Le théâtre de Cornouaille est occupé depuis le 19 mars 2021. Pour le moment, la mobilisation se poursuit et une nouvelle agora (autorisée par les autorités préfectorales) est prévue ce mercredi 7 avril 2021.
Depuis le 19 mars 2021, des professionnels de la culture du Sud-Finistère occupent le théâtre de Cornouaille, à Quimper (Finistère). Un mouvement qui se fédère et attend des réponses.
« J’ai l’impression qu’ils sont en train de jeter la société à la poubelle, notre vie sociale, notre vie culturelle. » Plusieurs nuits par semaine, comme des dizaines d’artistes, de techniciens, de chargés de production et de diffuseurs, intermittents ou non, la comédienne Carolina Garel occupe le théâtre de Cornouaille, à Quimper (Finistère).
Une lutte qui a commencé le 19 mars 2021 pour défendre un secteur de la culture sinistré. « Au départ, nous avons hésité à partir en renfort sur les équipes de Brest ou de Lorient mais, symboliquement, c’était important de le faire à Quimper » , rappelle la DJ Yuna Le Braz, artiste-occupante du théâtre depuis le premier jour. Ce samedi 3 avril 2021, elle vient de passer une nouvelle nuit au théâtre.
L’artiste et DJ Yuna Le Braz occupe le théâtre de Cornouaille depuis le début du mouvement, le 19 mars 2021.
Un réseau qui se fédère
Elle montre les tentes montées au rez-de-chaussée, dans la continuité d’une première salle, « le bureau de production et la cuisine », qui sert aux réunions, discussions et assemblées générales. Et à partager les repas. « On récupère les invendus auprès de plusieurs commerces. Laure Larzul, qui fait du catering (traiteur dans le domaine du spectacle et de l’événementiel) les transforme en repas collectif » , reprend Yuna Le Braz.
L’une des salles du théâtre occupé sert à discuter, établir les actions et s’organiser. De l’avis de tous, cette occupation permet de fédérer un mouvement des professionnels dans le Sud-Finistère.
« Nous avons des soutiens dans la ville, des gens nous apportent des petits-déjeuners, nous avons rencontré les élus aussi, à Douarnenez, à Quimper, à la Région. Et nous faisons attention aux masques, aux gestes barrières, à être dans les clous. »
De l’avis de tous, ici, cette occupation a permis de fédérer de nombreux professionnels de la culture et du spectacle en Sud-Finistère. « On s’aperçoit que sur un petit territoire, nous étions nombreuses et nombreux à ne pas nous connaître. On découvre les gens, on échange sur des difficultés qui ne sont pas les mêmes pour tous. C’est très enrichissant », commente Yeltaz Guenneau, multi-instrumentiste, musicien professionnel et joueur de cornemuse du bagad Kemper.
Yeltaz Guenneau, sonneur, musicien professionnel, multi-instrumentiste et membre du bagad Kemper.
Ce samedi, Yeltaz est derrière le bar, dehors, juste à côté de la scène. Le café et les sandwichs sont à prix libre, pour soutenir le mouvement. « Il n’y a plus de fest-noz et ce n’est pas près de revenir car la danse bretonne, c’est le contact. Pour les concerts de rue, les autres formations dans lesquelles je joue, il y a peut-être un peu plus de perspectives », reprend Yeltaz Guenneau.
« Il n’y a pas de but, on ne sait pas où on va »
« Avec le bagad, on a du mal à répéter, nous sommes une quarantaine. Certains ont peur du Covid. Nous, les soufflants, bombardes, cornemuses, on envoie de l’air, ce n’est pas très Covid… Et répéter chez soi, c’est pas simple question voisinage. »
Et puis sonner, mais pour qui ? Il y a une perte de motivation, c’est certain. En parlant avec d’autres associations, d’autres bagadou, je ressens cette déprime générale chez les sonneurs. Il n’y a pas de but, on ne sait pas trop où on va, les concours ont été annulés l’an dernier, ils sont annulés cette année… »
Stéphanie Le Fur, chargée de production et de diffusion, explique que les revendications ne se limitent pas au monde de la culture et concernent, notamment, la réforme de l’assurance-chômage à venir en juillet.
« On ne lutte pas seulement pour nous »
On trouve là la déprime, l’épuisement, le sentiment d’absurdité, et ses pendants, la solidarité, le collectif, le soulagement de rompre un isolement, de pouvoir échanger, notamment lors des temps forts de l’occupation : les vendredis de la colère et les agoras, qui ont lieu chaque mercredi et samedi. La prochaine agora aura bien lieu le mercredi 7 avril 2021, elle a été validée par la préfecture.
« Ensuite, on attend de voir ce qui nous tombera sur la tête » , commente Yuna Le Braz, en référence aux dernières annonces. Les occupantes et occupants du théâtre aimeraient également mettre davantage en avant « le fond de leurs revendications ».
Des représentations à l’extérieur, comme ici du hip-hop, animent les temps forts de la semaine, notamment les agoras du mercredi et du samedi.
Ce samedi 3 avril 2021, il est question de l’assurance-chômage. « Nous luttons, bien sûr, pour la réouverture des lieux culturels et la possibilité de se réapproprier la rue comme espace. D’autant plus que l’on sait le faire, on a des protocoles, ça fonctionne et dans le Finistère, nous sommes moins touchés. Nous pourrions tout à fait mener des tests, trouver des solutions. Nous rencontrons les élus dans ce sens, pour leur faire comprendre qu’il ne s’agit pas seulement d’appliquer les directives d’en haut, que nous pouvons adapter des propositions qui viennent du terrain », résume Stéphanie Le Fur, chargée de production.
Et d’ajouter : « Nous luttons aussi pour le statut de l’intermittence mais surtout pour tous les intermittents de l’emploi, les précaires. La revendication première, ici, porte sur cette réforme de l’assurance-chômage, qui va paupériser encore un peu plus. »
Stéphanie passe au moins une nuit par semaine au théâtre et garde plusieurs jours de travail dans la semaine pour gérer « les annulations du printemps, les reports, encore et toujours. Et puis les quelques nouvelles dates qui tombent ».
« Un an dans ce tuyau noir »
Pendant cette agora, samedi, Béa avance, avec quatre autres femmes. Ensemble, elles symbolisent, dans une performance sous forme de marche lente, la culture à l’arrêt et bâillonnée. « Cette marche lente, on l’a déjà faite plusieurs fois et on aimerait que ça grossisse, que des femmes et des hommes nous rejoignent. Moi, je suis couturière, artisane créatrice de vêtements, je suis là par solidarité. »
La culture bâillonnée est représentée lors d’une performance, « marche lente », ce samedi 3 avril 2021.
Solidaire aussi, le groupe quimpérois Red Cardell vient donner un concert devant le théâtre occupé. « Ça fait un an qu’on est dans ce tuyau tout noir, je suis un peu ému de me retrouver sur scène, c’est étrange », lance le musicien Pierre Sangra, aux côtés de Jean-Pierre et Léo Riou. Puis, ils enchaînent reprises et chansons du nouvel album, ovationnés par le public masqué.
Ce samedi 3 avril 2021, Jean-Pierre Riou, Pierre Sangra et Léo Riou sont montés sur la scène du Cornouaille occupé, pour soutenir le mouvement.
Un retour de la vie culturelle à la mi-mai, Carolina Garel n’y croit pas… « En 2020, ils ont dit, on reporte à 2021, là on commence à parler de report à 2022. Moi j’ai lancé ma compagnie La Têtue, juste avant le premier confinement. J’aurai des reports, peut-être, en 2025, ironise-t-elle. Ma nouvelle création peut s’adapter, être jouée chez l’habitant par exemple. Je crois dans les petits réseaux qui vont nous faire vivre. »
Marion GONIDEC.
source: https://www.ouest-france.fr/