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  • Hélène Derrien du comité de défense de l’hôpital de Concarneau (Finistère).Hélène Derrien du comité de défense de l’hôpital de Concarneau (Finistère).

    À l’occasion de la Journée européenne contre la marchandisation de la santé, le comité de défense de l’hôpital de Concarneau (Finistère) réclame la levée des brevets et la transparence concernant les vaccins. Il en profite également pour faire le point concernant le site du Porzou.

    Le rassemblement programmé, mercredi 7 avril, sur le parvis des halles à Concarneau (Finistère), n’aura pas lieu, crise sanitaire oblige. Mais à l’occasion de la Journée européenne contre la marchandisation de la santé, les membres du comité de défense de l’hôpital de Concarneau ont tenu à faire entendre leur voix. À la fois sur la gestion de la crise liée au Covid-19, et sur la situation à l’hôpital du Porzou.

    Vaccins : levée des brevets et transparence

    « Nous nous joignons à l’initiative citoyenne européenne afin de réclamer la levée des brevets mais également la transparence concernant les vaccins, à la fois sur leur prix et leur composition », explique Hélène Derrien.

    Alors que la défiance vis-à-vis du vaccin AstraZeneca va grandissante, les membres du comité de défense ne voient qu’une solution pour clarifier la situation : communiquer. « De plus en plus de gens ont peur de se faire vacciner avec l’AstraZeneca » constate Marianne Jan.

     

    « Sans tomber dans le catastrophisme, il y a des accidents, enchaîne Hélène Derrien. Si on connaissait la composition des vaccins, on aurait toutes les informations en main. Et il y aurait moins de réticence par rapport aux vaccins d’une manière générale alors que cela reste le meilleur moyen d’éradiquer certaines maladies graves. »

    Pour les membres du comité de défense, la gestion de la crise sanitaire est révélatrice « de la marchandisation de la santé ». « Il est effrayant de voir qu’un pays comme la France, sixième puissance économique mondiale, n’a aucune autonomie sanitaire, pointe Hélène Derrien en listant les entreprises privées comme les laboratoires ou la plate-forme Doctolib. Et c’est comme ça depuis le début de la pandémie. On l’a vu avec les masques, avec les respirateurs, maintenant avec les vaccins. »

    Que faire dans ces conditions ? « Il existe une solution juridique : la licence d’office qui permet aux États de passer outre les brevets, répond Hélène Derrien. La France, comme d’autres pays, n’a pas fait jouer ce mécanisme alors qu’elle est en capacité de produire depuis plusieurs mois. Une nouvelle fois, on renonce à la santé pour des intérêts financiers. L’hôpital n’est pas une entreprise, il doit pouvoir faire face à l’imprévu. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. »

    Quid de la situation sur le site du Porzou à Concarneau ?

    Si l’actualité se résume à la crise liée au Covid-19, le comité de défense de l’hôpital de Concarneau rappelle qu’il milite toujours pour le rétablissement de la ligne de SMUR (service mobile d’urgence et réanimation) H24, des urgences de nuit et « pour l’octroi d’un scanner » sur le site du Porzou.

    « Il faut reconnaître que l’urgentiste devient une denrée rare au niveau national, souligne Hélène Derrien. Mais le Chic devrait chercher à recruter des titulaires plutôt que de proposer des contrats temporaires. »

    Contre le transfert du public vers le privé

    Le comité de défense de l’hôpital a tenu à apporter son soutien aux soignants qui se sont mobilisés, le 26 mars, pour protester contre le transfert du service de soins de suite et de réadaptation (SSR) vers l’UGECAM, un organisme privé.

    « Au départ, la direction avait annoncé aux personnels hospitaliers qu’ils pourraient conserver leurs statuts. Finalement, ces derniers ont le choix entre intégrer la convention de l’UGECAM, ou accepter un poste dans un autre service. Ce qui s’annonce compliqué puisque les préconisations de la Cour des comptes sont de supprimer des postes au sein du Chic (centre hospitalier de Cornouaille, qui regroupe les hôpitaux de Quimper et de Concarneau) », résume Hélène Derrien.

    Stéphane BACRO

    source: https://www.ouest-france.fr/

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  • Les occupants du Grand Théâtre de Lorient diffuseront leur première émission dans le courant de la semaine sur leurs réseaux sociaux. Les occupants du Grand Théâtre de Lorient diffuseront leur première émission dans le courant de la semaine sur leurs réseaux sociaux.

    À défaut de pouvoir s’exprimer sur la place de l’Hôtel-de-Ville de Lorient, les intermittents qui occupent le Grand Théâtre ont créé leur plateau TV pour diffuser leurs revendications.

    Plus moyen de s’exprimer dehors ? Pas de soucis, les intermittents qui occupent le Grand théâtre de Lorient s’adaptent et ont un peu plus investi les locaux en créant un plateau TV avec une régie technique. Une émission pilote est enregistrée ce mardi soir, avec le (faux) préfet qui vient assister à deux morceaux joués en live du groupe The Blue Butter Pot. « C’est comme ce qu’on faisait dehors avant qu’on nous coupe tout », rappelle le comédien Gildas Puget, qui jouait le rôle du maire de Lorient lors du rassemblement du 20 mars.

    L’idée de réaliser des émissions filmées est venue au moment de la rencontre avec la mairie de Lorient et les services de l’État. « On ne veut pas faire de la culture en ligne, mais parler des choses importantes à notre manière », revendique Gildas Puget qui compare ce genre d’émissions aux radios libres.

    « Haut-parleur des revendications »

    Les émissions seront diffusées en différé sur la chaîne YouTube et la page Facebook « Théâtre de Lorient occupé ». Mais surtout, ne leur dites pas qu’ils se reconvertissent en Youtubeurs : « YouTube est une porte de derrière. Mais si c’est là qu’il faut aller, alors on va l’ouvrir », explique Youen Paranthoen, l’un des occupants du Grand Théâtre.

    «YouTube est une porte de derrière. Mais si c’est là qu’il faut aller, alors on va l’ouvrir

    Une dizaine d’intermittents planchent sur ce projet. « On a un gros soutien des copains qui font les captations pour le Fil et qui bossent pour France 3 », précise Youen. Durant ces émissions, qui peuvent durer de cinq minutes à deux heures 30, les intermittents et des invités parleront de culture, mais pas seulement : « C’est un haut-parleur de nos revendications. On est au service de la lutte qu’on mène. On réinvente nos moyens pour réaffirmer nos idées ».

    La première émission sera diffusée en ligne, au mieux ce mercredi soir, sinon jeudi soir.

    Cyril Bottollier-Lemallaz

    source: https://www.letelegramme.fr/
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  • Une centaine d’agents territoriaux ont manifesté, ce mardi 6 avril, devant l’Hôtel de ville de Lorient contre la mise en place des 1 607 heures de travail dans la fonction publique. Une centaine d’agents territoriaux ont manifesté, ce mardi 6 avril, devant l’Hôtel de ville de Lorient contre la mise en place des 1 607 heures de travail dans la fonction publique. 

    Après les agents de Lorient Agglomération, ceux de la Ville de Lorient se sont mobilisés, ce mardi 6 avril, contre la mise en place des 1 607 heures de travail dans la fonction publique.

    Malgré le confinement, un peu plus d’une centaine d’agents municipaux se sont rassemblés à 14 h, ce mardi 6 avril, à l’appel de la CGT, devant l’Hôtel de ville de Lorient. Comme les agents de Lorient Agglomération, en grève la semaine dernière, ils protestent contre la mise en place des 1 607 heures de travail (1 547 actuellement) dans la fonction publique. Avec cette réforme de la fonction publique, « les agents vont perdre entre 10 et 11 jours de congé par an », indique Philippe Joubert, élu à la CGT.

    « Cela n’est pas acceptable »

    La semaine dernière, le maire Fabrice Loher a expliqué que ces jours de congé seraient remplacés par des RTT. Le syndicat s’y oppose. « Les RTT ne sont pas des jours de congé. Ce n’est pas du tout la même chose. Ils se gagnent et pour avoir le droit à 10 jours de RTT, il faudrait travailler 39 heures », selon Philippe Joubert. Le syndicaliste souligne la difficulté d’appliquer cette règle aux 130 métiers et 1 200 agents de la commune. « Ces RTT ne seraient gagnables que pour certains agents. Cela n’est pas acceptable ».

    La CGT n’est pas favorable à une augmentation du temps de travail, mais milite pour une politique de création d’emplois, alors qu’« il y a actuellement 77 postes vacants » au sein de la collectivité, souligne le syndicat.

    Plus d'une centaine d'agents communaux ont manifesté ce mardi 6 avril devant l'Hôtel de ville de Lorient contre la mise en place des 1607 heures de travail dans la fonction publique.Plus d’une centaine d’agents communaux ont manifesté ce mardi 6 avril devant l’Hôtel de ville de Lorient contre la mise en place des 1 607 heures de travail dans la fonction publique. 

    La municipalité aurait aussi proposé des journées de formation en contrepartie de la perte de ces congés, ce à quoi le syndicat répond : « On arrive déjà à peine à avoir nos formations obligatoires ».

    Le syndicat a adressé une lettre au premier magistrat, la semaine dernière. Ce rassemblement, qui devait au départ être intersyndical, n’a pas été suivi par les autres forces syndicales. Les négociations sur cette réforme doivent se tenir d’ici le conseil municipal du mois juin, où un mode d’application doit être acté, avant une mise en place au 1er janvier 2022.

    Julien Boitel

    source: https://www.letelegramme.fr/

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  • Stéphane Le Roux (CGT), Régis Barrué et Claire Hareux (FSU) détaillent les différentes mobilisations prévues pour les agents de la fonction publique, ce jeudi, à Lorient et Vannes. Stéphane Le Roux (CGT), Régis Barrué et Claire Hareux (FSU) détaillent les différentes mobilisations prévues pour les agents de la fonction publique, ce jeudi, à Lorient et Vannes. 

    Les différentes organisations syndicales du Morbihan organisent de nombreuses actions, cette semaine, contre la loi de transformation de la fonction publique, adoptée en août 2019. Alors que les agents de la Ville de Lorient se sont regroupés devant l’hôtel de ville ce mardi après-midi, d’autres fonctionnaires sont appelés ce jeudi à Lorient et à Vannes. Ainsi, jeudi à 11 h, les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), dont Claire Hareux (FSU) pointe les « bas salaires et contrats précaires », se regrouperont devant la mairie de Lorient. Et à 12 h 15, ils partageront des pique-nique revendicatifs à Lorient, devant les locaux de l’inspection académique rue Le-Coutaller ; et à Vannes, devant la direction des services de l’Éducation nationale, allée du Général-LeTroadec.

    Deux bureaux de recrutement devant les hôpitaux

    Ce même jeudi, de 10 h à 16 h, deux bureaux virtuels de recrutement seront installés par les syndicats à Lorient, devant l’Hôpital du Scorff ; et à Vannes, à proximité du Centre hospitalier Bretagne Atlantique. « Nous voulons démontrer qu’il y a des personnes volontaires pour venir travailler à l’hôpital, là où les directions disent qu’elles ont du mal à recruter », explique Stéphane Le Roux (CGT).

    En point d’orgue de cette journée de mobilisation, à 14 h, manifestants et syndicats de tous les secteurs de la fonction publique (éducation, énergie, santé, etc.) sont invités par la CGT, la FSU et Solidaires à se rassembler devant la préfecture de Vannes pour des prises de parole.

     
     
     
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  • Depuis le 22 mars, le procès de la surveillance de plus de 400 salariés par l’entreprise Ikea se joue au tribunal de Versailles. Ce 30 mars, la procureure Paméla Tabardel a demandé des peines individuelles pour deux dirigeants du géant suédois. Ils sont accusés d’avoir collecté massivement des informations personnelles sur leurs salariés, grâce à l’appui de policiers. Trois ans de prison, dont deux avec sursis, sont ainsi requis pour Jean-Louis B., directeur général de 1996 à 2009 ainsi que deux ans de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende pour un ex-directeur administratif et financier.

    Mais la parquetière a également requis une peine pour l’entreprise elle-même, jugeant que celle-ci ne reconnaissait pas sa responsabilité alors qu’« elle est à la fois le support de cette fraude et la bénéficiaire de cette collecte de données en en tirant un avantage organisationnel ». Ainsi, le parquet requiert une amende jugée « exemplaire » pour l’entreprise : 2 millions d’euros.

     

    La lourdeur de la sanction demandée reste à relativiser toutefois : le réseau de franchisés, qui regroupe la plupart des magasins Ikea, a réalisé en 2020 un bénéfice net d’1,2 milliard d’euros, malgré une diminution d’un tiers due au Covid.

     

    Guillaume Bernard

    source: https://rapportsdeforce.fr/

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  • https://data.maglr.com/3019/issues/25255/334637/assets/css/img/C6375e9e9ceb0a41bb8c68ec657f5d2b293591ca6abb0d3787d5eb4855b9a2fa1.jpg

    « Le printemps est inexorable, il sera social, culturel et solidaire » : depuis plusieurs semaines, des dizaines de lieux culturels (théâtres, opéras) sont occupés par les travailleurs. Ces derniers exigent notamment le retrait de la réforme de l’assurance chômage

    Lucides, les occupants de l’Odéon ont rappelé dans leur journal RadiOdéon: « Certes les choix du gouvernement sur la fermeture des lieux de culture au profit du seul lien marchand est aberrante, mais la misère que cette crise entraine ne se résoudra pas avec la simple réouverture des lieux culturels. Nous aurons l’illusion d’une vie retrouvée mais cette réouverture doit s’accompagner des mesures sociales nécessaires. » 

    Pour les occupants des lieux culturels, leurs actions s’inscrivent « contre la guerre menée aux pauvres et aux travailleurs précaires ». Face à l’abandon – préexistant à la crise actuelle - des travailleurs précaires et privés d’emploi et la volonté de Macron d’encore davantage plonger des centaines de milliers de chômeurs dans la misère, il n’y a pas d’autres choix que de rentrer en guerre, notamment contre la réforme de l’Assurance-chômage.

    https://data.maglr.com/3019/issues/25255/334637/assets/css/img/C74a6bc39044770744e5fa44d41367def59b7e6a9110bdb9d874010fa4ad8fa8e.jpg

    Alors que seulement 20% des chômeurs sont indemnisés et que 70% des allocations sont inférieures à 950€ par mois, le gouvernement s'apprête ainsi, avec un décret qui doit paraitre le 1er juillet, à réduire les indemnités de 22% pour 850 000 travailleurs privés d'emploi et précaires... Avant de durcir encore et encore les conditions d’indemnisations d’ici à l’autonome 2021. 

    Pour rappel, les associations caritatives ont recensé plus de 1 million de nouveaux pauvres et une augmentation d’environ 30% du nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire.

    En plus de la réouverture des lieux culturels dans le respect des consignes sanitaires, les manifestants réclament, entre autres, l’abrogation de la réforme de l’assurance-chômage, la prolongation de l’année blanche pour les intermittents, son élargissement à tous les travailleurs précaires et saisonniers ainsi que des mesures d’urgence face à la précarité financière et psychologique des étudiants.

     Un mouvement d’occupation riche en possibilités 

    En tout état de cause, ce mouvement d’occupation des lieux de travail par les travailleurs eux-mêmes montre la voie à suivre pour imposer la fin des restrictions sanitaires absurdes et gagner une protection sociale maximale qui puisse, enfin, répondre à l’ensemble de nos besoins sociaux.

    Inattendu, voir inespéré, ce mouvement d’occupation est pour l’instant « nié » par le gouvernement et les médias qui tentent de jouer le chrono en espérant que petit à petit le mouvement d’occupation s’épuise et s’étiole. Pourtant, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que le mouvement d’occupation est pour l’instant en phase ascensionnelle. La culture a besoin de la force de l’interpro comme chaque secteur a besoin d’une étincelle pour s’enflammer.  

    https://data.maglr.com/3019/issues/25255/334637/assets/css/img/Ca61dc109ce403e1db4b2711fffb741e0c802f8bad0fa3033838cbf3523c9e8cf.jpg

    Nous ne pouvons qu’œuvrer pour que ce mouvement d’occupation, pour le moment circonscrit au seul périmètre de la culture mais qui traduit une véritable réappropriation des lieux de travail par les travailleurs eux-mêmes, déborde le secteur de la culture pour faire tâche d’huile partout, notamment dans les secteurs industriels en proie à des plans massifs de licenciements.

    De même, l’occupation à Alès d’un Pôle emploi par des chômeurs et des gilets jaunes est une excellente nouvelle qui ne peut qu’inciter à développer ce genre d’actions. L’invisibilisation des chômeurs, des précaires, des licenciés, des travailleurs des secteurs dit « non essentiels » doit cesser ! Et elle ne cessera que si nous rentrons nous même dans la lumière.   

    Car, en réalité, c’est sans doute bien la seule chose qui fait peur au pouvoir. L’irruption des travailleurs sur le devant de l’Histoire, l’ancrage de la lutte à l’intérieur de l’entreprise, la réappropriation des lieux de travail, la remise en cause brutale de la propriété privée des moyens de production ou de logistique.

     

    source: https://magazine.unitecgt.fr/

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  •  Guerre sociale-Faisons du 8 avril une date nationale de mobilisations tous azimuts ! (unitecgt.fr-Avril21)

    Les Oubliés du Ségur, les secteurs de l'Energie, des Industries chimiques, et du Commerce et services seront mobilisés et en lutte le 8 avril ! Soutenons et interprofessionalisons cette journée de mobilisations !

    Plusieurs fédérations CGT (Energie, Industries chimiques, Commerce, Services publics, Organismes sociaux, Santé-Action sociale) appellent, dans le cadre de leurs périmètres professionnels respectifs, à une journée de lutte le 8 avril prochain.

    Les travailleurs de l’énergie, des Industries chimiques, du commerce, des services publics, des Organismes sociaux et de la Santé-Action sociale sont concernés par ces appels séparés, mais en réalité, cette « coïncidence » en termes de date nous interpelle tous et toutes. 

    C’est bien l’ensemble de la CGT et du monde du travail qui doit, partout où c’est possible, entrer dans la lutte ce jour-là.

    D’ailleurs, une déclaration conjointe des fédérations CGT des Services publics, des personnels des Organismes sociaux, de la Santé-Action sociale et du Commerce et services appelle aussi à faire grève et à manifester, de manière unitaire, pour « les oubliés du Ségur ».

    Interprofessionaliser cette journée de mobilisations, c’est en effet non seulement unir les travailleurs au-delà de leurs secteurs respectifs, et ainsi donner de la force aux revendications propres aux agents des industries électriques et gazières, aux travailleurs des industries chimiques, aux salariés du commerce. Mais c’est aussi l’occasion pour d’autres secteurs d’entrer en lutte et d’engager la construction d’un véritable processus des luttes.

    Pas de répit pour les travailleurs de l’Energie

    L'interfédérale d'EDF a appelé à la grève le 8 avril contre le projet Hercule de démantèlement d’EDF. Cette mobilisation aura lieu le jour du 75e anniversaire de la loi de nationalisation fondatrice d'EDF et de GDF. Il s'agira de la 6e journée de grève et de mobilisation depuis le 26 novembre, sans compter les journées massives de grèves et d’actions impulsées par la seule CGT Mines Energie (FNME CGT) tout au long des 6 derniers mois.

    Guerre sociale-Faisons du 8 avril une date nationale de mobilisations tous azimuts ! (unitecgt.fr-Avril21)

    En amont de cette nouvelle date de mobilisation dans le secteur de l’Energie, la FNME CGT a d’ailleurs appelé à une journée d'actions le jeudi 25 mars pour « réaffirmer que l’électricité et le gaz sont des biens de première nécessité [et qu’il] faut les sortir des marchés financiers afin que ce bien commun soit au service de l’interet général et plus des actionnaires. »

    « D’autres choix sont possibles pour l’avenir du Service public de l’Energie. Demain, avec la mise en place du Programme Progressiste de l’Energie, le Service Public prendrait un tout autre sens. », affirme encore la CGT Mines Energie

    La FNME CGT revendique notamment : « le retrait de l’abandon du gaz pour les logements neufs » ; « la nationalisation de l’électricité et du gaz comme réponse aux besoins énergétiques de tous » ; l’abandon des réformes en cours dans les groupes énergétiques : Hercule chez EDF, Plan Clamadieu chez ENGIE, le PSE chez GazelEnergie ».

    La FNIC-CGT appelle à rejoindre la mobilisation du 8 avril

    La Fédération nationale des Industries chimiques – CGT (FNIC-CGT) a appelé « l’ensemble de ses syndicats à participer massivement à la grève du 8 avril, ainsi qu’aux initiatives qui se dérouleront sur l’ensemble du territoire ».

    Dans un tract, la FNIC-CGT a rappelé que ce secteur n’était épargné, « avec   des   fermetures   d’usines   dans   le Caoutchouc, le Pétrole, la Chimie, la Plasturgie, des plans antisociaux faisant de la pandémie une aubaine pour accélérer les délocalisations, qui n’ont pour objectif que l’augmentation des profits. »

     

    « N’oublions pas les industries de la santé, aux mains de la Bourse, qui sont responsables de par leurs stratégies financières et non industrielles, d’une explosion des ruptures de médicaments.  44  ruptures  de  médicaments en 2008, 540 en 2018 et plus de 2 400 en 2020, cela illustre bien les choix qui sont faits en parfaite connaissance de cause. », martèle encore la FNIC-CGT.

    La CGT des Industries chimiques dénonce ainsi ce « gouvernement qui, lors de ses allocutions guerrières du mois de mars 2020, évoquait l’obligation d’une indépendance sanitaire, ne bouge pas une oreille quand un groupe comme Sanofi, abreuvé par des centaines de millions d’euros d’aides publiques, distribue des milliards d’euros de dividendes et annonce un 4ème plan de 1700   suppressions d’emplois dont 400 dans la recherche. »

    Pour les syndicalistes de la FNIC-CGT, pas de recette miracle, seule la lutte, par la grève et la jonction des forces avec l’interpro, peut amener à une réelle reprise en main par le monde du travail de son avenir.

    Appel à la grève et à la manifestation dans le secteur du commerce et des services

    La CGT Commerce et Services appelle aussi à la grève et à la manifestation le 8 avril devant le siège du MEDEF à Paris pour dénoncer « les profiteurs de la crise sanitaire ». « Les salariés vont aller chercher leur dû, il est grand temps d’aller arracher au patronat ce qu’il ne veut pas nous donner », affirme la CGT Commerce et Services qui exige : « l’augmentation de salaires : 300 euros tout de suite » ; « le remboursement des aides publiques » ; « l’arrêt des licenciements ».

    Guerre sociale-Faisons du 8 avril une date nationale de mobilisations tous azimuts ! (unitecgt.fr-Avril21)

    Pour la CGT, « les entreprises n’ont jamais fait autant de profit que pendant cette « crise sanitaire. Et comme si cela ne suffisait pas, ils ont empoché les aides gouvernementales piochées dans l’argent public […] alors qu’une avalanche de licenciements a lieu dans les secteurs du commerce et des services.  

    « Le gouvernement et le patronat ne comprendront notre détermination que si nous nous unissions tous dans la lutte […] A nous de leur montrer que l’union de nos forces » peut les faire reculer », affirme encore la CGT Commerce et Services. 

    « Oubliés du Ségur » : plusieurs fédérations mettent leurs forces en commun 

    Dans un tract commun, les fédérations CGT des Services publics, des personnels des Organismes sociaux, de la Santé-Action sociale appellent à faire grève et à manifester le 8 avril prochain. 

    Guerre sociale-Faisons du 8 avril une date nationale de mobilisations tous azimuts ! (unitecgt.fr-Avril21)

    « Les salarié·e·s et agent·e·s du secteur de l’action sociale, médico-sociale, publique et privée, à domicile ou en établissements, des Services d’Aide, d’Accompagnement et de Soins à Domicile (SAAD, SSIAD…), des EHPA, des établissements des UGECAM sont percutés de plein fouet par la crise sanitaire depuis plus d’un an. », explique ainsi la déclaration, ajoutant : « Nos organisations CGT appellent les personnels du secteur sanitaire, social, médico-social, du public comme du privé, associatif ou lucratif, à se mobiliser et à participer le jeudi 8 avril 2021 prochain aux actions initiées par la CGT pour exiger l’essentiel :

    Mêmes métiers, mêmes rémunérations avec l’ouverture sans délais de véritables négociations pour :

    • L’amélioration immédiate des rémunérations dans le cadre du statut de la fonction publique hospitalière, territoriale, des conventions collectives et branches professionnelles ;

    • Le recrutement massif, immédiat et pérenne de personnels qualifiés et diplômés en nombre suffisant pour assurer la sécurité et le bien-être des résident·e·s, des personnes accompagnées et des patient·e·s ;

    • Des conditions de travail dignes dont une meilleure reconnaissance de la pénibilité, avec de vraies dis¬positions pour la prévenir et la réparer : développer l’accès à des formations qualifiantes en vue d’une reconversion professionnelle, permettre un départ progressif et anticipé à la retraite ;

    • Des moyens de protection ainsi que du matériel et les outils nécessaires pour exercer en toute sécurité ;

    • La reconnaissance sans condition en maladie professionnelle de tous les personnels atteints par la Covid-19 ;

    • La prise en charge des personnes en perte d’autonomie — qu’il s’agisse de l’hospitalisation, d’aide à domicile, d’appareillage — doit relever de l’assurance maladie selon les dispositions générales. »

    Partout où c’est possible, interprofessionalisons la journée de luttes du 8 avril 

    Nous l’avons dit en introduction, unir nos forces ne se fait pas au détriment des revendications de chaque secteur. C’est même l’inverse : plus nous sommes nombreux, plus le rapport de force penche en notre faveur, c’est aussi simple que ça.

    C’est justement pour rompre cet isolement des secteurs les uns des autres – et parce que l’interpro est la raison même de l’existence de nos Unions départementales et locales CGT, que l’UD CGT des Bouches du Rhône a d’ores-et-déjà annoncé l’interprofessionalistion sur son territoire de la journée de luttes du 8 avril. L’Union départementale CGT du Val-de-Marne, mais aussi du Nord ou encore du Loir-et-Cher organisent également cette jonction des forces indispensables au succès de toutes les luttes.

    Cette démarche constructive doit servir d’exemple et inciter toutes les structures territoriales interprofessionnelles de la CGT à relever la tête et articuler localement des actions et manifestations. Cela vaut pour les UL et et les UD. Cela vaut bien évidemment (et peut-être même en premier lieu) pour la direction de la Confédération.

    Il y a des luttes en France, mais ces dernières sont séparées les unes des autres. A nous de remplir notre tâche historique en créant les conditions pour l’union réelle, dans la lutte et par la grève, de tous les travailleurs dans tous les secteurs.

     

    source: https://magazine.unitecgt.fr/

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  • Entrée du siège de la Banque de France, à Paris.

    Pendant les 72 jours de son existence, la Commune de Paris a négocié quelques millions de francs avec une Banque de France qui arrosait Versailles d’argent frais. Comprendre ce respect, c’est sans doute mieux comprendre la Commune et ses leçons pour aujourd’hui.

     

    C’est, depuis 150 ans, la grande question qui hante ceux que la Commune de Paris intéresse. Pourquoi ce pouvoir que Karl Marx appelait « la forme politique enfin découverte sous laquelle pouvait se mener l’émancipation économique du travail » a-t-il respecté la Banque de France, centre névralgique du capitalisme français ? Encore aujourd’hui, ce « saint respect avec lequel on s’arrêta devant les portes de la Banque de France », pour reprendre les mots de Friedrich Engels 20 ans plus tard, semble incompréhensible, tant cette institution incarnait sans doute tout ce que la Commune avait en horreur et tant le pouvoir qu’elle détenait aurait pu être décisif face à Thiers et les siens.

    Le débat continue de faire rage sur le sujet, mais il fait aujourd’hui écho à des questions plus contemporaines et sans doute faut-il donc rouvrir la question en détail. D’abord en rappelant ce qu’est alors la Banque de France. La Banque, comme on l’appelle, est l’incarnation de l’alliance entre le bonapartisme et le capitalisme. Née en 1800 comme un syndicat de banquiers ayant financé le coup d’État du 18 Brumaire, elle obtient en 1803 le monopole de la création monétaire du tout jeune « franc germinal » adossé à l’or et à l’argent. C’est une entreprise privée dont les actionnaires sont représentés par des « régents » siégeant dans un Conseil général.

    À partir de 1808, l’État nomme un gouverneur et des sous-gouverneurs pour représenter l’intérêt public. Mais douze des quinze régents qui composent le Conseil général, l’instance dirigeante sont des banquiers et des industriels. La mise en tutelle de 1808 se transforme dans les faits en collaboration fructueuse entre l’État et le secteur privé, sous Louis-Philippe et encore plus sous le Second Empire. Au fil du temps, la capacité d’escompte de la Banque de France, autrement dit d’avancer de l’argent, a pris une importance considérable, surtout depuis que, sous le second Empire et sous l’influence du saint-simonisme, le crédit vient massivement irriguer l’industrie française. La Banque, c’est le symbole de la collusion entre l’argent et le sceptre, entre le pouvoir économique et le pouvoir politique.

    On pouvait donc imaginer que la Commune, républicaine et en grande partie socialiste, n’aurait aucun respect pour une telle institution. Mais, pendant les 72 jours où elle a exercé l’autorité sur la capitale, l’hôtel de Toulouse, son siège, est resté un îlot du « vieux monde » au cœur de cette ville insurgée. Pendant un peu plus de deux mois, ceux qui n’ont pas hésité à balayer les vestiges de l’ordre ancien, à renverser la colonne Vendôme, symbole d’un bonapartisme honni, ont respecté scrupuleusement les caves de la Banque de France.

    Dès le 19 mars 1871, c’est à la demande du gouverneur, Gustave Rouland, que les deux délégués du Comité central de la Garde nationale, Eugène Varlin et François Jourde, se rendent rue de La Vrillière, au siège de la Banque de France, pour y recevoir un million de francs. Le discours du gouverneur, vieux mandarin qui a servi le roi, la République, l’Empereur et à nouveau la République, ancien procureur, puis ministre de l’instruction publique et en place à la Banque depuis 1864, est des plus suaves : la Banque ne fait pas de politique, la Ville de Paris y dispose d’un compte, on peut toujours, moyennant signature, en donner une partie. Rouland joue serré, il ne reconnaît qu’à demi la légitimité du nouveau pouvoir comme pouvoir municipal puisque c’est lui qui décide de ce qu’il attribue à la Commune comme part des 9 millions de francs que la Ville a sur son compte. Mais en lâchant un peu de lest, il ne donne aucune raison au nouveau pouvoir de s’emparer de la Banque et gagne du temps pour ensabler les caves, armer les employés et préparer sa propre fuite.

    Le million va permettre au Comité central de maintenir les services publics et l’administration dans la capitale, un tour de force. Mais le 22 mars, il faut à nouveau des fonds. Rouland, qui est en contact avec Versailles, qui, alors, compte sur la famine pour faire céder Paris, rechigne. Varlin et Jourde menacent d’envoyer la troupe et obtiennent 300 000 francs. Rouland, effrayé, rejoint Versailles et laisse l’établissement à son sous-gouverneur, le marquis Alexandre de Plœuc. Ce noble légitimiste va poursuivre la stratégie de Rouland en négociant avec le nouveau représentant de la Commune, Charles Beslay, les avances accordées au compte-gouttes aux autorités parisiennes. Une sorte d’équilibre fragile se met alors en place. Beslay tente de faire comprendre à de Plœuc que le respect de la Banque dépend de sa générosité, de Plœuc, lui, jouant un chantage à la faillite. « La Banque de France est la fortune du pays ; hors d’elle plus d’industrie, plus de commerce ; si vous la violez, tous ses billets font faillite », dira au Conseil de la Commune Beslay, en reprenant les mots du marquis.

    Ce petit jeu aura finalement permis à la Commune de disposer, selon l’économiste Éric Toussaint, qui a récemment écrit un texte complet sur le sujet sur le site du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM) qu’il préside, de 16,7 millions de francs. Mais pendant ce temps, à Versailles, Rouland, ouvre les vannes et donne près de 320 millions au gouvernement de Thiers. Cette différence de un à vingt laisse songeur quand on regarde l’état des réserves. En septembre 1870, devant l’avancée allemande, 246 millions de francs d’or métallique et 300 millions de francs de billets de banque avaient été évacués de la rue de La Vrillière vers Brest. Le 18 mars, un convoi qui devait ramener 28 millions de francs-or avait été détourné à la demande de Rouland vers Toulon. Ces réserves restaient aux mains de Versailles.

    Mais il restait encore 88 millions de francs d’or métallique et 166 millions de francs de billets dans les souterrains de la Banque de France. La Commune avait pris le contrôle de l’Hôtel de la Monnaie, où Zéphirin Camélinat, qui deviendra le doyen de la Commune et dont les funérailles en 1932 furent utilisées par le PCF pour récupérer le mouvement, organisait la frappe de nouvelles pièces. Et Lissagaray indique qu’entre les valeurs diverses déposées à la Banque et les billets n’attendant que la signature, pas moins de trois milliards de francs se trouvaient à disposition des communards qui négociaient chaque semaine quelques centaines de milliers de francs…

     

    Ce qu’aurait changé le contrôle de la Banque de France

    Certes, comme l’a souligné Éric Cavaterra dans son ouvrage paru en 1998 aux éditions de l’Harmattan, La Banque de France et la Commune de Paris, la Commune n’a jamais réellement manqué de fonds. Mais il relève aussi combien les insurgés avaient mené une politique parcimonieuse. L’absence d’une telle austérité n’aurait peut-être pas pu combler les problèmes stratégiques et militaires de la Commune, elle n’aurait peut-être pas assuré sa victoire alors que les troupes allemandes campaient encore à proximité. Mais disposer de davantage de fonds aurait sans doute ouvert de nouvelles possibilités à l’Hôtel de Ville, notamment dans le domaine des politiques sociales et des expérimentations économiques.

    La Commune aurait pu agir au-delà de la simple ville assiégée et joué ce que Marx attendait d’elle : un rôle d’exemple pour une province endormie par les discours de la propagande versaillaise. Dotée de moyens considérables, la Commune pouvait construire une vraie économie politique dont on ne voit, au cours de son histoire, que des bribes. L’économie parisienne, fondée sur l’industrie du luxe et de la construction, était à reconstruire en fonction de besoins ignorés, ceux de ses habitants. Agissant concrètement, la Commune aurait eu à proposer à la France autre chose que l’image d’une ville démunie et assiégée. Et Paris aurait eu les moyens non seulement de combattre la propagande versaillaise, mais aussi d’apporter un soutien actif et concret aux Communes régionales de mars. Tout cela aurait pu changer entièrement le cours de la guerre civile.

    En réalité, une Commune se saisissant de ces trois milliards de francs, soit dix fois ce que Rouland a accordé à Versailles, changeait inévitablement tout. Une Commune plus riche, et plus riche de l’argent des capitalistes français, n’aurait pu que modifier en sa faveur l’équilibre des pouvoirs. Non seulement elle disposait de moyens concrets, mais elle faisait, en définitive, dépendre de son bon vouloir la valeur de la richesse des milieux capitalistes français. Si Versailles faisait marcher la planche à billets pour tenir le rythme, c’était pour eux la ruine assurée. Or, face à la ruine, la Commune avait une proposition alternative d’organisation sociale et économique, immédiatement disponible. Le rapport de force se renversait alors.

    Il se renversait d’autant plus que la Banque était bel et bien ce nœud central du capitalisme français. Décider de l’attribution de l’escompte, se lancer dans une nouvelle politique de crédit modifiait évidemment la structure de ce capitalisme où les « artisans » parisiens, souvent formellement des travailleurs libres, étaient en voie de prolétarisation, précisément par défaut d’accès au capital. Mais il y avait davantage. Dans les coffres de la rue de La Vrillière, il y avait certes de l’argent mais aussi des effets de commerce déposés en garantie, autrement dit des dettes privées, sans compter les dépôts des plus riches Français et les intérêts des actionnaires de la Banque... Brûler tout cela revenait à redistribuer massivement la richesse et à désorganiser entièrement le réseau commercial et financier français. C’est pourquoi la mainmise physique sur la Banque de France à Paris était centrale.

    Et c’est dans ce sens qu’il faut comprendre les reproches de Marx, Engels et Lissagaray, qui n’ont jamais défendu la prise de contrôle de la Banque pour se saisir de l’or en tant que tel, mais bien davantage pour renverser le rapport de force politique. Au reste, Friedrich Engels, dans la préface déjà citée, souligne la « faute politique » qu’a représentée ce « saint respect » : « La Banque aux mains de la Commune, cela valait mieux que dix mille otages. Cela signifiait toute la bourgeoisie française faisant pression sur le gouvernement de Versailles pour conclure la paix avec la Commune. » De même, Prosper-Olivier Lissagaray parlait des « vrais otages » que constituaient les institutions financières.

    Car en respectant cette fortune comme le demande de Plœuc, la Commune accepte de jouer un jeu où elle perd non seulement sur le plan financier, mais aussi sur le plan légal. Depuis le début de la guerre franco-allemande en juillet 1870 et pour bloquer les retraits d’or, il y a cours forcé des billets de banque. Autrement dit, le numéraire n’est plus convertible en métal précieux. Cette méthode avait été inaugurée entre 1848 et 1850 pour faire face à la crise qui avait suivi la révolution de 1848.

    La conséquence, c’est que la Banque doit fournir à l’État les moyens qu’il lui demande dans le cadre d’un plafond déterminé à l’avance, mais qui, selon les circonstances, peut évoluer. Autrement dit, la Banque a toute latitude pour financer l’État qu’elle juge légitime, celui de Versailles. La légalité que la Commune n’a eu de cesse de respecter était celle qui, nécessairement, donnait à son adversaire les moyens de l’écraser puisque, pour la Banque, la Commune n’était, au mieux, qu’un pouvoir municipal de fait.

    Pour Alexandre de Plœuc, tenir ce cadre était donc essentiel pour permettre à son gouverneur de financer l’armée de Versailles et écraser les tentatives de Communes régionales. C’est dans ce déséquilibre stratégique que le respect de la Banque de France peut paraître a priori difficilement compréhensible.

    C’est pourtant une réalité. La Commune constituée par les élections du 26 mars se contenta de nommer, sur la proposition de de Plœuc, Charles Beslay comme délégué auprès de la Banque. Lequel alla régulièrement quémander des moyens. Certes, après le 21 avril et l’intensification des combats, les relations se firent plus tendues. Le 12 mai 1871, il fut question d’envoyer des bataillons devant la Banque. Mais le projet a été finalement abandonné par le Comité de salut public sur l’insistance de Jourde et de Beslay. Autrement dit, aussi habiles qu’aient été de Plœuc et Rouland, c’est bien la volonté de la Commune de ne pas forcer les portes de l’hôtel de Toulouse qui a été déterminante. Comme le souligne Éric Cavaterra dans sa notice sur le sujet publiée dans l’ouvrage collectif dirigé par Michel Cordillot, La Commune de Paris, les acteurs, l’événement, les lieux (éditions de l’Atelier), « le salut de la Banque de France tint à la fois des conceptions politiques du moment et des circonstances […] plus que de sa propre capacité à résister ».

    Comment comprendre alors ce « saint respect » sans tomber dans un jugement anachronique ? Plusieurs hypothèses sont possibles, et sans doute ne s’excluent-elles pas entre elles.

     

    Une Commune républicaine et municipaliste

    Une première piste concerne sans doute la présence des troupes allemandes en France. La menace de voir l’alliance entre Versailles et Berlin se concrétiser militairement pèse sur toute l’histoire militaire de la Commune. Le traité préliminaire de paix signé le 26 février 1871 établissait déjà les grandes lignes du traité de paix de Francfort du 10 mai : cession des trois départements d’Alsace-Moselle et paiement d’une indemnité de 5 milliards de francs-or pour obtenir la fin de l’occupation. En attendant, il fallait payer les frais de ladite occupation. Certes, les Parisiens ont toujours été de farouches adversaires de cette paix et de ses conditions.

    Otto von Bismarck, chancelier d’Allemagne en 1871. © copie d’écran @Wikipedia Otto von Bismarck, chancelier d’Allemagne en 1871. © copie d’écran @Wikipedia

    Mais ils doivent prendre en compte un élément clé : en prenant le contrôle de la Banque de France, la Commune venait obérer la capacité de la France de payer le Reich. Dès lors, elle donnait à Bismarck l’opportunité d’intervenir. Ce calcul est rarement présenté tel quel, mais ne faut-il pas entendre dans ce sens l’argument de Beslay qui faisait de la défense de la Banque une condition de la défense de la Commune. Beaucoup ont pu aussi penser que donner à Bismarck l’occasion d’intervenir était donner le coup de grâce à une République fragile. Comme en 1815, et avec l’appui cette fois d’une assemblée élue, l’Allemagne conservatrice n’aurait-elle pas été tentée de placer un prince sur le trône de France comme gage de l’obéissance du pays au nouvel ordre européen ?

    Sans doute était-ce là, en partie, une illusion, car, comme le rappelle Éric Toussaint, Bismarck voyait dans la Commune, de toute façon, un danger et un obstacle. Aussi accorda-t-il des délais et des moyens suffisants à Thiers pour organiser une armée destinée à écraser Paris. Au reste, cette guerre contre Paris déclenchée par le coup de force du 18 mars peut aussi être lue comme une volonté de discipliner un peuple qui rechignait à payer le prix de cette paix. Dans un billet de son blog tenu sur Mediapart, Vingtras rappelle que Thiers s’est laissé convaincre d’aller saisir les canons de la Garde nationale parce que cette dernière représentait une charge considérable pour le budget national, « de 600 à 700 000 francs par jour », avançait le député Jules de Lasteyrie.

    La Commune était donc aussi un problème financier. Mais dans ce respect de la Banque, il faut sans doute avant tout voir un respect du niveau auquel beaucoup de Communards identifiaient leur mouvement, le niveau municipal. La Commune était un pouvoir parisien. Elle pouvait certes prétendre agir vis-à-vis de la Banque de France comme tel et donc avoir accès aux comptes de la Ville et à l’escompte que pouvait attendre une capitale. Mais aller plus loin, c’était voler la France. Comment prétendre construire une nouvelle République fédérative, reposant sur la liberté des communes et la fraternité, en commençant par un tel coup de force ? Comment attirer à soi les régions si l’on mettait la main sur la « fortune du pays », comme disait Plœuc ?

    Dans son ouvrage récent, La Commune au présent (La Découverte), l’historienne Ludivine Bantigny résume parfaitement cet état d’esprit qui est au cœur de la pensée communarde : « À vos yeux, cette banque est la Banque de France et vous, vous n’êtes que Paris. Votre révolution est communale et ne prétend pas se substituer au pays. C’est cela aussi la démocratie. Or c’est votre grand souhait : la démocratie vraie. Fracturer les coffres sans en avoir le mandat pourrait briser la confiance et la légitimité que le peuple vous accorde. Vous ne voulez pas passer pour des bandits. Vous entendez aussi montrer aux autres villes et au reste du pays la dignité de cette révolution. »

    Une anecdote vient illustrer ce propos. Le 19 mars, Varlin et Jourde vont au ministère des finances, rue de Rivoli. L’immeuble est évidemment abandonné par le ministre, mais on leur remet un coffre contenant 4,6 millions de francs. Problème : il y a une serrure et la clé est à Versailles avec le ministre. « Les délégués ne voulurent pas forcer les serrures », indique Lissagaray. Et ils se retirèrent. Un tel légalisme ne peut se comprendre que par la volonté de ne pas « passer pour des bandits ». C’est d’ailleurs une constante des insurrections parisiennes du XIXe siècle : la propriété y est globalement respectée, parce que, saisie par la révolution, elle devient commune. À charge ensuite d’en définir l’usage et la destination. Mais le pillage est toujours, sinon empêché, du moins condamné.

    Cette vision était clairement celle de la majorité des membres de la Commune. Les « jacobins » ou les « blanquistes » étaient attachés à l’unité nationale, à la « République une et indivisible ». Prendre la Banque, en fonder en quelque sorte une autre, à côté de celle de Versailles, c’était briser cette unité. Mais elle sonnait aussi particulièrement aux oreilles proudhoniennes.

    On a souvent surestimé l’influence de Pierre-Joseph Proudhon, décédé en 1865, sur la Commune. Sa pensée mutualiste commence déjà, à la fin des années 1860, à être datée et peu en accord avec l’évolution du capitalisme. Eugène Varlin, par exemple, se rapproche de plus en plus des thèses collectivistes de l’anarchisme bakouninien. Mais il n’empêche, Proudhon reste une référence pour beaucoup de ces petits producteurs parisiens qui constituent l’ossature de la Commune. Et surtout, c’est le cœur de la pensée de Charles Beslay, par ailleurs patron et spéculateur à succès (et qui connaissait personnellement de Plœuc), qui est devenu l’ami intime de Proudhon dans les années 1850.

    Or, la pensée de Proudhon est foisonnante. On peut un peu en faire ce que l’on veut. Le père de l’anarchisme français avait ainsi été un des rares à avoir réfléchi sur la monnaie et son pouvoir. En juillet 1848, il avait demandé la création d’une « banque du peuple », capable de prêter à taux nul pour transformer les masses en consommateurs. Il savait aussi combien la monnaie avait un caractère performatif pour soutenir les mutualités. Beslay qui, en tant que député républicain modéré, avait voté contre le projet de Proudhon en 1848, tenta même de créer une banque de ce type au début des années 1850, avant qu’on interdise sa banque pour… concurrence à la Banque de France.

    Mais, en réalité, Proudhon est aussi l’homme de la collaboration entre le capital et le travail, seule capable de justifier la propriété. Malgré son mot connu, « la propriété, c’est le vol », Proudhon respecte beaucoup cette propriété et entend surtout en transformer la nature. Cette collaboration du capital et du travail s’appuie sur un principe fédératif, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Proudhon de 1863. Les mutualités se complètent de façon pyramidale aux niveaux communal, régional, national et international.

    On comprend alors que saisir d’autorité la richesse nationale pour une Commune est inconcevable. Même si Proudhon avait, dans un certain temps, défendu la fin de la Banque de France, cette tâche ne relevait pas du niveau communal. Beslay résumait cette démarche par ce mot : « respect de la propriété, jusqu’à sa transformation ». Une vision qu’il n’a donc eu aucun mal à faire accepter par la majorité des membres de la Commune. « La forteresse capitaliste n’avait pas à Versailles de défenseurs plus acharnés », conclut Lissagaray.

     

    La nature historique de la Commune et ses leçons

    Cela renvoie évidemment à la composition de cette majorité communarde, républicaine et municipaliste. Certes, l’Internationale, fondée en 1864, a placé en 1869 la nationalisation des banques centrales dans son programme. Mais les membres de l’Association internationale des travailleurs ne sont pas en mesure de peser suffisamment sur les décisions de fond de la Commune. Il faut ici, alors, inévitablement, se pencher sur les représentations économiques de cette majorité. On y trouve un respect des fondements du capitalisme : monnaie, propriété, dette.

    Non pas que la Commune n’ait rien fait, ni rien voulu faire sur le plan économique et social, bien loin de là. Mais sa démarche répond surtout – et c’est bien normal – aux circonstances. Il en va ainsi du décret du 29 mars qui suspend le paiement des loyers, une urgence pour une population parisienne frappée par le chômage et la misère. Il y a aussi le décret du 16 avril sur la réquisition des ateliers abandonnés, qui ne sera appliqué qu’une fois.

    Au-delà, on peut, comme Stathis Kouvelakis dans son texte Événement et stratégie révolutionnaire publié aux Éditions Sociales en introduction d’un recueil de textes de Marx et Engels Sur la Commune de Paris, définir une vision socialiste de la Commune pour organiser le travail et développer la propriété commune. Seulement voilà, ce projet se faisait dans un Paris assiégé, en guerre, et il fallait parer au plus pressé et tenter de sauvegarder l’unité entre le prolétariat et la classe ouvrière, sans compter ces travailleurs libres en voie de prolétarisation. Et pour cela, il fallait faire des concessions en termes de respect de la propriété et de la monnaie.

    Ces concessions nous apparaissent, 150 ans plus tard, comme de la faiblesse, et le respect de la Banque est l’ultime image de cette défaite d’abord intellectuelle. Et la Commune, sans doute, ne visait pas à abolir la propriété, à se saisir de la monnaie et à annuler les dettes. Son projet de « transformation » nous semble bien timide, aujourd’hui. Mais elle était, en 1871, un scandale absolu pour la société bourgeoise. George Sand s’étrangle devant le peu de respect pour la propriété des Parisiens qui osent suspendre le paiement des loyers et leur oppose le bon paysan qui a « l’amour féroce de la propriété ». Louis Blanc, figure tutélaire du socialisme des années 1840, traite les Parisiens de « fanatiques » et refuse de répondre lorsque les membres de la Commune lui demandent de démentir Thiers qui décrit des pillages imaginaires dans la capitale…

    Et c’est bien en cela que la Commune fut absolument socialiste. Malgré le respect de la Banque de France, elle a jeté un défi à la face de son monde, celui de 1871. Là encore, il faut revenir au texte de Stathis Kouvelakis, qui rappelle que la Commune doit se comprendre au regard de la définition du communisme faite par Marx et Engels dans L’Idéologie allemande : « le mouvement réel qui abolit l’état des choses ».

    La Commune est un mouvement, c’est ce moment où les travailleurs « découvrent » (là encore le terme est de Marx) une forme politique propre, indépendante de la bourgeoisie. Cette découverte est chaotique, conflictuelle, incomplète. Elle se fait dans son époque, mais déjà la dépasse. Et Kouvelakis montre bien dans son texte le caractère émancipateur de la Commune en actes, tentant de redéfinir le travail, le pouvoir et l’État. Mais cette ambition ne pouvait se réaliser pleinement en préservant la monnaie, nœud gordien des relations capitalistes et « relique barbare » du culte de la marchandise. Pour achever le mouvement, il ne fallait pas reculer devant la menace de Beslay sur la « fortune du pays ». Or, les esprits n’étaient pas prêts à cela. Et on ne fait l’histoire qu’avec des hommes, et avec ce qu’ils ont en eux de neuf et de vieux. Une révolution met toujours en tension les conceptions du monde des révolutionnaires.

    La Commune surgit au moment du premier épuisement du capitalisme, celui de l’acier et du charbon, mais aussi de l’exploitation brute de la force de travail. Elle prépare déjà la phase de défense des travailleurs qui dominera au siècle suivant. Mais elle reste les pieds dans son époque, dans son urgence même, et dans ses références. Dans la fascination presque mimétique de nombreux Communards pour la Révolution française (au point de fonder un « Comité de salut public »), fondatrice de la propriété privée en France et marquée par les assignats, il y a une grande partie de cette force de résistance. Mais le proudhonisme, par son rejet de la lutte de classes, en est une autre.

    Les limites de la Commune ne sont finalement rien d’autre que la preuve qu’elle était un « mouvement réel », un mouvement qui tend vers l’avenir, mais doit encore faire avec le présent. La forme politique avançait, la forme économique était plus lente, parce que l’évolution du capitalisme ne le permettait sans doute pas. C’est pour cela que Marx et Engels insistaient sur l’importance de son « existence en actes », au-delà de ses actes mêmes.

    Écouter la Commune, 150 ans plus tard, c’est donc comprendre où ce mouvement s’est stoppé. Et tenter de le reprendre. En cela, le « saint respect » pour la Banque de France est une leçon formidable pour l’avenir. Elle indique clairement que l’on ne peut dépasser le capitalisme sans s’attaquer à ses fondements économiques. Et donc sans renoncer à ce qui, en apparence, fait l’objet d’une évidence : le respect de la monnaie, de la dette, de la banque centrale, de la hiérarchie économique existante.

    La transformation manquée de la Commune fait donc particulièrement écho aujourd’hui à notre propre situation. Tenter de transformer le capitalisme en respectant ses sanctuaires et ses vaches sacrées ne revient qu’à accepter la sauvegarde de ce même capitalisme. Or, certains débats récents l’ont montré, le respect de la banque centrale, de la dette et du caractère marchand de la monnaie sont encore fortement ancrés au sein du camp dit progressiste. Charles Beslay est plus vivant que jamais.

    Mais les circonstances changent : l’urgence climatique, l’épuisement de la croissance, l’abondance monétaire changent les perceptions et vident les menaces de leur sens. L’Histoire a avancé, les circonstances se sont modifiées. Pour survivre, le capitalisme s’est étendu dans l’espace et dans les vies, mais il a aussi dû abandonner la forme métallique de la monnaie et avoir recours à la création monétaire pour sa propre survie.

    Progressivement, la leçon de la Commune devient alors plus claire. Rien ne sera possible sans se saisir du pouvoir monétaire, aujourd’hui largement utilisé pour pérenniser le néolibéralisme et donc le capitalisme. C’est là que se situe aussi aujourd’hui ce « mouvement réel » inauguré par la Commune : pour sortir de la marchandisation du monde contre laquelle les Parisiens se sont jadis levés, il faudra prendre la Banque de France ou ce qui en fait office aujourd’hui.


    Romaric GODIN

    Journaliste à Mediapart. Ancien rédacteur en chef adjoint au quotidien financier français La tribune.fr . Romaric Godin suit les effets de la crise en Europe sous ses aspects économiques, monétaires et politiques

    Le texte ci-dessus est reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur depuis le  Blog Mediapart de Romaric Godin

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  • L’année 2021 commence par une offensive du gouvernement de Kyriakos Mitsotakis. Une nouvelle loi accélère la réforme néolibérale de l’Enseignement supérieur et instaure la présence permanente des forces de police à l’intérieur des campus. Le droit de manifester a fait l’objet de pressions constantes, soit par diverses lois et décrets, soit « de facto » par la répression policière des manifestants. Le gréviste de la faim Dimitris Koufontinas [condamné à perpétuité en 2003, voir plus bas] s’est vu opposer un refus cynique (et meurtrier) de ses droits minimaux et légitimes en prison. Le fil conducteur a été la volonté du gouvernement de gouverner par la force et de mener une « guerre » contre la gauche radicale. La campagne autoritaire a provoqué une sérieuse riposte sur tous les fronts, qui a culminé dans une étonnante explosion de sentiment anti-gouvernemental durant le week-end du 13-14 mars dans de nombreuses villes de Grèce et dans la plupart des quartiers et districts d’Athènes. Une résurgence de l’action de masse dans les rues est en train de créer une nouvelle situation. Revenons sur le contexte de ces événements et sur les luttes récentes.

    Une semaine avant les élections de janvier 2015, le politicien de droite Makis Voridis [actuel ministre de l’Intérieur] prenait la parole lors d’une petite réunion locale de soutien au parti de droite Nouvelle Démocratie. Il a alors déclaré : « Nous ne céderons jamais le pays à la gauche […] Ce que nos grands-pères ont défendu avec leurs fusils [une référence à la guerre civile de 1946-1949, lorsque les armées nationalistes ont imposé un régime de terreur blanche contre les guérillas du Parti communiste], nous le défendrons avec nos votes dimanche prochain. Ne vous faites pas d’illusions. Dimanche prochain, il ne s’agit pas simplement de choisir un parti, ni de choisir un programme économique. Il s’agit d’une énorme confrontation idéologique entre deux mondes différents. »

    Son camp a perdu cette bataille à l’époque et SYRIZA a fini par former un gouvernement [premier gouvernement entré en fonction le 27 janvier 2015]. La suite est connue. L’effort de recherche d’un compromis avec la troïka [FMI, BCE et Commission européenne] et la classe dirigeante grecque a conduit à la capitulation d’Alexis Tsipras et à la signature du troisième mémorandum d’austérité. La défaite démoralisante de 2015 [Tsipras accepte les conditions de la troïka, malgré la victoire du non, à plus de 61 %, lors du référendum du 5 juillet 2015] a ouvert la voie au retour de la droite au pouvoir.

    Lors des élections de 2019, Nouvelle Démocratie a remporté une importante victoire électorale, qui était aussi une victoire politique. Les sondages suggéraient une dérive droitière de l’opinion publique. La capitulation de SYRIZA et le changement idéologique qui s’en est suivi pour tenter de justifier cette trahison et défendre les politiques d’austérité que le gouvernement Tsipras a mises en œuvre ont renforcé la doctrine TINA (There Is No Alternative). Le néolibéralisme (alias « créer un environnement favorable aux investisseurs ») a été réhabilité comme étant la seule façon de sortir de la crise, tandis que Nouvelle Démocratie avait stimulé les sentiments de conservatisme social comme moyen de renforcer sa position alors qu’elle était dans l’opposition.

    Makis Voridis était désormais d’humeur revancharde : « Nous ferons toutes les interventions nécessaires pour nous assurer que la gauche ne reviendra plus jamais au pouvoir. » Il n’était pas si inquiet des perspectives électorales de SYRIZA. Comme il l’a dit en 2015, « il ne s’agit pas d’un parti ». Voridis est l’un des représentants les plus élaborés de l’extrême-droite contemporaine en Grèce. Il a passé sa jeunesse dans des groupes néofascistes, utilisant des armes contre des manifestants antifascistes dans les rues d’Athènes. Il a ensuite intégré le parti d’extrême droite plus « parlementaire » LAOS (Alerte populaire orthodoxe), avant de rejoindre Nouvelle Démocratie. Il aime mentionner Antonio Gramsci et le concept d’« hégémonie » dans ses interventions, afin d’expliquer son projet à long terme consistant à « imposer une défaite stratégique aux idées de la gauche – quelque chose de plus grand qu’un pourcentage électoral donné, quelque chose qui existe dans les universités, dans les arts, dans les syndicats, dans l’esprit des gens ».

    Bien sûr, tout en mettant l’accent sur « l’hégémonie » et les « idées », Voridis connaît aussi l’importance de la force et de la violence pour gouverner. Mais ses jours de combattant armé de droite sont révolus. Et nous le trouvons aujourd’hui amoureux de « notre démocratie libérale ». Il défendra les forces répressives de « notre démocratie libérale » contre les grèves syndicales, contre les mobilisations de la gauche, contre les squats anarchistes, contre les protestataires qui bloquent les rues. On pourrait dire que pendant que Voridis s’éloignait de ses tactiques néofascistes extrêmes passées, « notre démocratie libérale » allait dans sa direction, ils se sont donc rencontrés à mi-chemin. Depuis janvier 2021, Makis Voridis est le ministre de l’Intérieur. Et la « guerre contre la gauche » qu’il a menée pendant des décennies est désormais le véritable projet de l’actuel gouvernement de droite dirigé par le prétendu « centriste » Kyriakos Mitsotakis.

    Kyriakos Mitsotsakis espérait utiliser la défaite politique de la gauche afin d’imposer une défaite stratégique. La démoralisation après 2015 semblait être une occasion en or de matérialiser le slogan des gouvernements successifs au cours des dernières décennies : « Nous devrions en finir avec Metapolitefsi ». « Metapolitefsi » signifie littéralement « changement de régime politique » et décrit la transition vers la démocratie après la chute de la dictature militaire en 1974. Mais c’est un terme politiquement chargé, qui est utilisé pour faire référence aux traditions militantes des années 1970, aux conquêtes du mouvement ouvrier et à « l’hégémonie de la gauche » qui hante les pensées de Voridis.

    Très tôt, le gouvernement de Kyriakos Mitsotsakis passe à l’offensive, visant à mettre en œuvre des politiques ultra-néolibérales et à bouleverser l’équilibre des forces entre travailleurs et employeurs. Il s’est appuyé sur les précédents tragiques établis par le gouvernement SYRIZA et a tenté d’accentuer cette orientation, sans l’accompagner des « réserves idéologiques » propres au parti d’Alexis Tsipras au cours de ses mutations.

    ***

    Depuis mars dernier, l’apparition de la pandémie constitue un facteur nouveau. D’une part, la gestion de la pandémie a été un désastre. Le gouvernement a refusé de mettre en œuvre toute politique susceptible d’aider à gérer la situation. Les bars et les restaurants peuvent être fermés pendant des mois, tandis que le commerce de détail s’ouvre et se ferme, mais il n’y a jamais eu de véritable arrêt dans les principaux secteurs de l’économie (usines, construction, bureaux, etc.), ni aucun effort pour imposer des mesures de sécurité sanitaire aux employeurs. Le système national de santé (NHS), qui était déjà en ruine, a dû partir à la guerre sans nouveaux soldats (médecins) ni nouvelles armes (unités de soins intensifs, capacités d’analyse massives, etc.). Le système de transport en commun, lui aussi en mauvais état, n’a pas été renforcé afin d’éviter les cohues aux heures de pointe. En effet, la plupart des salarié·e·s sont toujours obligés de se rendre au travail comme d’habitude et de supporter ensuite des couvre-feux et des restrictions qui frappent leur « temps libre ». La demande des élèves pour des classes plus petites qui permettraient une réouverture des écoles en toute sécurité est restée sans réponse, car cela impliquerait d’engager plus d’enseignants et/ou de construire plus d’écoles.

    Tout effort pour traiter ces problèmes signifierait une rupture avec l’orientation néolibérale. De nouveaux médecins, de nouvelles unités hospitalières et de nouveaux lits pour le NHS, de nouveaux chauffeurs et une nouvelle flotte de véhicules pour les transports publics, de nouveaux enseignants et de nouvelles écoles, un nouveau personnel pour l’inspection du travail pourraient être des solutions « permanentes » et donc rester en place après la pandémie, ce que les néolibéraux ne peuvent tolérer.

    Ces éléments ont contribué à l’échec de la lutte contre la pandémie. Alors que diverses restrictions de déplacement et des couvre-feux nocturnes sont en place sans interruption depuis novembre dernier, les cas d’infection continuent d’augmenter [233 000 cas et 7361 morts]. A l’heure actuelle, les unités de soins intensifs à Athènes sont pleines, et les médecins affirment que les hôpitaux de la capitale grecque sont sur le point de faire face à une situation « à la Bergame » (choisir quels patients sauver, comme ce fut le cas dans la ville italienne).

    Pendant ce temps, le soutien financier aux travailleurs des secteurs qui sont fermés ou qui ont été les plus touchés par le ralentissement de l’activité est le strict minimum. La plupart des fonds publics sont utilisés pour « soutenir » les propriétaires, tandis que des miettes sont laissées pour les employés.

    ***

    Le gouvernement n’a pas simplement échoué à gérer la crise sanitaire et économique. Il a instrumentalisé la pandémie pour approfondir son option néolibérale. Alors que les manifestations, les réunions syndicales, les assemblées d’étudiants et toutes sortes d’activités étaient rendues plus difficiles ou impossibles à cause de la pandémie, le gouvernement a refusé de renoncer à de nouvelles attaques. Il a commencé à voter une loi après l’autre au parlement, dans l’espoir de contourner la résistance sociale. Il a également instrumentalisé la pandémie afin de renforcer la répression. Une partie de l’État a bénéficié d’une augmentation des dépenses publiques, pour du nouveau personnel et des équipements de pointe : la police.

    Après l’incroyable rassemblement antifasciste d’octobre dernier [voir à ce propos l’article publié sur ce site le 10 octobre 2020], pendant le procès d’Aube dorée, le gouvernement a lancé une contre-offensive préventive. L’article 11, qui protège le droit de manifester, a été suspendu deux fois, par un décret du chef de la police (!), afin d’interdire les rassemblements de masse du 17 novembre (anniversaire du soulèvement étudiant contre la junte militaire en 1973) et du 6 décembre (anniversaire du meurtre d’Alexis Grigoropoulos, âgé de 15 ans, par la police, qui a provoqué la révolte des jeunes en décembre 2008). Par la suite, une douzaine de militantes féministes de gauche ont été arrêtées pour avoir simplement brandi une banderole sur la place Syntagma afin de protester contre les violences faites aux femmes le 25 novembre. La loi votée l’été dernier, visant à « réglementer » les manifestations, donne le feu vert à la police pour décider arbitrairement de « l’ampleur de la menace estimée » et interdire ou réduire les rassemblements publics.

    Pendant ce temps, la peur de la pandémie elle-même et la répression de l’État nous ont contraints à organiser une sorte de « résistance déléguée ». De petites activités symboliques organisées dans un environnement « semi-clandestin » par des minorités militantes, exprimant les sentiments d’une couche plus large de la population qui ne voulait ou ne pouvait pas descendre dans la rue.

    Compte tenu de la faiblesse des mouvements sociaux, nous avons estimé que la nouvelle loi et l’utilisation disproportionnée des forces de police contre les petites mobilisations symboliques avait un caractère préventif. Le gouvernement, comprenant que la colère bouillonne sous la surface et que l’impact de la crise économique va s’aggraver avec le temps, a tenté d’imposer une « nouvelle normalité », où les manifestations sont un endroit dangereux, où les minorités militantes seront isolées et feront face à une répression sévère avant qu’elles puissent faire appel et parvenir à mobiliser une plus grande partie de la population.

    ***

    Le principal problème de Nouvelle Démocratie est qu’un pilier de sa « contre-révolution » a été brisé. Le néolibéralisme est en état de crise permanente depuis 2007. Mitsotakis souhaitait suivre les traces de son idole, Margaret Thatcher, oubliant que la « Dame de fer » s’est affirmée à une époque où le néolibéralisme était en plein essor et où la croissance économique pouvait soutenir la fausse promesse des « effets de ruissellement » pendant un certain temps.

    Dans la Grèce contemporaine, le secteur privé glorifié a été fortement touché pendant la pandémie. La crise économique a durement frappé même une partie de l’électorat du gouvernement : les propriétaires de petites entreprises et certains professionnels ; une partie de la petite bourgeoisie qui espérait qu’un gouvernement « favorable aux entreprises » serait la solution à leurs problèmes et qui est maintenant confrontée à un désastre. Les salarié·e·s sont soumis à une pression extrême depuis 2010 (sans compter que même le « bon vieux temps » d’avant la crise n’était pas si bon pour beaucoup d’entre eux). La restauration de l’orthodoxie néolibérale en tant que « bon sens » et la transformation de la société grecque en un environnement « favorable aux entreprises » se sont heurtées à des obstacles, entre autres des luttes de salarié·e·s. Le gouvernement a donc renforcé le deuxième pilier de sa « guerre contre la gauche » : l’autoritarisme et le conservatisme. Pendant que la police réprime, une offensive idéologique tente de discréditer la gauche radicale en la présentant comme « l’ennemi intérieur » qui mérite d’être brutalisé. La « loi et l’ordre » sont devenus le seul discours que Nouvelle Démocratie avait à offrir à sa base de soutien conservatrice, qui craquait sous le poids de la crise financière.

    ***

    Cette mentalité guide le gouvernement depuis lors. En voici un petit exemple, mais parlant. En plein milieu d’une version grecque de #MeToo, où des femmes, principalement dans le domaine des arts et des sports, brisent leur silence et racontent leurs histoires de harcèlement sexuel, il a été révélé que Dimitris Lignadis, nommé par le gouvernement au poste de directeur artistique du Théâtre national, avait systématiquement violé des adolescents. Après l’échec des premiers efforts pour le couvrir, il a finalement été sacrifié. Mais la ministre de la Culture, Lina Mendoni, elle, est restée à sa place, malgré les nombreux appels à sa démission. Normalement, la remplacer aurait été un geste facile et bon marché pour « limiter les dégâts ». Mais c’est là que la mentalité d’un « cabinet de guerre » a prévalu. Mitsotakis a protégé sa ministre. Elle a été présentée par les médias de droite comme une victime de la propagande de gauche qui la prend pour cible pour avoir promu des politiques « favorables aux investissements » dans le domaine de la culture. L’avocat de Lignadis a décidé de s’appuyer sur ce récit, en essayant de présenter son client comme la victime d’une sorte de conspiration de gauche. Il paierait le prix pour avoir essayé de reconnecter le Théâtre national avec « l’esprit grec ancien traditionnel » et d’éliminer « l’influence gauchiste décadente dans les arts »…

    ***

    C’est dans cette situation que le prisonnier Dimitris Koufontinas, ancien membre du groupe armé dissous « 17 novembre » (17N), a entamé une grève de la faim pour protester contre un (énième) traitement injuste. Koufontinas a été traité avec dureté pendant tout le temps qu’il a passé en prison, les bureaucraties de l’État lui refusant constamment des droits qui sont accordés à tous les autres prisonniers condamnés à des peines similaires. Tant Nouvelle Démocratie que l’ambassade américaine se sont traditionnellement montrées très fermes dans leur opposition à tout traitement humain du prisonnier de 63 ans. Le dernier exemple en date est scandaleux. Le gouvernement a voté une loi qui interdit à une certaine catégorie de prisonniers d’être transférés dans des prisons rurales. Elle a de plus un effet rétroactif. Le seul prisonnier correspondant au profil de cette nouvelle disposition et qui se trouvait déjà dans une prison rurale était Koufontinas, de sorte qu’il s’agissait essentiellement d’une loi conçue spécifiquement pour l’en retirer. La loi prévoyait que les détenus devaient être transférés dans la prison où ils se trouvaient auparavant. Mais le gouvernement a contourné sa propre loi et a transféré Koufontinas à la prison de haute sécurité de Domokos [Grèce centrale], et non à la prison de Korydallos [district du Pirée], où il avait passé la majeure partie de sa peine (et où il aurait été plus facile pour sa famille de lui rendre visite). Dimitris Koufontinas a été contraint d’entamer, le 8 janvier, une grève de la faim pour exiger l’application… correcte d’une loi punitive qui avait été votée contre lui en premier lieu !

    Le gouvernement a traité la grève de la faim avec un cynisme sauvage. La vengeance contre Koufontinas était combinée avec la « mentalité de guerre » de la Nouvelle Démocratie. Mitsotakis a clairement indiqué que le gouvernement ne reculerait pas et était prêt à mener Koufontinas à la mort. C’était une nouvelle imitation de Margaret Thatcher, qui avait laissé Bobby Sands et ses camarades mourir en prison [en mai 1981], afin de prouver que « la dame n’est pas faite pour tourner ». La vengeance était également porteuse d’un fort symbolisme. Dimitris Koufontinas s’est forgé pendant les années militantes qui ont suivi la junte militaire, et « 17N » est un produit de cette époque. Le fait d’afficher une tolérance zéro et de refuser les droits minimums de ce prisonnier particulier s’inscrivait dans la logique du slogan « achevons l’esprit de Metapolitefsi ».

    Pour certains analystes, il s’agissait d’une imitation de la « stratégie de la tension ». La stratégie originale a été mise en œuvre en Italie dans les années 1970, à une époque où il existait des groupes armés de gauche. En l’absence de tels groupes, la version grecque contemporaine a fait surgir le spectre de la « violence armée », 20 ans après la dissolution de 17N et la clôture de ce cycle, par un effort scandaleux pour changer le récit : une question de droits de l’homme et de démocratie a été dépeinte comme une « lutte contre le terrorisme ». Dès lors, tous ceux qui ont soutenu la grève de la faim et exigé le respect des droits de Koufontinas ont été dépeints comme des « sympathisants du terrorisme ». Les médias ont agi comme si la question concernait les actions passées de Koufontinas (pour lesquelles il était en prison depuis 17 ans) et non son traitement en tant que prisonnier. Les commentateurs de droite ont laissé entendre que ce « tueur en série qui n’a aucun remords » ne devrait jouir d’aucun droit (ou même qu’il est normal de le laisser mourir). Les messages Facebook soutenant ces revendications ont été supprimés et les profils des utilisateurs ont été retirés pour « soutien aux actions d’un groupe terroriste » !

    La police a établi une nouvelle norme en matière de répression. Les tentatives de rassemblements de quelques dizaines de personnes en soutien au gréviste de la faim ont été violemment dispersées par des unités de police antiémeute, avant même qu’elles n’aient eu le temps minimum de se rassembler et de lever leurs pancartes.

    La gestion cynique de la grève de la faim, qui incluait la tolérance de la mort potentielle de Koufontinas, a été le point culminant de la campagne visant à détruire la gauche radicale, tout en faisant appel aux instincts de « loi et d’ordre » des conservateurs et en les radicalisant à un niveau supérieur (celui de s’accommoder de l’idée d’imposer une condamnation à mort à un « extrémiste » et de brutaliser toute personne qui s’y oppose comme sympathisant terroriste). Cette stratégie visait à créer un précédent pour toutes les luttes futures. La vision de cette stratégie pourrait être décrite grossièrement comme suit : une infime minorité qui insiste sur la résistance active subira une répression brutale, tandis qu’une partie de la population a trop peur pour se mobiliser et que l’autre applaudit la police pour s’être occupée des « extrémistes » détestés.

    ***

    Mais les choses ont changé. Au cours du mois de janvier, les étudiants universitaires ont organisé une résistance massive contre la nouvelle loi qui accélère la transformation néolibérale de l’enseignement supérieur et établit la présence permanente des forces de police à l’intérieur du campus. Les manifestations hebdomadaires contre cette nouvelle loi ont rassemblé des milliers d’étudiants et ont ainsi marqué la fin de la période de « résistance déléguée ».

    L’« affaire Koufontinas » prend une autre tournure. Semaine après semaine, sa santé se détériorait et il devenait évident que la Grèce était sur le point de devenir le pays où un gréviste de la faim était mort, pour la première fois en Europe depuis 1981. Universitaires, artistes, médecins, avocats, membres du Parlement européen ont appelé au respect de ses droits. L’Ombudsman grec, la section grecque d’Amnesty International, l’Association grecque pour les droits de l’homme et du citoyen, et même l’Association des juges et des avocats ont rejeté la faute sur le gouvernement. Toute l’opposition parlementaire (à l’exception de l’extrême droite) a demandé son transfert à Korydallos. Les manifestations de soutien à la grève de la faim deviennent quotidiennes et prennent de l’ampleur. Une partie importante de la société, dont les opinions sur Koufontinas varient (de la sympathie à l’hostilité et tout ce qui se trouve entre les deux), exprime son rejet du comportement brutal de l’État à son égard. La seule intervention publique soutenant clairement le gouvernement a été celle de responsables de l’État américain, lui qui est responsable de la prison de Guantanamo et des centres de détention secrets de la CIA dans le monde entier…

    Pendant ce temps, quelque chose de différent bouillonnait sous la surface. La police ne brutalisait pas seulement les manifestants. Chargés d’imposer les couvre-feux et les restrictions de déplacements, éduqués à considérer la « jeunesse indisciplinée » comme un ennemi, gonflés par la stratégie gouvernementale de « loi et ordre », les flics se sont déchaînés dans les quartiers, les parcs et les places publiques d’Athènes. Les gens ont accumulé des expériences amères de rencontres quotidiennes avec une force de police qui opérait avec l’arrogance et la brutalité d’une « armée d’occupation ».

    À un niveau souterrain, le « paradoxe de la répression » apparaissait. Selon ce schéma, la répression est constamment utilisée comme un moyen de pacifier une population qui ne peut être gagnée par la persuasion. Mais à un moment donné, le recours constant à la répression cesse de terrifier la population et finit par l’exaspérer davantage. Les événements de Nea Smyrni, une municipalité de l’Attique, ont servi de catalyseur.

    Sur la place publique de Nea Smyrni, des policiers ont menacé une famille qui était assise sur un banc (et qui ne faisait donc pas d’« exercice actif », ce qui est la raison officiellement autorisée pour aller se promener). Les jeunes du quartier ont soutenu la famille et bientôt des renforts de police sont arrivés pour « pacifier la foule hostile ». Un jeune a été brutalisé, mais cette scène a été enregistrée par d’autres citoyens avec leurs smartphones et a fait le tour d’internet. La version initiale de la police qui a été volontiers reproduite par tous les grands médias (les policiers faisaient face à une « embuscade violente », etc.) a été ridiculisée par les habitants qui ont décrit ce qui s’est réellement passé. Le même soir, plus d’un millier d’habitants ont défilé de la place jusqu’au poste de police local, où ils ont été attaqués au gaz lacrymogène et dispersés.

    La vidéo a été diffusée partout, et le cri du jeune homme « J’ai mal ! » pendant qu’il était battu est devenu un cri de guerre pour des milliers de personnes, semblable à l’impact du « I can’t breathe » de George Floyd sur la société américaine. Même les médias ont été contraints de changer de discours le temps d’une journée, de montrer un peu de sympathie aux victimes de la violence policière et d’exercer une certaine pression sur les représentants de la police qui ont soutenu sans vergogne leur collègue, qui a « commis une erreur », qui « a malheureusement été filmée » (!). Ces images « ne devraient pas être utilisées pour discréditer la vaillante force de police par les habituelles personnes soupçonnées de sentiment anti-police ».

    Le lendemain, ce fut le tremblement de terre. Plus de 10 000 personnes se sont rassemblées sur la place centrale de Nea Smyrni. Dans les moments difficiles que nous avons traversés, une manifestation de cette taille serait célébrée comme un grand succès, même s’il s’agissait d’une mobilisation centrale pour tous les citoyens d’Athènes sur la place Syntagma. Mais ce n’était qu’une manifestation locale. Tout le monde était là. Des syndicats affiliés au Parti communiste, des forces de la gauche radicale, des collectifs anarchistes, des habitants qui n’avaient jamais manifesté auparavant, même des supporters de football ont décidé de mettre de côté leurs différences pour une journée et de marcher ensemble contre la brutalité policière.

    Plus tard dans la journée, des escarmouches ont éclaté entre certains manifestants et la police. Une unité de police motorisée – notoirement connue pour sa brutalité et sa tactique permanente consistant à charger avec leurs motos les manifestants – a attaqué. Cela s’est produit à de nombreuses reprises par le passé, mais cette fois-ci, certains manifestants ont riposté et un membre de l’unité a été battu et s’est retrouvé à l’hôpital.

    C’est alors qu’une contre-attaque idéologique s’est déclenchée. Les médias ont immédiatement déplacé le débat sur la brutalité policière vers celui « de voyous violents qui ont presque assassiné un policier ». Le premier ministre est intervenu lors d’une émission spéciale, pour dénoncer l’incident (sans jamais mentionner la victime de la brutalité policière). Tout d’un coup, tout le monde était censé oublier tout ce qui avait conduit à cette explosion de rage et sympathiser avec la police. Pendant ce temps, dans les rues de Nea Smyrni, la police cherchait à se venger. Toute une municipalité a souffert de leur activité frénétique cette nuit-là, dans les rues avoisinantes, à l’intérieur des magasins et des immeubles d’habitation. Une vidéo a été publiée qui résume leur état d’esprit après l’attaque de leur collègue. Son unité a été filmée en train de crier « Ils sont finis ! On va les tuer ! On va les baiser ! » De nombreux incidents de violence policière ont été enregistrés par des résidents locaux et mis en ligne.

    C’était comme deux univers parallèles. Pour les médias grand public, l’« histoire du jour » était le drame du policier blessé, tandis que les médias sociaux étaient envahis par diverses vidéos de violences policières sauvages dans les rues environnantes de Nea Smyrni et par des habitants criant depuis leur balcon « Dégagez d’ici ! » ou « Laissez les enfants tranquilles ! ». La distance entre la réalité et la couverture médiatique a été un autre facteur qui a enragé les gens – comme on avait pu le constater à l’occasion du référendum de 2015, lorsque les médias de masse ont été fortement discrédités pour leur rôle dans le soutien du « Oui » aux mesures de la troïka. Kyriakos Mitsotakis n’a pas conforté sa position lorsqu’il a averti les jeunes que « les médias sociaux sont une menace pour la démocratie car ils fournissent une vision déformée de la réalité », cela à une époque où ce sont les médias « respectables » qui déforment constamment la réalité pour protéger le gouvernement et la police.

    La contre-offensive idéologique a échoué lamentablement. Le premier sondage national sur la question a montré qu’une majorité des personnes sondées avait une opinion négative de la police (excessivement violente) et qu’ils étaient responsables de la petite émeute de Nea Smyrni. Mais ce qui est bien plus important que les sondages d’opinion, ce sont les rues. Le week-end suivant les événements de Nea Smyrni, tous les quartiers d’Athènes et de nombreuses villes de Grèce étaient remplis de manifestants. Il est difficile d’en estimer le nombre total. Mais de nombreuses municipalités ou districts ont connu les plus grandes manifestations locales depuis de nombreuses années. Des dizaines de manifestations locales simultanées ont rassemblé quelques milliers de personnes chacune. La « décentralisation » de la protestation était une stratégie discutée dans la gauche radicale comme moyen de faire face au double problème de la pandémie et des interdictions de l’État. Certains groupes avaient tenté une telle tactique le 6 décembre 2020, avec de nombreux événements locaux commémorant Alexis Grigoropoulos et la révolte de 2008, au lieu d’essayer de se rassembler une fois de plus au point de rendez-vous traditionnel du centre-ville d’Athènes où des dizaines d’unités de police nous « attendaient » déjà. Ce fut un succès, mais loin d’être comparable à ce qui s’est passé les 13 et 14 mars. Cette fois-ci, la stratégie de « décentralisation » a rencontré le besoin réel d’une masse critique de personnes de protester dans leurs quartiers, de réclamer leur droit à l’espace public face à la police. La police ne s’est même pas montrée pour essayer d’arrêter ce qui peut être décrit comme une « révolte pacifique » composée de multiples manifestations de type « guérilla ».

    Les protestations locales étaient diverses. Des groupes anarchistes locaux, des organisations de gauche, certains syndicats de travailleurs, des collectifs actifs dans la solidarité sociale les ont organisées, en fonction de leur force dans chaque district ou quartier.

    Ils étaient remplis de colère. Contre la police, contre la gestion de la pandémie, contre les priorités des dépenses publiques, etc. Un seul cri rassemblait toutes les doléances : « Mitsotakis, salaud ! » C’était un écho du passé : ce slogan avait été lancé en 1965 contre le père de l’actuel premier ministre, Konstantinos Mitsotakis, pendant les « Iouliana » (les « événements de juillet »), une révolte contre la monarchie déclenchée lorsque le Palais a renversé un gouvernement centriste avec l’aide de Mitsotakis, qui avait orchestré la défection d’un nombre crucial de députés centristes. Le slogan redevient populaire en 2021, pour exprimer le dédain envers le fils de l’une des familles les plus puissantes de la politique grecque. Michalis Chryssochoidis, le ministre en charge de la police [un ministère baptisé ministère de la protection des citoyens], a été une autre cible des chants des manifestants. Cet ancien social-démocrate [membre du Pasok dès 1974, passé à Nouvelle Démocratie en 2019], qui est devenu le favori de la CIA et l’enfant-vedette de l’« antiterrorisme » après le démantèlement de la « 17N » [en 2002], est maintenant le « shérif » largement méprisé et ridiculisé pour sa déclaration antérieure selon laquelle « les habitants des quartiers défavorisés applaudissent lorsqu’ils voient nos forces de police défiler dans leurs rues ».

    La jeunesse constituait le gros des manifestations locales. Bien sûr, des gens de tous âges sont venus, mais la présence massive des jeunes était significative. C’est une évolution intéressante. Il y a des générations de personnes dont la brève existence a été marquée par deux crises économiques majeures et une pandémie, jusqu’à aujourd’hui. Ils sont confrontés à de sombres perspectives sur le marché du travail, leur vie sociale est soumise à une pression constante, ce sont eux qui subissent habituellement le harcèlement quotidien de la police sur les places et dans les parcs publics et ce sont eux que le Premier ministre désigne constamment pour leur faire la morale. Mais ils sont aussi ceux qui n’ont pas vécu la défaite de 2015 de la même manière que ressentie par les générations précédentes qui ont lutté pendant de nombreuses années avant l’arrivée de SYRIZA au gouvernement et se sont ressenties épuisées et démoralisées après la trahison.

    ***

    Ce sentiment de défiance irrigue aussi d’autres luttes. La même semaine que la manifestation à Nea Smyrni et les manifestations locales, nous avons également assisté à : la grève féministe du 8 mars, à une marche étudiante contre la nouvelle loi sur les universités, à une manifestation centrale qui combinait la solidarité avec Dimitris Koufontinas et la lutte d’ensemble contre l’autoritarisme et la répression. Plusieurs milliers de personnes ont participé à ces mobilisations. Les jours suivants, nous avons eu les mobilisations des acteurs des divers milieux culturels, combinant leurs griefs pour le manque de soutien financier pendant le confinement, leur rejet des efforts pour imposer la censure dans les arts en utilisant la législation « antiterroriste » (similaire à celle qui a récemment conduit le rappeur catalan Pablo Hasel en prison) et la colère déclenchée par le #MeToo grec dans les arts. Puis, le 17 mars, une mobilisation du personnel de santé a été accompagnée de manière solidaire par de nombreuses personnes. En résumé, un gouvernement qui s’est lancé dans une campagne visant à diminuer sérieusement les protestations publiques fait face ces derniers temps à des mobilisations presque quotidiennes.

    Cette évolution de la situation a eu un autre effet secondaire. On dit que les grévistes de la faim déterminés et désespérés ont besoin de quelque chose à espérer pour changer d’avis et ne pas se sacrifier. Alors que Nouvelle Démocratie a refusé d’accorder à Dimitris Koufontinas ses droits jusqu’au bout, se contentant ou même voulant le voir mourir, le bref « printemps » de la résistance sociale a donné à Koufontinas des raisons d’espérer en l’avenir. Il a finalement mis fin à sa grève de la faim, déclarant que « ce qui se passe là-bas est bien plus important que la question qui l’a déclenchée » et que l’existence de forces sociales dynamiques qui résistent à l’autoritarisme « est un nouvel espoir ». Si le mouvement de masse n’a pas forcé le gouvernement à faire marche arrière, il a permis d’éviter la sombre perspective d’une mort tragique.

    Le gouvernement est sous pression et les jours de confiance arrogante en soi qui ont défini les débuts de son mandat sont derrière lui. Mais son avenir est loin d’être déterminé. La « guerre contre la gauche » peut s’avérer fructueuse en « accrochant les wagons » de l’électorat conservateur, qui s’est radicalisé. Le principal parti d’opposition, SYRIZA, n’est guère une « opposition », choisissant le langage conciliant de la politique respectable, de l’unité nationale, etc. La gauche anticapitaliste est encore fragmentée, confuse et/ou panse ses plaies de 2015. Les syndicats ont été sévèrement affaiblis et les « nouveaux mouvements » manquent de fondations critiques pour le moment.

    Mais il semble que nous entrons sur un nouveau terrain, avec des possibilités de contrecarrer, de manière tout à fait initiale, les effets de la défaite politique de 2015. L’énergie vibrante des jeunes générations, combinée à une réactivation possible d’un secteur de militants politiques disposant d’une expérience de luttes peut constituer un élément favorable à une nouvelle phase politique.

    Ces jours-ci, les chroniqueurs des médias grand public ont tendance à évoquer la révolte des jeunes de 2008 et le « mouvement des places » de 2011. Les optimistes rassurent leur public en disant que « cela ne se reproduira pas ». Les plus prudents préviennent que « nous devons nous assurer que cela ne se reproduira pas ». En tout cas, il est révélateur que les fantômes des luttes passées reviennent les hanter… (Texte envoyé par l’auteur le 19 mars 2021 ; traduction rédaction  A l’Encontre )

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