Il y a tout juste deux ans, en octobre 2018, éclatait l’affaire dite des « bébés sans main ». Dans les clusters désignés figure celui de Guidel. Que reste-t-il de l’espoir soulevé par l’ouverture d’une enquête publique ? « Du dépit et de l’amertume », disent les familles.
C’était le 4 octobre 2018.
Fin septembre 2018, un reportage de France 2 dévoilait que sept cas de malformations rares (agénésies transverses des membres supérieurs) avaient été découverts dans l’Ain, entre 2009 et 2014. Le Télégramme révélait, dans la foulée, que quatre enfants étaient nés avec la même malformation au bras, à Guidel (56), entre 2011 et 2013. Derrière un nom barbare, une lanceuse d’alerte : l’épidémiologiste, directrice du registre des malformations de la région Rhône-Alpes (le Remera), Emmanuelle Amar. L’affaire des « bébés sans main » débutait.
Le 4 octobre 2018, Santé publique France organisait le premier point presse, à Paris. Le 6 novembre 2018, une réunion publique était organisée par les autorités sanitaires, à Guidel. Sous l’égide de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire), un comité d’observation de suivi, ainsi qu’un comité d’experts scientifiques, sont montés dans la foulée. Le premier a été dissous dès novembre 2019. Le rapport final, comprenant des enquêtes complémentaires réalisées en 2019 et 2020, n’a toujours pas été rendu.
« Tout ça, c’était du vent ».
Depuis Bruxelles où elle est médecin généraliste, Isabelle Taymans-Grassin ne cache pas son amertume. Il y a six mois, la maman de Charlotte a raconté son combat pour obtenir la vérité dans un livre (« Malformations, le combat d’une mère »), sorti juste avant le confinement. Elle l’a fait pour sa fille de 8 ans, née à Lorient, en 2012, sans avant-bras gauche, « et pour m’autoriser à passer à autre chose ». La covid-19 l’a rattrapée, et si elle ne regrette pas « cette pierre à l’édifice et le combat citoyen » qui ont lié les familles, Isabelle Taymans-Grassin est lasse. « De l’extérieur, le tourbillon médiatique de 2018-2019, les engagements des autorités sanitaires et de la ministre (Agnès Buzyn) qui ont suivi, ça a fait très joli. Mais au final, c’était de l’hypocrisie et du vent. On a fait semblant de nous entendre. En Loire-Atlantique, où on a fait la démonstration de la carence de surveillance sanitaire, il n’y a toujours pas de registre des malformations. À Guidel, l’enquête complémentaire a écarté d’emblée d’autres arguments environnementaux possibles (l’eau, les pesticides). La méthodologie est très décevante. À ce stade, on peut dire que c’est fini ».
« Il a fallu éteindre un incendie ».
À Guidel, Tiphaine et Samuel Bernard, parents d’Aliénor, 7 ans, et née avec une malformation de l’avant-bras gauche, attendent, eux aussi, des réponses « qui ne viendront jamais ». Très investi dans le groupe de travail qui s’est lancé en fin 2018, le couple a le sentiment que les familles ont été lâchées en chemin. « Les réunions du Comité d’observation et de suivi, dont j’ai fait partie, ont été stoppées net en novembre 2019, alors que nous avions encore des questions à poser, détaille Samuel. C’est comme si ce comité avait juste été mis en place pour éteindre un incendie. On a ensuite misé sur notre essoufflement. Nous n’avons plus d’informations. Les autorités sanitaires ne reconnaîtront jamais s’être trompées. C’est très décevant ».
« Je ne désespère pas ».
Les Bernard attendent aujourd’hui une chose : « Qu’on ait au moins connaissance du rapport final du comité d’experts, apparemment terminé ». Isabelle Taymans-Grassin mise, elle, sur la publication d’un article « très pointu » attendu sur le sujet dans une revue scientifique. « Je ne désespère pas. Même si moi, je n’ai plus rien à donner, je suis sûre d’une chose : cette histoire-là rebondira ailleurs un jour ».
Sophie Prévost
source: https://www.letelegramme.fr/