné de celui du Parti dit « socialiste ». Mais, il faut aussi savoir que les prises de position de Pierre Laurent sont aujourd’hui fortement critiquées dans de larges fractions de la base comme de l’appareil du PCF. Ces prises de position reflètent bien plus les errances d’un homme et d’un groupe de direction du PCF qu’une position largement défendue au sein du Parti.

     

    Une analyse tendancieuse du 13 juillet

     

    Tout d’abord, quand il entend justifier la capitulation de Tsipras, Pierre Laurent dit au journaliste la chose suivante :

     

    « Ils ont enfermé la Grèce et ses dirigeants dans une alternative qui était soit le Grexit — souhaité par les Allemands de manière ouverte, Wolfgang Schaüble, le ministre des Finances allemand, a plaidé jusqu’au dernier moment auprès des Grecs pour une sortie ordonnée —, soit le plan d’austérité qui a finalement été imposé. Le choix qu’a fait Tsipras est un choix qui évite la banqueroute bancaire de son pays, une situation qui aurait été terrible pour les Grecs. Je crois qu’il n’avait pas d’autres alternatives »[3].

     

    Si je suis d’accord qu’un effondrement des banques est une catastrophe, je signale à Pierre Laurent que ce que Tsipras a refusé c’est la proposition de Varoufakis de (1) réquisitionner les banques et (2) de réquisitionner la Banque de Grèce. Ce faisant, le gouvernement aurait eu accès aux réserves (sous contrôle de la BCE avant la réquisition) déposées à la Banque de Grèce mais aussi dans les banques commerciales. La réquisition est un mécanisme qui permet à tout gouvernement de la zone Euro de s’affranchir de la tutelle de la BCE. Dire, dans ces conditions, que le choix de Tsipras était entre la banqueroute et la capitulation est faux. La décision de Tsipras a été politique, et non économique. C’était un choix entre s’engager sur une voie, celle que proposait son Ministre des finances Yanis Varoufakis, voie pouvant le conduire à sortir de l’Euro, ou bien d’accepter l’austérité. Présenter cela comme une décision économique est un mensonge éhonté[4]. Les choses sont désormais publiques, et il est triste de voir Pierre Laurent s’enferrer dans le mensonge.

     

     

    Pierre Laurent révolutionne la science économique

     

    Commentant un possible Grexit, Pierre Laurent ajoute alors :

     

    « Et une sortie de la zone euro laisserait n’importe quel pays qui la pratiquerait devant la même pression des marchés financiers, voire une pression décuplée et une dévaluation nationale plus grave encore ».

     

    Il semble ici que Pierre Laurent, qui a pourtant fait des études d’économie à Paris 1, ignore qu’il existe des moyens réglementaires permettant à un pays de faire fortement baisser la pression exercée par les marchés financiers. Cela s’appelle le contrôle des capitaux. Non pas le « contrôle des capitaux » imposé par la BCE à la Grèce, et qui aboutit à empêcher les entreprises grecques de faire des opérations sur l’étranger via les comptes Target2 (et qui s’apparente en réalité à un contrôle des changes), mais les contrôles sur les mouvements de capitaux à court terme non liés à des opérations matérielles. Ces mouvements représentent entre 90% et 95% des flux de capitaux, et sont essentiellement des mouvements spéculatifs. Bien entendu, pour les mettre en œuvre, il faut recouvrer le contrôle sur la Banque Centrale. Ici, soit Pierre Laurent fait la preuve de sa méconnaissance des mécanismes économiques de base, soit il les connaît, et en ce cas il ment en toute connaissance de cause. Je laisse le lecteur libre de son choix.

     

     

    Pierre Laurent est un grand logicien

     

    Pierre Laurent assène alors un argument qui lui apparaît imparable pour écarter une sortie de l’Euro. Cet argument, le voici :

     

    « Il y a d’ailleurs des pays aujourd’hui qui, en dehors de la zone euro, sont également frappés par des politiques d’austérité. Car la pression des marchés s’exerce partout et sur tous les pays ».

     

    On reste sidéré par ce que ce paragraphe implique comme méconnaissance des liens logiques qui relient plusieurs éléments. Bien sûr, il existe des pays qui ont des politiques d’austérité sans appartenir à l’Euro. Nul ne l’a nié. Mais, connaît-on un pays de la zone Euro qui n’applique pas une politique d’austérité ? En fait, on peut montrer que la zone Euro induit un cadre dépressif pour les économies qui y participent[5]. Donc, cet argument ignore ce qu’en logique on appelle des conditions nécessaires et des conditions suffisantes. La sortie de l’Euro est une condition nécessaire à une rupture avec une politique d’austérité, mais ne constitue nullement une condition suffisante. Par contre, par sa méconnaissance de la logique la plus élémentaire, Pierre Laurent nous montre qu’il est suffisant mais pas nécessaire.

     

     

    Pierre Laurent révolutionne la science économique (bis)

     

    On revient à un argument en apparence plus économique avec la citation suivante, qui se révèle, à nouveau, tout à fait catastrophique :

     

    « Oui, mais aujourd’hui, la différence est que tous les avoirs détenus par les Grecs sont en euros. Et le transfert de ces avoirs dans une monnaie nationale qui serait dévaluée par les marchés financiers conduirait, dans un premier temps, à un affaiblissement considérable du potentiel de ressources des Grecs. Alors que pour reconstruire leur pays, ils ont besoin d’un niveau d’investissement important ».

     

    Notons tout d’abord que ce ne sont pas les « marchés financiers » qui transfèrent les avoirs qui sont détenus par les grecs. C’est en réalité le système bancaire, s’il s’agit d’avoirs détenus en Grèce. Pierre Laurent, à l’évidence soit ne connaît pas les règles de fonctionnement de l’économie, soit cherche à nous mener en bateau. Ces avoirs en Euros seront automatiquement re-dénominés en Drachmes. Mais cette redénomination touchera toutes les valeurs de l’économie grecque. Donc, le potentiel d’investissement sur la base de l’épargne (oui, cette chose que l’on apprend en fin de première année d’économie, l’égalité entre l’épargne et l’investissement) sera inchangé par rapport aux valeurs de l’économie grecque. Mais, une partie de ces avoirs ne sont pas détenus en Grèce. Donc, ils resteront en Euros (ou dans une autre monnaie, que ce soit le Dollar ou, peut être, le Mark allemand…). Si la Drachme est dévalué, disons de 25%, cela signifie que ces avoirs seront réévalués de 33%. Donc, le potentiel d’investissement, sur la base des avoirs grecs détenus à l’étranger, sera largement augmenté. Ce qui veut dire que les grecs ayant mis leurs avoirs à l’étranger pourraient les rapatrier avec un effet bien plus positif sur les investissements que si la Drachme n’avait pas été dévaluée. Notons encore que ceci s’applique aussi à l’ensemble des investisseurs étrangers. En fait, une sortie de l’Euro et une dévaluation de 25% de la Drachme constituent la condition pour qu’un flux d’investissement important en drachmes se reconstitue en Grèce.

     

    Mais, il est peu probable que Pierre Laurent ignore à ce point les mécanismes de base de l’économie, ou alors il faut s’interroger sur les conséquences délétères sur le cerveau humain d’années de travail au journal l’Humanité. Il est bien plus probable que Pierre Laurent, ici encore, mente, et qu’il mente avec l’aplomb d’un arracheur de dents.

     

    Quand Pierre Laurent joue au prestidigitateur

     

    Reprenons le cours du raisonnement. Pierre Laurent nous offre une magnifique perle avec la citation suivante :

     

    « Puisque les solutions apportées par Tsipras étaient totalement viables et elles restent praticables dans la zone euro. Ce n’est pas la zone euro qui les empêche mais la décision politique prise par les dirigeants allemands et un certain nombre d’autres dirigeants européens de rendre impossible l’expérience politique de Syriza ».

     

    Ici, Pierre Laurent fait mine de croire que les dirigeants allemands et européens ont été conduits uniquement par leur haine politique de Syriza. Que ces dirigeants n’aient pas apprécié Syriza est certain. Mais, quand bien même l’auraient-ils apprécié, accepter les solutions proposées par Tsipras impliquait, à relativement court terme, faire basculer la zone Euro vers ce que l’on appelle une « union de transfert ». Or, les montants nécessaires pour faire fonctionner la zone Euro sans les politiques d’austérité ont été évalués, et on trouvera l’une de ces évaluations d’ailleurs dans ce carnet. Pour faire court, il faudrait que l’Allemagne consacre entre 8% et 10% de son PIB tous les ans pendant environ dix ans à ces transferts. Il est clair que cela n’est pas possible, sauf à vouloir détruire l’économie allemande. La véritable cause du rejet des options de Syriza se trouve là. Affirmer que « les solutions apportées par Tsipras étaient totalement viables et elles restent praticables dans la zone euro » est un nouveau mensonge. Les solutions proposées par Tsipras impliquaient une refonte totale de la zone Euro, et cette refonte aboutissait à faire peser un poids excessif sur l’Allemagne. Telle est la vérité. Mais, cette vérité gêne Pierre Laurent, qui préfère la faire passer sous le tapis pour sauver l’illusion de la possibilité d’une zone Euro qui ne soit pas austéritaire. Pierre Laurent doit donc mentir quant aux conditions de viabilité de la zone Euro, mais, nous l’avons vu, il n’est pas à un mensonge près.

     

     

    Le dernier mensonge

     

    Il ne reste donc à Pierre Laurent qu’un argument : le point Godwin ou la réduction du dilemme grec à un affrontement avec le Front National. Il suffit de regarder le paragraphe suivant pour s’en convaincre :

     

    « Il y a aujourd’hui trois options en débat. L’option d’une Europe de l’ordre libérale, celle qui existe aujourd’hui. Il y a l’option d’une destruction de l’Europe et d’un retour à la compétition, voire au choc des nations dans la crise que traverse l’Europe, c’est l’option du Front national et des forces qui l’appuient. Et il y a l’option qui est la nôtre, celle de Tsipras, la mienne, celle que nous défendons, qui est l’option de la reconstruction d’une Europe de coopération, de solidarité, d’une Europe de souveraineté qui doit laisser plus de place aux pouvoirs de chaque nation de négocier démocratiquement son insertion dans cette Europe de solidarité. Nous parlons d’une Europe à géométrie choisie… ».

     

    Passons sur le fait que proclamer que l’on vivrait mieux dans le monde des bisounours, la troisième option, na jamais fait avancer le débat. Mais, une sortie de la Grèce de l’Euro, et à terme, une dissolution de l’Euro, entraineraient-ils ce cataclysme que prévoit Pierre Laurent ? En fait, de nombreux économistes soutiennent aujourd’hui qu’une sortie de l’Euro était préférable, certains conservateurs comme Henkel[6], d’autres progressistes comme Kevin O’Rourke[7] ou Stefano Fassina[8], ancien ministre du PD en Italie, et parmi eux des assistants de Varoufakis[9]. C’est donc un nouveau mensonge de Pierre Laurent que de prétendre que l’option d’une sortie de l’Euro serait le fait du seul Front National. Un mensonge de plus dira-t-on. Espérons, en tous les cas, qu’il soit le dernier.

     

    Jacques SAPIR

    source: russeurope.hypotheses.org

     

     

    [1] Pierre Laurent : “Une sortie de la zone euro n’empêche pas la pression des marchés”, entretien avec Bruno Rieth, Marianne, 25 juillet 2015, http://www.marianne.net/pierre-laurent-sortie-zone-euro-n-empeche-pas-pression-marches-100235637.html

     

    [2] Voir le blog de Guillaume Etievant, responsable économique du PG, le 24 juillet 2015, http://guillaumeetievant.com/2015/07/24/soyons-prets-a-sortir-de-leuro/

     

    [3] Pierre Laurent : “Une sortie de la zone euro n’empêche pas la pression des marchés”, op.cit..

     

    [4] Je renvoie à l’article de Jamie Galbraith, qui a travaillé avec Varoufakis publié dans Harper’s, http://harpers.org/blog/2015/07/greece-europe-and-the-united-states/ ainsi qu’aux explications données par Yannis Varoufakis lui-même sur son blog : http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/14/on-the-euro-summits-statement-on-greece-first-thoughts/

     

    [5] Voir Bibow, J., et A. Terzi (eds.), Euroland and the World Economy—Global Player or Global Drag? Londres, Palgrave, 2007.

     

    [6] http://www.conservativehome.com/platform/2015/07/hans-olaf-henkel-mep-greece-must-leave-the-eurozone-for-the-good-of-us-all.html

     

    [7] http://www.socialeurope.eu/2015/07/moving-on-from-the-euro/

     

    [8] http://www.stefanofassina.it/lavoroeliberta/2015/07/19/sono-daccordo-con-schouble-una-grexit-assistita-unica-soluzione/

     

    [9] Munevar D., « Why I’ve Changed My Mind About Grexit », in SocialEurope, 23 juillet 2015, http://www.socialeurope.eu/2015/07/why-ive-changed-my-mind-about-grexit/

     


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  • La prédiction de Fidel

    source: communcommune.com/

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  • « La lutte contre l’UE, inamendable syndicat du capital contre les peuples, doit être de tous les instants »Entretien avec Bernard Friot : Salaires, cotisations sociales

    Le 8 avril dernier, Bernard Friot accordait un entretien à propos de son ouvrage Emanciper le travail à la Revue théorique du PRCF Etincelles . Abonnez vous à Etincelles !  l'Hermine Rouge vous propose cet entretien à retrouver en intégralité en achetant (et en vous abonnant) à Etincelles et à la presse du PRCF  ! Achetez, soutenir les médias du PRCF c’est indispensable !

     

    « La lutte contre l’UE, inamendable syndicat du capital contre les peuples, doit être de tous les instants »Entretien avec Bernard Friot : Salaires, cotisations socialesEtincelles: tu insistes à juste titre sur l’importance de la lutte pour le salaire dans la construction des rapports de forces entre classes sociales. Peux-tu en dire plus à nos lecteurs ?

    De 1920 à 1980, période que j’ai étudiée dans Puissances du salariat[1], la lutte de classes en France a été victorieuse pour les travailleurs parce qu’elle a porté en priorité sur le salaire, auquel elle a commencé à donner une signification anticapitaliste sous trois angles principaux.

    Premièrement, avec le statut de la fonction publique conquis en 1946 après 40 ans de lutte et mis en place par Maurice Thorez, ou dans un moindre mesure avec celui des électriciens-gaziers mis en place par Marcel Paul, le salaire à vie commence à s’instituer contre le salaire du marché du travail : s’il n’y a pas de chômage chez les fonctionnaires, c’est parce que leur salaire est un attribut de leur personne à travers leur grade. Même sans poste, même à la fin de leur service quand ils sont en retraite, ils sont payés pour leur grade. La pension est la « poursuite du traitement » chez les fonctionnaires (poursuite donc du meilleur salaire, celui de fin de carrière), c’est le « salaire d’inactivité » à l’EDF. Du coup, les fonctionnaires d’Etat n’ont pas d’employeur, au sens où un propriétaire peut dire à un travailleur nu, sans salaire parce que sans poste de travail, « aujourd’hui je t’embauche sur un poste dont je suis le propriétaire, avec le droit donc d’embaucher qui je veux quand je veux, je paie ton poste (je ne te pais pas toi, évidemment) et demain je te licencie de ce poste et tu te retrouves nu ». Quand on sait combien le fait d’attacher le salaire au poste de travail et non à la personne est au cœur de l’exploitation capitaliste, combien la peur de perdre son poste ou d’être changé autoritairement de poste est décisive dans la domination des propriétaires, une telle bataille, gagnée, pour le salaire à vie des fonctionnaires et des salariés à statut est le tremplin de conquêtes ultérieures que la bourgeoisie combat sans cesse et qui ne pourra être préservé que si une bataille est engagée pour que le salaire à vie soit généralisé à tous : il faut supprimer le marché du travail et la fonction d’employeur en faisant du salaire un droit politique attribué automatiquement et de façon irrévocable à 18 ans à tout le monde au premier niveau de qualification (par exemple à 1500 euros nets mensuels), avec ouverture d’une carrière salariale permettant de monter en qualification par exemple jusqu’à un maximum de 6000 euros, si, comme le préconise la CGT, il y a quatre niveaux de qualification.

    Deuxièmement, les conventions collectives ont été au centre de la mobilisation syndicale dans le privé à partir de 1950. Outre des éléments portant sur les conditions de travail ou les droits des représentants des travailleurs, les conventions collectives sont d’abord des grilles de salaire qui font correspondre à chaque poste de travail un niveau de qualification (OP2, etc…) et un niveau de salaire. Ce fondement du salaire sur la qualification est aussi une importante victoire sur la logique du capital, même si elle est moins décisive que celle du salaire à vie parce qu’elle continue à lier le salaire au poste de travail et non pas à la personne. Fonder le salaire sur la qualification, c’est commencer à sortir du déni de qualification dont sont victimes les travailleurs réduits à des forces de travail dans le capitalisme. Le capitalisme réserve la définition de la valeur économique et la maîtrise de sa production aux propriétaires (et aux prêteurs qui se partagent avec eux, de plus en plus d’ailleurs avec la globalisation financière du capital, le profit). L’exploitation du travail des non propriétaires passe par leur réduction à des forces de travail demandeuses d’un poste de travail sur un marché où les propriétaires les achètent pour leur prix, c’est-à-dire pour la satisfaction des besoins nécessaires à leur reproduction. La violence capitaliste réduit les travailleurs à des êtres de besoin à qui il suffit de concéder du pouvoir d’achat, elle s’exprime dans le déni que ces travailleurs produisent la valeur et doivent être reconnus en tant que producteurs et non pas en tant que consommateurs. Récuser que le salaire soit du pouvoir d’achat et imposer la qualification (et donc la contribution à la production de valeur) comme fondement du salaire en qualifiant les postes, c’est sortir de ce déni. C’est faire du salaire non plus cette institution centrale du capitalisme qu’est le prix de la force de travail, c’est-à-dire le revenu d’un être de besoin, mais la reconnaissance d’une production (on voit, par parenthèse, que la revendication de « hausse du pouvoir d’achat » est totalement aliénée et tourne le dos à la bataille pour la qualification). Certes cette subversion du salaire capitaliste n’est pas aussi accomplie que dans le salaire à vie puisque c’est le poste qui est qualifié par la convention collective, mais cette qualification, bien qu’elle maintienne le marché du travail, a rencontré une hostilité constante du patronat. Pour la contrer, le patronat déploie aujourd’hui deux stratégies que j’ai décrites dans L’enjeu du salaire[2].

    D’une part, il fait du SMIC – un salaire spécifiquement capitaliste puisqu’il nie la qualification et est construit à partir d’un « panier de consommation » – le salaire de référence d’une part de plus en plus grande des salariés (et là encore, la revendication isolée de « hausse du SMIC » manifeste l’abandon de la bataille pour la qualification). D’autre part, le Medef et ses partenaires emmenés par la CFDT (CFTC, CGC, UNSA et sauf exception FO) négocient depuis une vingtaine d’années le remplacement de la qualification du poste par la sécurisation des parcours professionnels : le salaire ne serait plus lié à la qualification, et en contrepartie les salariés seraient dotés d’une série de comptes liés à leur personne au prorata de leur temps d’emploi (compte temps, compte formation, compte pénibilité, compte retraite complémentaire, compte maladie complémentaire), des comptes portables, c’est-à-dire que les employeurs successifs doivent alimenter (et honorer s’il s’agit par exemple d’utiliser un compte de formation). Cette entreprise extrêmement nocive de changement capitaliste du salaire, par suppression de la qualification du poste et attachement à la personne de comptes qui se substituent au salaire socialisé des cotisations de sécurité sociale, ne peut pas être contrée par le retour à la qualification du poste, pour la raison sur laquelle j’ai insisté qu’elle maintient le marché du travail. Il s’agit de mener campagne pour l’on passe bien d’un salaire lié au poste à un salaire lié à la personne, mais pas par les dangereux comptes qui portent sur tout sauf sur la qualification et qui enchaînent encore davantage des salariés au marché du travail : encore une fois, il s’agit de sortir de la logique d’emploi par l’attribution de la qualification elle-même à la personne du salarié. La qualification doit devenir personnelle, et donc le salaire doit être attaché au salarié. On retrouve la revendication centrale de la généralisation du salaire à vie.

    Etincelles : statut de la fonction publique, qualification dans les conventions collectives, nous supposons que la troisième dimension de la bataille pour le salaire a été la cotisation sociale ?

    Effectivement, la période que j’ai étudiée est celle de l’invention et de la montée en puissance spectaculaire de la partie socialisée du salaire dans la cotisation sociale. La cotisation interprofessionnelle s’impose, après l’échec de la loi sur les retraites ouvrières et paysannes de 1910, avec les assurances sociales de 1930 et les allocations familiales qui les suivent de peu. Les cartes sont rebattues en 1945 dans la sécurité sociale que met en place Ambroise Croizat. A la fin des années soixante-dix, la cotisation sociale, partie de zéro cinquante ans plus tôt, représente plus de 60% du salaire brut, un taux qui n’a hélas pratiquement pas augmenté depuis 35 ans, et qui n’est conservé que pour les salaires les plus élevés. Car d’une part le taux de cotisation est gelé depuis le début des années 1980 alors qu’il avait doublé entre 1945 et la fin des années 1970. D’autre part, aux exonérations Aubry-Fillon sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic se sont ajoutés depuis Ayraud des remboursements de cotisation (à hauteur de 6% de la masse salariale) sous forme de crédit d’impôt jusqu’à 2,5 Smic. Et le pacte de responsabilité ajoute encore une couche : lorsqu’il sera arrivé à maturité, les employeurs ne paieront plus de cotisations sociales sur le Smic et des exonération/remboursements supplémentaires concerneront les salaires jusqu’à 3,5 Smic. Quand on sait que le salaire moyen est d’à peine 2 Smic, on voit que l’attaque contre la cotisation est généralisée. L’incapacité à s’y opposer n’est pas due seulement à la force de nos adversaires, elle est aussi un témoignage supplémentaire, avec les reculs du salaire à vie de la fonction publique et de la qualification comme fondement du salaire, des échecs auxquels a conduit l’abandon du centrage de l’action syndicale et politique sur le salaire.

    Qu’est-ce qu’ont de révolutionnaire les cotisations sociales ? Attention, toutes les cotisations ne sont pas révolutionnaires, et il faut ici bien prendre garde à opposer cotisations capitalistes et cotisations anticapitalistes, comme je le fais dans Emanciper le travail[3]. La cotisation-prévoyance du salaire différé, ou l’impôt-solidarité de l’assistance, sont des institutions capitalistes combattues par le mouvement ouvrier révolutionnaire qui a, contre elles, promu la cotisation-salaire dans une lutte acharnée contre le pouvoir, le patronat et ses partenaires.

    La cotisation-prévoyance, c’est l’AGIRC-ARRCO : mes cotisations sont consignées dans un compte qui sera la mesure de ma pension viagère quand je le liquiderai. Le patronat et ses partenaires tentent en permanence d’étendre cette logique du salaire différé à toute les prestations dites contributives, comme en témoignent les récentes conventions UNEDIC édictant qu’un jour cotisé = un jour presté, ou le projet d’alignement du régime général des retraites sur l’Arrco, ou l’obligation de complémentaires-santé dont les prestations sont fonction des cotisations choisies dans un menu. Le salaire différé correspond ainsi à la définition capitaliste de la valeur : je ne produits que lorsque je suis soumis à un employeur pour mettre en valeur du capital, et pour assurer mes besoins (encore eux) lorsque je suis chômeur, malade ou retraité, je diffère la partie de mon salaire que je n’ai pas consommée quand j’étais occupé.

    Quant à l’impôt-solidarité, c’est la CSG et ses avatars : les besoins (toujours eux !) des personnes dont le temps d’emploi ou le niveau de salaire ne permettent pas qu’elles aient des droits contributifs suffisants sont couverts par une solidarité fiscale qui assure un « panier de soins »[4] ou un « minimum vieillesse », qui « lutte contre la pauvreté » des familles, qui favorise « l’insertion dans l’emploi » des chômeurs.

    Contre cette rhétorique et ces institutions du capital que sont la cotisation-prévoyance et l’impôt-solidarité, le mouvement ouvrier révolutionnaire a combattu pour une cotisation-salaire, c’est-à-dire une cotisation qui finance un salaire à la qualification pour les travailleurs sans marché du travail et sans actionnaires que sont les retraités, les soignants (de la fonction publique hospitalière ou libéraux conventionnés), les parents et les chômeurs. Il est essentiel de bien voir que, comme les combats menés sur les deux autres terrains déjà analysés du salaire à vie et de la qualification, la cotisation-salaire, loin d’être du pouvoir d’achat couvrant des besoins des retraités, des malades, des parents et des chômeurs, subvertit le salaire capitaliste en payant des travailleurs qui produisent une autre valeur économique que la valeur d’échange capitaliste : retraités, parents, chômeurs et soignants produisent de la valeur sans emploi, sans employeur, sans actionnaires. Ce salaire attaché à la personne institue, comme dans la fonction publique, la qualification personnelle comme matrice du travail productif, contre l’emploi qui remplit cette fonction dans la pratique capitaliste de la valeur.

    Poursuivre l’œuvre victorieuse de nos anciens, poursuivre cette mutation du salaire par sa socialisation, c’est mener un combat immédiat et un combat de moyen terme. Dans l’immédiat, revendiquer qu’à 55 ans[5] tous les salariés aient une pension de 100% de leur meilleur salaire brut quelle que soit la durée de leur carrière, que le chômage soit indemnisé sans limite de temps à 100% du salaire net de l’emploi perdu, que les parents puissent prendre du temps pour éduquer leurs enfants en conservant leur salaire à temps plein. A moyen terme, que la cotisation-salaire concerne aussi les salaires directs : le salaire à vie suppose que les entreprises ne paient plus leurs salariés mais cotisent à une caisse qui assurera non seulement la part des salaires qu’assure aujourd’hui la sécurité sociale, mais aussi les actuels salaires nets. La suppression des employeurs suppose que plus personne ne paie « ses » salariés. Aujourd’hui, sur 100 de valeur ajoutée par ses salariés, le propriétaire de l’entreprise en affecte 40 au profit (y compris le remboursement des prêteurs), 35 aux salaires directs et 25 aux cotisations : poursuivons en revendiquant qu’il en affecte 60 à une cotisation salaire qui ira à des caisses qui paieront les salaires à vie[6]. Les 40% restants iront pour partie à l’autofinancement décidé par les salariés copropriétaires, et le reste à une cotisation économique versée à des caisses qui subventionneront le reste de l’investissement (y compris par création monétaire, s’agissant de l’investissement net) et les dépenses courantes des services publics.

    Etincelles: ainsi, selon toi, il faut non seulement remplacer les salaires directs par la cotisation, mais aussi créer une cotisation pour financer l’investissement ?

    Oui, car la cotisation a une autre vertu révolutionnaire que la possibilité de supprimer les employeurs : elle rend possible la suppression de la propriété lucrative de l’outil de travail et instaure un financement non capitaliste de l’investissement. Les centaines de milliards d’euros mobilisés dans les caisses ont permis de financer la production de santé sans appel au marché des capitaux, y compris l’investissement hospitalier, avant que le gel du taux de cotisation-maladie ne conduise à la désastreuse création par Juppé de la CADES en 1997, qui emprunte des capitaux et a fait des hôpitaux des débiteurs insolvables. Avant ce désastre, le subventionnement de l’investissement hospitalier par des caisses de maladie alimentées par une cotisation dont le taux augmentait régulièrement pour assumer la production croissante de santé a fait la preuve que c’est en mutualisant une partie du PIB dans des caisses d’investissement que nous allons pouvoir subventionner l’investissement en supprimant les prêteurs. Le constat est le même pour le financement par subvention des équipements collectifs grâce à la croissance de l’impôt. Les malheureux 400 milliards investis chaque année ne sont prêtés que parce qu’ils ont été au préalables ponctionnés : notre travail produit 2000 milliards, les propriétaires lucratifs en ponctionnent 700, dont ils affectent 300 à la spéculation et aux dépenses somptuaires et 400 seulement à l’investissement… que nous devons leur rembourser avec en plus un retour sur investissement de 15% alors que la production n’augmente que d’un ou deux pour cent. Or on peut en finir avec cette rapine et financer l’investissement sans crédit, comme je viens de le montrer avec la subvention des équipements publics par l’impôt ou la cotisation.

    Au lieu de nous laisser dépouiller de 700 milliards par des propriétaires lucratifs qui ensuite nous imposent de leur rembourser la part de leur ponction sur notre travail qu’ils décident d’investir à notre place, affectons 600 milliards de ce que nous produisons à l’investissement : par exemple la moitié par l’affectation de 15% de la valeur ajoutée à un autofinancement décidé par les salariés copropriétaires de l’entreprise, et les 300 autres milliards par une cotisation investissement de 15% : les caisses d’investissement, gérées par les travailleurs, subventionneront les projets présentés par les entreprises, y compris par création monétaire pour les projets intéressants excédant leur encaisse. L’investissement doit devenir le fait du salaire socialisé.

    Il en est de même pour les dépenses courantes des services publics. Actuellement déjà, la cotisation-maladie finance les dépenses courantes des producteurs de santé comme l’hôpital. Nous pouvons généraliser cette modalité de financement à toutes les dépenses courantes des services gratuits, qui doivent être étendus au logement, aux transports de proximité et aux premières consommations d’eau et d’électricité. Ainsi, les salaires des services publics seraient assurés, comme tous les salaires, par les caisses de salaires ; leur investissements par les caisses d’investissement ; et leur dépenses courantes par des caisses de fonctionnement percevant les 10% restant de la valeur ajoutée.

    Tout le PIB irait ainsi à la socialisation salariale de la valeur pour financer, par des caisses gérées par les salariés, les salaires (60%), l’investissement (30%) et la gratuité (10%). On le voit, en finir avec la propriété lucrative, le marché du travail et le crédit, bref avec la production capitaliste, devient possible si on assume toute la portée révolutionnaire du changement du salaire qu’institue 1945 et si on le poursuit résolument.

    Etincelles: pourquoi selon toi la taxation des revenus financiers, type Tobin/Attac, est-elle une fausse piste dangereuse ?

    La taxe Tobin est une plaisanterie et n’est pas, fort heureusement, le cœur de la mobilisation des groupes Attac même si elle a été l’occasion de leur constitution (mais pas la raison de leur impact) il y a près de vingt ans.

    Ce qui est beaucoup plus préoccupant, c’est l’audience de propositions de taxation du capital, dont témoigne le consensus autour d’un auteur comme Piketty ou le succès à gauche des mots d’ordre de « révolution fiscale ». Je viens de montrer que la cotisation-salaire, cette invention prodigieuse du mouvement ouvrier révolutionnaire, ne taxe pas le capital, elle le remplace dans le financement de la production d’une part aujourd’hui considérable du PIB. Contre cette dynamique, taxer le capital, c’est renoncer à le supprimer. C’est même le légitimer : si le mal du profit finance le bien de la sécu, il n’est plus tout à fait un mal, en tout cas il devient un mal nécessaire. Il ne s’agit plus de remplacer la classe capitaliste dans la production de la valeur, mais de changer le partage d’une valeur dont les capitalistes restent les maîtres, certes dénoncés pour leur excessive rémunération à combattre par une fiscalité davantage redistributive, mais non contestés comme dirigeants de la production.

    Or les attaques contre la sécurité sociale n’ont ni comme but ni comme résultat premiers d’augmenter la prédation des capitalistes et de baisser le pouvoir d’achat de ceux qu’ils exploitent. La lutte de classes n’est pas d’abord une lutte pour le partage de la valeur, mais une lutte pour la maîtrise de sa définition et de sa production. Si les attaques contre la fonction publique et la cotisation-salaire sont si déterminées depuis 30 ans, ce n’est pas d’abord à cause de la baisse du taux de profit, ni parce qu’un prétendu « néolibéralisme » assoiffé d’or et de finance aurait remplacé un capitalisme plus raisonnable et industriel, c’est parce que la classe capitaliste entend réoccuper le terrain conquis par la pratique salariale de la valeur, réaffirmer que seules produisent des forces de travail mettant en valeur du capital, et qu’il importe pour ce faire d’intensifier la soumission des populations au chantage de l’emploi et de la dette. La lecture de la réforme dans les termes fumeux du « tournant néolibéral » Reagan-Thatcher ou dans les termes économicistes d’une crise du capital confronté à la baisse du taux de profit (crise au demeurant incontestable) fait l’impasse sur la lutte de classes et sur la dimension d’abord politique de l’économie : l’économie est d’abord une affaire de pouvoir sur la valeur, et la classe dirigeante a l’œil rivé non pas d’abord sur son porte monnaie mais sur sa souveraineté sur la production. La lutte pour un partage moins injuste de la valeur grâce à une fiscalité juste, qui est toujours une faute stratégique, devient une impasse dramatique quand la classe capitaliste est à l’offensive pour reconquérir des terrains perdus en termes de pratique de la valeur. Les opposants aux réformateurs sont condamnés à continuer de perdre si leur contre-offensive n’est pas menée sur le terrain du salaire à vie contre le marché du travail, de la copropriété d’usage de l’outil de travail contre la propriété lucrative, de la cotisation investissement contre le crédit, de la mesure de la valeur par la qualification du producteur contre sa mesure par le temps de travail.

    On voit que placer les revendications sur le terrain de la fiscalité n’est pas la seule des « conduites d’évitement » que j’analyse dans Emanciper le travail. J’entends par conduites d’évitement des mots d’ordre qui évitent de mener la lutte de classes parce qu’ils se situent sur le terrain du partage d’une valeur capitaliste qui, elle, n’est pas combattue, au lieu de se situer sur le terrain de l’affirmation d’une autre production de valeur que la valeur capitaliste. J’insiste dans l’ouvrage sur l’évitement de la lutte de classes qu’il y a à revendiquer le plein emploi (et donc plein d’employeurs), un pôle public du crédit (et donc la légitimité du crédit) ou une allocation d’autonomie pour la jeunesse (qui continue à réduire le droit au salaire à la présence sur le marché du travail).

    Etincelles: Quelles revendications formuler pour contrer les attaques contre les diverses branches de la Sécu ?

    Et si nous arrêtions de « formuler des revendications » ? Revendiquer, c’est reconnaître la légitimité des capitalistes, c’est accepter notre position de demandeurs, certes dans l’espoir de conquérir des droits nouveaux, mais sans mise en cause fondamentale de la règle du jeu. Or la classe dirigeante n’a strictement plus rien à négocier dans les pays anciennement capitalistes où elle est décidée à réduire les droits salariaux en jouant sur la disparité des droits populaires à l’échelle mondiale. La seule réponse à cette offensive est de partir des tremplins conquis par une lutte de classes anticapitaliste riche de deux siècles pour nous passer des capitalistes et produire autrement. En poussant plus loin le « déjà-là » anticapitaliste d’une production de valeur libérée de la propriété lucrative, du marché du travail, du crédit, de la mesure de la valeur par le temps de travail, comme c’est déjà le cas pour le tiers du PIB, mais un tiers fort malmené ou perverti tant qu’il n’est pas généralisé.

    Notre temps militant se perd beaucoup trop en parlotes avec des patrons, des élus et des responsables d’administrations qui sont des adversaires à disqualifier et non des interlocuteurs à qui présenter des revendications. Nos seuls interlocuteurs sont les travailleurs, et le temps militant, qu’il soit syndical, politique ou associatif, doit être consacré pour l’essentiel à leur auto-organisation. Généraliser le salaire à vie et la copropriété d’usage de l’outil de travail par les salariés – et donc maîtriser l’investissement, cela suppose un combat constant pour disqualifier le marché du travail et les employeurs, les propriétaires lucratifs et les prêteurs, pour rendre populaires la responsabilité exclusive des travailleurs sur ce qui est produit, l’élection des directions, l’affectation de la valeur ajoutée aux cotisations pour payer les salaires à vie et subventionner l’investissement. Le temps n’est plus aux revendications mais à la popularisation de mots d’ordre d’auto-organisation, et leur réalisation partout où c’est possible. J’en ai déjà évoqué quelques-uns mais je prends des exemples supplémentaires.

    Reprise des entreprises par les salariés : la situation se présente des milliers de fois chaque année, et il faut que se multiplient les preuves que des entreprises marchandes peuvent fonctionner sans employeur, sans actionnaire et sans prêteur. Cela suppose que les entreprises récupérées soient effectivement gérées par les salariés, tous associés aux décisions de l’amont à l’aval de la production et à la désignation de la hiérarchie, qu’elles fonctionnent en réseau et mutualisent leur valeur ajoutée pour financer salaires et investissements, qu’elles mobilisent parmi leurs salariés des retraités qui ne demandent qu’à participer au bien commun autrement que par le bénévolat associatif et qu’elles n’auront pas à payer, puisqu’ils le sont par leur pension. Cela suppose aussi, comme le préconise Pierre Rimbert à propos du financement de la presse d’information générale[7], que soit popularisé un mot d’ordre de cotisation sur la valeur ajoutée de toutes les entreprises pour soutenir l’activité des entreprises autogérées.

    Gestion par les salariés, réseau de mutualisation de la valeur ajoutée, cotisation universelle, mobilisation des retraités : ce que je viens de dire à propos de la reprise des entreprises par les salariés vaut aussi pour toutes les coopératives et les initiatives de production alternative qui se multiplient et qui ne pourront tenir face au capital que si elles s’inscrivent dans une logique macroéconomique de mutualisation de la valeur.

    Autre pratique à porter : l’exclusivité des marchés publics aux entreprises autogérées et sans propriété lucrative. La mutualisation de la valeur qu’opère l’impôt pour la construction d’une piscine municipale ou du réseau ferré et qu’opère la cotisation pour la production des médicaments va à des groupes capitalistes qui n’existent que par les marchés publics. Le scandale que provoquent ces profits doit être saisi pour populariser, au contraire, une mutualisation de la valeur au seul service de la généralisation de la copropriété d’usage des entreprises.

    Le mot d’ordre, absolument urgent, de hausse massive des taux de cotisation, porté pendant des décennies par la classe ouvrière (le taux de cotisation a plus que doublé de 1945 au début des années 1980), et abandonné depuis plus de trente ans alors que les réformateurs mènent contre la cotisation-salaire une bataille acharnée qui est la cause unique des difficultés des régimes de sécurité sociale, ne peut redevenir central que si nous montrons que la cotisation-salaire reconnaît la production, et non pas la dépense, des soignants, des retraités. Et c’est la même chose pour l’impôt qui paie les fonctionnaires ou les salariés des associations de service public. Ces derniers produisent la valeur correspondant à la subvention qu’ils reçoivent, ils ne dépensent pas de l’argent produit par d’autres. Le mot d’ordre de gestion du Trésor public et des caisses de sécurité sociale par les seuls salariés, avec élection des directions par les administrateurs salariés –comme c’était le cas avant l’étatisation antidémocratique du dispositif- doit être accompagné d’un déplacement de la pratique syndicale dans les services publics et la sécurité sociale, et plus généralement partout où il n’y a pas de propriétaire lucratif, vers l’auto-organisation des salariés, la délibération par les intéressés de l’objet et des moyens du travail. Que les fonctionnaires soient à la hauteur des libertés que leur offre leur statut et en conquièrent collectivement d’autres est la condition pour rendre attractives des entreprises sans actionnaires et sans employeurs.

    Je voudrais insister sur un point rarement abordé, la convergence à construire avec les travailleurs indépendants, qu’ils soient protégés du capital par les règles des professions libérales que le gouvernement actuel est décidé à faire sauter, comme en témoigne la loi Macron pour les professions judiciaires, ou qu’ils soient livrés à lui sans défense, comme les paysans ou les artisans et commerçants. Ces travailleurs ont une expérience de la maîtrise de l’outil de travail et se battent de fait contre le capital pour ne pas être dépossédés de toute la chaîne de production d’un bien ou service. Qu’ils aient en général une idéologie de droite n’est pas un obstacle insurmontable si nous savons mettre les mots sur leur expérience de fait de la nocivité du capital et si nous déplaçons l’objet de notre action syndicale vers la maîtrise de l’outil de travail.

    Oui, c’est là un vrai déplacement de l’activité militante, et je renvoie aux développements que je consacre aux mots d’ordre immédiats possibles dans Emanciper le travail.

    Etincelles: nous nous doutons bien à IC que les attaques contre la Sécu et les autres acquis de 45-47 ne changeraient pas de nature si la France sortait de l’UE et de l’euro, mais nous pensons que la construction supranationale euro-atlantique, éventuellement coiffée par une Union transatlantique couplée à l’O.T.A.N., est une arme sociopolitique (et potentiellement, militaire) de premier plan contre les travailleurs et les peuples souverains. Qu’en penses-tu de ton côté ?

    friot UE

    La lutte contre l’UE, inamendable syndicat du capital contre les peuples, doit être de tous les instants. Sur le fait que l’UE et l’euro sont des outils capitalistes contre l’émancipation des travailleurs, je ne saurais trop recommander la lecture des remarquables travaux à la fois historiques et lexicométriques de Corinne Gobin, une collègue spécialiste de sciences politiques de l’Université libre de Bruxelles. Elle a d’ailleurs écrit une importante contribution à l’ouvrage collectif que j’ai édité avec Bernadette Clasquin[8] sur les effets destructeurs en matière de droits salariaux des politiques de l’emploi impulsées par l’UE depuis les années 1990. Quant au côté potentiellement militaire, pour reprendre vos termes, de l’arme contre les peuples souverains que sont l’UE et l’OTAN, il a une telle évidence aujourd’hui, joint à la militarisation de notre quotidien et à la criminalisation de l’action militante sous prétexte de lutte contre le terrorisme, qu’il est clair que la classe dirigeante est en train de mettre en selle l’extrême-droite et de construire l’arsenal de sa riposte violente aux mobilisations populaires que son échec économique suscite.

    Bref, l’enjeu de la lutte de classes est devenu aujourd’hui si lourd qu’il est essentiel de se souvenir qu’on ne construit pas une classe révolutionnaire par une lutte contre, mais par une lutte pour. Les épreuves, les souffrances qu’entraînera l’affrontement au capital à la hauteur où il doit être maintenant mené ne pourront être acceptées que si le projet est enthousiasmant et mobilise pour construire l’alternative et non pas simplement pour en finir avec des élites abhorrées. Le programme du CNR s’appelle « Les jours heureux », pas « Mort au nazisme » (même si une partie est consacrée à cette nécessaire dimension de la bataille). Et donc la nécessaire bataille contre l’UE et l’euro comme monnaie unique (et contre l’illusion de leur possible démocratisation hélas répandue dans la gauche de gauche sous l’invocation d’une « autre Europe ») n’est qu’une composante d’une bataille pour la maîtrise populaire de la valeur, y compris à l’international, dans toutes les dimensions que j’ai développées. Autrement dit, la lutte contre l’UE n’a de sens qu’au service de la mobilisation pour le salaire à vie ou la copropriété d’usage de tous les outils de travail. Par exemple, pour la crédibilité même d’un projet qui conduira le premier peuple qui le mettra en œuvre à sortir de la zone euro et fort vraisemblablement de l’UE (sauf contagion révolutionnaire permettant une rapide reconstruction), il faut dès maintenant montrer comment nous allons recréer le franc et l’articuler à l’euro comme monnaie commune, comment nous allons récuser les directives de la Commission et la jurisprudence de la Cour de Luxembourg, pour m’en tenir à ces seuls exemples. Mais ces démonstrations concrètes doivent être en permanence rapportées à un projet de salaire à vie ou de subvention de l’investissement qui n’est aujourd’hui pas popularisé alors qu’il doit devenir le cœur de notre action militante.

    [1] Bernard Friot, Puissances du salariat, nouvelle édition augmentée, Paris, La Dispute, 2012 (première édition 1998)

    [2] Bernard Friot, L’enjeu du salaire, Paris, La Dispute, 2012

    [3] Bernard Friot, Emanciper le travail, entretiens avec Patrick Zech, Paris, La Dispute, 2014, second entretien

    [4] Pour éviter la stigmatisation de ses bénéficiaires, le panier de soins peut être universel. Mais cette universalité ne change rien au fond du projet des réformateurs : les régimes complémentaires de salaire différé doivent voir leur place augmenter au détriment d’un régime général maladie fiscalisé.

    [5] Quel congrès de la CGT a décidé de renoncer à la retraite à 55 ans pour la retraite à 60 ans ? Je n’en trouve pas.

    [6] Pour financer aux 50 millions de résidents de plus de 18 ans un salaire à vie moyen net de 25000 euros par an, il faut 1250 milliards, soit les montants déjà consacrés à la rémunération du travail.

    [7] Pierre Rimbert, Le Monde diplomatique, décembre 2014

    [8] Bernadette Clasquin et Bernard Friot, dir, The Wage under Attack : Employment Policies in Europe, Bruxelles, PIE Peter Lang, 2014. Cet ouvrage reprend les résultats d’une équipe de chercheurs de 7 pays de l’ouest-européen.

    entretien initialement publié le 19 mai 2015

    Une autre lecture de la sécurité sociale et de la fonction publique. », par Bernard Friot

    http://www.initiative-communiste.fr/articles/europe-capital/la-lutte-contre-lue-inamendable-syndicat-du-capital-contre-les-peuples-doit-etre-de-tous-les-instantsentretien-avec-bernard-friot-salaires-cotisations-sociales/

    Bernard Friot est connu pour ses réflexions au sujet du salaire, des conquêtes du CNR (sécurité sociale et fonction publique notamment). Dans une conférence filmée par Les Films de l’An 2, il livre une réflexion intéressante autour de la question de ce qu’est le salaire, de ce qu’est la production de valeur et de ce qu’a été l’apport des conquètes de 1945 et du Conseil National de la Résistance (CNR). Ainsi que sur les éléments concrets de « socialisme » que par la lutte et le combat de classe les travailleurs ont réussi à arracher au sein du système capitaliste.

    La retraite, la Sécu, les statuts de la fonction publique, les entreprises nationalisées : voila autant d’éléments qui démontrent – certes de manière très partielle et évidemment imparfaite donc – qu’un autre système que le destructeur, injuste et funeste système capitaliste est possible. C’est d’ailleurs aussi pour cela que la classe capitaliste n’a de cesse que de faire disparaitre ces conquêtes qui sont autant de tête de ponts pour la classe des travailleurs pour changer totalement le système. Défendre ces conquêtes totalement et de manière conséquence c’est faire apparaître la nécessité pour l’immense majorité, pour l’humanité, du Socialisme…

    Défendre nos conquêtes sociales, la sécurité sociale, la fonction publique, c’est en premier lieu constater un fait : la construction de l’UE du capitale est depuis l’origine intrinsèquement menée et réalisée par la classe capitaliste pour détruire les conquis des travailleurs et rétablir le pouvoir absolu et sans contestation possible des capitalistes. L’UE, l’Euro sont des armes de destruction massive des conquêtes sociales et de la souveraineté populaire, et en France d’abord de celles du Conseil National de la Résistance. Mais ces conquêtes sont un point d’appui formidable : car démontrant depuis maintenant plusieurs décennies qu’il est possible de disposer de monopoles publics, de disposer d’une sécurité sociale, d’une retraite etc. les travailleurs de France savent que c’est une réalité et ont déjà montré qu’ils sont prêts à se mobiliser en masse pour les défendre. Il est donc possible de construire un front majoritaire pour un nouveau CNR, pour la paix, le progrès social et la démocratie. Un Front antifasciste populaire et patriotique défendant la souveraineté de la Nation – la souveraineté des travailleurs – pour défendre et étendre les conquêtes du CNR, ce qui implique la sortie de l’UE et de l’euro du Capital, la sortie de l’OTAN et la sortie du Capitalisme. C’est bien cette démarche stratégique que propose le PRCF et que détaille dans une interview vidéo le philosophe et syndicaliste Georges Gastaud secrétaire national du PRCF.

    « Une autre lecture de la sécurité sociale et de la fonction publique. », par Bernard Friot from Les Films de l’An 2 on Vimeo.

     

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  • Depuis plusieurs jours, confrontés à la baisse des prix de vente  des produits agricoles, les paysans – et en particulier les éleveurs – manifestent dans tout le pays. Afin d’éteindre l’incendie, le gouvernement a, comme d’habitude, promis quelques aides d’urgence et accéléré la remise d’un rapport d’une commission, tançant la grande distribution. Rien de tout cela ne répond aux problèmes agricoles qui se posent durablement depuis des années en France, l’une des premières puissances agricoles. Car rappelons-le, même si l’agro-industrie intensive à très nettement fait diminuer le nombre d’agriculteurs (de plusieurs millions dans les années 1950 à moins d’un demi million aujourd’hui), la France est le premier producteur agricole d’Europe et le second exportateur, le 8e producteur et le 4e exportateur mondial.

    Les militants du PRCF apportent tout leur soutien à la revendication d’une juste rémunération des agriculteurs pour leur travail.

    « La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillissent toute richesse : la terre et le travailleur. »

    Karl Marx

    Les raisons de la colère : l’exploitation capitaliste

    L’agriculture n’échappe pas aux ravages du système capitaliste et de la course au profit. De fait, les agriculteurs se retrouvent pris en étau entre d’une part la baisse des prix payés pour leur production et d’autre part la course au rendement, dans une fuite en avant de la production agricole transformée en agro-industrie. D’une part les prix de vente auprès des multinationales capitalistes de l’agroalimentaire en chute libre, de l’autre des traites toujours plus monumentales à payer auprès des banques, véritables propriétaires de l’outil de production capitaliste. Au milieu, les agriculteurs dont le travail ne sert qu’à générer des profits lucratifs pour les uns et les autres. Et qui aujourd’hui voient leurs salaires fondre, voire disparaître.  25% des exploitations agricoles seraient menacés de faillitte.

    Le mythe de la responsabilité du consommateur : le coupable c’est le capitalisme !

    Comme solution à la crise, les hypocrites – aussi bien du coté de l’UMP tel un Alain Juppé déclarant que « la balle est dans le camps des consommateurs » ou François Hollande les appelant à la responsabilité, voudraient faire croire que les travailleurs sont responsables de la baisse des prix et donc des salaires des agriculteurs, sont responsables de la malbouffe, pour exonérer les véritables responsables, la classe capitaliste.

    Stop tafta c'est Stop UE PRCF 30 mai

    On ne manquera pas non plus de souligner cette hypocrisie, quand on sait que les mêmes tenants de la construction européenne sont ceux qui interdisent les pouvoirs publics d’acheter local, par exemple pour les cantines scolaires. Car les réglementations de l’Union Européenne, marché libre dans lequel la concurrence est libre et non faussée (et cela ne date que… du traité de Rome en 1957 pour ceux qui feraient mine de le découvrir), interdisent d’établir des règles de la sorte pour les marchés publics. Et cela n’est pas près de s’arranger puisque dans le dos des peuples, la commission européenne est en train de signer un accord de libre échange UE USA (le fameux TTIP / TAFTA) qui permettra de répandre sur le vieux continent les poulets à la javelle et autres boeufs aux hormones ! C’est également l’UE qui autorise là aussi dans le dos des peuples la production et la commercialisation des OGM (lire ici, cliquez).

    L’UE c’est les OGM, c’est les farines animales et le scandale de la vache folle !

    Dépenses alimentaires des ménages

    La crise n’explique pas tout : baisse des volumes, mais augmentation des prix !

    S’il y a eu effectivement une baisse de la part des dépenses alimentaires dans les dépenses de consommation des ménages depuis les années 60, de fait cette part reste stable depuis les années 90 (autour de 15%) et continue d’augmenter en valeur. Cette réduction en proportion n’est que le résultat de l’augmentation importante des dépenses liées aux transports et surtout au logement. La crise à conduit à une diminution des dépenses d’habillement, de loisir et de culture (-1% sur la période 2008-2013). Dans le même temps, le montant des dépenses alimentaires continuait de croître au même rythme (+2% par an sur la période 2000-2007 et 2008-2013) tandis que les dépenses de logement demeuraient à des niveaux élevés (respectivement 4% et 2,5%) [source Insee et france agrimer].  La baisse des prix payés aux agriculteurs français n’est donc absolument pas liée à une baisse des dépenses des consommateurs français. Les deux tableaux extraits de la même étude de France Agrimer montrent, au contraire, une augmentation des prix des produits alimentaires plutôt qu’une augmentation des dépenses en valeur, avec toutefois une baisse des volumes des achats de viandes, de poissons et de fruits et légumes en cette période de crise.

    dépense alimentaire détail

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    source france agrimer.

    dépense alimentaire détail par français

    source france agrimer

    Où sont passées ces augmentations de prix ?

    « Le capital est semblable au vampire, il ne s’anime qu’en suçant le travail vivant et sa vie est d’autant plus allègre qu’il en pompe davantage. » Karl Marx

    Euro UE sortir sortie, PRCF

    Les chiffres de l’INSEE démontrent une inflation bien réelle des prix, non prise en compte par les indices « officiels » d’Eurostat, qui n’est pas compensée par des augmentations de salaires, confirmant la réalité de la baisse du pouvoir d’achat des ménages. Les ménages des milieux populaires sont d’ailleurs les premiers à constater l’augmentation massive des prix liée au passage à l’euro. Cet euro dont certains à la tête du PCF-PGE prétendent qu’il protège. Oui, il protége… les actionnaires, les banques, les exploiteurs, mais il écrase les ouvriers, les agriculteurs, leurs conquètes sociales et démocratiques.

    Cependant, si les prix des produits alimentaires ont augmenté et que les prix payés aux agriculteurs qui les produisent sont en chute libre (moins de 4€/kg pour du charolais !), les prix payés par le consommateurs sont eux bel et bien en hausse. Et la marge se répartit entre les multinationales de l’agroalimentaire et de la grande distribution. Le 17 Juin, le gouvernement a enteriné un accord aux termes duquel les grandes enseignes de distribution se sont engagées à relever leurs prix d’achat et de vente de bovins et porcs de 5 centimes d’euros par semaine, et cela jusqu’à obtenir un prix acceptable pour les producteurs. Force est de constater que plus d’un mois plus tard les agriculteurs n’en ont pas vu la couleur.

    C’est que les capitalistes ne diminuent jamais leurs profits ! Surtout quand ils ont les moyens de les augmenter en diminuant les salaires des travailleurs.

    L’effondrement des prix : le résultat des sanctions occidentales contre la Russie. Merci, l’Union Européenne !

    USA guerre impérialisme ukraine front antifasciste

    Une des causes de l’effondrement des prix agricoles, c’est également la fermeture du marché russe comme débouché pour les productions agricoles européennes : afin d’établir le contrôle de l’Union Européenne sur l’Ukraine, la Commission Européenne a imposé de lourdes sanctions économiques à la Russie qui a répliqué de façon symbolique par des restrictions au niveau de ses importations agricoles. Qui ne se souvient pas des producteurs de fruits (notamment de pommes) dans l’impossibilité d’écouler leurs productions à l’automne dernier, alors que les pays de l’est ? Il faut rappeler qu’avant que l’UE ne participe au renversement du gouvernement ukrainien pour installer une junte pro UE appuyée sur des milices fascistes à Kiev par le coup d’état d’Euromaïdan, les exportations de la zone UE et de la France vers la Russie étaient respectivement de 10 milliards d’euros et 1 milliard d’euros. Un volume qui pèse aujourd’hui lourdement sur les prix en renforçant la concurence entre les différents pays européens producteurs.

    L’UE impose la concurrence déchaînée pour casser les salaires !

    Au delà des marges des multinationales de la grande distribution, la casse des salaires des agriculteurs, c’est également directement le résultat des directives de l’Union Européenne qui organisent un véritable dumping antisocial, une guerre contre les salaires. Les traités européens (par exemple les articles 38 et 39 du traité de Lisbonne, dont nous avons pourtant fêté les 10 ans du rejet dans les urnes par les français le 29 mai 2005 à Paris le 30 mai dernier lors d’une manifestation nationale devant l’Assemblée Nationale pour la sortie de l’UE)  imposent aux agriculteurs une concurrence déloyale avec les agriculteurs de pays de l’UE dont les droits sociaux sont nettement inférieurs à ceux gagnés par les luttes des travailleurs. Par exemple, en vertu des directives travailleurs détachés, l’Allemagne -pays où il n’existe pas de SMIC dans l’agriculture – exploite des milliers de travailleurs des pays de l’est payé entre 3 et 7 euros de l’heure. [www.initiative-communiste.fr recommande le dossier consacré par le journal Fakir à l’effondrement de la fillière de production de porcs en Bretagne]

    La Politique Agricole Commune : fuite en avant productiviste, destruction de l’agriculture et des agriculteurs !

    Les directives européennes de la Commission de Bruxelles avec la Politique Agricole Commune (PAC) ont imposé et imposent un mouvement de concentration des exploitations agricoles. La libéralisation des marchés agricoles, la fin des quotas laitiers, l’interdiction des aides à la production entraine la mise en difficulté de dizaines de milliers de petites exploitations, contribuant à la désertification des campagnes, à la disparition des savoir faire et des cultures faisant partie d’un art de vivre qui ne compte pas comme le moindre des atouts de la France. Cela, au profit d’une agriculture intensive, formatée pour la profitabilité maximale et pour les profits des grandes multinationales. La valse des normes en soumettant les petites exploitations à des mises aux normes et contrôles incessants, l’effondrement des prix en obligeant à la course aux rendements, contraignent les petits agriculteurs à des investissements lourds les mettant sous la coupe des banques. La PAC c’est la disparition de la petite agriculture. Il est d’ailleurs totalement faux de dire que la PAC subventionne indistinctement « tous » les agriculteurs français et ce, alors que la France est contributrice net au budget européen.

    L’Union Européenne, c’est également ce grand marché « libre » qui permet de liquider les productions des terroirs, remplacées par des AOP permettant, par exemple, de vendre un cochon élevé en Hollande comme de la charcuterie corse… !

    Étranglés par leurs prêts, confrontés à la liquidation de leur outil de production, de plus en plus d’agriculteurs en détresse sont poussés vers le suicide par un système capitaliste qui les broie.

    « Ouvriers paysans nous sommes le grand parti des travailleurs, la terre n’appartient qu’aux hommes, l’oisif ira loger ailleurs »

    Pour une politique agricole que ne soit plus au service exclusif des monopoles capitalistes de l’agro-alimentaire, des Monsanto et autres Danone, une agriculture dont le but ne soit pas l’exploitation maximale des hommes et de la nature pour le seul profit de la classe capitaliste, mais une agriculture répondant aux besoins de la population qui ne veut pas manger des OGM, des lasagnes aux « minerais » de cheval roumain et de la vache folle, il faut briser les chaînes de l’Union Européenne. Tous ensemble, nous pouvons changer de système, pour mettre au centre le monde du travail.  Pour s’en sortir et si, agriculteurs, ouvriers, employés, retraités … nous ne voulons pas y rester, il faut sortir de l’UE, de l’Euro de l’OTAN et du Capitalisme.

    JBC pour www.initiative-communiste.fr – site web du PRCF

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